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BULLETIN
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BIBLIOPHILE
REVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAH J. TECHENER
 TIC Li roKcocas
Db mm. Ln Baiibibii, Con^ervateur-Adiuinlstrateur à la Bibliothèque du
Louvre; Ap. Briquet ; G. Brunit ; Eusèbe Castaiqnb, bibliothécaire
à Angoulème ; J. Chbnu ; db Clinchamp , Bibliophile ; V. Cousin, de
l*Académie Françoise; Dbsbarreaui-Bernard, Bibliophile; A. Dinaui;
A. ER5ioi'r, Bibliophile ; Fbrdina.nd-Dbnis, Conservateur à la Bibliothèque
Sainte-Oeueviève; J. db Gaillon ; Alprbd Giraud; Grangibb db La
Marimbrb, Bibliopliile ; P. Lacroix (Bibliophilb Jacob) ; J. Lamoureui ;
C. Lbbkr; Leroux, de Lincy ; P. de Malden ; de Monmerqué ; Fr. Morand;
Paulin Paris, dcriiistitut; Louis Paris; D' J. F. Payen ; Philarbtb
Chaslbs, Conservateur à la Bibliothèque Mazarine; J. Pichon, Pré-
f^ideut de la Société des Bibliophiles François ; Sbrgb Poltoratiki ;
Ratuery, Bibliothécaire au Louvre; Rouard; S. db Sacy, de TAcadémie
Fraiiçoir»e ; Sainte-Beuve, de TAcadéinie Françoise; Ch. Wbibb; Yemenu,
de la Société des Bibliophiles François ; etc.; etc.,
CONTENANT DES NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES, PUILOLOGIQUEtf, UISTO-
hlQUKS, LITTÉRAIRES, ET LE CATALOGUE RAISONNÉ DES LIVRES DC
L*ÉDITEUR.
JANVIER ET FÉVRIER.
DOUZIÈME SÉRIE
A PARIS
J. TECHENER, LIBRAIRE
PLACE DE LA COLONNADE DU LOUVRE N* 30.
1856.
f
BULLETIN
DD
BIBLIOPHILE
REVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAH J. TECHENER
A TIC LB rONCOUAS
Db mm. L. Baiibibii, Conservateur-Administrateur à la Bibliothèque du
Louvre; Ap. Briqubt ; G. Brdxbt; Eusèbe Cabtaignb, bibliothécaire
à Angoulème ; J. Cbbnu ; DB Clinchamp , Bibliophile ; V. Cousin, de
TAcadémie Françoise; Obsbarrbaux-Bbrnard, Bibliophile ; A. Dinaux;
A. Ernocp, Bibliophile ; Fbrdinand-Dbnis, Conservateur à la Bibliothèque
Sainte-Oeneviève; J. db Gaillo.n ; Alprbd Giraud; Gbanoibr db La
Marimêrb, Bibliophile ; P. Lacrou (Bibliophilb Jacob) ; J. Lamodreux ;
C. Lebkr; Leroux de Lincy ; P. de Maldbn ; de MomiERQué ; Fr. Morand ;
Paclin Paris, dePInstitut; Louis Paris; D' J. F. Paybn; Philarbtb
Chaslbs, Conservateur à la Bibliothùquc Mazariue; J. Pichon, Pré-
Mdent de la Société des Bibliophiles François ; Sbrgb Poltoratiki ;
Rathery, Bibliothécaire au Louvre; Rouard; S. de Sacy, de l'Académie
Françoise ; Sainte- Beuve, de TAcadéinie Françoise; Cu. Weibb; Ybmbnu,
de la Société des Bibliophiles François ; etc.; etc.,
CONTENANT DES NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES, PHILOLOGIQUES, HISTO-
RIQUES, LITTÉRAIRES, ET LE CATALOGUE RAISONNÉ DES LIVRES DE
L*ÉD1TEUR.
JANVIER ET FÉVRIER.
DOUZIÈME SÉRIE
A PARIS
J. TECHENER, LIBRAIRE
PLACE DK LA COLONNADE DU LOUVRE N« 30.
1856.
526 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
et de signaler des erreurs d'autant plus dangereuses qu'elles sont
protégées par un nom, une position et un remarquable talent.
Je n'entreprends pas la critique du livre de M. Griin, je ne
suis point un critique; mais les rares loisirs que j'ai pu consa-
crer à Montaigne m'ont mis à même de recueillir quelques ren-
seignements qui se sont parfois trouvés en désaccord avec Ton-
vrage que j'analyse; lorsqu'il y aura doute, je discuterai; lors-
•que l'erreur me paraîtra manifeste, je la signalerai; M. Grùn
sans doute n'y perdra rien et la vérité y gagnera; je n'ai pas
d'autre but, car j'ai mis au service de Montaigne autant de
désintéressement que d'amour.
Mon article se composera d'abord de quelques observations
générales ; je tâcherai ensuite de combler plusieurs lacunes ; en-
fin, je signalerai les erreurs que j'ai cru rencontrer.
Au risque d'une répétition, je reproduirai ici le jugement si
justement motivé de M. Villemain sur le titre de l'ouvrage.
Quelle qu'ait été la vie de Montaigne, elle s'est trouvée circon-
scrite dans un cercle trop restreint pour exercer une influence
sur les affaires générales du pays, et le titre de Vie publique est
impropre et trop ambitieux, comme celui d'Étude est peut-être
trop modeste.
Je proteste, autant qu'il est en moi, contre la manière dont
M. Grûn a cru devoir diviser la biographie de Montaigne. En
exagérant et dénaturant l'exemple donné par M. Leroux de
Lincy, dans la Vie de Marguerite de Navarre, en étudiant isolé-
ment Montaigne, maire, magistrat, gentilhomme de la chambre,
chevalier de l'ordre, etc., il est impossible de le connaître; à ce
système de divisions, il n'est pas de limites, et déjii les douze
Montaigne de M. Grûn ne lui suffisent plus; il en est aux sub-
divisions, et depuis la publication de son livre il nous a donné
Montaigne économiste. La méthode peut être bonne pour enre-
gistrer des faits fixes comme ceux de ia géographie ou de la
statistique, mais elle est assurément infidèle pour apprécier
cet être ondoyant et divers, cette unité complexe qu'on appelle
l'homme
bullc;tin du bibliophile. 527
Pour Montaigne, on peut dire qu'il est assez décousu pour
qu'il ne soit pas bon de le découdre encore. Ce qui intéresse
dans un article biographique, c'est la contradiction qui existe
souvent entre le milieu dans lequel un homme naît et ses aspi-
rations, entre ses facultés et ses désirs; ce sont les réactions
du caractère sur les fonctions et réciproquement, et c'est le
résultat de cette lutte qui constitue V individualité.
Chez Montaigne, montrer le maire actif aux prises avec Té-
picurien nonchalant, le philosophe avec l'homme de cour, l'é-
lève de Rome et d'Athènes avec le gentilhomme du xvr siècle,
le chrétien avec le sceptique, là est le véritable intérêt et, on
peut le dire, l'enseignement; et il faut que M. Grûn me per-
mette d'écrire, très sérieusement, que les diiïérents Montaigne
qu'il nous présente ne sont pas plus le Montaigne de l'histoire
que le jaune ou le rouge n'est la couleur de l'habit d'Arle-
#
quin.
11 y a plus, et l'intérêt s'accroît lorsqu'un écrivain de talent
et de goût rapproche les biographies de plusieurs personnages
dont l'existence, l'influence, les opinions ou les ouvrages offrent
quelque analogie ; ce qui est précisément le contraire du procédé
contre lequel je réclame (1).
Nonobstant les recherches auxquelles M. Grûn s*est livré et
malgré le luxe d'érudition auquel il s'est peut-être un peu trop
abandonné, il accepte souvent des renseigtiements de seconde
main. Ainsi, sur la foi de Meunier de Querlon, il a reproduit
une grosse erreur que la moindre vérification lui auroit fait re-
connoitre, sur la prétendue ambassade d'un d'Elbene à Rome.
(1) Voltaire, qui R*y connoissoit, n'auroit pas aimé k être ainsi découpé
en mosaïque biographique :
• De Saint-\nge, le traducteur d*Ovide, ayant été, comme les autres
f^s de lettres, prés^ter ses hommages à Voltaire pendant son dernier
Toyage à Paris, voulut finir sa visite par un coup de génie, et lui dit :
— Aujourd'hui, Monsieur, je ne suis venu voir qu'Homère, je viendrai voir
an autre jour Euripide et Sophocle, et puis Tacite, et puis Lucien, etc.
— Monsieur, je suis bien rieux I Si vous pouviez faire toutes cf^ vi>itt>s en
une fo»? » [Motaïqut littéraire.^
528 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
En transcrivant des passages empruntés à la Guyenne histori-
que, il fait honneur à M. Ducourneau de ce qui appartient
à MM. Delpit. {Notice d'un manuscrit de la bibliothèque de
WoLFENBUTTEL, intitulé : Recognitiones feodorum, où se trou-
vent des renseignements sur Tétai des villes, des personnes et
des propriétés en Guyenne et en Gascogne au xiii*» siècle, par
HM. Martial et Jules Delpit, in-/i, 18U0 H mentionne le volume
intéressant publié en 1851, dans lequel M. Ph. Chasles a étudié
l'influence que Montaigne a exercée sur Shakspeare ; mais il
ignore apparemment que ce travail, déjà publié en 1846, dans
plusieurs numéros du Journal des Débats, avoit été précédé
par des Observations sur un autographe de Shakspeare, par sir
Frédéric Maddrn, et d'un important article de TheLondon and
Westminster Heview, April — August— 1838, dans lesquels cette
thèse est soutenue et établie en partie par les mêmes arguments
qu'emploie l'ingénieux professeur du Collège de France. La re-
marque étoit bonne à faire, car cette opinion acquiert d'autant
plus d'autorité qu'elle est soutenue par les compatriotes du grand
tragique. (Il est juste de remarquer que M. Chasles cite des
sources, mais il n'indique pas celles-là.)
M. Grûn a usé d'un procédé de rédaction dont sa loyauté a
dû, depuis la publication, lui faire reconnoître les inconvé-
nients; bien des fois il isole l'énoncé d'un renseignement de la
source qui le lui a fourni. Ses apologistes même s'y sont trou-
vés pris et lui ont fait honneur de découvertes qui ne lui appar-
tiennent pas; ainsi fera la majorité des lecteurs. Page 10,
M. Grûn écrit : « J'ai fixé l'époque de la naissance » (de Mon-
taigne), et, page 2, il cite les Essais où Montaigne dit : « Je na-
quis le dernier jour de février 1533. »
Page 11, M. Grûn écrit : « Je précise l'époque à laquelle
Montaigne devint chevalier de l'ordre de Saint-Michel; » et
page 160 : « La date précise de la promotion de Montaigne a
été mise en lumière par M. le D' Payen. » Ici M. Grûn a induit
en erreur des critiques qui ne lui sont pas suspects; M. Avenel,
dans VAthenafum. dit : « Écoutons M. Grûn, il expliquera
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 529
mieux que nous comment il a compris,.... etc., » et il cite la
phrase de la page 1 1 , sans Vautre mention ; et M. Barrière
(Journal des Débats) a été plus loin, il endosse la responsabi-
lité de la phrase : <( Les biographes, par différentes raisons, ont
erré sur la date (de la nomination à Tordre de Saint-Michel);
M. Grûn la détermine invariablement. > Ces exemples, que je
pourrois multiplier, suffisent à témoigner de Finconvénient que
j'ai signalé.
Un autre reproche, qui se rattache à celui qui précède, m'est
suggéré par la mise en scène à laquelle M. Grûn a recours pour
parottre établir, par la seule force de son raisonnement, par ses
inductions, ses présomptions, par une discussion savante, des
faits qu*il sait être décidés à Tavance par des pièces authenti-
ques dont le simple exposé devoit suffire.
Par son style toujours élégant et pur, parfois énergique, par
des détails si spirituellement racontés, M. Grûn possède assez
Fart de captiver son lecteur sans qu'il lui soit nécessaire de re-
courir au pittoresque. Quand, après avoir lu vingt pages d'une
discussion habilement conduite, on trouve la mention d'une
pièce qui à elle seule décide le fait, on se prend à regretter
Fattention qu'on a inutilement dépensée , et on se demande
pourquoi Fauteur n'a pas commencé par cette vingtième page.
A la première lecture cet artifice séduit, mais l'ouvrage de
M. Grûn n'est pas de ceux qu'on ne lit qu'une fois, et en le re-
lisant on ne voit plus dans ce procédé que la preuve d'une éru-
dition que personne ne met en doute.
Ce reproche, si je ne me trompe, a une certaine gravité, et
comme je crains que M. Grûn n'en tienne pas compte, je veux
lui citer au moins deux exemples; j'en pourrois trouver davan-
tage.
La question que soulève le secrétariat de Catherine de Médicis
méritoit assurément d'être discutée; mais après avoir articulé ce
fait que quelques biographes ont cru à tort que Montaigne avoit
rempli ces fonctions, après avoir nommé, si M. Grûn y te-
noit, MM. Jay, Victorin Fabre, Amaury Duval. Payen, comme
530 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
ayant commis celte erreur, une seule chose restoit à faire> ce-
toit de reconnoitre qu'une pièce, que M. Grûn sait exister entre
mes mains, décide irrévocablement la question, et rend sur ce
point toute discussion superflue. Mais M. Grûn a trouvé cette
marche trop simple; il énonce l'erreur, puis il tient pendant
vingt pages son lecteur en suspens ; il discute le style des Avis,
écrits au nom de la Reine par un Montaigne, quelconque,
pour montrer qu'ils ne sont point sortis de la plume de Mi-
chel ; il fait ressortir l'obscurité du nom et de la personne de
notre auteur, son inexpérience des choses de la cour à l'époque
k laquelle on dit que ces Avis ont pris naissance; il contredit
l'opinion reçue qu'ils ont été écrits pour Charles IX ; puis, lors-
qu'il a clairement établi qu'ils ne peuvent pas être l'œuvre de
Montaigne, il les donne à peu près tout entiers, et ils sont longs !
Enfin il conclut, mais, remarquez-le ! avant de faire comparoître la
pièce qui est la seule autorité ! De telle sorte que pour tout lecteur
c'est uniquement par la puissance du raisonnement que M. Grûn
est parvenu à établir sa conviction, et la pièce originale, offi-
cielle, ne parolt que plus tard, escortée d'une supposition, tout
& fait incidemment, et il est complètement impossible d'appré-
cier l'importance qui lui appartient dans ce débat. M. Villemain
lui-même d été trompé par cette longue discussion, il dit :
« M. Grûn a coulé à fond cette erreur dans une discussion
« de vingt pages, d'une netteté parfaite; il prouve, etc. «
L'intelligent critique n'a pas pu soupçonner que cette pièce,
émanée de Catherine de Médicis, à laquelle deux lignes seule-
ment sont consacrées tout à la fin du chapitre, tranche la ques-
tion bien plus sûrement que toutes les argumentations. Qui
donc comprendra ?
Tout cela est sans doute fort habile, fort dramatique : tel l'ar-
tiste, qui veut introduire le spectateur dans une salle de pano-
rama, le plonge d'abord dans une obscurité complète, puis par
des détours savamment combinés l'accoutume insensiblement à
la lumière ; mais la sévérité de l'histoire s'accommode mal de ces
habiletés que caractérise très bien une locution familière : « En-
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 5Si
foncer une porte ouverte (1). »Etpuis, voyezlemalheur ! M. Grûn,
qui marche si sûrement à la vérité quand au départ il la connolt,
du moment où il ne sait plus à Tavance le mot de Ténigme, il se
perd, il fait fausse route! Par la force de ses inductions, par la
rigueur de ses déductions, il arrive à être d* accord avec
un acte authentique qu'il connoissoit; mais cet acte, le hasard!
et c'est bien un hasard ! fait que je ne le lui ai pas montré ; il n'y
a donc pas vu quel est le Montaigne secrétaire de la Reine, et
pourtant il veut le connoître, et à l'aide de ces mêmes ressour-
ces, dont il usoit tout à l'heure avec tant de bonheur, il arrive
à conclure que ce doit Hre Jacques Montaigne, avocat général
à Montpellier; puis il ajoute, sans autre preuve, que ce Jacques
se fit sans doute remarquer dans une mission en 1562, ou lors-
que la cour traversa le Midi en 1565; et continuant, il dit :
(f Charles IX le plaça auprès de sa mère, puis le nomma maître
des requêtes m (remarquez Tordre des nominations!) ; et enfin
M. Grûn conclut que c'est lui qui doit avoir signé la pièce que
possède M, Payen^ et il complète la série des suppositions en
disant que Jacq. Montaigne resta probablement près de la Reine,
que c'est lui qui a dû l'accompagner dans le voyage de 1578, que
peut-être Montaigne a rencontré Jacques à la cour de Nérac !!!...
Singulière biographie! et Bouhier n'avoit pas accumulé tant
d'erreurs lorsque M. Grûn lui lance à la face cette apostrophe :
« Bouhier conjecture donc à faux, >)
Si je ne tenois à rester avec M. Grûn dans les limites d'une
stricte politesse, je lui renverrois la phrase qu'il adresse aux
malavisés qui ont pu croire, pendant un temps, que Montaigne
a écrit les Avis : « Je m'inscris en faux contre toutes ces ima*
o ginations, »
M. Grûn a signalé une erreur reconnue avant lui par l'un au
moins de ceux qui l'avoient propagée, il a profité d'une pièce
qui apprend que le secrétaire de Catherine n'étoit pas Michel,
mais il veut que ce soit Jacques I il le prouve^ et pourtant
(i) Moiita%Dè eattctériie ce procédé , il dit que c'est deviner à Venven,
632 BULLETIPf DU BIBLIOPHILE.
ce n*€st pas Jacques, c'est François ! De sorte que cette
immense dissertation aboutit à substituer Jacques à Michel, une
erreur à une autre. Parturient montes ! Beaucoup de peine pour
rien, comme dit Shakspeare (1).
La vérité simple est que Jacques Montaigne a été avocat
général, puis président à la cour des aides de Montpellier (j'ai
de lui un reçu d'avril 1572); mais il n'a pas été secrétaire de Ca-
therine de Médicis (2). Le Montaigne qui remplissoitces fonctions
étoit François Montaigne, qualifié, sur les diverses pièces que
je possède de lui (1572), secrétaire ordinaire de la chambre du
Roi, ou secrétaire de la chambre du Roi et de la Reine- Mère
dudit Seigneur. Enfin une pièce signée de Catherine dit dans
le texte : « François Montaigne, mon secrétaire, » et une anno-
tation autographe de celte princesse recommande que MoN-
TEGNE (3) contresigne l'acte en question (28 décembre 1573).
M. Lucas Montigny possédoit, en 1851, deux pièces de ce
François de Montaigne : une lettre de 157i, où sa signature
est au-dessous de cell^ de la Reine-Mère, et un acte notarié
postérieur de six ans.
On remarquera que la date de ces pièces ne contredit ni
n'appuie l'opinion de M. Grûn, qui veut que les Avis s'adres-
sent à Henri III et non à Charles IX. Les historiens de ces rois
discuteront ce point , et ils pourront trouver encore quelques
objeclionsel, parexemple, l'opinion de Le Laboureur, qui se pro-
nonce pour le dernier Roi, celle des mémoires de Condé et
celle de MM. Cimber et Danjou, qui pensent de même et dé-
(1) On peut Juger par là de la rigueur des conclusions de M. Grttn , il
n*a pas vu une pièce ! et néanmoins il dit : Cest tel , on n*bn sauroit
DOUTER , qui a contresigné la pièce que possède M !
(2) Duverdier consacre au protégé de M. Grùn un article long et médio*
croment flatteur. (Voy. P. Paschal, page 1035.)
(3) Je remarque la manière dont le nom est figuré par la reine, et Je
demande si cela ne sembleroit pas indiquer qu*à Paris, au moins, la pré-
sence de 1*1 dans la seconde syllabe, la faisoit prononcer tai , tandis qu'il
est à peu près certain que dans le pays on prononçoit : ta : Montigni et
MONTAGFIK.
/
r
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 5SS
cident la question indécise pour M. Grûn, de la présence de la
cour à Gaillon, en 1563; enfin je lisois, il y a peu de jours, une
lettre autographe de Catherine de Médicis, incontestablement
adressée à Charles IX, où se trouvent des avis de même nature
que dans la pièce en discussion : la Reine recommande au Roi,
lorsqu'il lui écrit, de ne plus mettre le mot de serviteur (1569);
mais tout cela est indifférent pour la biographie de Montaigne.
Ce même artifice de rédaction se retrouve dans ce qui a trait
à Fépoque où Montaigne est devenu chevalier de Saint-Michel.
On a pu errer sur ce point jusqu*à ce qu'une pièce authentique
vînt le fixer; celte pièce, je Tai fournie en publiant la lettre par
laquelle le Roi annonce à Montaigne sa nomination; postérieu-
rement j'ai confirmé cette date en publiant, dans les Éphémé-
niDES de Montaigne, la note autographe qui a trait à cet événe-
ment; du moment que M. Grûn possédoit la première de ces
preuves, où étoit la nécessité d'employer quatre grandes pages
à inventorier des erreurs? de faire comparoir dom de Vienni-,
BouHiER, MoRÉRi, Talbert, M. de Peyronnet, m. Vatout,
même M. Villemain, qui ont pu se tromper sur le Roi ou sur
l'époque? M. Louandre, qui semble croire que l'Ordre étoit
encore en crédit quand Montaigne le reçut?
Les erreurs des biographes, du moment qu'elles sont recon-
nues, ne font plus partie de la biographie; ce long martyrologe
étoit au moins inutile, et, ouvrier de la dernière heure, M. Grùn
est peu généreux d'attacher ainsi au pilori de son livre des
hommes qui, avant lui, ont cherché la vérité, et qui la lui ont
plus d'une fois fournie.
Trop souvent M. Grfln affirme, à l'occasion de points encore
contestables, et que, dans l'intérêt de la vérité, il faudroit lais-
ser en suspens. Je donnerai quelques exemples.
M. Grûn dit résolument que le nom d'Eyquem est essentiel-
lement d'origine gasconne. La chose peut être fondée, et je con-
nois quinze personnes et trois localités qui, dans le Rordelois,
ont porté le nom d'Eyquem ou d* Yquem ; mais pourtant elle est
contestée par des écrivains que peut-être M. Grûn n'a pas con-
53A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
mliés. Le Journal encyclopédique en 1773, le Magasin encyclo-
pédique de Millin en 1797, le médecin F. Grigny [État des
villes de la Gaule-Belgique avant le xil* siècle , auec des re-
cherches étymologiques sur l'origine de leurs noms), établissent
que Eyquem est purement flamand ; à quoi Mercier Saint-Léger
ajoute (notes manuscrites et inédiles) : « Eyquem ou plutôt Eyc-
« kem, d'où Ton a inféré que notre auteur étoit originaire d*An-
(( gleterre ou de Flandres; de Flandres, à la bonne heure, le root
<( Eckem étant purement flamand; rAnglaisauroitdilOakham. »
Ecke en flamand , eiche en allemand , oak en anglais , signi-
fient chêne; de même hern, heim et ham signifient hameau {villa
des Latins) ; eckhem et oakham signifieroient donc le Hameau
du Chêne, Des mémoires manuscrits sur le Parlement de Bor-
deaux, écrits dans le xvir siècle, prétendent qu'Eyquem est un
mot écossois qui signifie montagne. La source réelle du nom est
donc encore à chercher.
M. Grijn prétend établir par des inductions que Montaigne
a étudié le droit à Toulouse. — Je n*ai nulle objection à faire à
cette opinion qui, il faut bien le reconuoître, ne repose sur au-
cune preuve. — Mais le passage des Essais que cite M. Grûn ne
prouve absolument rien. Montaigne dit : « Je vis en mon en-
fance un procès que Gorras , conseiller de Toulouse , fit impri-
mer,... etc. > Il s'agit évidemment d'Arnaud du Thil, qui se fit
passer pour Martin Guerre , et dont le procès, commencé en
1559, se termina d'une manière Iragique pour Faccusé le 16 sep-
tembre 1560. Or Montaigne avoit alors vingt-sept ans et demi;
il étoit déjà conseiller : donc ce renseignement n*a dans Tespèce
aucune application, et M. Grûn n'est guère rigoureux dans sa
supputation quand, pour appuyer son argumentation, il dit que
cette époque correspond à l'âge à" étudiant. Il est vrai que
Montaigne dit : dans mon enfance; mais ce mot, sous sa plume,
s\%ïiV\e jeunesse ; il l'emploie pour l'époque à laquelle son père
étoit maire : or, en 155/i, Michel avoit vingt-et-un ans; pour l'é-
poque où lui-même étoit conseiller ; pour le temps où il paya
ion tribut à l'amour, etc. Le passage allégué ne prouve pas
BULLETIN DU BIBUOPHILK. 6S6
même que Montaigne fût à Toulouse à Tépoque du procès , et
peut-être n'a-t-il voulu parler que de Touvrage de Gorras sur
cette affaire, et il a pu dire je vis, comme il auroit dit je lus,
car à peu près dans ce temps il se trouvoit à la cour (livre 1,
ch. 43), et pour sûr, vers octobre 1550, il étoit à Bar-le-Duc
avec le roi François II. L*ouvrage de Gorras a paru en 1565,
l'année du mariage de Montaigne.
Cette opinion est entièrement celle de M. Lapeyre, et Féru-
dit bibliothécaire de Périgueux n'a jusqu'ici rien découvert qui
éclaire ce point de la vie de Montaigne; seulement M. Leymarie,
qui s'occupe d'une histoire du Périgord, croit se rappeler avoir
lu quelque part que Montaigne avoit étudié le droit à Toulouse.
On ignore la date précise à laquelle Montaigne est entré en
mairie. Nommé en 1581, ses fonctions ont-elles commencé la
même année, ou seulement l'année suivante? Je me suis anté-
rieurement prononcé pour l'année 1582 ; mais depuis j'ai eu des
doutes, et je pense que c'est jusqu'ici une question r<^servée.
M. Grûn adopte positivement l'entrée en 1581, et la sortie en
1585 ; il fournit des preuves dont quelques-unes sont spécieuses ;
c'est d'ailleurs l'opinion de Bernadau, de M. d'Ëtcheverry et
d'autres.
Toutefois, il reste quelques objections qui ne sont pas levées.
Ainsi Darnal, après avoir parlé du siège de Sainte-Bazeille, en
avril 1586, dit : c Le roi écrit à MM. les jurats.... Il trouve
bon que le maréchal de Matignon soit élu maire. » Gette note
concorde avec le récit de Caillière, qui place à l'année 1586 la
démarche faite par les habitants de Bordeaux près de M. de
Matignon, pour le supplier d'avoir agréable l'élection qu'ils
avoirnt faite de sa personne pour la charge de maire de leur
ville. Ces démarches n'auroient eu, ce semble, aucun sens,
si Matignon eût été en exercice depuis plusieurs mois. Darnal
fournit encore une autre note qui semble prouver en faveur de
1586 : c( En l'année 1585 jusques en juillet 1586, étant lieute-
c nant du roi M. le maréchal de Matignon, maire de ladite ville
f M, de Montaigne, . . » Enfin , je remarque qu'à la deuxième édition
6S6 BULLETIN DO BIBUOFHILK.
des Essais, publiée en 1582, Hontaigoe s'intitule maire et gou-
vemeur de Bordeaux, tandis qu'à l'édition de 1581 de la
Théologie naturelle (impression terminée en septembre), il ne
prend pas ce titre : est-ce parce qu'alors il n'exerçoit pas en-
core les fonctions?
Je pense donc qu'il est préférable de regarder la question
comme susceptible encore de controverse, et d'attendre de nou-
veaux renseignements.
Je crois que le système de morcellement que M. Grûn a fait
subir à la biographie de Montaigne a réagi sur lui-même et lui
a fait en plus d'un endroit apprécier inexactement le caractère
de son auteur.
Ainsi il semble douter de la véracité de Montaigne, lorsque
celui-ci affirme qu'il manque de mémoire ; il dit que ce philo-
sophe se flatte par coquetterie. Mais pourtant les preuves sura-
bondent. Montaigne, rendant compte à son père de la mort de
La Boëtie, déplore l'infidélité de sa mémoire qui lui a fait per-
dre des souvenirs qu'il auroit aimé à conserver. Suspectera-ton
cette déclaration 7 En dédiant à sa femme un opuscule de La
Boëtie, il parle de l'enfant qu'elle vient de perdre dans le
deuxième an de sa vie, quand il est certain qu'il devoit dire le
deuxième mois. Dans les ÉphémérideSj il se trompe sur Tannée
de son départ pour l'Italie : il dit 1579 au lieu de 1580. D'après
les Éphéméridesy il est certain que le père de Montaigne est
mort à soixante- douze ans; et pourtant, aux Essais, il dit
soixante-quatorze ans. Au chapitre des Cannibales il se reproche
d'avoir oublié l'une des trois choses que lui avoit dites l'un des
sauvages présentés à Charles IX. Au chapitre xix du livre II, il
affirme que r< quand il a à tenir un propos de longue haleine, il
faut qu'il l'apprenne mot à mot, par cœur. Il a plusieurs fois
oublié le mot (le mot d'ordre), etc., etc. » Quel intérêt Mon-
taigne trouvoit-il à se vanter ainsi ?
M. Grûn connoît mieux les Essais qu'il ne connoit leur au-
teur. Il conteste que ce puisse être Montaigne qui ait fait écrire
dans son cabinet de travail l'inscription latine que j'ai rappor-
BCLUTHI DC MBLIOFHILE. 5S7
fée dans les Docaments, et dans laquelle il prend avec lui-même
rengagement de se consacrer à la retndte et aux loisirs stu-
dieux. Hais M. Grûn a transcrit lui-même un passage des Essais,
qui donne la traduction de cette inscription : « Dernièrement
« que je me retirai chez moi, délibéré autant que je le pourrois
f ne me mêler d'autre chose que de passer en repos et à part
« le peu qui me reste de vie {Ubertad sua tranqmllitaiique et
c otio consecravit). »M. Grûn trouve qu'il y a quelque chose de
jmirilement sentimental^ qui n'est pas dans les habitudes de
Montaigney dans le rapprochement de cette espèce de déclara-
tion avec l'Âge et le jour de la naissance ; nous venons de voir
que l'engagement , Montaigne le répète dans les Essais ; quant
à l'Âge, Montaigne le consignoit partout avec une sorte de com-
plaisance ; il le fait en vingt endroits des Essais ; il Tinscrivoit
au commencé et à V achevé de lire qu'il ajoutoit à ses livres; et,
contrairement à l'avis de M. Grûn, je crois que ces subtilités de
sentiment étoient tout à fait dans sa nature ; il aimoit à se ser-
vir du manteau de son père, non pour la commodité qu'il en re-
tiroit, mais parce qu'il lui semblait s'envelopper de lui : la Théo-
logie naturelle est datée du jour même de la mort de son père,
à qui il la dédie; tout cela est donc puérilement sentimental?
Au sujet de l'élection à la mairie de Bordeaux et des difficul-
tés que fit Montaigne pour accepter, M. Grûn cite cette phrase
des Essais : « Alexandre dédaigna les ambassadeurs corinthiens
« qui lui offroient la bourgeoisie de leur ville ; mais quand ils
« vinrent à lui déduire comme Bacchus et Hercule étoient aussi
« en ce registre, il les en remercia gracieusement. » M. Grûn
veut voir là une preuve de plus, il n'en manque pas, de la va-
nité de Montaigne ; tandis qu'en bonne justice on y Irouveroit
plutôt la preuve que Montaigne apprécioit plus que personne la
distance qui le séparoit de MM. de Biron et de Matignon; et
M. Grûn, à cette occasion, écrit cette phrase qui a eu un grand
retentissement et qu'on a reproduite à plaisir : « MM. de Biron
a et de Matignon comparés à des demi-dieux , c'est quelque
(' chose ; Montaigne comparé par lui-même ù Alexandre , c'est
638 BULLETIN DU BIBUOPHILE,
a beaucoup; on peut même, si an n'eu pas Gascon, trouver
a que c'est trop. » Comme si , remarque très judicieusement
H. Delpit, tous ceux qui répètent qu'ils aimeroient mieux être
premiers dans un village que seconds dans Rome se croient des
César I A mon sens, l'Académie de Bordeaux a donné à M. Grûn,
aiguisant ses épigrammes contre les Gascons dans un moment
où il aspiroit à le devenir, une leçon de tact en lui accordant le
titre de correspondant qu'il a depuis sollicité.
Il en est de même pour les lettres de bourgeoisie romaine !
Et M. Grûn croit avoir fait une découverte (1) parce qu'il
oppose la phrase des Essais où il fait dire à Montaigne que
la bulle lui fut offerte, et celle du voyage, où ce dernier
dit que, pour l'obtenir, il employa ses cinq sens de nature.
Remarquons d'abord que c'est Montaigne qui fournit les deux
renseignements, et que cela atténueroit la gravité de ce que
M. Grûn juge à propos d'appeler un mensonge historique;
mais je nie que Montaigne ait dit que la bourgeoisie romaine
lui ait été offerte. 11 dit dans les Essais que la fortune lui
a fait quelques faveurs venteuses, honoraires et titulaires^
sans substance, et les lui a non pas accordées, mais oiïertes. Eh
bien ! il pensoit probablement à la charge de gentilhomme du
roi de France, au même titre qui lui fut conféré f sans son sçu
et lui absent » par le roi de Mavarre, à la décoration de Saint-
Michel qu'il paroît avoir reçue de la même manière et sans la
désirer alors, à la nomination de maire de Bordeaux qu'il a d'a-
bord refusée ; puis, après quelques phrases, il reprend : « Parmi
ses faveurs vaines (de la fortune), je n'en ai point qui plaise tant
à cette niaise humeur qu'une bulle de bourgeoisie romaine. »
De sorte qu'il semble classer les faveurs qu'il a reçues, et il
place la bulle romaine parmi les vaines.
Je pense que M. Grûn auroit senti cela s'il n'avoit pas eu le
parti pris de voir partout la vanité de Montaigne ; pX s'il n'avoit
pas été séduit par l'idée d'un aperçu nouveau , il auroit trouvé
(1) M. Leclerc avoit déjà rapproché la phrase du Voyage de celle des
Eaaais.
BULLETIN DU niBLIOPHILE 5S0
le secret des diiScullés que Montaigne eut à surmonter. Les
Essais étoient à l'index^ et on peut dire que ces deux faits, l'in-
dex pour l*ouvrage et la bourgeoisie pour l*autour, hurhicnt de
se trouver ensemble. De telle sorte, qu'à tout prendre, il n'y au-
roit encore rien de surprenant que les personnes qui apprécioient
Montaigne lui eussent offert la bourgeoisie, et que la raison d'é-
tat eût seule suscité des difficultés.
Nous trouvons un nouvel exemple de ce parti pris sur la va-
nité de Montaigne dans l'inlcrprélalion que M. Grûndonncàcette
partie des Essais où Montaigne, se reprochant ses fréquents dé-
placements, suppose qu'on lui fait cette observation : « Votre
• maison est-elle pas suffisamment fournie?... La majesté royale
« y a logé plus d'une fois en sa pompe! » A cette orcasicn,
M. Grûn subtilise pour établir d'abord que c'est la maison, que
ce n'est peut-être pas Michel Montaigne qui a reçu une royauté;
puis il pèse les pompes et discute les royautés; il mesure la dis-
tance qui sépare la cour de France de celle de Navarre, et Ca-
therine de Médicis de Jeanne d'Albret. Il oublie que Marguerite
a dit : € Notre cour étoit si belle et si plaisante que nous n'a-
a viens rien à envier à la cour de France. » Il se décide pour
le roi de Navarre, probablement parce qu'il est moins grand
seigneur que le roi de France ; mais il a soin de faire remar-
quer que l'entourage du prince n'étoit pas brillant, que sa cour se
composoit de quelques gentilshommes toujours à cheval avec lui ;
tout cela pour amener ce trait railleur qu'une hospitalité îiccor-
dée dans de telles conditions c< iioit plus honorable qu'oné^
« reuse! » Le hasard a d'étranges ironies! Alors que M. Grûn
imprimoit ces lignes, je faisois imprimer quelques notes auto-
graphes de Montaigne, où, en moins d'une feuille, notre auteur
inflige à son biographe quelques bons démentis ! Montaigne rend
compte de la visite que, le 19 décembre 1584, le roi de Navarre
lui a faite (note 20 des É plumai des). 11 cite nominativement
a quarante-quatre des personnes qui accompagnoienl le prince,
«les plus grands noms de la contrée! le prince de Condé,
« MM. de Lesdiguières, de Poix, de Lusignan, etc. ; il dit qu'en-
37
ÔAO BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
<x viron autant allèrent coucher au village (soient donc quatre-
a vingt-huit maîtres), outre les valets de chambre, pages et
<K soldats de la garde du roi. o Sans aucun doute, plusieurs de
ces visiteurs avoient plus d*un suivant, à quoi il faut ajouter
les gardes; de telle sorte que, sans rien exagérer, on peut
compter deux à trois cents personnes au moins. Mais ce n'est
pas tout : cette troupe étoit à cheval ; elle avoit avec elle des
équipages de chasse, puisque « au partir de céans Montaigne 6t
« élancer un cerf en sa forêt, lequel promena le roi deux jours. »
Tout cela, ce me semble, est quelque peu princier. Nous sonunes
loin du petit nombre de cavaliers de M. Grûn; plus d'un roi de
France a été reçu avec moins d'éclat , et pour un gentilhomme
de six mille francs de rente, qui se vantoit de n'avoir accepté
d'aucun roi un double en paiement ou en don, une telle hospi-
talité me paroit au moins aussi onéreuse qu'honorable. Mon-
taigne même pourroit être soupçonné d'en avoir jugé ainsi; car,
dans une lettre aux jurais de Bordeaux, du 10 décembre 1584
[neuf jours avant la visite), il dit, en homme qui sentoit la lour-
deur de la charge : « Toute cette cour de Sainte-Foy est sur
a vies bras^ et se sont assignés à me venir voir. » Et en effet,
du 9 au 11, le roi de Navarre étoit à Sainte-Foy.
Je profite de l'occasion pour rectifier ce que j'ai antérieure-
ment imprimé sur le lieu de cette chasse, et ce que M. Grûn
reproduit. J'ai dit, sur des renseignements inexacts, que la fo-
rêt se nommoit Bois du Cours, et qu'elle étoit vers le château
de Guiron, On me fait remarquer qu'il n'existe pas de château
de Guiron, et que c'est nécessairement Gurçon qu'il faut dire.
Quant à la forêt, il se peut que son nom ait varié, mais elle
porte aujourd'hui celui de Saint-Claud ou de Bretanord ; Mon-
taigne en payoit la rente et rendoit hommage à l'archevêque de
Bordeaux, comme pour la terre de Belveyrou et autres (Com-
munication de M. de Gazenave, descendant de Mattecoulon ,
frère de Montaigne.)
M. Grùn me paroît s'abuser encore sur le caractère qu'il prête
a son Montaigne magistrat : il le représente comme <* un peu
^W^t
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 5&1
a dépaysé dans sa compagnie, évitant de jouer un rôle person-
« nel , calme au milieu des passions de ses collègues , gardant
ft fréquemment le silence, et peu porté à se jeter dans les luttes
« ardentes, etc. »
Quelques notes des registres du Parlement contredisent cette
appréciation, et j*en citerai deux pour montrer que Montaigne
avoit Tesprit de corps, et qu*à Toccasion il étoit mauvaise tête.
Le Parlement avoit vu avec déplaisir la réunion de la Cour
des aides; il s'y étoit opposé autant qu'il avoit été en lui Le
fait étant consommé^ la Cour s'étoit rabattue sur les détails ; elle
avoit refusé la publication des lettres patentes; elle cherchoit à
maintenir les nouveaux conseillers dans une position inférieure,
malgré l'édit qui prescrivoit que les deux Cours ne fissent do-
rénavant qu'un même corps et collège.
La Cour, par arrêt du li janvier 1557 (vieux style), avoit dé-
cidé que les conseillers des requêtes (anciens de la Cour des
aides) ne viendroient pas d'eux-mêmes aux assemblées des
Chambres, mais qu'ils attendroient qu'ils en eussent la permis-
sion de la Cour, qu'ils feroient demander. — Le 19 suivant, les
président et conseillers ci-dessus désignés , entre lesquels se
trouve Michel Eyquem de Montaigne , viennent sans être appe-
lés, et représentent leur droit d'assister aux Chambres assem-
blées. La Cour leur enjoint de sortir ; ils refusent, contestation
à ce sujet, et le droit ne fut accordé qu'après plusieurs mois
(1557).
Mon second exemple a trait à une discussion relative à M. Des-
cars, que M. Grûn rapporte, mais son récit s'arrête au moment
où Montaigne apparo! t. M. Descars, lieutenant du roi en Guyenne,
ami de Montaigne et de La Bo^tie , avoit eu des difficultés avec
le premier président au sujet de quelques prérogatives. Il de-
maudoit que le président fût récusé dans les causes où lui. Des-
cars, intervenoiL Le président, à son tour, dit que, pour juger
cette question de récusation, au moins les conseillers, qui sont
les familiers et les commeu^ux de M. Descars, devroient se ré-
cuser eux-mêmes. La Cour répond à celte attaque en sommant
5A2 DULLLTIN DU BIBLIOPHILE.
son président de nommer les membres auxquels il Tait allusion.
Le président nomme onze conseillers, dont farclievêque, G. de
La Cliassaigne, Michel Eyquem de Montaigne. (M. Grûn s*ar-
réie ici, on faisant connoflre la décision qui intervient.)
Mes notes vont plus loin, et j'y vois : u Quand ce vint le tour
a de Michel de Montaigne à parler, il s'exprima avec toute la
Cl vivacité de son caractère, et dit qu'il n'y avoit lieu qu'ils sor-
« tissent , et que le premier président n'éloit reccvable de pro-
a poser de récuser aucun par forme de remontrance ou autre-
« ment, lorsque lui-même étoit récusé; puis il lorlit en disant
(( qu'il nommoit toute li Cour. Il est rappelé. La Cour lui or-
0 donne de dire ce qu'il entend par ces mots , qu'il nommoit
a toute la Cour; sur quoi ledit Ëyquem a dit qu'il n'avoit au-
c( cune aiïeclion en la présente matière ni inimitié aucune con-
« tre le premier président, ains sont amis el l'a été ledit pre-
cf niier président de tous ceux de la maison dudit Eyquem; mais
« voyan* l'ouverture mauvaise que l'on faisoit îi la justito, que
ujacia crat alca, et que l'on recevoll les accusés contre les ar-
» rets de la Cour, à récuser daulros juges qui n'y avoienl nul
(( intérêt non plus que lui ; il avoil dit que si cela étoit permis, il
« pourroit aussi récuser toute la Cour, mais n'entendoit pour
« cela nommer aucun , et se déparloit de son dire en ce qu'il
« avoit nommé toute la Cour. »
Puis intervient la décision, mais mes notes contredisent
M. Grûn qui semble croire que le président seul est récusé;
elles portent que la Cour ordonne qu'en l'absence du président
et des conseillers nommes par ledit premier prcsidcnt, sera
procédé au jugement des récusations présentées par M. Doscars.
M. Grûn s'est bien aiilrcnicnt mépris sur Montaigne h Toc-
casioii du dcruiLM* acltî de sa niairio, ellagraviié de l'accusation
m'oblige à cnlr(?r dans (|iu?!(inos délails.
Au 22 mai 1585 iMoiilai;:nocsl à IJonleaux, il écrit au maré-
chal de^îalignon laloi:guc et belle lellrc que M. de Vieil-Castcl
m'a mis à même de publier ; dans les premiers jours do juin il
se rend près du roi de i\avarre> puis il quitte Bordeaux et nous
nuLLETiN nu ninLioPHiLE. 543
nereironvons plus de renseigncmenis que dans deslellres, dont
une, du 30 juillet 1585, donne h penser que les jurais avoient
invilé Monlaigne à entrer dans la ville, ravagée alors par une
cruelle épidémie, pour assister aux élections qui se faisoient h
cette époque M. Griln appréciant la réponse de Montaigne y
voit la preuve qu'il refuse de se rendre à la prière des jurais,
que le soin de sa conservation le fait reculer devant son devoir :
le courayc lui manqua, dit M. Grun, et Ih dessus il rappelle
le dévouement de Beizunce à Marseille, de Rotrou à Dreux,
de Monlausier en Normandie, dans des circonstances analogues.
M. (irun fait nK^inc bniyam nent ressortir le courage de Ma-
tignon, qui était à celle époque à l]:)r(leaiix, et il ne s\i|)eiToit
pas que son indignation relond)3 de loul son poids sur le cé-
lèbre maréchal qui, bien que maire uouvcUcmmi (lu ci en pleine
acticitc^ quitta la ville peu de jours après le moment où Mon-
taigne liésiloit il y er.iror. M. (irun ne trouve pas suffisante
cette accusation sur le fonti, il incrimine môme la forme et fait
remarquer, en soulignant, que Montaigne termine ?a lettre en
souliailant à ses frères longue et heureuse vie! comme si cette
formule n*étoit pas alors liabituelle, inévitable et partant sans
conséquence; et si Montaigne avoit eu la finesse de voir dans
ce protocole Vironie cruelle que M. Grùn veut y trouver, et
Tavoit supprimée, M. Grûn n'auroit pas manqué d*en faire
encore la remarque.
Cette opinion d3 M. Grun a fait un chemin rapide, tant la
nouveauté exerce de séduction! Tous les comptes-rendus flé-
trissent la lâche conduite de Montaigne, lamentable défaillance
qui, d*après un critique, donne la clef des impcrfertions des
Essais, et explique pourquoi les Bordelais n'ont pas encore élevé
de statue à ce philosophe! La phrase consacrée est, que c*est là
une PAGE qu'on vouduoit pouvoir auracher.... Il eut été plus
juste et plus court de ne p;»s récrire!
Quelques paroles d'indulgence, dont M. Grùn fait aumône
à Montaigne^ m'autorisent à penser qu'il regrettera le triste
triomphe qu'il a obtenu.
bflà nULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Examinons pourtant !D' abord, Montaigne n'étoit pas frappé
de terreur par Tépidémie : « L'appréhension ne le presse
guère (1) ... et c'est une mort qui ne lui semble dos pires. » D*un
autre côté il reconnoit qu'il est peu sujet aux maladies popu-
laires. Mais apprécions sa position personnelle - il étoit déjà
malade, son château avoil éiépiWéjusqu à l'espérance (les pro-
visions pour de longues années), une peste véhémente au prix
de toute autre sévissoit dans la contrée, sans doute ce fut le
devoir de chef de famille qui le décida à quitter Bordeaux. Il
abandonna sa maison, se mit k la tête d'une troupe qui compre-
noit sa vieille mère (2), sa femme, sa jeune ûlle, ses serviteurs;
il erra pendant plusieurs mois, et déjà il se demandoit à qui il
confieroit la vieillesse triste et nécessiteuse qu'il prévoyoit;
c'est dans celte extrémité que Montaigne reçoit la lettre des
jurats de Bordeaux, lettre dont nous ne connaissons pas la
teneur, qui pouvoit très bien n'être qu'une simple formalité,
une déférence hiérarchique. Montaigne, homme pratique,
constate l'inutilité de sa présence à cette élection; il tient
compte, je le reconnois, de l'état sanitaire de la ville, mais
refuse-t-il d'entrer à Bordeaux? Il dit aux jurats: « Je vous
laisserai à juger du service que je vous puis faire par ma pré-
sence à laprockaine élection^ avant que je me hazarde d'aller en
la ville; n il a donc rendu les jurats juges en ce cas^ et de ce
moment on pourroit dire que s'il n'est pas entré à Bordeaux,
c'est que les jurats n'ont pas été de cet avis. — 11 annonçoil
qu'il se rendroit à Feuillas (tout près de la ville) (3), et une
lettre du lendemain, 31 juillet, montre qu'il a tenu parole.
Il faut d'ailleurs se reporter à ce qu'étoit une mairie au
(1) n étoit assez calme au milieu de ces désastres, pour écrire en ce
moment même le chapitre xii du III® livre !
(2) SI Antoinette de Louppes avoit 20 ans lors de son mariage, eUe en
avoit alors 77 ; Éléonore avoit 13 à 13 ans.
(3) M. d'Etcheverry pense qne ce Feuillas est le ch&teau situé près de
Cypressac, côte de Cenon, on face de Bordeaux, sur la rive droite de la
Gaionne. Si Montaigne étoit là on peut dire qu'il étoit à Bordeaux, et se»
fonctions ne souffraient point qu'il n'habitât pas l'intérieur de la TUIe.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE 545
XVI* siècle; un maire n*é1oit pas alors ce que nous connoissons au
XIX' siècle : il donnoit Timpulsion, la direction, son esprit agis-
soit alors que la personne éloil absente, et la preuve, c'est que,
pendant sa mairie, Montaigne est envoyé h la cour. Il avoit été
nommé maire pendant son voyage ; s'il est entré en 1581 , Tad-
ministration a marché sans lui pendant plusieurs mois ; en 1586
il passe une partie de Tannée à son château, il y reçoit le roi
de Navarre ; ci son tour, le maréchal de Matignon est absent de
Bordeaux pendant une grande partie de sa mairie ; en décembre
1585 il est h Villebois, en août 1586 aux environs de Libourne,
en 1587 à Coutras, en 1588 à Montauban, Nérac, Domme, en
1589 à Agen.
Un ancien maire, M. de Lansac étoit, au dire de Damai :
n bien à la cour , d'où il ne bougeoit guère. » Il s'occupoit si
peu de sa charge qu'à la fin de 1568 la jurade envoie vers lui
à Bourg pour le semondre de la remplir. En 1569, M. le
maire ne pouvant ou ne voulant assister à l'élection passe pro-
curation,... etc. M. Grûn lui-même reconnoît que les jurats,
sans le maire, approuvent les statuts qui réglementent diverses
industries; donc le courant habituel des affaires n'exigeoil nul-
lement la présence de ce fonctionnaire, nécessaire seulement
dans les grandes solennités et dans les moments de trouble.
Il ressort de tout ce qui précède, que d'abord Montaigne n'a
pas absolument refusé d'entrer à Bordeaux ; que, sans crainte
pour lui, mais inquiet pour les siens, il a pesé l'utilité dont il
étoit à sa famille, et l'inutilité absolue de sa présence à l'élec-
tion ; il raisonnoit ses affections, il pouvoit bien raisonner son
dévouement ; esclave du devoir, il ne visoit pas à l'héroïsme : il
veut bien que Montaigne s'engouffre quant et la ruine publique ^
si besoin est, mais s'il n'est pas besoin^ il sait bon gré à la fortune
qu'il se sauve. Et puis il faut remarquer les dates. Les deux
lettres sont du 30 et du 31 juillet; or, si Montaigne n'étoit plus
maire le l'' août, il faut convenir qu'il ne l'étoit guère la veille,
il n'y a donc aucune similitude entre Montaigne et les hommes
qu'on lui oppose; Christophe de Thou, Beizunce, Botrou, exer-
5AÔ BULLETIN DD BIBLIOPHILE.
çoient des fonctions permanentes; ilsétoient en pleine activité;
Montaigne, au contraire, quiltoit les fonctions publiques, et les
obligations du chef de famille apparaissoient d'autant plus im-
périeuses. C'est un exemple, entre tant d'autres, de Tinconvé-
nient immense qui résulte de ce fractionnement que M. Griin
fait subir à la vie de Montaigne, et s'il fait jamais Montaigne
chef de famille^ il pourra lui reprocher d'avoir accepté des
fonctions publiques qui satisfaisoient sa vanité et l'empéchoicnt
de remplir ses devoirs d'époux et de père (1).
Cette fausse appréciation a fait des prosélytes. (Ici il ne s'agit
plus de M. Grûn). Pour mieux faire ressortir la faute de Mon-
taigne on a élé jusqu'à citer nos épidémies modernes, et les
dévouements qu'elles ont fait nailrc. Un médaillé du choléra ou
un membre de commission d'hygiène n'auroit pas mieux dit!
En 1585, la population de Bordeaux, d'après M. d'Etcheverry,
n'atteignoit pas h^ mille habitants (2), mais Témigration avoit
énormément réduit ce nombre, puisqu'au dire de Matignon il
ne restoit dans la ville personne qui eût, moyen de vivre ailleurs.
Ce n'est donc pas trop que d'estimer cette diminution à un
quart ou un tiers; or, il est mort en quelque mois ik mille
personnes, par conséquent la moitié, ou plus, delà population!
D'apriîs les registres du Parlement, il scroit mort dix-huit
mille personnes ! Bordeaux n'étoit donc plus une ville, c'étoit
un vaste hôpital où la mort prélevoit une victime sur deux
mourants, et pour accuser Montaigne, on vient comparer
une mortalité de 500 pour mille avec celle de Paris en 1832
ou 18^9! 20 pour mille! en d'autres termes, Bordeaux avec
moins de kO mille ûmes fournit alors autant de victimes que
Paris avec son million. Voilà ce que c'est qu'une épidémie
(1) M. GrQn cite des exemples à la charge de Montaigne, il aaroit dû
en citer à décharge. Ei 15G3, Charloi l\ quitta Lyon parce que la peste
y rignoit; en 1333, la peste ravagcoit Paris; Lolsel, qui s*y trouvoit, on
partit et se retira h Pontoise ; etc.
(2) Un siècle plus tard, en 1697, la population de Bordeaux est portée à
(2 ou 43 mille âmei dans les Mémoires do M. Bazin de Boxons , intendant
de Guyenne. (M. Lapeyre.)
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 6A7
ao XVI* siècle. En pareil cas on fermoit le collège, le Parlement
quiltoit la ville,' el je trouve dans la première moitié du xvr
ûècle douze mentions de déplacement de ce corps hors de Bor-
deaux et plusieurs fois il avait changé de résidence dans Fin-
térieur.
Il est juste encore de remarquer que la lettre incriminée cor-
respond à la plus grande intensité de répidémie et aussi que le
foyer principal touchoit Thabilalion de Montaigne, puisqu*il
éloit dans les environs de rarchcvéché. Je ne puis même me
dispenser de faire ressortir la noble franc!)ise de Montaigne
qui n'auroil certes pas maiH|ué de prétextes pour motiver son
absence, s'il n'avoit dédaigné de recourir «i des subterfuges.
Pour acîicver d'apprécier, à leur valeur, ces accusations
posthumes, examinons-les d'un point de vue plus élevé, con-
sultons les témoignages conlemi)orains. Cet homme qui^ dans la
lettre même qui constate sa lâcheté, a Timpudence de dire qu'il
ne ménagera m* sa inc ni autre chose ^ sera stigmatisé de tous
ses concitoyens, chacun aura le droit de lui dire: Caïn qu'as tu
fait de ton frère! Les passions alors étoient ardentes, parfois
peu scrupuleuses. Nous devons à M. Grûn de connoitre une
protestation dirigée contre la réélection de Montaigne. Je pos-
sède une pièce originale signée du maréchal de Matignon dans
laquelle le brave et loyal serviteur descend à se justifier auprès
du roi contre le libelle diffamatoire d'un nommé Martin^ cha-
noine de Saint-Seurin et député aux États de Blois. Les catholiques
fervents taxoient hautement la prudence de Burie de connivence
avec les protestants. Merville, frère de Descars et gouverneur
du château du Hà, est accusé de trahison dans le Parlement, le
3 janvier 1575, etc. Existe-t-il quelque témoignage de Findigna-
tion publique au sujet de la prétendue lâcheté de Montaigne?
Dans ces tristes temps de troubles et de guerres civiles le ma-
réchal juge nécessaire de s'entourer d'hommes de sens et d'ex-
périence : bien famés» je suppose; Montaigne est un de ceux
qui composent ce conseil privé. Hors de Bordeaux, nous ne
voyons pas que Montaigne soit montré au doigt; il vient à Paris,
548 BmLLETIIf DU BIBUOPHILIi.
parott à la Goar, la reine s'empresse de le faire sortir de la
Baslille, il va aux États de Blois où ses amis, de Thon, Pasquier,
ne semblent pas rougir de lui ! Tout cela est bien tolérant pour
un siècle qui Féloit si peu. Quelques beaux esprits du
XVII* siècle inventent des accusations, disent que Montaigne
rougissoit d'avoir été conseiller, etc. Scaliger lui jette à la
tête les harengs de son grand-père, comment se fait-il qu'on
ait négligé la bonne fortune que M. Grûn a découverte ?
Concluons en disant que les précautions dont Montaigne a
usées pour lui étoient de droit commun, qu'elles ctoient dans
les usages, qu'elles n'ont porté préjudice à personne, et que
s'il a renoncé, par prudence, à exercer une dernière fois un si-
mulacre d'autorité, rien n'autorise h penser qu'il auroit refusé
son intervention s'il se fût agi d'une mesure d'utilité publique.
M. Grùn a voulu que Montaigne n'eût rien à envier h La
Boëtie. L'un, au dire de certaines personnes, avoit une page
honteuse dans la Servitude volontaire ; Montaigne, à son tour,
auroit un acte honteux dans sa biographie ! J'ose espérer que
M. Grûn se trouvera seul de son avis, si déjà il n'en a changé.
M. Grûn semble se complaire à étaler les fautes de ses de-
vanciers, il est impitoyable ! Son livre est par-dessus tout l'in-
ventaire des erreurs des biographes de Montaigne ; il les lapide,
et pourtant lui-même n'est pas sans péché !
Il y a plus, c'est que par fois, dans sa bonne volonté, M. Grûn
voit des erreurs où il n'y en a pas Je ne le suivrai pas sur ce
terrain ; je me contenterai de quelques exemples, et j'en citerai
où l'amour de la controverse l'a engagé à discuter des choses
qui ne comportoient pas ou ne méritoient pas de discussion.
M. Grûn ne manque pas de faire remarquer que je me suis
trompé sur la remontrance dédiée par Loisel à Montaigne;
c'est la seconde et non la troisième, et l'erreur a tenu à ce que,
par une disposition bizarre, les dédicaces se trouvent à la fin
de la pièce à laquelle elles se rapportent , quelquefois même au
verso du faux titre de celle qui suit Mon erreur m'a été mon-
trée par un fait plus probant encore que les raisons de M. Grûn.
/
BULtETIlf nu BIBLIOPHILE. 5ft9
I^es deux premières remontrances (d*aatres pent-étre sont dans
le même cas) ont été imprimées isolément; la troisième ne 8*y
trouve pas, et la dédicace à Montaigne y figure.
M. Griln, s'occupant de Feutrée de Montaigne dans la Cour
des aides de Périgueux, dit : « M. Payen mentionne comme
certain le fait de la succession de Montaigne à son père, je ne
le regarde que comme vraisemblable, d II ajoute : « L'âge de
vingt-deux ans est ici complètement indifférent, »> Je soutiens
la transmission directe parce qu'il est dit partout, dans La Roche
Flavin entre autres, que les transmissions d'offices étoient favo-
risées des pères aux enfants et des oncles aux neveux. Je sou-
tiens Tâge de vingt-deux ans, parce que La Boôtie, nommé
conseiller, en 1552, avant d'avoir cet âge, est dispensé de rem-
plir son office^ et que quelques mois après qu'il a atteint ses
vingt-deux ans, il est admis à le t emplir. Le roi accordoit des
dispenses d'âge ; il y avoit probablement une limite au-dessous
de laquelle on ne descendoit pas; M. Grûn la conno!t-i1? Et ce
qu'il faut noter, c'est que ces dispenses d'âge étoient accordées
pour le Parlement de Bordeaux et non pour celui de Toulouse.
Edûo, dans le moment où je vois le père céder la place à son fils,
Pierre venoit d'être nommé maire de Bordeaux. Je ne sais s'il
y avoit incompatibilité de droit, mais elle existoit de fait, sur-
tout pour des fonctions relatives à deux provinces différen-
tes. D'après Darnal, la qualité de jurât et celle de conseiller
étoient incompatibles : Lachèze, en entrant au Parlement, dut
abandonner la jurade, et ce fut tout exceptionnellement que
Caudeley fut à la fois conseiller et jurât. M. Grûn emploie sou-
vent des inductions moins probables que celle-là.
M. Gnin s'occupe de l'époque à laquelle Montaigne est sorti du
Parlement, et ici encore il a recours à ce que j'ai appelé la mise
en scène^ car il sait une date à peu près incontestable, et pourtant
il discute Tannée 1567, puis 1568, puis il étudie l'année 1571,
et il finit par accepter la date de 1570 qui m'a été donnée d'a-
pr^s des notes extraites de Mémoires sur le Parlement de Bor-
deaux, écrits dans le xvir siècle, date confirmée par cette note
650 BULtETIW DU niBLTOPniLE.
des registres du Parlement : « Le 24 juin 1570, le roi accepta la
résignalion de roffice de conseiller au Parlement faile par Mi-
chel de Montaigne en faveur de Florimond de Rœmond. « Ce
point paroîtroit donc irrévocablement décidé.
Cependant j*ai quelques renseignements contradictoires que
je veux faire connoitre. Dans un acte relatif au patronage de
la cure de La Hontan, où par une erreur sans conséquence
Montaigne est appelé Michcau Eyquem, seigneur de la Mon-
taigne, il est qualifié conseiller au Parlement de Bordeaux, et
cependant la pièce est datée de 1572. On pourroit croire que
la requête a été présentée en 1570, et lorsque Montaigne éloit
encore consoillor; mais cet acte donne la date de révocation,
et c'est 1571; Montaigne y prend la qualité de conseilIn\ et ce
qui semble décisif, c'est que révocation du Parlement de Bor-
deaux et le renvoi devant le Parlement de Toulouse sont fondés
sur ce que « ledit Eijffiiem est conficiller (en la Cour du Parle-
ment de Bordeaux). » II faiidroit, pour appuyer Tannée 1570,
avoir la date précise et aulhenlique de l'entrée au Parlement
pour Florimond de Rœmond; les registres cités ci-dessus don-
nent 1570, et plusieurs biographies répètent cette date; mais
par une coïncidence singulière, M. Weiss {Biogr, univ ) dit
que Rœmond n'est entré qu'en 1572. D'un autre côté, je n'ai
pas retrouvé dans les registres le nom de Rœmond avant cette
dernière année où je vois qu'un sieur de Rémond demande
l'exhumation d'une fille de la Religion qu'on avoit enterrée
dans le cimetière des catholiques. (Voy. Plaintes des Églises
reformées au roi, 1597, la Confession de Sanciy etc.)
Il faut donc faire quelques réserves pour l'époque h laquelle
Montaigne a quitté le Parlement.
M. Grùn dit que Pierre Montaigne, à son retour de l'armée,
fut élu jurat, et il ajoute : non jurât et prévôt, comme le dit
M. Payen; à quoi je réponAs, jurât et prévôt, qnoï qwe dise
M. Grûn ; Darnal est positif sur ce point : « Le jour de saint
« Jammes furent élus jurats.. . (suivent douze noms parmi les-
quels Pierre Ëyquem, seigneur de Montaigne, et Henry de
BULLETIN DU DIBLIOPHILE. 551
Laurensanes), » puis il continue :« ledit Laurensanes fut soubs
c maire et ledit Eyquem de Montaigne prévôt. » M. Grûn
prélendroit-il que ces fonctions étoient incompatibles ? [mais
rbistoire est pleine dejurats et prévôts; Jean Gimel, qui figure
dans un acte dont je parlerai , étoit jurât et prévôt.
ïni lu avec un profond regret la note de la page 7, et j*ai
le droit de m*en émouvoir, puisque c*cst à mon intention que
la grande famille, à laquelle M. Grûn reproche de tenir la lu-
mière sous le boisseau^ a bien voulu faire dans ses archives les
recherches par suite desquelles elle a découvert plusieurs let-
tres de Montaigne. Une famille, quel que soit le rang qu'elle
occupe, est libre apparemment de disposer des pièces qui con-
cernent ses ancêtres; d'ailleurs il n'est pas exact de dire qu'on
ne coiùmunique pas, puisque j'ni vu, cl d'autres avec moi, ont
vu les pièces en question; il est tout à fait inexact de dire qu'on
s'oppose à la publication, puisque j'ai déjà publié une des lettres,
et le refus fait à M. Grûn de lui donner la communication qu il
demandokl ne l'autorisoit point à parler comme il l'a fuit.
M. Grûn aime la controverse, il le prouve à Toccasion des
sauvages que Montaigne dit avoir vus h itoucn pendant que le
roi Charles JX s'y trouvoit. Charles IX n'est venu ix Rouen
qu'en 15G2 et en 1563; or, à cette dernière date, Montaigne
est près de son ami mourant, il semble donc naturel de s'ar-
rêter à 1562, puisqu'il cette époque on peut trouver réunis
Charles IX, Montaigne et les sauvages ; le fait d'ailleurs n'étoit
pas tellement important qu'il méritât une longue discussion.
M. Grûn n'ciccepte pas aussi facilement cette probabilité; il
regarde la présence des sau\agcs comme une preuve qu'il y
avoit dos félcs lorsqu'ils furent présenlés, cl il nie qu'il ail pu
y avoir des fêles on 1562 à lioucn, où Charles IX enlroil en
vainqueur et par la brèche. 11 adnïct les félcs conniic ccriaines
en 1563 pour la déclanlion de la majorité; mais alors Mon-
taigne étoit en Guyenne, et le 18 août 1563, le lendemain de
la cérémonie, il fermoit les yeux îi son ami. El M. Grûn ré-
sume ses observations en disant : u En 1562 il est douteux que
662 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Montaigne fût à Rouen, et il est certain qu'il n'y eut pas de
fêtes, (Rien n'est moins certain, et à la cour de Charles IX,
comme de nos jours, on savoit danser sur un volcan). En 1563
il est certain qu'il y eut des fêtes, mais il est certain que Mon-
taigne n'y assista pas. }>Et alors* M. Grûn suppose que Montaigne
a pu se tromper, et il se demande si ce ne seroit pas en 1550 ;
mais alors c'étoit Henri II qui régnoit ! Enfin il regarde comme
plus probable que ce fut à Bordeaux, quand la cour y vint
en 1565, et il ajoute : Montaigne avoit alors trente-deux ans,
âge des pensées mûres (1)/
Tâchons donc de sortir de ce dédale. La cour, en 1562, ha*
bita Rouen pendant un assez court délai. A partir du 28 octo-
bre, où étoit Montaigne ?
M. Grûn dit que les registres du Parlement constatent sa
présence en novembre de cette année. Je crois que M. Grûn
est mal renseigné. J'ai vu une note des registres, celle peut-
être h laquelle il fait allusion; elle renferme des contradictions,
mais on y lit ces mots : a Le 13 novembre 1562 ne «e trouve
présent à la formation des chambres Michel Eyquem de Mon-
taigne. > Et cela n'empêche pas son nom de figurer comme
dixième conseiller de la chambre des enquêtes. Ce qui confirme
cette absence en novembre, ce sont deux renseignements qui
montrent qu'un peu avant et un peu après celte époque,
Montaigne étoit absent de Bordeaux.
Lue note fort importante dont j'userai ailleurs et dans un
autre but, et qui m'a été communiquée par l'érudit M. Des-
sallesy apprend que a Michel de Montaigne, conseiller au Par-
(( lement de Bordeaux, vint faire la révérence à la Cour de
« Parlement de Paris, et fil profession de foi comme les autres
« pour avoir voix délibéralive à Taudience de la Cour, où il
tt assiste le 12 juin 1562. >
D'un autre côté, le 1" décembre 1562, la Cour de Bordeaux
(1) M. Griin remarque que M. Louandro se trompe sur Tannée où
Qiarles IX est déclaré mineur; il dit 1560 au lieu de 1563; mais lui>m^me
fixe la cérémonie au 16 août, et on voit partout qu'elle eut Ueu le 17.
r
RULLETJN DU BIBLIOPHILE. 568
aToit imposé ses membres pour la subvention des pauvres, et
Montaigne abjent ne s'éloit pas acquitté. Le k février 1562
(vieux style, par conséquent 1563) il étoit encore absent, et il
fut ordonné par la Cour à M* Nicolas Bresson, commis du
payeur de la Cour, de fournir et avancer sur les gages de Mon-
taigne et de quelques autres les sommes auxquelles ils ont été
taxés et cotisés pour les mois de décembre, janvier, février et
mars et autres subséquents, jusqu*à ce qu'ils soient de retour
et qu'eux-mêmes puissent y satisfaire.
Ainsi donc Montaigne est à Paris en juin 1562, il est absent
de Bordeaux de décembre 1562 à février 1563 au moins, il est
à peu près certain qu'il Tétoit aussi au commencement de no-
vembre, il est donc tout naturel d'admettre que c'est en 1562
qu'étant à Rouen, en novembre avec le roi Charles IX, il a vu
des sauvages et a conversé avec eux.
M. Grûn trouve peu probable que Montaigne ail pris part au
siège de La Fère, puisqu'il entreprenait un voyage de santé ;
toujours ^es interprétations au lieu de faits ! La note 23 des
Éphémerides répond à ce doute; Montaigne y dit : a moi étant
audit siège. »
M. Grûn me parott arranger et paraphraser en les résu-
mant la remontrance prononcée par Loisel à l'ouverture de la
chambre de l'édit et la dédicace à M. de Harlay, et les détails
qu'il fait suivre sont contredits par les notes que j'ai extraites
des registres. — Ainsi il écrit, page 2/t9 : c Dans un temps de
a partis il y a de l'audace k parler de modération, de paix et
c( de légalité : la remontrance de l'avocat général qui avoit eu
c cette hardiesse fit bruit à la cour. Le premier président du
0 Parlement de i^aris, M. de Harlay, voulut savoir à quoi s'en
« tenir, et il requit Loisel de lui envoyer son discours. »
D'abord le sens du discours de Loisel n'est pas tel que dit
M- Grùn; l'avocat général fait l'éloge de Bordeaux et déplore
les désordres que la chambre est appelée à réprimer, et puis
je trouve le récit authentique de ce qui s'est passé dans le
tome XXVI des registres : uLe 26 janvier 1582 la Cour tint sa
5ÔC BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
navemc dit que Maltccoulon a toujours passé pourun démembre-
ment de la torre dcMonlaigne; la terre devoit comprendre
encore Lagorde, des terres sur la paroisse d'Aysines, elc. (1),
Montaigne, malgré les appréhensions de son père, n*a pas
ruiné son domaine, au contraire, il Ta augmenté par deux
acquisitions d'une certaine importance :
1» En 1578, une forêt sise sur les paroisses de Montpeyroux
et de Saint-Glau , contenant 110 journaux , et appartenant jus-
que-là à l'archevêque de Bordeaux , pour laquelle Montaigne
devoit perpétuellement foi et hommage à Farchevéque, une
paire de gants apprêtés et cinq sols tournois pour une fois payés
à muance de vassal. C'est probablement la forêt dite de Bteta--
nord^ aujourd'hui Saint-Clau, celle dans laquelle a chassé le roi
de Navarre.
2o En 1570, une rente de 500 francs bordelais que lui cèdent
les MM. Pichon, qui avoienl prêté ii la ville de Libourne3300 '
qu'elle avoit du payer au roi (2).
J'ajouterai quelques chilTres qui pourront donner une idée
de la fortune de xMontaigne.
gcntiUiommo de la chambre du roi de France (J*ai des actes qi*i lo prou-
vent) ; il étoit seigneur de Mattccoulon, de la Gasquerie et de Théaujan.
Ainsi le« deux frères avoient les mûmes titres auprès du roi de France et
du roi do Navarre. Aujourd*hui ou dit plus communément Château de
Sloiitpeijioux que Matteconlon.
J*uJoutc ici deux notes intéressantes relatives au titre de gentilhomme de
la chambre. De ce fait que Montaigne place en tùte de ses livres son titre,
U. Lapeyro conclut ((u'il devoit avoir la moitié des émoluments attachés à
cette charge ; c'est Tiiidiic ion qu'on doit tirer de cette partie de Tordcn-
nance de Henri 111, donnée à Paris en 1570, dans laquelle il est faiidérensc
de prendi*e l-.* titre d'oDicicr du la maison du i-oi si Ton n*e>t actuellement
servant ou lésidant dans la maison ù wvilié ijtifjts ((ion érenccsdesoidon-
nances, l'ar Girard, p. U/i7.) M. (irun | lace entre 1570 et 1J80 la nomi-
iia.ioii de Montaigne comme gentillionime de la chambre; il Tétoit déjà
eu 1j78. (Achat d'ane fonH d.J icnipoicl de ri^:gli>e; "1 j lilloU)
(I) .v.wede &l<in a gi:e |ov(doir, et ^on niaii a tuns doute pcssédc, la
forOt de Cei7f.< en imh^ car le 0 mai 1014 elle .ait dcn anx Feuillants do
25 pieds d'a^biej à pie:;d.e darii cc:ie forcH. (Les l'ciiillùnts de Lordeaax^
par M. Lainolhe.)
(1) Montaigne, sincère en tout, dit dans les Essais, en pailant do cette
prcdic Jon de son pi-re : « // «e trompa^ me voici comme j'y entrai^ $i
MON VM MU iii£i*x. H On voit qu'il dit vrai.
BULLETIN DU DIULIOPHIIJL. 657
A son décès la succession a été eslimée 00 mille livres ,
savoir : 60 mille livres pour la terre, et 30 mille livres de
créances, ce qui confirme ce que Montaigne dit dans les Essais
que le meilleur de son revenu est manuel^ c'est-à-dire en biens
fonds; en prenant pour base de Tinlérét payé à Montaigne le
taux fixé par une des sentences du procès qu*a engendré son tes-
tament, savoir : 1826 ^ 13s. k d., pour 27,600 *, c'est-à-dire
à peu près 6 fr. 67 pour cent, le revenu des 30 mille francs de
créances devoit produire 2000 fr. par an, lesquels joints au
revenu de la terre, estimé à plus de dOOO fr., constituaient les
six mille francs de rente, ou h peu près, dont Montaigne parle
dans les Essais.
Lorsque la terre sortit de la famille, nu commencement de
ce siècle, elle fut vendue 120 mille francs; trente ans plus tard,
elle fut estimc'c 226 mille.francs; elle vaut aujourd'hui plus du
double de celle somme.
Éléonorc de Montaigne a rerii 20,000 • de dot.
Sa mère, Françoise de La Clinssaigne, avoit cipporté à Mon-
taigne 7000 fr. ; une sœur de ce dernier, Marie, qui épousa
M. de Cazelis, reçut une dot de 1500 écus h 60 sols pièce;
cette somme avoil été payée par Michel de la manière suivante :
« Six vingt-deux écus d'or sol, six vingt-dix-neuf écus pistolets,
a douze ducats, mille rctz, cinq cents guamcsde testons^ mille
« francs d'argent de vingt sols pièce faisant en tout ladite
€ somme de 1500 écus. » (M. Francisque Michkl.)
Jeanne sœur de Montaigne et Jeanne de Bussaguet sa nièce
apportèrent chacune iOOO fr. de dot.
Lorsque la terre sortit de la descendance de Montaigne elle
se compusnil dos domaines do (iondoy, Sidon, Manège, Letang,
Clamly, Fonrqnet, Pagnac, Marctnct la Thuilerie; la conte-
nanc;» étolt d'environ 850 journaux (roprésonlant*cn moyenne
350 hectares, sehm qu'on compte en journaux de Périgueux ou
en journaux de Volines). {ncnscijncnwntsdc M. Delpit.)
Une autre lacune non moins importante est relative aux
PATAONAGEs. M. Grûu a vu dans les Essais que Montaigne pos-
558 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
sédoit, avec le baron de Gaupëne, le droit de patronage sur la
cure de Lahontan ; il y avoit à ce sujet quelque chose à dire ,
car c'étoil encore là une position publique. On pouvoit au
moins indiquer la situation de Lahonlan (département des
Basses-Pyrénées, arrondissement d'Orlhez, canton de Salies;
Lahontan, Cauna et Gaupène sont voisins). Ce fut cette terre
de Lahontan qui constitua la baronnie du célèbre voyageur du
xviu' siècle. Mais ce baron de Gaupène! qu'est-ce donc? Ge
n'étoit rien moins que le fils de Montluc, Piètre Berirandy dit
le Capitaine Perrot (et plus tard le fils de celui-ci). La femme
du premier, Marguerite de Gaupène, fille unique et héritière de
François de Gaupène et de Françoise de Gauna, lui avoit apporté
ces deux seigneuries. Le baron de Gaupène, dont parle Mon-
taigne dans les Essais, étoit le deuxième fils de celui-là,
Gharles, seigneur de Gaupène, qui testa en 1595.
11 paroît d'ailleurs que ce droit de patronage sur la cure de
Lahontan a donné lieu à beaucoup de difiicultés, car parmi les
pièces originales fort intéressantes que je possède sur ce droit,
il en est une de 1572 par laquelle Gharles IX renvoie devant
le parlement de Toulouse la dame de Caupène (veuve alors) et
Michel Montaigne , la première agissant pour : « sujet du
€ patronage qu'elle prétend avoir de la cure de l'église paro-
« chiale de Lahontan, à l'encontre de maître Antoine Brisseau,
« prêtre, soi-disant curé de ladite cure, ne faisant que prêter
« son nom à maître Pierre Eyquem, chanoine de l'église calhé-
« drale de Saint- André de Bordeaux, et Micheau Eyquem,
« seigneiir de la Montaigne {sic), conseiller de la cour, pré-
ce tendant être patrons. » Et antérieurement, en date du 25
novembre 1533, Guillaume Garot, vicaire général de l'arche-
vêque d'Auch écrit une lettre (communication de M. Delpit) en
faveur de Ramon Eyquem, licencié en droit , auquel il accorde
la cure de Lahonlan, à laquelle il avoit été |)résenté par Pierre
Eyquem et Anne de la Forcade , patrons de ladite église , et
que refusoil d'admettre Vévèquc de Dax,
Mais Montaigne possédoil encore un droit dont M. Griln ne
<
nULLETJN DU BIRUOPHILE. 559
parle pas, le droit de litre dans Téglise des Feuillants, comme
acquéreur des droits de la maison de Vaquey, sur les fonds de
laquelle ladite église avoit été bâtie. (Arrêt du Parlement rendu
en 1601, à propos du chapitre de Saintes, communiqué par
M. Delpit.)(i).
Montaigne dit, au sujet des lettres de bourf^eoisie romaine :
« N'étant bourgeois d'aucune ville, je suis bien aise de Tétre
« delà plus noble qui fui.... » M. Grûn semble admettre que
Montaigne se trompe ici, car, dit-il : « L'élection à la mairie de
<( Bordeaux supposoit nécessairement le droit de bourgeoisie. »
Je ne sache pas que cette dernière opinion soit prouvée ; rien
n'indique que MM. de Lansac, Matignon , Biron fussent bour-
geois de Bordeaux, et le dire de Montaigne est positif (2).
M. Delpit pense que Montaigne, fils, petit-fils, arrière-pelit-
fils de bourgeois, doit être regardé comme bourgeois de Bor-
deaux , mais il ne juge pas que cette qualité fût nécessaire
pour être élu.
M. d'Etcheverry, si compétent sur l'histoire de Bordeaux , et
qui connoîl si bien les pièces confiées à sa direction, a la bonté
de me transmettre une note dans laquelle je trouve : « Les
« jurais s'empressoient d'offrir, gratuitement et sans enquête ,
« des lettres de bourgeoisie aux maires, lieutenants généraux
K de la province, etc. On trouve dans les registres de 1761 les
« lettres de bourgeoisie offertes à M. de Ségur Cabanac, sous-
(1) LiTBfsou Ceintures funèbres^ bandes ou traits de peinture noire d*une
largeur de deux pieds au plus, mises tout autour d*une église ou chapelle,
en dedans ou en dehors, on signe de deuil du patron on du seigneur haut
ju8ticier,8ur lesquelles les écussonsdes armes sont peints de distance en dis-
tance. Le patron et le haut justicier jouissoient «euls de cette prérogative
refusée aux seigneurs moyens et bas justiciers féodaux ou censiers.
(3) Parmi les nombreuses sources citées par M. GrQn au sujet de la
mairie de bordeaux , je ne me rappelle pas avoir vu Touvrage spécial inti-
tulé : Recherches historiques sur Vvffice de maire de Bordeaux^ par Mari»*
de Saint-Georges de Montmerci, 1785, in-8, lequel a été reproduit texluel-
kment dans une série de feuilletons du Mémorial bordelais^ pu 1837, par
un jeune enthousiaste de nos vieUles chroniques, qui a oublié dr- tionuius
l'auteur dont il reprodaiioit le travail.
tid&r
560 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
(( maire; en 1769, h M. le maréchal duc de Richelieu, gou-
« verneur, etc.
'i En 1762, un descendant de Bussagii^t (Toncle de Michel
« Montaigne), justifie de sa qualité de bourgeois, en arguant
« qu'il descend de Ciiinion Kyqucm, qui Téloit. En 1603,
« Guillaume de Montaigne ayant perdu les lettres de bour-
« geoisie do la famille, i)rouvc dans le môme but sa descen-
« dance deGrim. Eyquein. (TaR des Bourgeois, \om. H.) (1).
Ce qui précède monire donc l'hérédité |)0ur le droit de bour-
geoisie. A ce tilrc Montaigne devoît être bourgeois de Bor-
deaux, mais celte qualité n'étoit pas nécessaire pour la mairie.
Comment se perdoit-elle ? Montaigne habitant le Pcrigord
ravoit-il perdue? A cette occasion, M. Grûn auroit pu annon-
cer à ses lecteurs une nouveauté qui n*cst pas sans intérêt.
Un très petit nombre de personnes supposent, d'après un ren-
seignement inexact donné par Hacnel (2\ que Toriginal des
Lettres patentes de bourgeoisie romaine se trouve à la biblic-
Ihèque de l'Arsenal. Mallieurcusemcnt il n'en est rien, la pièce
en question est une traduction faite en 1086, je ne sais dans
quel intérêt, par un interprète de Bruxelles, dont la qualité et
récriture sont constatées et légalisées. En tète se trouve un joli
dessin des armoiries, mais inexactement reproduites; la patte
étant placée en pal au lieu d'être en fasce. Seroit-ce celles des
Montaigne des Essarts?
Mais M. Grûn a laissé sur ce point de la bourgeoisie une
lacune importante : postérieurement h l'époque à laquelle Mon-
taigne disoit ne la posséder dans aucune ville, il devint Bour-
geois DR LiBouRNE ; Ics papieis de la famille Ferrand, cités par
Souffrain, portent que le seul Michel de Montaigne obtint des
(1) Au xvi» Mèclc, la qualité do tK>urgcois so payoit t^ h 5 écus, et rct
argent étoit ordinairement donné aux pauvres; cependant on trouve quel-
qucfois dans les registres : «MM. les jurats ont donné un bouryeoh (c'est-à-
dire l'argent reçu pour la réception d'un Iwurgeois) à M. le scus-mairc,ctc. »
(M. n'ErcnevEnnY.)
(2) Catalogi libr. manuscript. qui in Bibliotb. Gallie, UclvctiK, Britni>
nia? M. asservant iir, Lipsi», 1830, io-S, col. 330, n. 170.
nuLUTiN nu ninMOPHiLE.* 6G1
Lettres de bourgeois d'honneur, qu'il accepta avec reconnais--
tance. Celle bourgeoisie conféroil un grand avanlagc : les
bourgeois avoient seuls la facullé de faire entrer leurs vins
sans pyer aucun droit au roi , et les vins autres que ceux de
la sénéchaussée ne pnuvoient descendre h Lihourne que vers
Noël, aOn de donner le temps aux Libournois de se défaire
des leurs.
Dans un livre où Fliisloiro générale occupe tant de place,
c*eûl été le cas de faire ressorlir une circonslance fort remar-
quable il laquelle Montaigne fait allusion dans une |)brnse que
cite M. (irùn, page 52 : « Souvienne-vous en quelle bouche
« celle année passée raffirmativb d'icellc (s'il est permis do
« s\irmer contre son prince) csloit Tarc-boulant d'un parly,
« la négative dequel autre parly céloit Tarc-boutant : cl oyez
« à présent doquel quartier vient la voix et instruclion de
f( Tune et de Tautre » Monlaignc fait allusion évidente à
ce revirement d'opinion des catholiques et des protcstanls . h
l'occasion de la mort du duc d'Anjou, en 1584, indiqué pcir
Bayle (Art. Sainctes)^ Lnbille {Prédicat de la Ligue), Mézerai»
cl pour une époque antérieure par Bossuet (Variât.)
ÏAï réforme, quoique d'origine aristocratique (c'est Tavisde
Chàleaubrianl), s'appuyoit, en France» sur la démocratie et
soutenoii que le peuple peut déposer les rois et tuer les tyrans,
afin de faire arriver à la couronne un prince qui n'étoit pas
dans la ligne héréditaire; les catholiques, de leur côté, pour
éloigner du trône un prétendant prolestant défendoient le prin-
cipe de l'hérédité linéale. La mort du duc d'Anjou renversa les
rôles. Les opinions jusque -Ih défendues par les protestants
pouvoient être invoquées en faveur du duc de Guise contre le
roi de Navarre, qui avoit alors la légitimité pour lui; les catho-
liques, au contraire, se trouvoient, en soutenant la légitimité,
favoriser un hérétique; chaque piirti abdiqua donc son opinion
passée pour prendre celle de son adversaire, et c'est ainsi que
Montaigne a été amené à écrire la phrase ci -dessus, et la
preuve que cette interprétation est exacte, c'est que la phrase
562 T^UTXETIN DU BIBLIOPHILE.
ne se trouve pas à l'édition de 1580, et qu*on la rencontre à
celle de 1588; le duc d*Anjou étoit mort dans cet intervalle de
temps.
Page 2/!i8, iM. Grûn mentionne la lettre de recommandation
en faveur de M. de Verres^ adressée par IVIontaigne à Claude
Dupuy, mais il ne s'en occupe pas davantage.
Il seroit curieux de savoir quel est ce personnage nourri en
la maison de Montaigne , qui lui étoit fort ami. Ce nom n'ap-
partient pas au Midi, ne seroil-ce pas M. de Guerre ? Celui-ci
est un nom de la province (Martin Guerre, à Toulouse); une
famille qui le portoit étoit très liée avec celle de Montaigne ,
elle est restée amie et elle a contracté des alliances avec la
descendance de Mattecoulon, Un de Guerre figure au contrat
de mariage d'un membre de cette branche, Jacques de Gaze^
nave^ en 1766. On sait que dans nos provinces méridionales
on substitue volontiers le V au G. Montaigne lui-même dit
Walles pour Galles. Cette transformation se retrouve d'ailleurs
fréquemment dans les langues étrangères : en latin Vasco ,
Gascon , vastare, gâter ; Vulpillus, Goupillon ; etc. En allemand
Winner, gain ; Wafcr, gaufre ; les Picards ont toujours pro-
noncé le G comme le V : Wede , pour Guede ; Werre , pour
Guerre. Cette opinion est tout à fait celle de M. de Caze-
nave.
J'arrive enfin au 3" paragraphe de cet examen, celui que j'ai
consacré aux Erreurs.
M. Grûn se plaint qu'on ait voulu ravaler l'origine de
Montaigne; il s'indigne contre Scaliger, qui a dit que le
père étoit vendeur de harengs! Et quel mal y auroit-il donc
à ce qu'il en fût ainsi ? Il me semble que Montaigne n'auroit
rien à y perdre, et que les marchands de harengs auroient
seuls à y gagner! Scaliger pouvoit être mauvaise langue,
mais ce n' étoit pas un sot, et il eût été par trop maladroit
de risquer une allégation qui pouvoit être démentie par un
grand nombre de contemporains; il a pu se tromper sur le
degré d'ascendance ; mais malheureusement il n'a pas erré sur
y
BULLETIN DU BIBUOPRILE. 5ôS
le fait principal, et Montaigne compte des marchands parmi ses
ayeux (1).
Ramon Eyquem^ grand-père de Pierre, est qualifié marchand
et bourgeois de Bordeaux dans un contrat d'acquisition de
terre du 8 mars 1/|52. En l/i57 et 1^75 il. est, dans des actes
de même nature, qualifié seulement honorable homme; dans
son testament, écrit en i/|73 et ouvert en U78, on lit : « *fo
Ramon Ayquem, marchant^ parropiant de la gleysa de Sent
Miqueu et borgnes de Bordeu. »
Un frère de Ramon Eyquevi^ Ramon de Gaujac, alias Loco-
dot y est, dans un contrat de vente du 18 novembre 1&67, qua-
lifié marchand, de la paroisse Saint-Michel.
Le reste de la famille semble être dans la même position.
D*un acte de partage en date du 15 novembre 1508, il résulte
qu*Ysabeau de Verteuil, nièce de Grimon Eyquem et cousine-
germaine de Pierre, étoit mariée à un Dufleys, fils de Bern,
Dufleys, marchands et paroissiens de Saint-Éloi.
(Ces divers actes m'ont été communiqués par M. Delpit.)
11 ne reste donc plus à discuter que la qualité de la marchandise;
mais M. Grûn n'y tient probablement pas plus que moi, et j'a-
voue que j'aimerois mieux apprendre que Montaigne a été lui-
même marchand de poisson, que d'être obligé de croire à la
flétrissure de sa carrière administrative.
Quant à l'ancienneté de la noblesse, M. Grûn se borne à dire
que Montaigne est de bonne famille. Ce n'est pas assez, puis-
qu'enfin ce titre de seigneur est un des principaux de sa vie
(i) Bernadau {Viographe bordelais ) fait dire à Scaliger ce que Je ne
trouve paa dans l*édition du Scaligerana que j'ai sous les yeux : « Que
Montaigne descendoit d*un p(^cheur breton qui se flt vendeur de harengs &
la Roussette (quartier de Bordeaux) » ; Bernadau trouve la chose probable,
parce que près du port il exiatoit une impasse du nom de Montaigne. Pninis
conteste Texactitude de cette révélation ; il dit avoir vu des titres qui remon-
loient Jusqu'à UOO, et que les ancêtres de Montaigne, tous gentilshommes,
y sont constamment nommés damoiseaux , domicelli ( gentilshommes qui
n*éloient pas chevaliers) ; il est probable que Pninis aura vu des pièces rela-
tives aux possesseurs antérieurs de la terre (à des MoirrANiu) , mais non
aux Eyquem.
604 BCllETIN DU mBLfOPinLE.
publique. Une pièce mallieiireuscment incomplète, (pii n servi
de couverture à un regisire, et à laquelle manquent rinlilulé et
la date, mais qui paroit ôlre du xv* siècle, donne le leslament
d'un seigneur de Monianha^ marié ci Jeanne de Monadey, le-
quel n*est pas de la rumilic des Eyquem. Le testateur laissoit
un fils, Pierre, et une fille, Jeanne^ qui est probablement celle
dont il est parlé dans une Esporle pour Ramon de Gaujac
(frère de t^imon Eyquem), en faveur de Jeanne de Monadey
(3 février 1/|56), femme de noble homme Galhard dUArsac,
Cet liommagc lenoit peul-êlrc«i quelque achat de (erre fait par
les Eyqitem aux seigneurs de VHostnn de Montanha^ et peul-
élrc cela a-!-il él-; Torigine de Tacquisilion de la terre. Dans
tous les cas, les Eifjuem semblent s arrondir aux dépens des
d'Arxnc, car, le 18 décembre 1477, llamon avoit acquis une
prairie mouvant de noble Anianicu d'Avsnc. Du resie, pos-
térieurement les d'Arsac se sont alliés aux Eyquem et à La
Boeiie.
La noblesse de la terre étoit ancienne, mais la possession
par les Eyqtiein ne Téloil pas. — Il résulte d'une charte sur
parchemin ayant pour litre : Instrumentum rccognitionis homa"
giorum facturum domino archiep, Durd, per gcntes Montreva^
m*//o, etc., dalée de février 1306, que Peirus de Montanea,
donzetlus, figuroil parmi les vassaux de Tarclievôque, et en
celle qualificalion lui a rendu hommage ledit jour. (M. Delpit
m'indique un pareil hommage d*un Petrus Montana dans le re-
gistre 304 des archives du département (1).
(1) Les Eyquem ont à leur tour rendu cet hommage; un acte notarié du
9 novembre 1530 constate Thommago de Pierre Eyquem^ seigneur do Mon-
taigne.
Deux actes notariés du 7 décembre 1G02 témoignent de l*hommagc rendu
par M"i<-* veuve Montaigne.
(Notes fournies par M. Gras, archiviste de la Gironde.)
Aux registres des hommages de Montravel la cérémonie de riioromago
est décrite : « Le représentant do M"'« de Montaigne, après avoir pris inves-
« ti.ure dudit sieur archevêque, acceptant et stipulant lequel api es avoir
« pris et reçu audit nom le serment do fidélité en tel cas requis et accoù-
« tumé, lui avoir caché les mains, a icelui relevé. Ta reçu audit nom conuno
Dl LLKTin DU nintlOPHTLE. S65
Le testament de Oamon Eyqnem, qui détaille les biens du
testateur, ne mentionne pas la terre de Montaigne; il ne la
possédoit donc pas en l/i73; il est probable que s*il Teùt ac-
quise poslérieuromenl jusqu*à l/i78 qu'il est mort, un codicille
Cil auroit fiit mention. On ne peut donc pas présumer que Ita-
mon ait été seigneur de Montaigne,
D'un au:re côté, Grimon^ le fils de Damon, le grand-père de
Michel^ est qualifié, en 1491, de seigneur de Moniaignc^ de
même en 1508, où de plus il est dit noble homme.
C'est donc entre 1473 et 1401 que la terre est entrée dans
la famille Eyqucm, et c'est tr^s probablement entre 1478 et
1401 que Grimon en a été Tacquéreur (1).
\jk Bibliolliêque publique de lu ville de Bordeaux possède un
registre sur lequel ficrre Kgqucm^ seigneur de Montaigne (fils
de Grimon cl père de Michel), avoil fait transcrire par le no-
taire Pierre Perreau tous les conirals d'acquisitions faites par
lui de 1528 h 1550; elles soni au nombre de 250, cl elles ont
coûté ensemble 4332 livres 10 sols 10 deniers, sans compter
le blé et autres denrées données en échange. Je possède moi-
même des notes de même nature qui relatent les achats faits de
1528 h 1541 (1528 est l'Hunée du mariage de Pierre).
M. Delpit, h Tobligeance aiïectueuse duquel je dois l'analyse
ou la copie textuelle de ces diverses pièces, pense avec raison
que ce registre indique un nouvel acquéreur. Les Eyquem
« rassal des susdites maisons de Montaigne, Balbeyon , appartenance et
m dépendance, a saisi féoduloment comme un fief noble, franc, libre et
• ccnsier, au devoir et pn^jiidicc d*un baiser à la Joue, à la coutume des
• prélats, et muance de seigneur et do vassal i .dépendant , etc. •
(M. de Cazenave.)
(1) \jD teite de Montaigne confirme cette supputation ; il parle do ta for-
tune^ et il dit : « Tout re qu'il y a tfe sex ilonidit% noux^ il ij ext avant moi^
• ri Al' ht\.K ne cent a\s. » Or, ce chapitre a été écrit en 1586 (18 ans
apHrs la mort de son pore, arrivée en 15C8), en déduisant pluttdft 400 an% ,
nous remontons \ une époque antétieure & 1686; donc, en fin de compte,
c'est entre \kl% et i486 que la terre est eniréo dans la famille : 1680
pcQt-ôtrc ? Cette phrase des Essais n*avoit pas encore été interprétée.
566 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
avoient acheté une terre ruinée, ils vouloient Tagrandir et con-
server le souvenir de ces améliorations.
Une autre preuve de noblesse nouvelle est la suppression du
nom primitif. Or, ce n'est qu'à partir de 1568 qu'on ne trouve
plus dans les actes le nom d'Eyquem^ et j'ai fait remarquer
que dans les É])hémérides de Beuthcr, annotées par la famille,
le nom i'Eyquem , inscrit primitivement ( le volume est im-
primé en 1551), a été partout rayé. La famille nouvellement
anoblie vouloit se distinguer des familles nombreuses et
sans importance qui, dans la contrée, portoient le nom d'JÇy-
queni (1).
Ainsi donc, à trois générations au-dessus de Michel, les Ey-
quein étoient marchands. C'est à la fin du xv* siècle que la
terre est entrée dans la famille, et lorsque Montaigne dit que
la plupart de ses ancêtres sont nés à Montaigne, il ne pouvoit
parler que de son père et de ses six oncles et tantes pater-
nels (2).
Page 168, M. Grûn formule une de ces affirmations ma-
gistrales en présence desquelles le doute ne semble pas
(1) On trouve encore le nom d'Eyqtiem en 1567, le 30 avril (contrat de
mariage d*une fille de Dttssaguet avec Mom); c^est donc entre 1567 et 1568
que ce nom a été abandonné.
(2) Je relève ici les dates relatives aux ancOtres de Montaigne, parce qu*on
ne les trouve nulle part ainsi rapprochées :
Ramon Eyquem est né en 1^02 et mort en 1482.
Grimon^ son fils, a dû naître vers 1650, et mourir antérieurement à 1521,
comme l'établit un curieux ordre de révélation émané de Léon X, prescri-
vant à tous ceux qui connoltroient des débiteurs de la succession de les
faire connoltre sous peine d'excommunication.
Pierre (l'alné, senior), fils de Grimon, est né le 29 septembre 1495 et
mort le 18 juin 1568, à 72 ans et 9 mois (il est remarquable qu'aux Essais
Montaigne dit par erreur qu'il a vécu Ih ans, et aux Éphémérides 73 ans
et 3 mois).
Un de ses frères portoit aussi le nom do Pierre [junior).
Miehely auteur des Essais, fils de Pierre, est né le 28 février 1533 et mort
le 13 septembre 1592.
BULUTIN DU BIBUOPHILE. 667
pennifl. Pibarb Eyquem n'avoit aucune gonnoissange des
LETTRES.
Examinons pourtant I Pierre a été jurât, prévôt, sous-maire,
maire ! Peut-être cela n'indique-t-il qu'une capacité adminis-
trative ; pourtant cette dernière fonction, remplie le plus sou-
vent par de très grands personnages, ne lui a pas été conférée
à cause de Téclat de son nom et de Fancienneté de sa race; il
falloit bien que cela fût pour son mérite personnel. Mais il a
été membre d'une Cour souveraine, qu'à l'origine quelques per-
sonnes regardoient comme supérieure aux Parlements. Gela
suppose une certaine éducation, cela prouve au moins qu'il
entendoit le (rançois; mais il comprenoit aussi le latin, puis-
qu'il lisoit dans Toriginal la Théologie naturelle de Scbon. A
la manière dont Montaigne dit qu'il a appris le grec, on peut
inférer que c'est son père qui le lui a enseigné; Montaigne dit
encore que son père avoit familières les langues italienne et
espagnole ; il me semble que tout cela promet.
On opposera peut-être les paroles de Montaigne ; mais elles
montrent que la superbe , dont on l'a gratifié , n'étoit pas aussi
exubérante qu'on le dit. Montaigne ne regardoit pas son père
comme un savant ; lui-même disoit : « Je n'entends rien au grec, »
quoiqu'il possédât, lût et citât des auteurs grecs; mais ni son
père ni lui ne possédoient ces langues anciennes comme les
Govea, les Élie Vinet, les Marc-Antoine Muret, les Grouchy, les
Guérente, les Buchanan,les Millanges avec lesquels ils vivoient;
d'où Montaigne concluoit que c'étoit ne rien savoir que savoir
moins que ces érudits.
Non -seulement Pierre Montaigne avoit connoissance des
lettres, mais il les cultivoit, il se permettoit de faire des
vers latins, et en 1511, c'est-à-dire lorsqu'il avoit à peine
quinze ans, il adressoit à Piellé des distiques latins qu'on a
imprimés l'année suivante à la suite du poème : Guillermi
Pielleiy Turonensis, de Anglorum ex Gallis fuga et Hispano-
rum ex Navarra expulsione, Parrhysiis, Bonnemere, 1512,
in-/t gotli.
% «>
6G8 DUrXETfN DU niDLlOPHIU.
Peut-être ces vers n'ont^ils jamais, depuis, été reproduits, et
je me fuis un plaisir de les transcrire.
PETRUS EYQUEM BURDIGALENSIS, GENEROSISSIMO ADOLESCENH
JOHANNI DE DURAS,
CARMEN SIMONIDEUM.
Il Ogygius> dextro nalus sub sydere vates,
« Prompsit grandisono niartia bella pede.
(c Bella per iiiacos laie grassafn pénates,
« Sub quibus oppressit mors violenta Parin.
€ IIIp, cotliiirnalo Smyrnrus carminé, valcs
« Eacidc cocinil facta Fnperbj ducis;
c( Iste, Sophocico fucatos ore Brilannos
« Frîinra dejectos c regionc canil;
<c Cujus ma^nificas cnpiani si dicere laudes,
« Pondère sub nimio Musa pusilla gemet. »
Quelque jugement qu'on porte sur ces vers, et dût la musa
ptLùUa faire songer h la tendre musette de la chanson, il est
certain qu'ils témoignent que ce garçon de quinze ans, comme
pourroit dire Montaigne, entretcnoil un certain commerce avec
les vates Siinjrneus et Ogygius, On y sent Tcxubérancc et la
boursoudlure de la sève scolastique; mais Thomme qui les a
écrits auroil fait au moins un très bon bachelier es lettres daas
le XIX* siècle.
Une circonstance qui n*est pas sans intérêt, c*est la dédicace au
jeune de DinAs. Il s\Txii sans aucun doute de François de Dur-
fort, srigniMir de Di uas, qui poavoit avoir alors di\>huit ans;
Fauteur on avoit sei/.c au nicunont do lapubliralion. Pierre dédie
à l'aïeul, et plus lard Michel dédiera h la fenniic et à la bollc-
STur dii pi'til-nis ( Marguerite de (êramwontjQimwc de Jean de
Durfort, vicomte de Duras, et madame de Cuichc^ femme de
Philibert de Grammout),
BULLETIN DC BIBLIOPHILE. 500
On aime à constater cette perpétuité de relations afTectuenses
avec des familles puissantes; elle prouve plus pour la consis-
tance et la considération de la Tamille des Montaigne, que les
méchancetés de Scaliger ne peuvent contre elles.
Je termine ce qui regarJe le père de Montaigne en relevant
nne erreur échappée à M. Grûn. Il dit que Pierre vivoit encore
lorsque Touvrage de Sebon fut imprimé. Pierre Montaigne
n*existoit plus lorsque cette traduction fut terminée; il est mort
le 18 juin 1568, et la Théologie ne parut qu*en septembre 1560.
C*esl comme cela que Michel a été amené à dater sa dédicace
du jour mortuaire.
La mort du père me fournit Toccasion de reproduire ici, sur
la mort du fils, une observation que j*ai consignée ailleurs sans
résoudre la diOiculté.
Tous les biographes sont en désaccord sur la date de la mort
de Tauleur des Essais; il m*avoit paru que la date inscrite sur
le tombeau devoit être celle qui oITroit le plus de garantie; or,
le mausolée dit : « Les ides de septembre »> — ce mois étant dans
le calendrier romain un de ceux où les nones lomboient le 5,
les ides, par conséquent, lomboient le 13; donc, celte date cor-
respondait au 13 septembre 1502.
Voici maintenant la difficulté : M. Lamolhe. secrétaire de la
commission des monuments histori(|ues de la Gironde, vient de
publier, dans le rapport de 1855, un extrait de la concession
faite h madame veuve Montaigne |)our son mari d*une sépulture
dans Téglise des Feuillants de Bordeaux. Deux messes dévoient
être dites chaque année. Tune te troisième jour du mois de
septembre et Tautrc en commémoration du jour de IMnhumation
(prolnblemenl chez les Feuiiianls). Si la première date est
oxaclc, h quoi ponrroil-clle se rapporter, si ce n'est an jour
mr.riiiaire; il faniiroit donc, h cl» cnnijMo, accc,:tcr k'. 3 se;)-
tenibr», ot regarder le 13coîïïme une erreur dn tomh^ai; pour-
tant la date du 13 est inscrite sur le volume des Épîiémcrides
de Uculhor, et je persiste à croire que c est calle-là qu'il faut
mainleuir.
570 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
M. Grûn s'occupe incidemment d'un des frères de Montaigne ;
il cite une phrase de Moreri, qui dit que le roi donna le 2k juil-
let 1565, à Albert de Luynes, un commandement devenu vacant
par la mort du capitaine Saint-Martin, frère du philosophe; et
comme Montaigne dit que sou frère le capitaine Saint-Martin
est mort à vingt-trois ans, et que M. Grûn regarde comme prouvé
qu'il étoit l'alné de Michel, il déclare sans hésiter que Moreri s'esl
trompé. Quand il s'agit de Montaigne, il faut savoir douter, et
je crois plus prudent et plus utile aux recherches ultérieures
d'accepter sous réserves tous les renseignements jusqu'à preu-
ves contraires, surtout ceux qui viennent d'hommes comme Mo-
reri. Or^ ces preuves nous manquent. Je tiens donc pour pro-
bable, jusqu'à plus ample informé, le renseignement de Moreri,
et M. Grûn lui-même remarque qu'il est confirmé par Abel
Jouan qui, dans son journal, dit que le roi étoit en effet à Con-
dom le 27 juillet 1565 ; mais il s'agit de faire concorder ce ren-
seignement avec ce que nous savons des frères de Montaigne,
et il faut d'abord résumer les faits qui sont incontestables.
Montaigne dit être né le troisième des enfants de son père. U
est constant qu'à la mort de Pierre il étoit l'aîné des survivants;
ses deux aînés étoient donc morts avant 1568. Nous n'avons
aucun renseignement sur eux. L'un s'appeloit Beauregard;
après lui la terre a passé à lun des frères, qui en a pris le nom,
ce qui prête à une confusion de personnes qui ne cesse qu'à
partir de la mort du père.
Montaigne dil que son père, en mourant, laissa cinq enfants
mâles, mais il laissa aussi trois filles, ce qui fait dix enfants avec
les deux aînés morts antérieurement.
Ainsi, à la mort de Pierre, existoient :
Michel, seigneur de Montaigne, né le 28 fév. \ 553 âgé de 35 ans
Thomas, seigneur de Beauregard, 1 7 mai i 534 (i^ 34
(1) Thomas a eu en môme temps le titre de seigneur d'Arsac (Éphémé-
rides). Quant à la seigneurie de Beauregard, elle avoit dû antérieurement
appartenir à l'un des aînés, décédé alors. (Voyez Pierre.)
17 oct. 1536
32
14 sept. 1541
(2) 27
28 août 1552
16
19fév. 1554
14
20 août 1560
8
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 571
Pierre^ seigneur de la Brousse (1)^ né le lOnov. 1535 âgé de 33 ans
Jeanne, mariée à Lestonnac,
Arnaud, prop'* dans Tile de Macau,
I>éonor, mariée à Camein,
Marie, mariée à Cazelis,
Bertr. Charles, seig^ de Mattccoulon,
(Beauregard et Mattecoulon survivoient seuls à leurs frères à
la fin du XVI* siècle.)
Quant au capitaine Saint-Martin, mentionné par Montaigne
et par Moreri, ce ne peut être Arnaud, puisqu'il a dépassé Tàge
de 23 ans. Donc, pour que le renseignement de Moreri fût exact,
il faudroit que Pierre Montaigne eût un fils de plus, lequel, né
en 1562, seroit mort en 1565, et comme le père vivoit encore
il ne figure pas au tableau ci-dessus. Celte supposition donne-
roit à Pierre Montaigne onze enfants au lieu de dix (3) ; elle
n*est pas improbable.
Quant au titre de sieur de Saint-Martin que porte Arnaud au
contrat de mariage de Marie, dans cette supposition, il l'auroit
pris à la mort de ce frère, comme les autres frères ont porté
successivement les titres de Beauregard et d'Arsac, et on remar-
(1) Pierre a été qualifié aussi de seigneur d'Arsac : c'est sous ce titre
qu'il flgure, en 1579, au contrat de mariage de sa sœur Marie (M<"« de
Caxelis); cependant, en 1500, ryiof^ioi figure encore comme seigneur dMrsac,
Casiera^ Ltlhan et Loirac ; U avoit épousé Jacquette d'Anac, Ce dernier
nom me parolt donc avoir été porté en même temps par plusieurs per-
sonnes, car en 1565 il existoit un Gatton d'Arsac qui n'étoit pas Eyquem^
qui épousa Louise de la Chassaigne (sœur de la femme de Michel Montai-
gne); Gaston et Jaquette étoient enfants de premier Ut de la femme de La
Boëtie. J'ai indiqué ces diverses aUiances dans la notice sur cet ami de
Montaigne. (Arsac, village et cU&teau à 6 ou 5 lieues (15 ou 20 kilom.) de
Bordeaux, canton de Castelnau de Médoc)
(3) Arnaud est qualifié seigneur de Saint-Martin au contrat précité, U
étoit mort à cette époque.
(3) Je ne puis me dispenser de faire une remarque qui prouve avec queUe
méfiance il faut accepter les arrangements généalogiques les plus certains
à l'apparence. Du moment où je possédois la date de naissance d'Arnaud,
1541, en y Joignant les 23 ans que Montaigne fixe pour la durée de sa vie,
J'obtenois 1564 pour la date de sa mort, et le renseignement de Moreri
pvoiMOit inattaquable. La preuve qu'Arnaud vivoit en 1568 a renversé
tout cet échafaudage.
39
jrr 3LLliT73 DQ BiBUOPHIU.
i:ien nv .? lui «^HnàitTjii :'.7iiiiniier cette opinion de deux
xrsL'E.îs* :*.'*r « ut-un? llp^ :^îsi «(ue celle que je suppose
^i' ir T.-rî i i-^-aiitr^- f>; ieaiimaiee :.ipitalxe Saint-Martin,
î£3L> .:?: i A-».- -^.Lf *j* liie inm^m^a: sufv,rde Sainte Martin.
■ -s-Tx^ ■: -, . . j. iiîf iisiiiiiaitjii : !♦? prîmier Saint-Martin
v.i. 1. -01.^ "^.f: re ai ruf e **f:oaii le fùL Ce dernier
T.>a<^».'r.. i :*-^ i «I îrr«ii'it H jum. S'il en est ainsi, ce
s:i-.. u v-' *:■«. r.w ^ -u?i?»'rffrjic li** 5et:re autographe,
it: j xidK-*? A .>*r^> "^ nuswKSKr: -iw ordres pour le
^'itttii i :5r : 7= .1 .ç - strrAîirî Trs*f «r zn acte de 1567,
^ 't^ i ;..—>*•:'. . -,•-,;.. ;> V inUi^Tr»;. hxItt^ U contra-
.».•,..*. -i I. '--i ^ . >i *'-..iin' f» :«—u.T** >ir des signa-
it >x. v>*: .-.*i-'>^ *»• *- --.■•• • .' i »TP"s
«>wt^ ■-*• '".-.:" .;;^ » 4 ii^itnif^ iii:res. qui ont
^.v.>< 1.K K ... - ^.-'. .-.;. ii;.rs> :•*: îts bienfaits
.^^ ^.^ 1^ .■-.,. ■•• • „ . -^ ■•» - .: i* fuc,Â/9i Ci IjûrTaint
' -X - '. ^. >?'.:}: 2 déjà si-
..... • i- .-..il.- u- To-i é:^ ;k::5 hislori-
...., .-^^^», ... >i . k 'M.^ .■"•Tnr»'f:f!E)eni dé-
, ur. ...t. •..>< I .'• :•*•■-•"-■: te de Savoie,
-vj..«.--. •. N.. ' jr •* ■i.-'-.-.f'r t^e Foi\, ei il
..... -. .-v::.».!!. ^M. ;i. r. : m- >fro:l Jonc
... ... .. , >i 11 ..i.^^îNi.."; ^.'îsin, quand
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BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 573
Foix , le chapitre de Tlnstitution des Enranis. Or, celte dame
étoit cousine issue de germain avec la femme du duc de Mayenne.
Les princes lorrains ne pouvoient donc ôtre étrangers à Mon-
taigne qui, du reste, a déclaré assez de fois, même en parlant
aux rois eux-mêmes, qu'il n'a jamais reçu de récompenses des
services qu'il a rendus, pour qu'on ne le soupçonne pas d'avoir
accepté des bienfaits de qui que ce soit.
M. Grûn parle de d'ELBÈNE qu'il croit avoir été ambassadeur
de France à Rome, dans le temps où Montaigne visita l'Italie,
et, sur un renseignement inexact, il va jusqu'à dire que Cathe-
rine de Médicis donna au philosophe une lettre de recomman-
dation pour ce personnage. M. Grûn auroit mieux fait de s'en
rapporter à Montaigne qu'à Meunier de Querlon, car c'est ce
dernier qui a inventé un d'Elbène ambassadeur, tandis que
Montaigne dit très exactement M. d'AoEiN. Il s'agit en effet de
Louis Chasteignier de La Roche Posay, seigneur d'Abain ou d'A-
bin, comme disent les rois Charles IX, Henri IIÎ, Henri IV, etc.,
qui lui donnent toujours ce seul nom, ainsi qu'on peut le voir
dans les nombreuses lettres que contient l'ouvrage d'André
Duchosne. Cette grande maison étoit alliée aux maisons de
France, d'Espagne et d'Angleterre (1).
Ludovicus Casfaneus Abennius, vir nohilitate^ eruditione,
fordtudine et morum prohitate insignis, dit de Thou.
M. d'Abein fut chevalier de l'ordre, membre du conseil
privé, capitaine de cinquante hommes d'armes, maître d'hôtel
ordinaire du Roi et gentilhomme de la chambre. Il accompagna
le duc d'Anjou en Pologne, et, à son retour, Henri III l'envoya,
en 1576, à Rome pour faire l'obédience au pape Grégoire XIII,
et il resta comme ambassadeur jusqu'en 1581. Il étoit père du
célèbre évéque de Poitiers, qui naquit à Tivoli pendant cette
ambassade, en 1577. Montaigne dit qu'il le connaissoit de
(1) L'erreur a d'autant plus d'importance qu'un Delbene est effectiTement
intervenu en Italie pour Tes affaires de France. Alexandre^ sans caractère
officiel, contribua acti.emcnt, en 1589, à réconcilier Henri IV avec le Saint-
Siëge; c'est lui qui apporta au roi son absolution, en 1596.
67& BULLETIN DU BIBUOPUILE.
langue main; nous voyons^ en effet, Charles de Gamaches,
cousin de Tévéque, épouser Éléonore de Monlaigne, veuve de
François de la Tour cCIvier.
Je ne sais si cette erreur de fait a été déjà signalée à M. Grûn,
mais elle n'a pas échappé à Térudit M. Lapeyre.
M. Grûn établit, par le témoignage de de Thou et celui de
M"* de Gournay, que Montaigne étoit à Paris en 1588 : il existe
aujourd'hui un témoignage bien autrement authentique dans le
curieux récit fait par Montaigne lui-même de son emprisonnement
à la Bastille, inscrit dans les Éphémérides, par conséquent nous
n'en sommes plus à chercher les preuves ; mais, à cette occa-
sion, M. Grûn parle d'une lettre autographe de Montaigne que
je possède et qui est, sans aucun doute, de celte année, et, à ce
sujet, il trace ces incroyables lignes! « Son interprétation
)) A DONNÉ LIEU A TROP DE DISCUSSIONS ct permet trop de doutes
» pour qu'il soit prudent d'invoquer ce document. » Où M. Grûn
a-t-il vu, je ne dis pas trop de discussions^ mais Votnbre d'une
discussion, sur l'interprétation historique de cette pièce? Au
contraire, chose remarquable ! lors de la contestation sur Tau-
thenticitéy on se basa uniquement sur la présence du mot
PASSEPORT, qu'on disoit ne pas exister alors (il se trouve sept
fois dans l'ordonnance d'institution des postes, 120 ans aupara-
vant), pour établir que c'étoit une pièce apocryphe, mais per-
sonne, peu ou prouy de près ou de loin, n'a attaqué le contexte
de la lettre ; on ne s'en est pas occupé. En la publiant, j'ai
hasardé quelques explications sur les faits et les personnages
auxquels elle fait allusion, et pas plus alors qu'antérieurement
le texte de cette lettre n'a été mis en doute. En quelques mains
qu'ultérieurement celle pièce se trouve, elle donne des rensei-
gnements importants qu'on ne rencontre pas ailleurs, et je ne
vois pas dans quel intérêt M. Grûn, sans aucune autorité, veut
la frapper d'interdiction.
La possession n'exerce sur moi aucune influence, car, Itorsquc
j'ai acquis cette lettre^ j'avois de grands doutes sur son authen-
ticité, non comme émanation de Montaigne, elle me paraissoit
BULLFTIN DU BIBLIOPHILE. 575
inattaquable, mais comme autographe. Quelques soupçons,
démentis depuis , me faisoient croire que ce pouvoit être un
calque, et, lorsque je Tai publiée, je n'avois pu revoir l'ori-
ginal, et je ne Tai jugée que sur le fac-similé, compromis,
de M"* Delpech.
M. Lapeyre, qui s*est beaucoup occupé de cette lettre et qui
regarde comme incontestable la date de 1588, ajoutée dans le
temps, l'a étudiée au point de vue historique, et sa conviction
est inébranlable. Les deux frères morts sont évidemment Anne
et Claude de Joyeuse, tués à Goutras. Les corps sont à Mon-
trésor ; c'est là qu'ils ont été inhumés, et le grand-père étoit
seigneur de cette petite ville ; les dames éplorées sont : la mère,
Marie de Batarnay et la femme d'Anne, Marguerite de Lorraine;
le comte de Thorigny étoit parent de Joyeuse, c'est pour
cela qu'il va consoler ces dames. Montaigne dit au maréchal de
Matignon : Vous avez su.... parce que Thorigny, son fils, lui
avoit écrit, etc., etc. Il est donc très important de maintenir
l'intégrité de cette lettre précieuse par ses renseignements et
jugée d'une authenticité incontestable par les hommes les plus
compétents.
Je m'arrête, et si j'ai été long, la faute en est à Montaigne et
à M. Grûn : on s'atarde aisément en aussi bonne compagnie.
Pour terminer, je résumerai, en les classant, les renseigne-
ments les plus importants insérés dans cet article, soit qu'ils se
rapportent à des lacunes ou à des erreurs.
Ce travail donc remet au jour ce qu'on a écrit sur l'origine
et l'étymologie du nom d'Eyquem.
Il prouve qu'au xv* siècle les Eyquem étoient marchands.
n fixe l'époque vers laquelle la terre de Montaigne est
entrée dans la famille et par conséquent celle de l'anoblisse-
ment
Il établit que Pierre Montaigne n'étoit pas étranger aux
lettres.
Il donne la première liste exacte, je le crois au moins, des
enfants de Pierre Eyquem.
Ô70 BdXETIN DU BIBUOPUILE.
Il réfuie M. Grun dans ses erreurs d'appréciation sur le ca-
ractère de Montaigne.
Il présente à diverses époques l'importance de la terre de
Montaigne.
Il complète ce qui a rapport au patronage de Lahontan.
Il fait connoître un fait généralement ignoré, le droit de litre y
sur Téglise des Feuillants de Bordeaux.
Il répare Tomission faite par M. Grûn au sujet de la bour-
geoisie de Libourne, possédée par Montaigne.
Il fait connoitrc une traduction manuscrite des lettres de
bourgeoisie romaine.
11 rappelle le fait, révélé par les Éphémérides, que Montaigne
a été gentilhomme de la chambre du roi de Navarre.
Il fait connoitre que Mattecoulon a été gentilhomme de la
chambre du roi de France.
11 discute le reproche adressé à Montaigne d'avoir manqué à
son devoir à la fin de sa mairie.
Il constate la présence de Montaigne au parlement de Paris,
avec voix délibéralive.
II rectifie l'erreur d*un d'Elbène, ambassadeur à Rome, en
1580.
Il rétablit la vérité sur la lettre autrefois possédée* par
M"*' de Castellane.
■ Il explique et justifie le passage des Essais dans lequel Mon-
taigne dit qu'il a reçu la majesté royale en sa pompe.
Il fait connoître le nom du village où Montaigne a passé ses
premières années.
fl Ç\xe invariablement le nom jusqu'ici ignoré du Montaigne,
qui a été secrétaire de Catherine de Médicis, lequel n'est ni
Michel, comme on l'avait cru, ni Jacques, comme l'a pensé
M. Grûn.
Un dernier mot : M. Griln n'est pas de l'avis du poète Calli-
maque (1); il a voulu faire un gros livre, mais il n'y est par-
fis tô «isya PipXiov Iffov tw \u'xéX<a yjxyjûy»
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 577
venu qu'en accumulant des extraits, des citations, dans une pro-
portion telle, que Touvrage est devenu Thistoire du temps et du
pays de Montaigne, plus que celle de Montaigne lui-môme.
Quelques pages neuves et substantielles, un très petit nombre
de pièces nouvelles, mais Tune d'elles intéressante au premier
chef, des aperçus nouveaux, parmi lesquels compte l'attribution
des avis à Henri III, si elle se confirme, au lieu de Charles IX,
BIEN QUE CELA NE TOUCHE PLUS dorénavant LA VIE DE MONTAIGNE,
et le résumé chronologique, montrent ce que M. Grûn auroit
pu faire, s'il avoit su s'arrêter à ce qu'il éloit possible de bien
faire ; mais après avoir rassemblé de nombreux matériaux en
étudiant les Essais avec une rare sagacité, en fouillant a\ec une
ingénieuse persévérance l'histoire générale et l'histoire locale,
M. Grûn a laissé subsister dans son livre trop de traces de son
travail; il a imité un architecte qui, après avoir terminé un
édifice, laisseroit debout l'échafaudage qui auroit servi à le
construire. On peut dire même qu'il a négligé le principal pour
l'accessoire, et, chose étrange! c'est par cette portion surabon-
dante de son livre que l'ouvrage vivra, si, comme je le crois
fermement, il a de l'avenir. Les erreurs, les lacunes regretta-
bles qui le déparent feront bientôt reconnoitre que les faits
biographiques, les jugements qu'il contient ne peuvent être
acceptés qu'avec réserve et après vérification ; mais un lecteur
sérieux qui voudra lire avec finit, approfondir, comprendre
Montaigne, trouvera dans l'ouvrage de M. Grûn un ensemble
de renseignements qu'il chercheroit |)éniblement aux sources :
c'est une introduction, une préparation utile à la lecture des
Essais; je ne sais si c'est là le genre de succès qu'a ambitionné
M. Grûn, mais je me trompe fort ou c'est celui qu'il obtiendra.
Mais les devanciers de M. Grûn ont le droit de se plaindre
qu'il ne leur a pas suffisamment rendu justice (1). Il n'a pas
(1 } Jo ne sais môme pas si M. Grûn est Juste pour ses collaborateurs; il
dit, au sujet de la protestation faite contre la réélection de Montaigne •
« ScH MBS IIIDIC4TION8, Vavi$ du Cofueil (FÉtat et U$ Letlres patenle» du
t roi ont été trouvé* aux Archive* de la ville de Bordeaux, » Jusqu'ici
y
578 BtU.EilN DU BIBLIOPHILE.
apprécié ce qu'on savoit ou plutôt ce qu'on ne savoit pas sur
Montaigne , il y a seulement vingt ans, alors qu'on ignorait
comment étoit figurée sa signature, alors qu'Aimé Martin^
l'homme spécial, refusoit un volume, parce qu'il portoit au
frontispice Motaigne, alors qu'on payoit les exemplaires des
Essais autant de francs qu'aujourd'hui on les paye de fois 100 fr.
Il a fallu les efforts réunis et divers de MM. Villemain, Biot,
Jay, Victorin Fabre» Leclerc, Droz, Dutens, Mazure, Bourdic-
Viot, Naigeon, Guizot, du Roure, Vincens, Johanneau, Labbu-
derie, Amaury Duval, Gence, et, dans un autre ordre d'idées,
les recherches de MM. Buchon, Macé, Jubinal, Vieil- Gastel,
d'Etcheverry, Jouannet, Delpit, Lapeyre, Brunet, Lamothe, etc.,
pour arriver k rassembler une somme de matériaux» non pas
suffisante pour construire la biographie, encore impossible, de
Montaigne, mais pour comprendre la nécessité de nouvelles
recherches et apprécier les résultats qu'elles dévoient produire.
Dans ces conditions, les hommes les plus scrupuleux ont dû se
tromper souvent, et M. Grùn s'est trop complu à faire l'histoire
de leurs erreurs. Séduit par des richesses apparentes, M. Grûn
a cru que le moment étoit venu de les mettre en œuvre;
son livre prouve qu'il s'est trompé. Alors qu'il le publioit, les
Éphémérides de Montaigne venoient en montrer les erreurs et
les lacunes : M. d'Etcheverry trouvoit des lettres nouvelles et le
complément d'une remontrance, que publioit M. Dosquct;
plus tard, M. Delpit publioit une nouvelle remontrance bien
plus considérable que la première; le regrettable M. Parison
dotoit le monde littéraire, et on peut dire Montaigne lui-même,
d'une admirable page ; M. Tross nous rapportoit d'Allemagne
un volume qui constate l'intimité de Montaigne avec Loisel. Le
moment n'étoit donc pas venu d'entreprendre une œuvre frappée
de caducité avant que de nattre.
Pour mon compte, je puis dire que la dernière année m'a
j'avois cru qiren beaucoup de choses, mais surtout quand il s*agit des
Archives qui lui sont confiées, c*étoit M. d'Etcheverry qui donnoit let indi-
catioM.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 579
plus appris de choses nouvelles que les dix qui Tavoient précédée,
et, en outre des renseignements historiques que je dois surtout
à M. Lapeyre, des notes généalogiques à M. de Gazenave, des
renseignements bibliographiques et philologiques à M. Brunet,
des pièces officielles, des actes notariés dont je dois plus de 50
copies ou analyses à Tinfatigable M. Delpit, je sais encore plu^
sieurs centaines de pièces dont le dépouillement est à faire ; en
ce moment même M. le vicomte de Gourgues annonce la publi-
cation de plusieurs de ces actes. Quel écrivain pourroit se dé-
cider k entreprendre une biographie sans profiter de pareils
matériaux ? G'est donc en connoissance de cause et non par la
négligence dont les accuse M. Grûn, que les admirateurs de
Montaigne n*ont encore rien entrepris de définitif.
La voie que M. Grûn vient de parcourir, d'une manière plus
brillante qu'il ne semble le croire, avoit été ouverte avant lui
par Buchon, MM. Macé^Jubinal, d'Etcheverry, Vieil-Gastel, etc.,
qui avoient senti le vide de cette partie de la vie de Montaigne^
par Jay, qui publioit les Avis, les croyant Fœuvre du phi-
losophe, par Victorin Fabre, à qui le rapporteur du concours
de 1812 reprochoit d'avoir t déparé les beautés du premier
€ ardre répandues dans son ouvrage. ... en donnant à la vie pu-
a blique de Montaigne plus d'importance que l'histoire ne
« V autorisait à y en attacher. » La part de M. Grûn est assez
belle pour qu'il ne s'attribue pas le mérite de l'initiative qui ne
lui appartient pas ; ce qu'il appelle la vie publique de Montaigne
avoit été ébauché avant lui, et la biographie de l'auteur des
Essais reste ^ faire encore après M. Grûn.
D'. J.-F. PAYEN.
Janvier 1856.
580 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
CORRESPONDANCE RÉTROSPECTIVE
LETTRE DE CHARDON DE LA ROCUETTE
A M. Barbier, Bibliothécaire dd Conseil d'État.
30 Messidor an xi (19 Juillet 1803} (1).
Je compte , mon ancien el cher confrère , partir vers la (in
de la semaine. Vous savez qu'une fièvre opiniâtre , qui m'a
tourmenté sans relâche depuis mon retour, m'a empêché de
suivre ma mission pour laquelle vous connoissez mon zèle.
Heureusement je suis débarrassé , depuis environ un mois, de
celte maudite fièvre, et après avoir repris haleine, je retourne
à mon poste, et vous prie de croire que je réparerai le temps
perdu , et certes perdu malgré moi.
Vous me connaissez actif et impatient, lorsque je ne puis
travailler. Je vais d'abord à Troyes, afin de laisser raffermir
ma santé avant de descendre dans le Midi et de monter ensuite
dans le Piémont. Je trouverai à Troyes les manuscrits du pré-
sident Bouhier, que je demanderai au Ministre de faire enlever
en masse, en lui demandant en même temps la permission
d'emporter avec moi ceux qui sont relatifs à V Anthologie^ et
ceux qui peuvent améliorer la nouvelle édition des Œuvres de
La Monnoye, que je me propose de publier, et qui est prête
depuis longtemps, comme vous savez. Vous avez vu que dans
l'exemplaire in-^<> de l'édition de Dijon, qui a passé par vos
mains, il y a au moins cinquante fautes, l'une portant l'autre ,
(1) Cette lettre nous a été communiquée par M. Louis Barbier, conaer*
vaieur-administrateur de la BibUothèque du Louvre.
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 581
dans chaque page. Vous trouverez dans un article que j*ai
envoyé au Magasin Encyclopédique, et qui paroftra par les
soins de notre ami Parison lorsqu'il plaira à Tami Millin de le
faire insérer, deux bonnes àneries de cette édition de Dijon.
Rétablissez , je vous prie , le titre d'une imitation de Martial :
Crispulus iste quis est, au lieu de Crispes lusiîe ?
Dès que le Ministre de Tlntérieur sera de retour, et que je
serai à mon poste, je lui écrirai pour le prier de faire lever la
suspension de mon traitement , et de me faire payer l'arriéré ;
il ne voudra pas traiter son compatriote, né à trois lieues de
distance de sa maison paternelle , sicut ethnicum et puhlica-
Hum,
Faites, je vous prie, mes remercîments sincères au citoyen
Jacquemont de l'intérêt qu'il continue de prendre à moi. Notre
ancien confrère Le Blond et vous, vous connoissez Testime
que j'ai toujours faite de lui.
Quant au propos qu'on m'attribue sur le citoyen Arnaull ,
il est si béte et si peu vraisemblable , que je ne sais pas com-
ment un homme d'esprit comme lui a pu y croire un seul mo-
ment. Je n'ai jamais offensé personne, ni dans mes lettres, ni
dans mes écrits. Lorsque je me suis permis quelque critique
raisonnable, j'ai toujours eu pour les auteurs les égards que les
gens de lettres se doivent, et ils m'ont tous remercié. Lié avec
les principaux savants de l'Europe qui cultivent le même genre
d'étude , je suis honorablement cité dans leurs écrits. Quand
un rival dit , en parlant d'une édition grecque de l'Anthologie :
Eo ipso tempore quo prolegomena nostra prodibant, primus
docuit vir doctissimus Chardon de La Rochette, qui cum vastà
rariorum librorum et universiB litterarum historiœ exquisitâ
tognitionc eximiam grcecœ eruditionis conjungit scientiam
(Jacobs, Comm. in Ànthol. gr., vol. 2, pars 2*; prtef. pag. 111,
1800), quand un rival, dis-je, s'exprime ainsi, après le compte
que j'avois rendu de l'un de ses ouvrages , et qui étoit sévère
^nsétre ni amer ni offensant, comment me serois-je permis un
propos, tel que celui qu'on me prête, sur un homme que je
582 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
n'ai jamais counu , mais recommandé depuis longtemps à Tes-
time publique par son talent poétique, et par Famitié du Pre-
mier Consul.
Salut et longue amitié ,
Chardon de La Rochette (1).
VARIÉTÉS BIBLIOGRAPHIQUFS
*
Nous avons déjà annoncé, dans le Bulletin, qu'une nouvelle
société de Bibliophiles, composée d'Anglois et-de François, s*é-
toit constituée à Londres sous le titre de Philobiblon ; nous avons
même cité quelques noms. Nous parlerons aujourd'hui d'un ou-
vrage écrit par l'un des membres de cette société, et récemment
imprimé en Angleterre. Peu d'amateurs posséderont ce livre,
qui n'a été tiré qu'à cinquante exemplaires ; il est donc urgent
que nous en rendions compte à nos lecteurs, avant qu'il ne soit
devenu aussi rare que les opuscules qu'il reproduit. En voici le
titre ; De la littérature macaronique , et de quelques raretés 6i-
bliographiques de ce genre, par Octave Delepierre. L'auteur
n'en est point à son coup d'essai ; on connoit ses Mélanges de
littérature macaronique. 1852, 1 vol. in-8. Nous savions
donc, par avance, que cette nouvelle dissertation contiendroit
de curieux aperçus sur ce genre de poésie ; mais nous ne nous
attendions pas à y trouver le texte des macaronées les plus rares.
C'est une bonne fortune pour les élus qui prendront part à la
distribution du très petit nombre d'exemplaires livrés au com-
merce.
M. Delepierre a fait ainsi réimprimer le Prosteidos, et une
Ode sur le professeur Monro, macaronées à base angloise ; la
(1) On trouve plusieurs autres lettres de Chardon de La Rochette à
M. Barbier, dans le Bulletin du Bibliophile, m* série, page 617 et vu* série,
page 31.
BULLETIN OU BIBUOPHILE. 583
Maeharmea, de Tisi Odassi, à base italienne; la Cagasanya
Reistrosuyssolansqnettorum, à base françoise. a En offrant éga-
a lement ce poème aux membres de la société des Philobiblon,
« nous croyons avoir remis en lumière quatre des plus grandes
a raretés bibliographiques du genre. » L*auteur signale ensuite,
comme étant fort peu connus, deux poèmes macaroniques à base
angloise, Tun Sur les chemins de fer, et l'autre Sur la mort du
grand serpent de mer. 11 regrette de n'avoir pu découvrir un
seul exemplaire du Carmen Arenaïcum, de Du Monin, et de
VHistoria bravissima, de J. Germain; il auroit désiré en publier
quelques passages. M. Delepierre reproduit encore le texte com-
plet du poème de Frey, intitulé : Recitus veritahilis super terri-
hili esmeuta paysanorum de Ruellio, Cette pièce, considérée
comme Tune des meilleures macaronées, est tellement rare que
FoD n'a pu en citer, jusqu'à ce jour; que des vers détachés.
Enfin, dans les Addenda, on trouve la Macaronùe inédite, pu-
bliée par M. Desbarreaux-Bernard, et un passsage de VUnio,
seu lamentatio Hibernica, sanglante critique contre le ministre
Pitl, avec une Ode satirique sur le poète Peter Pindar.
11 étoit difficile de réunir, en quarante feuillets, un plus grand
nombre de raretés.
A p. B.
NOUVELLES.
Le 18 février, on a commencé la vente de la bibliothèque
de H. Duplessis, et le 25, celle de la bibliothèque de M. Pari-
son. Dans un prochain numéro du Bulletin, nous parlerons de
ces deux catalogues, qui renferment quelques indications biblio-
graphiques, aussi curieuses qu'intéressantes. Nous nous borne-
rons aujourd'hui à signaler la notice biographique de M. Pa-
rison, écrite par M. Charles Brunet, l'auteur du Mcaïuel du
Libraire.
58& BITLLETIN DU BIBLIOPIIILB.
•— M. Paul Lacroix (Bibliophile Jacob) a été nommé à la
Bibliothèque de l'Arsenal.
— M. Prosper Blanchemain , bibliothécaire adjoint au mi-
nistère de Fintérieur, vient d*étre nommé membre deh Société
des Bibliophiles françois,
— Le 23 février, on a vendu à Londres une collection de
pièces autographes, parmi lesquelles on remarquait douze pages
in-folio écrites par Torquato Tasso ; une charte originale de
Guillaume le Conquérant, avec le sceau parfaitement conservé;
des notes autographes de J. Milton, écrites sur les marges d*un
manuscrit des Pastorales de Browne, des instructions auto-
graphes de Fénelon, adressées à Tabbé de Ghanterac à Rome,
pour servir à sa défense contre les accusations de Bossuet ;
quelques lettres intéressantes du général Wolfe ; une lettre
autographe du poète Gowper; une lettre officielle sur Taccident
dont Olivier Gromwell faillit être victime, en conduisant lui-
même sa voiture, etc....
— On a vendu également à Londres, le 26 février et les
quatre jours suivants, une collection de livres fort remarquables,
tant par le choix des éditions que par la beautc"^ des exemplaires
et la richesse des reliures, exécutées par Derome, Thouvenin,
Roger Payne, Wallher, Lewis, Glarke et autres artistes émi-
nenls. Nous citerons seulement les ouvrages suivants : les œu-
vres d'Homère, édit. Foulis, grand pap., gravures de llollar,
Lombart , etc. , h vol., mar. rouge, tr. dor. ; — les œuvres de
Platon, édit. par J. Serrani, 3 vol., grand pap., mar. rouge,
tr. dor. (R. Payne); — Xénophon , édit. par A Leunclavius,
2 vol., grand pap., mar. rouge (R. Payne); — Apulée, avec
les rares gravures de Marc Antonio; — les œuvres de Gicéron,
édit. par J. d'Olivel, 9 vol., mar. rouge; — Histoire naturelle
d'Edward, avec les suites, 7 vol., pi. coloriées; - Lexicon de
Facciolati, 2 vol.; — Dictionnaire de Johnson, par Todd,
Ix vol. ; — les Oiseaux de la Grande-Bretagne, par Latham, 9 vol. ,
pi. color. par Miss Stone, mar. vert, doublé de soie, tr. dor.
(Walther); — portraits de Lodges, 12 vol. , grand pap. ; — Métas*-
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 585
(y 12 vol., grand pap., vieux cuir de Russie doré; — His-
toire d'Angleterre, de Rapin, 15 vol., grand pap., mar. citron,
tr. dor. (Derome) ; — les Oiseaux de la Grande-Bretagne et fables,
par Bewick , 3 vol , grand pap. ; — le Magazin de Blackwood,
complet depuis l'origine ; — les Conteurs anglais, avec les suites,
62 vol. ; — les œuvres de Dryden , avec sa vie, par W. Scott ,
18 vol.; — Hérodote, avec les notes de J. Schweigbœuser,
7 vol., grand pap., mar. bleu (Lewis); — l'Iliade d'Homère,
édit. par C. G. Heyne, 8 vol., pap. de Hollande, cuir de Russie,
tr. dor. ; — œuvres de Johnson, parGiiïord, 9vol. ; — les Poètes
anglais, avec leurs vies, par A. Ghalmers, 21 vol., mar. bleu;
— les œuvres de Pope, 19 vol., grand pap., mar. vert; — les
œuvres de Pope, avec sa vie, par W. Roscoe, 10 vol., cuir de
Russie, tr. dor.; — œuvres de Racine, 7 vol., magnifique édi-
tion, avec les cartons, veau doré; •— Waller Scott, 48 vol.,
mar. vert; théâtre de Shakspeare, 21 vol., mar. rouge, tr.
dor. (Walther) ; — les œuvres de Spenser, par Todd, 8 vol. ; —
Voltaire, œuvres complètes, par Beaumarchais, 70 vol. , grand
papier, tr. dor., etc....
— Le 17 mars prochain et jours suivants, aura lieu, à Paris,
la vente des livres composant la bibliothèque de M. J. L. H...k,
de Lille. On lit dans la préface du Catalogue : a Ce n'est pas
ici une de ces collections grandioses et riches comme celles qui
ont passé sous nos yeux depuis quelques années. Point de ro-
mans de chevalerie, quelques incunables, quelques heures go-
thiques , un petit nombre de livres imprimés sur vélin ; mais,
en revanche, une assez grande quantité de livres curieux, d'une
condition irréprochable, tant intérieure qu'extérieure, et tous,
autant que possible, dans leur reliure primitive. 11 se trouve
néanmoins dans cette collection un grand nombre de volumes
riches sous le rapport de leur reliure ancienne, et sans nous
arrêter aux maroquins, nous pourrions en citer qui, couverts
du simple veau fauve, sont bien dignes de l'estime des connais-
seurs. x> Cette citation suffira pour donner aux amateurs une
idée exacte de l'ensemble de la collection qui sera bientôt sou-
586 BULLETIN on BIBUOPHILE.
mise aux enchères. Nous ajouterons que le Catalogue forme an
volume de 340 pages, et contient 2,{|89 articles. La table des
divisions est suivie des fac-similé de quatre reliures fort curieuses
aux chiffres de François I", d'un membre de la famille royale
au temps de Charles IX , de Sully, de Louis XIII et d* Anne
d'Autriche. Nous croyons être agréables à nos lecteurs, en
ajoutant à cette livraison du Bulletin les fac-similé que nous
venons de citer.
Les volumes aux armes sont nombreux dans la bibliothèque
de M. H***. Nous indiquerons seulement les armes de Henri III,
de Louis XIV, de Philippe V, de madame de Maintenon, de
madame du Barry, de Gaston d'Orléans, du comte de Toulouse,
d'Henriette d'Angleterre, de Condé, du prince Eugène» de
Mazarin, Richelieu, Colbert, Fouquet, le cardinal de Fleury,
de Thou, Huet, Bossuet, Samuel Bernard, Mirabeau , etc.
Plusieurs articles de ce Catalogue proviennent des célèbres
bibliothèques de Grolier, de Girardot de Préfond, du comte
d'Hoym, du duc de La Vallière, de la comtesse de Verrue, de
Ch. Nodier et de la Malmaison.
Parmi les livres imprimés sur vélin, on remarque les Mùr-
ceaux choisis de Massillon , les œuvres de Demoustier, les
poésies de Clotilde de Surville, le Temple de Gnide^ les Cou--
tûmes de la ville d' Ypres, le Sicge de Metz, thc Vicar of Wake-
field^ etc.
Nous pourrions encore signaler des manuscrits sur vélin ornés
de miniatures, des autographes de Chifilet, de Babœuf , du ma-
réchal Ney, des dessins originaux de Guérin, de Moreau, d'Hu-
bert, de Queverdo, do Saint-Aubin, de Fragonard; mais nous
croyons en avoir dit assez pour exciter la curiosité des ama-
teurs, et certes ils trouveront dans cette vente un grand nombre
d'articles dont la possession leur sera vivement disputée.
/
ë
/
BULLETIN DU BIBLIOPHILE
■T
CATALOGUE DE UVRES RARES ET CURIEUX DE LITTÉRATURE,
D*HIST01RE, ETCf QUI SE TROUVENl EN VENTE
A LA UBRAIRIE DE I. TEGHENBR,
PLAGE DU LOUVRE, 20
JANVIER ET FÉVRIER. — 1866.
298. Almanach perpétuel d'amour, selon les observatioos
astronomiques de Cupidon, diligeamment supputé et
réduit au méridien du cœur, par JoUy Passionné.... A
rislt t Adonis^ par Fidelle Soupirant^ àlaruèdes Belles,
àl'er^eigne de Vénus. (floU.), 1681, pet. in-12, réglé,
mar. vert, fil. non rogné. (Traut%'Bauxonnet.) 75 — »
Rare en cette condition. Sdpbabs b&bmplairb ; reliure à la roue.
209. Antechristus, pet in-Â de 22 feuill., goth., fig. en
bois » -»
M. Brunet {Manuel, tom. iv, p. 538) décrit ainsi cette pièce rarissime :
K Turjrismma (de! coneeptione, naiiintate et aliis pnesagiis diabolim
• ilUuê pemmi Aomtntf Antichriiti. (Paris, Michel Le Noir, absque anno),
« pet. in-4*, goth. à 3 col. Sign. a— e.
« Ce volume renferme des gravures en bois qui remplissent toute la
• page, et sont accompagnées d'explications en vers françois. Au ver$o du
• 4* et dem. f. du cab. e se voit la marque gravée de Mich. Le Noir,
« imprimeur de Paris, de 1407 à 1520.
Cette description est exacte ; mais Je dois faire observer que le titre De
îurpimma concepiùme, etc., est celui du chapitre qui se trouve au 3* feuillet,
ft non de Touvrage entier ; et nou?» i^outerons k la description de ce livret,
588 BULLETIN DU BIBLIOPHILE,
presque introuvable, qu'il se compose de 3S feuiUetB, dont 6 pour \t cahier
A et & ^ûr chacun des cahiers B, C, D et E.
Les vers fraoçois qui se trouvent dans cet opuscule le font placer par
M' Brunet au N* 13,613 de !a table de son Manuel^ parmi les poètes pos-
térieurs à Villon et antérieurs à Marot ; on peut également le catalo-
guer parmi les livres à figures du Nouv. Testament, immédiatement après
le No 387.
La marque de Mich. Le Noir, placée au verso du dernier feuillet, est re-
produite à la pag. 413 du 2* vol. du même Manuel.
Eusèbe Castaigne, Biblioth. d'Ange.
Pour compléter cette description, nous dirons que chaque feuillet, à
l'exception du premier et du dernier, renferme une gravure sur le verso
et Texplication sur le recto ; celles, imprimée à 2 colonnes, est en
prose latine, et suivie d'un résumé en huit vers françois. La figure
de TAntechrist est placée sur le recto et sur le verso du premier
feuillet, et répétée sur le verso du 2* feuillet, avec cette inscription : Imag.
figura, seu répreunlatio Antichrisli : pessimi. Apocu XIII Cp, Le recto du
dernier feuillet est entièrement rempli par une petite pièce en prose fran-
çoise, dont voici le titre : Sensuyuenl les quinze signes precedens le Umr du
grant iugement de dieu nostre créateur. Enfin, sur le tferso on trouve la
marque de Michel Le Noir.
300. Antibalbiga vel (si mauis) Recriminatio tardiuia-
na. {Recognitum est hoc optis per erudiiissimum virum Pc-
trum Botilerium. Impressum summa eum diligentia cAa-
ractertims parisiaeis^ impensis Antanii CaijfUaut. Anno a
natali Christi 1A95, die 21 julii), 1 vol. in-&, gotli., mar.
rouge, fil., tr. dor 90 — »
Guillaume Tardif, né vers 1640, au Puy en Velay, professa les bdles-
leitres et l'éloquence au collège de Navarre, pendant plus de vingt ans.
Charles VIII, qui l'honoroit d'une afTection particulière, le nomma son lec-
eur ordinaire. Les succès de Tardif et sa vanité lui suscitèrent quelques
nimitiés. Jérôme Baibi, professeur d'humanités dans l'Université de Paris,
depuis le 5 septembre 1689, après avoir écrit l'éloge de Tardif en prose et
en vers, devint l'ennemi de ce célèbre rhéteur. Ses premières invectives
n'eurent pour lui qu'un résultat humiliant. D fut obligé de se rétracter, de
faire des excuses, de Jurer qu'il n'écriroit plus contre son collègue, et d*en
prendre l'engagement par acte notarié. BaIbi viola bientôt ces promesses
solennelles, et composa une satire violente, intitulée Rhetor glortosus.
Tardif ne vouloit pas lui répondre. Mais son adversaire commit l'impru-
dence de se brouiller avec d'autres savants, et spécialement avec Faustus
Andrelinus. Celui-ci excita Tardif à se défendre, et fit exercer une active
surveillance sur la conduite privée du professeur italien. Ses mœurs furent
promptement décriées ; on découvrit même qu'il se rendoit coupable de
BULLETIN DU BIBUOPBILE. 689
crimm dignes du feu. Effrayé des dangers qui le menaçoieol, Balbi quitta
Paris en toute hAte, et se réfugia en Angleterre. VAntibalbka est la ré-
ponse de Tardif au Rhetor yloriotui. Cette satire personnelle est fort inté-
rewsnte par les erreurs grammaticales et le mauvais emploi de certains
mots que Tauteur rclèYe dans les ouvrages de Ealbi.
L'éditeur a fait suivre VAntibalbica de deux pièces sur le même sujet.
L'une, en prose et en vers latins, a pour titre : Balbo ab urbe parisea fiu
gienti Publius Faïutm Andreliniu foroliuiensis poeta. L'autre est une lettre
adressée par un élève de G. Tardif à J. Trithème, abbé de Spanheim,
pour lui reprocher les éloges qu'il avoit prodigués à J. Balbi.
Nous ferons observer que du Boulay a écrit mal à propos, dans son Hip-
têirt ie rUnivenité de Paru, que J. Balbi s'enfuit de Paris en l&Od, puis-
que l'opuscule de F. Andrelinus De fuya BaUn ex urbe parina fut imprimé
es 1404, et qu'il est reproduit dans VAntibalbica^ imprimé en 1405.
Ce livre est d'une grande rareté : les bibliographes qui l'ont cité en ont
donné le titre d'une manière inexate. Ce n'est cependant que la seconde
édition de cet ouvrage. En voici la preuve : on lit dans le Dictionnaire
kmtorique de Prosper Marchand, t. ii, p. 267 : • Dans la Bibliotheca ielectii-
« 9ima^ Amttelodami apud P. Mortier, mense novembri 47 k3 , diêirahenda,
« on trouve ce titre bien plus long, et assez différent, en ces termes :
« Ànti-Balbica^ S. Anti-Accelina, S, Guillermi fardmi, Aniciemis, in
• Bëibum, imo AceeUnum,defen9io Anti-Balbica in Gerronnifmum Barbarum ,
« famotum doctorem bonorum Tardini Aniciensi$ detractorem^responiio,
• où il semble que le titre soit double et répété, et les mots de Gerrony^
« nm$ et de Barbana corrompus à dessein. A cela on ajoute que cette
« mmeienne éditi9n parOlt 6tre de 1400. Y en auroit-il eu deux éditions,
« ruoe datée et l'autre sanft date ? Quoi qu'il en soit, cet Anti est inconnu
• à M. Baillet. »
81 P. Marchand avoit eu sous les yeux l'édition de 1405, il auroit résolu
la question affirmativement. En effet, dans la dédicace, l'éditeur Petrut
BotiUrius dit qu'il a lu avec plaimr la Recriimnatio tardiviana, mais qu'il
m été wrpris de trouver dam ce Uirre un si grand nombre de fautes gros-
sières, qui sont le résultat de la néghgeiue, eu plutôt de l'ignorance de
Cimprimeur. Cest pourquoi il a voulu les corriger dans une nouvelle édi-
tion, afin que cet ouvrage, où brilleni Vesprit et la science de l'auteur, puisse
être utile aux jeunes gens qui fréquen'mt les écoles, 11 est donc certain
qu'il y a eu une édition de VAntibaibica antérieure à celle de 1405 ; mais
nous ne pouvons lui conserver la date de 1400. Elle a dû être publiée
vers 1403.
Quant au titre, qui, selon P. Marchand, sewMe double et répété, nous le
considérons comme triplé. Dans l'édition de 1405, la r* partie, Antibal-
Mca, parott seule sur le titre avec l'addition Vel (si mauis) reerimitutiio Tar-
imittna; la 3* partie, Guillermi Tardini.... <fe/eiuto, est sur le premier
teiOet; la 3* partie, Antibalbica in ,.. responsio^ se trouve au verso du
10* feuillet L'altération des mots Tardini, Gerronymum, Barbarum doit
toe attribuée à la négligence de l'imprimeur.
590 BULLËTil^ DU filBUOPHILE.
301 . AuREA SGOLARiUM pharetra tripartitam syllabarum
luculentissime complectens quantitatem et gnarisiocuD-
da et igoaris ad congruam dictionum promuIgationeiD
quam utilissima. Auguste^ per Joh. Frosebauer^ 1502,
1 vol. pet. in-4 de 48feuill., caract. semi-goth. 86 — »
Cette rare et ancienne prosodie latine avoit été commencée par un moine
de l'abbaye de Saint-Pierre de Saltzbourg, nonmié Rudbert. Un autre
moine de la même abbaye mit en ordre les notes recueillies par Rudbert,
acheva rœuvre et la fit imprimer pour servir à l'instruction des écoliers.
On trouve ces détails dans la dédicace adressée à Dom Virgile, abbé de
Saitzbourg, et dans l'avis au lecteur, qui précèdent le texte de la prosodie.
Le titre est orné d'une gravure sur bois, représentant un moine qui instruit
des enfants. On lit sur une banderolle qui se déroule au milieu de la grar
vure : Accipies tanti doctoris hoc matasancli. Ce dernier mot est peut-
être le nom de l'auteur.
302. Catholicon (le) de la basse Germanie ; satire. Co-
logncy P. Marteau^ 1731, 1 vol. in-8 » — »
Rare. — Le Calholicon contient 18 satires et deux poèmes satiriques.
L'auteur a dédié son œuvre au comte de SinzendorflT, grand-chancelier de
l'Empereur ; mais il n'a point signé la dédicace. Aussi, son nom noua
est-il inconnu. Nous pensons qu'il a gardé l'anonyme, parce que, dans ses
satires, il attaque violeounent certaines classes de la société qu'il étoit
dangereux de critiquer. Les moines, les abbés; les chanoines, les avocats,
les Juges, etc., sont rudement maltraités.
Voici les seuls renseignements que uous ayons pu découvrir sur l'auteur.
Il étoit né dans la Flandre autrichienne, et y résidoit en 1731.
Pour une guerre nouvelle
Chaque été chez leurs voisins
Nos ayeux cherchoient querelle
Et ravageoient leurs confins ;
Mais depuis que protégée
La Flandre fut agrégée
Aux États de deux grands rois.
Nos peuples toujours extrêmes
Ne s'arment contre eux-mêmes
Que pour de nouveaux exploits.
Notre poète étoit un ancien officier, noble et disgracié.
Mais moi, toujours en butte à des désirs nouveaux.
Par quels pénibles soins, par combien de travaux,
N'ai-Je point essayé, dès ma tendre jeunesse.
Au péril de mes Jours, d'enter sur ma noblesse
lies titres, les honneurs (équivoque présent)
BUIXETIN OU BIBLIOPHII^. 5Pl
Dont le Diea des combats nous flatte en Tieillissaot !
G>nteDt de mes emplois, déjà siir le rivage
Je croyois ma fortune à Tabri de Torage,
Victime d*un parti, violent, emporté,
Longs arrérages dus, pension, dignité.
Un seul Jour m'enleva le fruit de mes services.
Il avoit fait campagne.
Au lieu que si parfois, en montant la tranchée,
n falloit qu'à mon corps ma chemise attachée
Attendit pour sécher que le soleil bût Teau
Qui Jusqu'au Jour naissant avoit trempé ma peau.
Je rentrois au quartier, plus défait et plus blême
Qu'un cordelier novice à la fin du carême.
Enlln, il composa ces satires à l'âge de 68 ans.
L'astre du Jour a soixante et huit fois
Renouvelé le printemps dans nos bois.
Depuis que, triste habitant de la terre,
Tantôt comblé des honneurs de la guerre.
Tantôt errant dans le sacré vallon,
Je ne pensois loin de Mars, d'Apollon,
Qu'à profiter, dans un séjour tranquille.
Du peu de jours que la Parque me flle.
Les vers que nous venons de citer nous dispensent de parier du style
et du talent poétique de l'auteur.
8o3. ChroDoLogla saCra eXCerpta eX CLarIs senten-
tlls, soLIs teXtIbVs DIVInl GodICIs.
assignans Varias séries, annVa spatia, obVIas teX-
tVras, annosqVe Inltos saeCVLI DeCIMl nonl.
serVIens DIVersIs oCCasIonIbVs, InsCrIptIonIbVs,
ConClonlbVs , operlbVs Vel pVbLICIs, VeL prlVA-
lis, pro CViVSCVnqVe seV genio, seV Ingenio aC
pLaClto. Augustœ Vindel , 1801, in-12, cart., non
rogné 12 — »
Très rare. — Cette Chronologie iaerée est un des livres les plus singu-
liers qui aient été composés dans le \i\« siècle. On y reconnolt la patience
et la ténacité allemandes. Que de temps il a fallu perdre pour faire subir
ane si bizarre transformation à dix mille versets de l'Écriture Sainte !
Toutefois, le lecteur doit se trouver heureux que les guerres de l'époque
et let fraie d'impression aient contraint l'auteur à resserrer son travail
dans des limites plus restreintes, et à publier seulement ),500 verseu au
Heu des 10,000 qu'il avoit préparés. Chaque année du xii« siècle, inscrite
592 BULLETIN DU B1BU0PHILE.
en petites eapitalesyesx accompagnée de 25 yeraets formant 25 anagrammeft
numériques de Tannée sous laquelle ils sont placés. Le tiire du livre,
divisé en trois paragraphes, fournit encore trois anagrammes nomériquet
de Tannée 1801. A quel usage peut servir ce volume? Quel but s'est
proposé Tauteur? Nous répondrons à ces questions en dtant le der-
nier paragraphe du titre : ServUns divenU oceasionibu», imietiptumUmi^
eondonibusy operibus vel publicis^ vel privatis, pro cîyuseumque seu ge$ùù,
uu ingenio ac placito. C'est-^Miire : Ami lecteur, fais de ce recueil tel usage
qu*il te plaira. Quelques-uns, profitant du droit que leur a concédé Tauteur,
ont cru voir dans cette Chronologie sacrée une série de prophéties. Cette
hypothèse nous sourit. Il ne manque plus qa*un Bareste pour expliquer
le livre. En attendant, nous préférons Nostradamus : les Centuries sont
moins obscures.
30A. Ghytraei iDavidis). Chronicou Saxoniae et vicini or-
bis Arctoi. Pars prima, ab an. Ghr. 1500 usque ad an.
1Ô2A ; cum indice. — Pars secuuda ab an. 152i usque ad
an. 15A9. Praemium metropolis, seu successionis épis-
coporum in ecclesiis Saxoniae et Vandaliœ veteris Cathe-
dralibus vîginti, ab an. Ghr. 1500 usque ad nostram œta-
tem. RostochiU Steph. Myliander. 1590, 1 vol. pet. in-S
d'environ 1,300 pages, vél n —»
David Chytrmus, dont le véritable nom, suivant Crenius, étoit Kochbaff,
naquit dans le Wurtemberg, vers 1524, et mourut à Rostoch, le 25 Juin 1600.
Fils d'un ministre luthérien, il devint le disciple de Melanchton. A T&ge de
vingt ans, il fut nommé professeur d'Écriture Sainte, dans Tacadémie de
Rostoch. 11 conserva cet emploi jusqu'à sa mort. Juste Lipse et plusieurs
autres savants citent Chytreus comme l'un des plus célèbres écrivains de
l'Allemagne. H composa un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels on
doit distinguer le Chronicon Saxoniœ, Ce livre fut imprimé pour la pre-
mière fois à Wittemberg^ 1586, sous le titre de Vandaliœ et Saxonia Al-
berti Kranttii continuatio. Chytrœus avoit gardé l'anonyme ; mais le succès
qu'obtint cette chronique engagea Tauteur à se nommer dans les éditions
suivantes. Celle de Rostoch^ 1500, est beaucoup plus ample que l'édition
de Wittemberg. La 3* édition parut à Leipsik^ en 1593 ; et la 4", continuée
par un anonyme Jusqu'en 1611, fut publiée dans la mCme ville, en 1628.
Malgré ces quatre éditions, ce volume est rare, surtout en France.
Cet ouvrage, fort important pour l'histoire du nord de l'Europe, com-
prend les royaumes et les principautés de l'Allemagne, la Scandinavie, la
Pologne, la Russie, etc.... Quoique Tauteur n'ait embrassé qu'une période
de quarante-neuf ans (de 1500 à 1540), il remonte cependant Jusqu'aux
temps les plus reculés, dès qu'il s'agit d'établir la généalogie des princes
qui ont régnt^ sur cos divers pays. Nous avons remarqué une histoire fort
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 693
oiirieQse des grands maîtres et des chevaliers de Tordre teutooique. On
puisera dans otft excellent livre des renseignements nombreux et authen-
tiques sur cette partie de l'Europe qui nous est encore si mal connue. On
y tJXKivera, de plus, des détails précieux sur plusieurs familles princières,
dont quelques-unes ne sont pas éteintes. Nous avons lu avec beaucoup
d'intérêt la préface, dans laquelle Gbytneus décrit les changements des
dynasties royales qui eurent lieu au xvi* «iècle, et la fin malheureuse
de plusieurs souverains. N'oublions pas le catalogue des évoques de la
Saxe et de la VandaUe^ précédé d'une longue introduction, où l'auteur
raconte l'établhsement du christianisme en Germanie, et résume l'histoire
des églises de l'Allemagne. Nous pouvons comparer la Chronique de Ghy-
tr»us aux volumes publiés en France, à la même époque, sous le titre de
Histoire de notre tempi ; en eflet , c'est l'histoire du nord de l'Europe,
pendant quelques années, écrite par un auteur contemporain, sur les
pièces oflicieUes du temps.
:^05. CoLLEcnoN de poètes anciens, imprimée par Cous-
telier. Paris, 172.^-24, 10 vol. pet. in-8, réglés, mar.
bl. NON ROGNÉS. {Trautz-Bauzonuet.) » - »
Savoir : La Légende de M* Pierre Faifeu, mise en vers par Ch. Bour-
digné; 1733, 1 vol. — Poésies de Guillaume Crétin, 1733, 1 vol. — Œu-
vres de Fr. Villon, 1723, 1 vol. — Œuvres de Jean Marot et les poésies
de Mich. Marot, 1733, 1 vol. — Les poésies de Guill. Coquillart, 1733,
f vol. — Les poésies de Martial de Paris, dit d'Auvergne, 1734, 3 vol. —
La Farce de Patbelin, 1 vol. — Œuvres de Racan, 1733, 3 vol.
Collection probablement unique en ime telle condition.
S06 Congé des troupes d'Hollande, avec la réfutation
dudit congé, par le colonel François de Pierson, baron
de Courval. Cologne, P. du Marteau, 1679. Réfutation
du congé des troupes de Hollande, et remarques sur
celle que M. le baron de Courval a faite. S. l. n. d., en
i vol. pet. in-12, v. f., fil., tr. dor 40—»
La paix entre la France et la Hollande avoit été signée à Nimègue, le
10 août 1678. C'est à la suite de cet événement que fut publié le Congé
dei troupes d'Hollande. Cette satire en vers burlesques, se rattache à
Tbistoire du règne de Louis XIV. Voici les quatre derniers vers :
Enfin, pour changer tous de note.
Retournez siffler la H note.
Ou si vous mesprisex ce seing,
AUex faire du bruit plus loing.
59A RULLETIN DU BIBLIOPHILE.
François de Piersoo, baron de Courval, colonel au service de la Hollande,
trouva fort inconvenantes les plaisanteries que s*étoit permises Tautear da
Congé des troupes d'Hollande, Afin de donner plus de poids à sa réfutation^
il la dédia au prince d'Orange, et y ajouta un avis au lecteur^ ainsi que
six pièces de vers françois, signées par des poètes fort inconnus au Par-
nasse, mais dans lesquelles on exalte le courage militaire et les talents
littéraires du colonel. Il paroît que le baron de Courval étoit tombé en
disgrâce près du prince d'Orange ; car on lit dans la dédicace : « Sans votre
« protection, ce petit ouvrage seroit exposé à la fureur des médisans, tout
« ainsi que son auteur..... Je scay que la croix est mon lot, et Je rend
«r grâce à mon testateur du don qu'il m'a faict, puisque sa volonté est
« telle.... Ce sera sur ce pied-là que je m'efforceray cy-après de marcher,
« afin de pouvoir à l'advenir mériter mieux les grâces de Vostre Altesse,
n que je n'ay fait par le passé. » Où lit encore dans la Prédiction ntr
V horoscope de M. le baron de Courval, tirée par deffunt te grand et sçavant
M. de Gassendi, Van i648 :
L'an mil six cents septante neuf.
En despit de la médisance,
Courval aura un habit neuf
Et sortira de l'indigence.
Courval, tu rentreras en grâce.
Tes ennemis fileront doux.
Te voyant chéry du Parnasse.
La réfutation du colonel Pierson pourroit bien être une réclame renforcée
par les éloges hyperboliques que renferment les pièces liminaires. L'auteur
avoue, dans Vavis au lecteur^ qu'il est un poète à la douzaine ; il auroit
pu ajouter que la langue françoise lui étoit peu familière. « Je m'estois
« oublié de t'advertir que si Je puis apprendre que ma façon d'escrire te
w soit agréable, je te donneray dans peu l'histoire véritable des avantures
• de ma vie, sous le Ultre du baron avanturier, où tu trouveras des
• enchasnements remarquables de bonne et de mauvaise fortune. > Il est à
croire que les encouragements ont manqué à l'auteur, et que la'postérité a
été privée des Mémoires du baron aventurier.
La seconde réfutation est plus sérieuse et mieux écrite que celle du baron
de Courval. L'auteur anonyme de cette satire critique tour â tour le
Congé des troupes d'Hollande et la réfutation du colonel hoUandois. Void
comment il traite dans sa préface les panégyristes de la réfutation : « Si Je
m raille un peu les approbateurs de la réfutation, ils doivent s'en prendre
« â eux-mesmes, puisqu'ils semblent avoir affecté de se rendre ridicules
« par leurs expressions, afin de rehausser la beauté des vers de leur héros
n par la bassesse de leur style. » On trouve dans cette pièce de vers des
détails historiques assez remarquables.
Ces trois opuscules sont d'une grande rareté, et il est difficile de les trouver
réunis.
nur.LETIN DU B1BTJ0t>HILE. 595
807. Discours satyrîques et moraux, ou satyres géné-
rales (par T.ouis le Petit) . /mprimi à Rouen et se vend
à Paris^ 1686, în-l2, veau fauve, fil., tr. dor. (Niidrée.)
Ce petit volame, doot Tauteur a été brûlé et pendu en place de Grève,
contient douze satin» précédées d'une lettre en vers, à Monseigneur le due
éê MonIttUêier, « Cette lettre est une espèce de satyre, où Tauteur dit
« qu'on ne peut rien écrire qui soit nouveau, toutes sortes de matir>reft
« étant épuisées. Qu'il n'y a que le tour que l'on donne aux pensées qui les
• fait parottre nouvelles... . » Immédiatement apri's vient la première
satire. « Elle est contre l'ambition, contre l'avidité des richesses et contre
« la volupté.... n — Satire II. • Elle est contre beaucoup de défauts et de
« vices en ^néral ; et par les portraits d'un médisant de profession et de
• celui d'une dame déterminée à faire toujours l'amour, l'autheur fait voir
« que l'on ne se corrige guère des vices d'habitude. • — Satire III. « L'au-
theur y fait voir que la vie de la cour n'est pas la plus heureuse ; qu'il faut
avoir une grande force d'esprit pour s'y gouverner en honmie sage, et que
la vertu y court de grands risques. > — Satire IV. « Elle roulle sur ces
paroles du Sage : Le nombre des fou^ est infinù L'autheur dit que la folie
gouverne souverainement l'esprit de l'homme, que sans elle il n'auroit pas
de quoy s'occuper, et par diverses peintures des professions que l'on em-
brasse, il montre que tout est folie. • — • Satire V, en forme de dialogue,
Chrysante, Léonce. On y voit, sous le nom de Chrysante la peinture de
ees gens de la lie du peuple devenus riches en peu de temps, insatiables
de biens, insolens dans leur bonne fortune ; et sous celui de Léonce, la
peinture d'un homme de qualité, sage et content de la fortune médiocre. »
— Satire VI. — « C'est une peinture de la vie libertine de certains abbez,
qui font un mauvais usage du bien d'Église ; et l'autheur fait voir que le
désordre des mœurs vient de ce que l'on embrasse des conditions ^ns
examiner si l'on y est propre. » — Satire VII. '« Elle roule sur la misère de
l'homme, le plus à plaindre de tous les animaux, qui a mille ennemis à
combattre, qui s'en fait tous les Jours de nouveaux, et qui est bien hors du
bon sens d'aimer passionnément la vie, et de faire tout ce qui la détruit »
— Satire VIII. « Maugis, Urgande. Cette satyre est contre les vieilles co-
quettes. • — Satire I\. « Elle est contre la Critique. » — Satire X* « Contre
la guerre. » — Satire XI. « Contre le mensonge dont le monde fait pro-
feMion, et que l'autheur fait voir par la peinture de diverses sortes de
menteurs. • — Satire XII. « Elle est contre la Mode. L'autheur en fait
voir les abus, et que non-seulement elle règne sur quantité de choses indif-
liéreotes, mais qu'elle s'étend aussi sur les mœurs, et mesme sur les choses
les phtt sacrées. » — A la*suite de ces satires, on trouve une lettre morale
(en vers) à M^^ ***, dont la fortune n'estoit pas bonne, et des stances satif-
Tiques contre les mensonges et les extravagances des poètes.
SOS. Cachet o'Avrigny. Relation de ce qui s'est passé
dans une assemblée tenue au bas du Parnasse, pour la
5M BULLETIN DU BIBLIOPBaB.
réforme des beUe»-lettres. Ouvrage curieux et composé
de pièces rapportées, selon la méthode des beaux es-
prits de ce temps (par Cachet d'Avrigny). Anuterdamf
1739; 1 vol. pet. in-8, relié »— »
Le Pamassse réformé et la Guerre des auteur»^ par Guéret, troiiyèrent
promptement des iroitateure. En 1687, de Caillère publia son Histoire po^
tique de la guerre entre les Anciens et les Modernes; en 1704, Tabbéde La
Bizardière flt imprimer ses Caractères des auteurs anciens et modernes. Ces
deux critiques suivirent le plan adopté par Guéret, mais ils ne surent
point répandre dans leurs ouvrages l'enjouement qui distingue le Pamasie
réformé. Enfin, parut, en 1739, la Relation d'Antoine Gachet d'ÀTrigny,
chanoine, né à Vienne (Dauphiné) le 8 novembre 1706, et mort le
6 mai 1776.
Voici comment d'Avrigny parle de son livre : « J'ai travaillé sur le plan
« de ces auteurs (Guéret, de Caillère, etc.), et je me flatte d'avoir rétnaL
« L'idée que j'ai suivie, la variété des matièrfs, la finesse des pensées, le
« tour de l'expression, tout plaira à un lecteur éclairé. Ce qui surprendra
« le plus est la vaste énidition qui règne dans cet ouvrage. Pour s'en con-
« vaincre, il n'y a qu'à jeter les yeux sur la table qui suit cette préface :
« on y verra avec étonnement les noms de près de 500 auteurs. » Faut-il
prbndre au sérieux ces phrases fort peu modestes, ou n'est-ce qu'un badi-
nage ? Nous n'osons décider la question. Toujours est-il que cet ouvrage
contient des anecdotes curieuses sur plusieurs écrivains anciens et mo-
dernes, que la critique est judicieuse, et que la Relation de Gachet d'Avri-
gny est un supplément indispensable au Parnasse réformé de Guéret
Un passage de ce volume intéresse les bibliophiles, et par ce motif, nous
nou8*empressons de le citer : « Inutilement nous direz-vous qu'il faut bien
• que votre ouvrage soit excellent (le Chef-d'œuvre d'un inconnu)^ puis*
» qu'il a été acheté dix écus pour la bibliothèque du cardinal de Rohan ;
« la cherté d'un livre n'en prouve nullement la bonté. N'a-t-on pas vu des
« curieux pousser la folie jusqu'à doimer quatre louis de l*Bistotre et
• plaisante Chronique du Petit-Jehan de Saintré? L'ouvrage intitulé Uber
« conformitatum, etc.^ aufh. Bartholomeo de Pisis^ est hors de prix, et
N valoit 50 écus du temps de Scaliger. Deux petits volumes de Servet
•t fureDt vendus 450 livres à la vente de la bibliothèque de M. Du Fay. Avec
« quel empressement ne recherche-t-on pas les Pensées de Simon Marin,
« le Teatro Jesuitico^ les Très merveilleuses victoires des femmes du fuwtwotf
M monde^ de Guillaume Postel; les Œuvres de Marot^ de l'édition de
• N3rort, V Athénée de Marolle, dont on ne tira que vingt^cinq exemplaires,
« et cent autres ouvrages pareils, qui ne sont recommandables qne par
« leur rareté. •
La Relation de l'assemblée tenue au bas du Parnasse a été imprimée
avec Us Mémoires d'histoire, de critique et de littérature, du môme au-
teur ; Paris, Debune, 17a0-56 ; 7 vol. iii-12.
BULLETIN DU RIBUOPBILB. 607
MO. Gabnibi. Rriefue et claire confession de la foy chres-
tienne, contenant cent articles, selon l'ordre du sym-
bole desapostres, faicteet declairée l'an 15A9» par Je-
han Gamier. S. L n. d- (Strasbourg?) ; 1 vol. pet.
in-8, chagr., fers à froid, tr. dor. (Clark^.).. . &0--»
J. Garnier avoit professé la religion catholique avec tant de lèle, qu'il
t'accuse d*avoir perUcuté (votre jusques à la tnort) ceux qui enseignoient
ee mume que maintenant il croit et confeue, C'étoit sans doute un moine
défroqué qui vint se réfugier à Strasbourg. Il dédie son livre à (ott(e la
petite égliie françoiu de Siraêimrçy auemblée pour V Evangile. Cette pro-
feasion de foi calviniste est une longue paraphrase du Symbole des Apétres
que Tauteur publie pour servir de modèle à tous ceux qui voudront entrer
dans la petite églite; attendu qu'avant d*ùtre admis, chaque candidat étoit
tenu d'exposer publiquement ses principes religieux. Au-dessous du titre ,
est placée cette épigraphe : Le cueur croyt pour justice, mais la bouche
eanfeue à salut. Rom. 10. — Quand sera-ce? On lit encore ces mots à la
fln du volume : Quand sera-ce ? question qui fait notre désespoir. A cha*
qae désir, k chaque projet que nous formons, une voix ironique murmure
à notre oreille : Quand ura-ce ? Et , impuissants que nous sommes, nous
nous taisons, car Dieu seul peut répondre.
S10. GuEBET. Le Parnasse réformé et la guerre des au-
tearSf par Gueret, avocat au parlement de Paris. La
Bayet 1716, 1 vol. iu-12, fr. gr. , relié » — »
Gabriel Gueret, né à Paris, en 1661, mourut dans la même ville, le 33
avril 1688. Les écrits qu'il a publiés, donnent une idée avantageuse de
ton goût et de ses talents. Le Parnasse réformé fut imprimé pour la pre-
mière fois, à Paris, 1668 ; la Guerre des auteurs parut en 1671. C'est une
satire ingénieuse, pleine d'érudition et de bonnes plaisanteries. On y
tnmve, en outre, de curieux détails sur un grand nombre d'auteurs anciens
«t modernes, ainsi que sur leurs œuvres. Des citations bien choisies ajoutent
encore à la gaieté de cet ouvrage. ( Voye% Cachet d'Avrigny, n® 308. )
SU. L'Histoire et discours au vray du siège qui fut mis
devant Orléans par les Anglois, le mardi xn* jour d'oc-
tobre 1428,... avec la venue de Jeanne la Pucelle, et
comment ellefist lever le siège de devant aux Anglois
(par Léon Trippault). Orléans, Oliv. Baynard, 1611,
pet. in-12, mar. r. tr. dor. {Bel. angl.) 48 -n
Au verso du titre se trouve un ebarmant portrait de JeaDne d'Arc Bel
/^«omplaire.
508 BULLETIN nu BIBLIOPHILE.
312. Histoire macaronique de Merlin Goccaie, prototype
de Rabelais, etc. Paris, Tùtissaint Dubray^ 1606, 2 vol.
pet. in-12, d.-rel. mar. rouge. (Belexempl). . 24 — »
Théophile Folengo , d'une noble famille de Mantoue , né en 1490 ,
d*abord bénédictin du Mont-Cassin, jeta le froc aux orties et se mit à cou-
rir ritalie avec une femme qu'il aimoit, composant des poésies dites ma€a>-
roniques dont il est probablement l'inventeur et où il n'a point d*égaas.
C'est un mélange de latin, d'italien et surtout de roantouan, mais toujoan
avec des terminaisons latines, et qu'il publia sous le nom de Merlinus-
Coccaius. Folengo mourut après ôtre rentré dans les ordres, en 154â.
L'auteur de cette traduction n'ent point connu ; elle m*a paru fort peu
exacte, autant que j'en ai pu juger ; d'ailleurs le patois de Mantoue est
très difficile à compretidre.
Cependant l'original contient une petite pièce pastorale, intitulée:
Zanitonella, qui m'a paru un véritable chef-d'œuvre de naiveté et de
grâces ; le traducteur l'a entièrement passée sous le silence. Il s'est borné
aux aventures d'un héros imaginaire nommé Baldus, et à la longue des-
cription d'une bataille entre les mouches et les fourmis.
Théophile Folengo est auteur Délia vita di Cristo, Venise, 1578. C'est
un poème en dix chants par octaves, illustré de figures en bois fort jolies.
(VIOLLIT-LB-DUC.)
313. Les jeux de rincognu. Paris, au Palais, 1680. —
LeHerti, ou TUniversel, 1630. La Blanque des mar-
chand meslés. — A très déliée, très menue et très
maigre demoiselle. (Sans date.) — Discours académique
du ris, prononcé en l'Académie de Philarètes, et dis-
cours du ridicule. {Sans date.) Réunis en un seul voL
in-8, V. fauve » - -»
« Bien que la dédicace de ce livre singulier, adressée au prince Henri
de Savoie, duc de Nemours et d'Aumale , soit signée Devaux^ l'ouvrage est
d* Adrien de Montluc^ comte de CramaUy petitrfils du célèbre maréchal de
MonUuc. Mathurin Régnier lui a adressé sa deuxième satire. C'étoit un
honnête honune et un homme d'esprit. Il est auteur de la comédie des
Proverbes et des Jeux de Cinconnu, On ne pouvoit préluder plus gaiement
à un dénouement plus triste et plus malheureux : ayant encouru Tani-
madversion du cardinal de Richelieu, le comte de Cramail subit à la
Bastille une détention de douze années ; il n'en sortit qu'infirme en 15^3,
et mourut en 16'i6 âgé de soixante-quatorze ans.
Il est difficile de trouver réunies toutes les pièces qui composent ce
rolum<>. Let Jeux de l'inconnu sont des satires en prose contre le style
i'. -'.>cùjbI
BULUTM OU BIBUOPHILE. 509
ridicule, pédant et alambiqué, tout hérissé de pointes , alon en faveur.
L*éditeor du livre se défend dans son avis au lecteur d'avoir eu pour but
de désigner quelque auteur en particulier, mais il prétend n'avoir fait
qu'une critique générale ; il remarque avec raison « que pour employer une
telle raillerie, il a fallu avoir la connoissance de plusieurs choses, ce qui
n'est pas donné à tous. > Une partie de ces critiques a pour nous beau-
ooap moins de piquant qu'elles n'en dévoient avoir alors; les ouvrages
hlâmés n'étant pas indiqués, et n'étant plus sous nos yeux , sont d'ailleurs
probablement oubliés. Toutefois, on reconnolt toujours la manière ingé-
nieuse et vive employée par le comte de Cramail pour signaler les défauts
des conceptions de ses contemporains. Il emploie la forme des petits romans,
d'historiettes, qui , chacun par les aventures qu'il rappelle et par le style
surtout, fait probablement allusion à des ouvrages connus. D'après une de
ees nouvelles, il paroltroit que les histoires en calembourgs dont on a cru
M. deBièvre l'inventeur, telles que la Comteue Talion, VAngt Lure^ etc.,
datent de beaucoup plus loin ; car un des Jeux de l'inconnu commence
ainsi : « Le courtisan grotesque sortit un Jour intercalaire du palais de la
^o«eAe, vêtu de vert de gri$. 11 avoit un manteau de eheminéey doublé de
frise (Time co/onne, etc. >, et vingt huit pages de cette sorte.
Le Herti ou l'Universel est le discours d'un fou, d'un extravagant, véri-
table amphigouri incompréhensible, très spirituellement fait de verve, mais
beaucoup trop long pour être toujours plaisant La Blangue est une sorte
d'inventaire^d'objets imaginaires, mais auxquels l'auteur donne un sens
épigrammatique, conmie « le disque dont Hyacinthe fut frappé par Apol-
lon, pour apprendre à ne pas Jouer avec les grands. » Le Discours sur le
ris contient des observations plus philosophiques qu'on n'iroit en chercher
dans les livres de cette sorte ; il en est de même du Discours sur le ridicule y
qui termine ce volume fort curieux. »
(VIOLLBT-LB-DVC.)
SI A. LiNSTRUGTiON D£s CUREZ pour instruire le simple
peuple. Il est enjoinct a tous les curez, vicaires, maistres
des escolles, dospitaulx et autres par tout leuesche de
Paris dauoir auec eulx ce présent liure, et en lire sou-
ueut. Et y a grans pardons en ce faisant. ( Imprimé à
Paris, par Nicolas Higman^ pour Simon Vostre^ libraire
juré de rUnit^rsité.) (Vers 1506) ; 1 vol. pet. in-â, grav.
sur bols ^. . . ., » — »
Cette belle édition d'un livre rare a été imprimée par ordonnance
d'Estienne, évéque de Paris. Le mandement de Tévèque, daté de l'an
IMM, est en latin et en françois ; il est suivi de VOpus tripartilum de
Jean Gerson, également en latin et en françois. Les trois derniers feuillets
i!u volume contiennent un opuscule intitulé : le Liurei de Jésus, lequel
600 BtLLETIN DO BIBLIOPHILE.
renferme la doctrine nécessaire à tous chrétien», Onv trou?6 1« Dêsm»
articles de la foi, les Commandements de Dieu et de VEglin, en fera flnui-
çois; les TVotf Vérités composées par Jean Gerson; et enfin, Cormtna
triuialia quibus potest unusqmsque fiddis christianus orare el a qmeiê
surgendo et ad quietem eundo, AiHlestous de ces prières on remarque
deux Jolies gravures snr bois représentant : Tune, saint Michel terrasstnt
le dragon ; l'autre , une Jeune fille portant un calice surmonté d'ane hostie.
La marque de Simon Vostre est placée sur le titre ; et le terso de ce feniUei
est orné d'une large gravure qui représente Jésus-Cbrist tombant sous le
fardeau de sa croix.
316. Les Loups rauissans dit le doctrinal moral, conte-
nant douze chapitres ou chascun pourra facilement
congnoistre que cest de bien, et fuyr mal. Anec les
exemples ioinctes a chascun chapitre (par Robert Go-^
bin). On les vend à Paris en la grant rue sainct Jacques,
a lenseigne de la Rose blanche couronnée {ehe% PhU. Le
Noir, vers 1525), pet. in-4, goth. de 206 ff. non chif-
frés, fig. s. b., réglé, mar. v., tr. dor. (Dura.). . »— »
Magnifique exemplaire avec témoins de ce curieux ouvrage en vert et
en prose.
316. Marot. LesŒuures de Clément Marot, desquelles le
contenu sensuit : Ladolescence Clémentine , la suite de
Ladolescence, deux liuresdepigrammes, le premier liure
de la métamorphose Douide. On les vend a Lgon, ehe%
Gryphius^ 1538, in-8, goth., réglé, mar. bl. dent. tr.
dor f> — )i
Superbe exemplaire rempli de témoins.
317. Mëlander. Jocorum atque seriorum cùm novorum
tùm selectorum atque memorabilium libri II ; auctore
Othone Melandro J. u. d., et auctore Dionysio Melan-
dro P. P. H. Smalcaldiœ, ex officinâ Kezelianâ, Ittll,
2 tom. en 1 vol. pet. in-8. de 1700 pages, relié. 60 - »
u est impossible d'analyser cet énonne recueil d'anecdotes et de bons
mots extraits d'auteurs anciens et modernes. On y trouve de la prose et
des vers latins, voire mCme des pai>!»ages en allemand. Nous citerons ce-
BULLETIN DU BIALIOPHILC. 601
ptadifit OM tMé de Sébastien Scheffer, qui nous a rappelé U f efiime
noyée de Lafontaine :
De viro quodam, uxorem submeraam querente.
Flumioe demenam Bociam crescente maritus
Querit, et in Yeno iramite carpit iter.
Quo fluit unda, yirum quidam jubet ire; sinistrum
Flaminis accedis cur maie sane caput ?
Uzor in eternom non invenietur, amice,
Alter ait, recto ai pede forsan eam,
MoribuB illa meis semper contraria vixit,
Quis neget adTersus quin modo serpat, aqaat 7
Cette compilation , faite par Otho M elander et augmentée par Deoi»
MeUader, ae compose de 1370 articles, dont les auteurs sont toujours indi-
qués, n auroit été curieux de réimir tous ces noms dans une table géné-
rale. On auroit découvert ainsi plusieurs écrivains dont les productions
sont à peu prte inconnues.
L'imprimeur, Guolgand Keaelius, a écrit la dédicace adressée à Urbain
de Boineburg, conseiller du landgrave de Hesse, et Préfet de Smalcalde ,
ainsi que la préface du 3* tome : « Le plus beau préeent q«>e Dieu a fait aux
hommes, dit Kexelius dans VÉpitre dédicatoire^ c'est l'art de l'imprimerie,
découvert en 1&40, à Mayence, par Jean Gutenberg, et porté bientôt à
Rome par Ulric Han. » Il ajoute que ce volume est le premier qu'il im-
prime depuis qu'il est établi à Smalcalde.
La reliure, ornée d'armoiries, de filets et d'ornements à froid, a souffert
des injures du temps; mais on distingue très bien sur Ton des plats, les
annoiries de l'empereur d'Allemagne, avec cette légende : Des H. Rémi,
KaisertufM Wappen, Au-dessous des armoiries sont les lettres G. K. ; ce
qui prouve que cette reliure sort des ateliers de Guolgand Kezelius , et
qu'elle est par conséquent, aussi ancienne que l'impression du livre. On a
gravé en creux, au-dessus des armes, les majuscules S. S. H. qui désignent
sans doute le nom de l'un des possesseurs de ce volume, et dans un com-
partiment inférieur, le millésime 1613. Sur l'autre plat, les armoiries sont
presque effacées. Cependant on lit facilement la légende : Insignia dueum
tUcto. taxon.
Ce livre est rare, surtout lorsqu'il est complet. Il a dû plaire beaucoup
autrefois, par la variété des sujets qu'il renferme ; il peut Hre encore, au-
jourd'hui, d'une lecture agréable. Les tables, placées à la fin de chaque
tome, facilitent les recherches.
S18 Mêmobial contenant une déduction sommaire de
Torigine et de Tétat présent des contestations doctri-
nales des Pays-Bas et des véritables moyens de les ter-
miner ; une réponse succincte aux trois accusations de
jansénisme, de rigorisme et de nouveauté. Avec un re-
602 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
cueil de diverses pièces conceniant le Mémorial. De^if,
1697, 1 vol. in-12, v. br »— »
On connolt les longues dissentions que soulevèrent le Jansénisme et les
disputes sur la gr&ce. Mais qui pourroit supputer le nombre des li?r«B ,
des brochures et des pamphlets qu'enfanta cette polémique? Il est à regret-
ter que les savants des deux partis aient dépensé tant de savoir et d'intel-
ligence, au service d'une cause si complètement oubliée de nos jours. Rap-
pelons-nous cependant que c'est au Jansénisme que nous devons les Lettrtê
provinciales. Le Mémorial est une pièce du même genre, écrite en favear
des théologiens de l'université de Louvain. Le style en est pur, mais cette
défense, expliquant des faits, est d'une polémique plus serrée, et ne saa*
roit être comparée à l'œuvre de Pascal. Les fdèces relatives au Mémorial
occupent les deux tiers du volume. Elles sont fort curieuses et se compo-
sent presque uniquement de censures et de brefs pontificaux condamnant
plusieurs livres et quelques propositions des adversaires du Jansénisme..
La dernière pièce est le Projet de la Bulle de Paul V contre la doctrine
de Molina^ par le P. Quesnel. Le Mémorial a été condamné et brûU.
L'exemplaire que nous avons sous les yeux est donc fort rare ; et l'on
trouveroit difficilement ailleurs le texte des vingt-quatre pièces que l'au-
teur a recueillies.
319. MoNSTEREUL (de la Chesnée). Le Floriste françois,
traittant deTorigine des tulipes ; de Tordre qu'on doit
observer pour les cultiver et planter, etc. Avec un
catalogue des noms des tulipes, et distinctions de
leurs couleurs; par le s' de la Chesnée Monstereul.
Caen, t654 ; pet. in-8, vél » — »
Charles de Monstereul, sieur de La Chesnée, est le premier écrivain françois
qui ait compcsé un traité spécial et complet sur les tulipes. Cette fleur,
importée en Europe par les Portugais, vers 1530, excita bientôt un tel
enthousiasme que des amateurs zélés se dévouèrent, tant en Flandre qu'en
France, à la culture des tulipes. A force de soins et de patience, ils par-
vinrent à les perfectionner, et ils obtinrent par le semis des graines un
grand nombre de variétés nouvelles, remarquables par la vivacité et la di-
versité dcri couleurs. De Monstereul étoit l'un de ces fanatiques amateurs.
Voici comment il entre en matière :
« Entre toutes les choses créées par la bonté et sagei»sb étemelle, il y a
« un ordre de supériorité qui donne la prééminence aux pius parfaites' ;
• comme l'on voit qu'entre les animaux l'homme a la domination; entre
« les astres le soleil tient le premier rang ; et entre les pierres précieuses
« le diamant est le plus estimable ; ainsi il est certain qu'entre les fleurs la
« tulipe emporte le prix »
Les 33 chapitres du Traité de» Tulipes renferment des détails intéres-
inJLI£TIN DU BIRUOPHILE. 60S
tiati MU* l'origiiie, U culture et les maladies de ces fleurs; mais l'auteur
D*a pas Toulu divulguer le Secret pour faire perfectionner let Tuliptê, qui
ne doit être enseigné qu'aux sayes curieux. Les derniers chapitres de
l'ouvrage ont pour titre : De la différence qu'il y a entre lei véritablei
fUtriêtee et les curieus ignorants. — Que c'est offenser Dieu de mépriser
les /leurs»
De Monstereul dédia son livre à W^* de Beuvron , et flt imprimer parmi
les pièces liminaires de sa Monographie des Tulipes , des vers françois et
latins composés en son honneur par les plus célèbres poètes du temps. On
y remarque les noms de G. de Scudéry, de Tristan THermite, de Brleux ,
de Petiville, Le Sueur, de la Grettc Bellenger, de Sainte-Honorine, de Le
Mière, de Charsonville, et même de Malherbe. G. de Scudéry termine ainsi
son ptnégyrique *.
U faut , pour couronner une ai noble audace ,
Que je prenne des fleurs au plus haut du Parnaate;
Elles empescheront ton renom de vieillir;
Muse, guide mes pas où Je les dois cueillir.
Voici cependant quatre vers qui produisent un effet asseï singulier au
milieu df cette poésie emphatique :
Vous œillets indiens, et vous fleurs éteraellea.
Et mille autres encor aussi rares que belles ,
Abaissez votre orgueil, et loin de vous fâcher^
Cédez à la Tulipe, et vous aller cacher,
U nous parolt difficile d'espli^er comment Malherbe, mort en 1(M8, a
pu faire l'éloge d'un livre imprimé pour la première fois en 1656. Ou ce
Malherbe n'^t itas le grand Malherbe, ou le Florisèe françois couroit déjà
en manuscrit avant 1628. Nous transcrivons, à tout liaaard , ces vers
d'outre-tombe :
Tont est si bean dans ce recueil ,
Qu'Adam reler«K du cercueil
Voyant ces merveilles paroistre ,
Douteroit s'il parle du lieu
Où la voix puissante de Dieu
JLui donna premièrement l'eslre.
Db MAtMXtme,
Notons une autre singularité. Le titre du volume porte la date (te t654 ;
cependant on lit au-dessous du privilège : Achevé d'imprimer pour la pre^
mière fois, le 40 jantier 4655, Enfin, le titre est précédé d'un beau fron-
ttepice gravé, avec cette souscription : A Rouen, che* L. Du Mesnil, 4658.
Ged prouve seulement que l'impression du livre a commencé en 1654 , et
que le frontispice a été ajouté plus tard par un libraire de Rouen qui
poMédoit une partie de l'édition.
41
60i BDLLETIK DD BIBLIOPHIUU
320. Nouveaux amusements sérieux et comiques. Pont,
1735, 2 tom. en 1 vol. in-12, v » — n
Ce livre parolt avoir été composé ponr faire suite aux Amu$emenU
iérieux et comiques de Dufresny. On lit dans la préface : La feuilU dont
il t^agit id te donnera, sans interruption, les lundis et vendredis de dUi-
que semaine ; si elle reçoit un accueil favorable^ on s'attachera à donner
du nouveau et du bon. L'éditeur s*est arrêté à la 2A* feuille ; ainsi , cette
publication périodique n'a vécu qu'un trimestre. Elle étoit digne , cepen-
dant, d'une plus longue existence. On y trouve beaucoup d'articles curieux,
ou intéressants. Nous indiquerons les Éloges des Miroirs, du Silence, de !a
Main, de la Fourmi, de l'Abeille, de l'Araignée, de la Mouche, des Nor*
mandSp du Corbeau et de la Puce; des Nouvelles et des Anecdotes; les Ori-
gines de divers usages, etc.... L'article le plus important de ce recueil est
intitulé : Traduction d'une lettre italienne^ écrite par un Sicilien à un de
ses amis, contenant une critique de Paris et des François (45 pages). Cette
piquante description de la ville de Paris et des mœurs de ses habitants
peut faire classer ce volume parmi les documents relatif» à l'histoire de
France.
321. L*OviDE en belle humeur de M. Dassoucy. Suivant
la copie imprimée à Paris. { HolL , Elzev., à la sphère ) ,
1651, pet. in-12, mar. bl. fil. tr. dor. (Trautz-Bauzon-
net.) » — »
Cette édition est un des plus rares volumes de la collection elxévirienne.
322. Laure d A.VIGNON. Extraict du poëte florentin Fran-
çoys Pétrarque : et mis en françoys par Vaisquin Phi-
lieul de Carpentras. Parls^ Jacq. GazeaUy 15A8, pet.
in-8, v. ant. fil. tr. dor. [Duru.) 48 »
Exemplaire grand de marges d'un livre rare.
328. Recueil des meilleurs contes en vers. Londres (Cazin)^
1778, h vol. in-18, mar. tr. dor. comp. dos à la rose.
{Jolie rel.) » — »
Ce très joli recueil, qui peut en remplacer beaucoup d'autres, est digne
de tenir dans toute bonne bibliothèque une place honorable qu'il doit au
choix qui l'a dirigé, aux vignettes charmantes qui précèdent chaque conte,
à la correction et à la beauté de son exécution. H contient tous les contes
de /m Fontaine , les contes en vers de Voltaire , un dioix de contes de
BUtLETIN DU BIBLIOPHILE. 605
VergUr^ de Grééouri et de Piron: ceux de Séneeé, de Perrault , de Moni-
erif^ de Dueerceau^ de La Monnaye^ de Saint-Lambert^ de Champfort, de
Dorai, d'AiiIreaii et de François de Neufchâteau,
(VioLBT-LS-Duc, BibUoihètiue poétique,)
S2A. Recueil d'opuscules mystiques. Frihourg en Sume^
Pavid IrrbUeh, 1654-1676, 1 vol. pet în-lS, v. {j4ne.
rel) • — »
Toutes les pièces qui composent ce recueil factice , à Texception d'une
seule, ont été écrites pir des Jésuites. En voici le catalogue : 1. Exercice
journalier fort dépôt, accommodé au tempt^ et trè$ utile à toutes sortes de
personnes; 1050, 12 pag. — 2 Litanies de N.-S. Jésus^hrist , de la bienr-
heureuse Vierge Marie, pour bien mourir, et de saint François, etc.:
1059, 24 pag. — 3. Litanies des très sainctes trois personnes^ Jésus, Maria,
Jûuph, et de leurs proches parents; 1656, 12 pag. — &. Utanies de Jésus,
Marie et Joseph; 1670, 12 pag. — 5. V Office de la Conception immaculée
de la sainte Vierge Marie, avec les litanies de Lorette et prières de S.
Meehtilde pour une heureuse mort, 1676, 24 pag. Les hymnes et les an-
tieiUMS sont en vers françois. C'est à peine si nous osons citer uo paatagt
de eette étrange poésie :
Gloire soit au Père Céleste
Au Fils, à l'Esprit Paradète,
Ainsi qu'elle a toujours été
Dès le point de l'éternité ,
Qu'elle est dans le temps où nous sommas.
Et sera toujours cy-après.
Tant que les Anges et les hommes
Rouleront de siècles divers.
On lit dans le Mémorial des contestations doctrinales aux Pays-Bas,
p. S38 ( Toyet le n« 318 ci-dessus ) , un décret de l'inquisition , donné à
Rome lo 17 février 1678 , qui supprime un petit livre intitulé : Office de
la Conception immaculée, etc. Cet office commence ainsi : A Matines :
Eia mea labia nunr annuntiate, etc. (sus, ma bouche , il est temps d'an-
noncer les louanges, etc.), et finit par l'oraison : Oeus qui per immacula-
tam Virginis conceptionem, etc. (Dieu tout-puissant, qui par la Conception
innnaculée, etc.) , avec défenses à toute personne d'avoir la hardiesse de
retenir ehe% soi ledit office, le lire^ l'imprimer, ou le faire imprimer. U
est facile de reconnaître que VOffice , traduit en françois dans ce recueil ,
est le même que celui qui fut publié en latin et condamné par l'inquisition.
6. 5*eMiiyreji/ les quime effusions de nostre Sauveur et Rédempteur
JéMUê-Chtist ; 1654, 24 pag. Cet opuscule est suivi du Voyage douleureux
du Sauveur^ et du Stabat Mater^ traduit en vers françois. Dans le Voyage
douleureux , l'auteur a supputé en détail le nombre de pieds parcouniN
par notre Sauveur, depuis le mont des Olives Jusqu'au Golgotha. • Quinm
600 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
« mille quatre pieds et demy contient le chemin par leqael, en pQu
« d*heurc8, le Sauveur fui traîné. Il est croyable qu*il fit plusieurs autres
« pas, estant tirasse çà et là par la cruauté des Juifs. •
7. La Couronne dorée de No$tre-Dame ; 1667, 24 pag., grav. sur bois. —
8. lÀtanieê de S. François de Sales; 1670, 12 pag. — 0. Dévotion à S.
François Xavier , avec l'ordre des faveurs spirituelles ou tempareUeSt qu*on
peut obtenir de Dieu par cette pratique ; 1665, 12 pag. — 10. lÀtaniei à
l' honneur de S. François Xavier, apostre des Indes , eompméu pat D*
Franç.'Gaspar de Villarovel, évesque dans V Amérique ; avec les Sougpirs
ardents de S. François Xavier (en vers françois), et une concession de
200 jours d*indulgonce à tous ceux qui Liront dévotement lesdits Sùu^irs
ardents: 1667, 12 pag. — 11. Litanies de S, Gertrude; 6 pag. — 13. LUa'-
niashtatae Mariae Virginis. Le françw est sur Voir : Jesu nostra rtdempUa;
166A, 12 pag. Chaque verset des litanies est paraphrasé en quatre vers
françois. Par exemple :
Virgo clemens.
Pleine de clémence et douceur.
Ne s'indigne pour nous pécheurs.
Elle nous secourt puissamment
Et miséricordieusement.
15. Manière de practiquer la dévotion des neuf mardys^ instituée en
l'honneur de saint Antoine de. Podoue, avec sept dévotes affections divisées
selon les jours de la sepmaine, dédiée à M, Pierre-Fr. d'Affry^ gouverneur
du comté de Neufchâtel^ par les frères Mineurs conventuels de S. François;
1676, 02 pag. Ce petit livre , publié en Thonneur d'un saint qui a Dieu
même entre ses mains, et semble l'obliger à ne lui refuser aucune grâce ,
a dû trouver bïQn.des lecteurs, malgré le haut degré de mysticisme dont
il est empreint. En effet , saint Antoine ne se borne pas à accorder des
faveurs spirituelles, il étend encore sa bienveillante intercession aux choses
temporelles. Ainsi, il ressuscite les morts, il guérit les malades, il donne la
richesse aux indigents, et surtout il fait retrouver les objets perduft. Parmi
les miracles du saint , décrits dans cet opuscule , il en est un qui se renou-
velle quelquefois de nos jours, mais dont le résultat n'est pas précisément
la canonisation de ceux qui l'opèrent: t Son père, dit l'auteur, avoit payé
• une somme d'argent à quelqu'un, sans en avoir tiré quittance; on Tobli-
« geoit en justice de payer une seconde fois. S. Antoine, pour empOcher la
« justice d'errer en ce ra«, fit trouver entre les mains de sondit père une
« bonne quittance , la<iuelle fut reconnue et acceptée. — Voyes conune
« l'erreur se di^sipe au nom de S. Antoine de Padoue. »
là. Pacte et accord que Von peut faire avec la très saincte Vierge
Marie, mère de Dieu, par le P. François Poire, de la Comp. de Jétus;
1672, in-32, 16 pag. — 15. Bastion royal contre tous les vices; in-S2, 8 p.
— 16. Oraison à saint Ignace ; placard in-32 oblong.
325. Reformatorium vite morumque et honestatis cleri-
coruin saliiherrimum. In urbe BasileUy perMich. Furter,
BULLETIN DU BIBUOraiLB. 607
1AA& (149A), 1 vol. pet. in-8, goth.» mar. noir; tr.
dor. {Duru.) 68—»
On lit dans U Manuel du Ubruire : • Oavrace rare , éMU Taiiteiir est
« Jac. Philippe curé de Saint-Pierre de Bâie. L'erreur daaa la date de
« rimpretsion en a tait un objet de curiosité. Vendu iSl tr» , mar. eitr.
• U Vallière. »
Cette note rend notre tâche facile. Nous ajouterons seulement que cet
eieinplaire ne le cède en rien à celui du duc de La Vallière« sous le rap-
port de la eomenration, des marges et de la reliure.
Au surplus, ce livre n'est pas entièrement dépourvu d'intérêt. L'une des
parties, intitulée : De iignit ruine et iribuiaeionit ecelene , est une satiir
des mœurs du clergé, et renferme de curieux détails. Les règles que donne
Tauteur De communi vita clericorum pouvoient s'appliquer également à la
réfonnation des abbayes. L'énumération des choses défendues aux clercs
par les SS. Pères, par les conciles et par les règlements diocésains , nous
parolt aujourd'hui fort extraordinaire. Rn effet, ne seroit^-ce pas, de nos
Jours, une ironie, même une insulte, que de défendre aux membres du
clergé de hanter les tavernes ? Ceci prouve que le /tefbrmu/oriiuii tciv^er-
rimum doit être considéré comme un fragment de l'histoire ecclésiaatique
du naoyen-àge, et que les mœurs publiques se sont purifiées à mesure que
la lumière chassoit devant elle les ténèbres de l'ignorance.
326. Senftlebi^n. Philosophia moralis ad politico-cbris-
tianë conversandum, per Joannem Senftleben, ë soc.
Jesu. Pragcty typis et sumpt, Vnivers. Carolo-Ferdinandeœ,
1683,1 vol. pet. iu-12. fr. gr., douze eaux4ories par
Jo. Fre. Necker, rel 36 — »
Ce lirre est divisé en trois parties. Ccnversatio prudent; Convenatin
mniea; Convenatio ciiiiit, affabilis, faceta. Chaque partie se compose de
douie paragraphes, et chaque parsgrapho est orné d'une gravure embléma-
tique, relative au sujet traité par l'auteur. Les paragraphes 10, H et 13
de la 3* partie, contiennent, sous le titre de Faceta dtc/erta, cent reparties
facétieuses. Cette Philotophie morale symbolisée est suivie de vers latins ,
rangés par ordre alphabétique, et extraits de Virgile, d'Ovide, de Senèque,
de Publ. Syrus, etc. Cet appendice est intitulé : Gemmulae pœticae in
omatum philoêophiae moralis.
Ce volume de 163 pages avec les pièces liminaires et l'index , renferme
donc des préceptes moraux, des emblèmes, des bons mots, et des apo-
phtegmes en vers, tirés des classiques latins. J. Senftleben avoit pris pour
devise : Miêcuii utile duld-
327. Villon. Les Œuvres de Françoys Villon de Paris,
rcvenes et remises en leur entier par Clément Marot.
608 BDLLET1N DU BIBLIOPHILE.
PariSf Amoul et Charles les Angeliersy s. d., in-16, mar.
cîtr. fil. tr. dor. {Bauzonnet.) 120~»
Avec des notes de La Monnoye, qui a en outre copié sur des feuilleta
placés au commencement et à la fin de cet exemplaire trois ballades attri*
buées à Villon et des extraits de difTérents ouvrages relatifs à ce pofite
estimé.
PUBLICATIONS NOUVELLES.
328. Le Cabinet historique, revue mensuelle, contenant,
avec un texte et des pièces inédites, intéressantes ou
peu connues, le catalogue général des manuscrits que
renferment les bibliothèques publiques de Paris et des
départements touchant l'histoire de l'ancienne France
et de ses diverses localités avec les indications de
sources, et des notices sur les bibliothèques et les ar-
chives départementales sous la direction de Louis Pa*
ris, in -8 — »
Le titre que nous venons de transcrire indique amplement les,diTen
sujets recueillis dans te Cabinet historique^ qui parott tous les mois, du 25
au 30, par cahiers de 3 à 3 feuilles et 1/2, ou 68 à 56 pages , texte bisto-
rique, et le Catalogue contenant IMndication de 300 manuscrits enYiron.
Prix : 12 fr. pour Paris; iU fr. peur les départem. ; 16 fr. pour l*étranger.
La première livraison de la seconde année, que nous avons sous lea
yeux, contient parmi les PifecES inédites : I. Un Mémoire contre François
Poncet, d*Auxerre, voleur et assassin, vivant dans la prejnière moitié du
règne de Louis XIV. — II. Lettre inédite de dom Bretagne à Urbain Plan-
cher, au sujet de sa querelle avec Tabbé Lebeuf, pour la possession des
reliques de saint Optât. Le chanoine d'Auxcrre y est assez maltraité.
D. Claude Bretagne, né en 1625, à Senmr, en Bourgogne, mort à Rouen
le 15 juillet 169/i, supérieur de la Congrégation de Saint-Maur a publié :
Vie de Bachelier de Gentes^ Reims, 1680, in-8. — Merveilles de Notre^
Dame de Bethléem de Ferrières en Gdtinois. — Relation de la procestion
du corps de saint Remy, etc. Il étoit un des collaborateurs à l'Histoire de
Champagne que préparoient les religieux de Saint-Benott.
III. Deux lettres du président Bouhier, suivies d*une lettre de Brossette,
lo commentateur de Boileau et Tun des nombreux correspondants du labo-
rieux président.
IV. Deux lettres du curé Meslier : • Meslier a eu le triste honneur de
devancer de quelques années l*èrc dite philosophique. Il étoit athée de
cœur avant les publications de la maison d*Holbach et G**, qui n'a pu
revendiquer la gloire de l'avoir formée. Meslier s'est fait lui-même , on
plutôt, isolé au milieu d'un peuple inculte, il laissa égarer son esprit à la
solution de questions oiseuses, à des lectures imprudentes, qui ruinèrent
et éteignirent en lui la foi. II étoit de Mazemi (canton d'Osmont, arrondis-
sement de Rhetel). né le 15 juin 166A de pauvres ouvriers en serge, qui
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 009
cédèrent à un braye curé du ? oiainage le aoin de son éducation. Entré au
•éminaire de Reims, il fut pourvu de la cure d*Êtrépigny, le 18 décembre
iM4, et Ton sait qu'il mourut en 1720. Sa vie fût exempte de reproches,
et l'exercice qu'il fit des vertus évangéliques préparoit peu au scandale du
malbeureui écrit qui a fait sa répuution. — Cependant on cite quelques
singularités de ce bizarre personnage et le trait que nous allons rapporter
cadre bien avec la baine qu'il témoigne à plusieurs reprises dans ses écrits
contre l'oppression des grands. Mesiier avoit refusé de recommander au
prdne le seigneur d'Étrépigny, qui avoit maltraité quelques-uns de ses
paroissiens; le cardinal de Mailly, alors archcvôque de Reims devant qui
la contestation fut portée, l'y contraignit, et le dimanche qui suivit cet
ordre, le curé monta en chaire et dit en présence du seigneur : • Voilà le
soit ordinaire des pauvres curés de campagne ; les arcbevesques, qui sont
de grands seigneurs , les méprisent et ne les écoutent pas ; ils n'ont des
oreilles que pour la noblesse ; recommandons donc le seigneur de ce lieu ,
et prions Dieu pour M. de Clairy ; demandons à Dieu sa conversion , et
qu'il lui fasse la gr&ce de ne point dépouiller l'orphelin. •
Cette manière de réparation fut peu goûtée de M. de Clairy, et l'état de
goerre continua, et fut itérativement dénoncé à l'arche vôché. Réprimandé
de nouveau, le curé, dit-on, en conçut une telle mortification qu'il se laissa
mborir de faim. Nous savons ai^ourd'bui qu'à ce dépit se Joignoit chez
Mesiier un chagrin ttérieux: Mesiier deveooit a\eugle, malheur qu'il redou-
toit depuis longtemps, et qui acheva de le dégoûter de l'existence. On com-
prend qu'avec les tristes doctrines dont il s'étoit nourri , n'étant plus
retenu ni par le devoir, ni par l'espérance, riun ne l'arrêta dans la voie du
suicide. Du reste, autant le malheureux Mesiier avoit mis de soin à cacher
de son vivant les désolantes doctrines dont il étoit imbu, autant une fois le
parti de mourir arrêté, prit-il ses mesures pour qu'après sa mort elles pus-
sent acquérir la plus grande publicité. L'ouvrage dans lequel il avoit consi-
gné tes opinions, très nettement écrit de sa main, en triple exemplaire ,
dûment scellé, fut par ses soins |)orté au greffe de Sainto-Menehould, lieu
de la juridiction d'Étrépigny, à l'ofFicialité de l'archevêché de Reims,
et à l'hôtel de ville de Méxières. En même temps Mesiier, pour mieux
atteindre son but, laissoit deux lettres, l'une à l'adresse du clergé de
Reims, l'autre à l'adresse des curés des environs d'Étrépigny.
Cette livraison du Cabinet hhtorique se termine par une suite du Cata-
lof/ue général dtt documents et manuMcrits relatifs à la Bourgogne.
S29. HucHER. Études sur T histoire et les monuments du
département de la Sarthe. Le Mans^ impr. de Ch. Mon-
nayer, 1856, 1 vol. gr. in-8 de 276 pages br. et enrichi
d'un grand nombre de gravures sur bois, sur cuivre et
sur pierre 7 50
Véritable moaaique, ce livre offre comme le reflet des divers talents qui
ont prêté à l'auteur leur concours affectueux. M. Lassus, l'habile architecte,
donne, tout d'abord, l'histoire bibliographique de la plus ancienne carte
do Maine. M. LandeJ, qui possède, à lui seul, plus de documents sur ladté
du Mans que toutes les bibliothèques du département, raconte ensuite
lea ridtsitudes des anciennes enceintes de la ville : il dit les noms et la
place des tours qui flanquoient ses murailles, la date de leur construction
MO BULLETIN IHJ BIBLIOPHILE.
et de leur démolition, etc. ; un docoDie&t original, copié presque in extenso,
sert de pièce justificative à cette partie du livre. Plus loin M. Charles donne,
dans un style vif et piquant, l'histoire de La Ferté-Bemard , sa patrie; il
en a étudié surtout, avec amour, la belle et curieuse église, le second monu-
ment du département, dans Tordre d*intért^t. M. Charles n'est pas moins
compétent lo»qu*il s'agit de reconstituer l'ancien état militaire de La
Ferté, et il appuie tous ses récits de l'analyse de documents originaux ,
inédits jusqu'à ce jour, et qu'il exhume des divers dépôts de La Ferté et
du Mans.
M. Drouet, qui, à toutes les époques, a montré tant de zèle pour la con-
servation des monuments, fait connottre ensuite ce qu'étoit la mosaïque
do I^oHt-SairU-Jtttti^ lorsqu'elle fut découverte par H. le Tkomte de Dreoi-
Bréié, en septembre 1844. On Mit qu'aujourd'hui il n'en ri'ste plus rien;
mais le beau dessin que nous donnons en perpétuera le souvenir.
Enfin, M. iUyabauh a bien voulu doter ce travail d'une intéressante
révélation, au point de vue bibliographique : il s'agit de la découverte d'un
très ancien Almanach manoeau, publié par Jehan Deïetpme, docteur en
médecine^ pour l'année 1534.
L'auteur a i^outé à ces piquants articles quelques notices, dans lesquelles
il passe en revue les vitraux de la cathédrale du Mans ( rose et chapelle
du chevet), les statues de son portail roman, dont il a donné, le premier,
un commencement d'explication fondé sur l'épigraphie ; une ancienne étoffe
de soie, déposée dans le trésor de l'église de la Couture du Mans, et d'ori-
gine sananidc, selon l'opinion d'un illustre savant ; une curieuse maison de
la vieille ville , dite d'Adam et d'Ëvc, construite précisément par le même
Jehan Delespine dont nous venons de parler ; enfin , la magnifique pierre
tombale de Saint-Ouen-en-Beiin.
On y remarque aussi un travail assez étendu , et richement Illustré de
bois gravés et de planches de cuivre , sur Sillé-le-GuilIaumc , petite ville
historique qui sera visitée par plus d'un touriste, aujourd'hui que le chemin
de rOuesty conduit, sans efforts, des flots do voyageurs; l'auteur recon*
stituc la liste de ses barons, explique et décrit ses monuments, donne la
pierre tombale du bienheureux Geoffroy de I/>udun, les sceaux de tous les
hcigncur» des environs; enfin publie, pour la premii-re fcis, le tombeau,
du XIII* siècle, de l'église de Neuvillette, qui donne lieu à un piquant article
de critique.
Le volume se toniiine par une esquisse sur la plus grave des ma-
tières, la sigillographie; c'est uu aperçu rapide qui initie le lecteur à
cette austère science, la sœur de la numismatique, dont les éléments
avoient été confinés, jusqu'à ce jour, dans d'énormes volumes trop peu
accessibles au public.
Un grand nombre de gravures snr bois, et quatorze planches sur cuivre
ou sur pierre, dont ({uelqucs-unes tn-/b/to, rendent ce volume réellement
remarquable au point de vue archéologique et même du bon marché.
330. Delepierre (Ociai;e). De la littéralure uiacarouîque
et de quelques raretés bibliographiques de ce genre.
Londres^ 1855, iu-8, pap. véliii 8 —»
Voir sur ce petit ouvrage, tiré à cinquante exemplaires , les VariétéÊ
bibliographiqueê de cette livraison.
BULLETIN
DU
BIBLIOPHILE
BEVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAR J. TECHENER
A TEC LE CONCOURS
Db mil L» RâMiBii, Conservateur-Administrateur à la Bibliothèque du
Lowre ; Ap. BtiQUR ; G. Brunbt ; F.usèbc Castaignb, bibliothécaire
à Aii0Oiilème ; J. Cbeno ; db Clinchamp, Bibliophile; V. Cousin, de
l'Académie Françoise; Dbsbabrbalx-Bbrnard, Bibliophile; A. Dinaux;
A. Eanocr, Bibliophile ; Fbrdinand-Denis, Conservateur à la Bibliothèque
Sainte-Geneviève; J. db Gaillon; Alfred Giraud ; Grangibr db La
MAamiBaB, Bibliophile ; P. Lacroix (Bibliophile Jacob) ; J. Lamoorbdx ;
C Lbbbb; Leroux de Lincy ; P. de Malden ; de MoNHERQué ; Fr. Morand ;
Padun Paris, dePInstitut; Louis Paris; D' J. F. Payen; Philarete
Chaslbs, Conservateur à la Bibliothèque Mazarine; J. Pichon, Pn}-
aident do la Société des Bibliophiles François ; Sbbob Poltoratzki ;
Ratbbbt, Bibliothécaire au Louvre; Rouard; S. de Sacy, de l'Académie
Vruiçoiae ; Sainte-Beuve, de l'Académie Françoise; Ch. Wbiss; Yemeniz,
de la Société des Bibliophiles François ; etc.; etc.,
coîitbnant des notices bibliographiques, philologiqupsy histo-
biques, litt^rairks, kt lf. catalogue raisonna. des livres dk
l'Éditeur.
MARS.
DOUZIÈME SÉRIE
A PARIS
J. TECHENER, LIBRAIRE
PLACE DE LA COLONNADE DU LOUVRE N» M.
1856.
4t
Sommaire des n<>* de Mars de la douzième série du Bulletin
du Bibliophile.
REVUE DE8 VENTES. — I. Notice bibliographique
sur les ventes Duplessis et Parison, par M. Silvestre
de Sacy 013
fl. Liste de quelques principales adjudications de la
vente Duplessis 617
III. Compte rendu analytique de la vente des livres de
M. Parison^ par M. Jacq. Charles Brunet 618
LE CÉSAR DE MONTAIGNE, par M. Cuvillier-Fleury. 625
CORRESPONDANCE du Bulletin du Bibliophilk. —
Lettre à l'éditeur, relative à un article de M. Payen,
inséré dans la précédente livraison, par M. Grun. . . 6A&
— Lettre sur le même sujet, par M. Philarète Chasies. 610
CATALOCiUE 6ft7
REVUE DES VENTES
I.
BIBLIOTHÈQUES DE M. G. DVPLESSIS ET DE
M. PARISON.
Nous alloos mettre sous les yeux de nos lecteurs les adju-
dications principales de ces deux ventes qui ont obtenu cha-
cune dans leur genre un succès mérité. Voici au surplus Tan-
nonce qu*en avoit faite M. de Sacy dans le Journal des Débats
do 1 2 février :
Nous avons à annoncer une nouvelle qui intéresse les ama-
teurs de livres et le public lettré : deux bibliothèques impor-
tantes vont être vendues dans le courant de ce mois, la biblio-
Uièque de M. G. Duplessis, ancien recteur de TAcadémie de
Douai, décédé il y a environ deux ans, et la bibliothèque de
M. Parisoo,mort tout récemment dans un ôge avancé. La vente
des livres de M. Duplessis commencera le 18 février, et celle
de M. Parison le 25 du même mois. Le catalogue de la première
de ces deux bibliothèques se distribue chez M. Potier, libraire,
quai Malaquais, 9, et le catalogue de la seconde chez M. La-
bitte, libraire, sur le même quai, 3. Ces deux catalogues, rédi-
gés avec beaucoup de soin et précédés Tun et Tautre d'une no-
tice sur le propriétaire des livres qui vont être vendus, méritent
d'être lus. La notice sur M. G. Duplessis est de M. Preux, pre-
mier président honoraire de la Cour impériale de Douai» et la
notice sur M. Parison est de M. J.-C. Brunet, le savant auteur
du livre intitulé : le Manuel du libraire et de l'amateur,
11 semble que le hasard se soit plu ix rapprocher ces deux
61 A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
ventes et à confondre le souvenir des deux hommes savants et
modestes dont les bibliothèques vont être livrées en même temps
aux enchères. L'un et l'autre aimoient passionnément les livres
et en avoient fait une étude approfondie. L'un et l'autre, dans
une fortune médiocre, avoient trouvé le moyen d'en réunir un
grand nombre à force de soins et de patience, et de les choisir
excellents. M. G. Duplessis recherchoît davantage les raretés
littéraires, sans négliger pourtant les classiques grecs, latins et
françois, qu'il connaissoit parfaitement. Le goût de M. Parison,
sans être exclusif (quand on a le bonheur d'aimer les livres, on
les aime tous) , le porloit de préférence vers ces ouvrages de
littérature et d'érudition ancienne et moderne qui composeront
éternellement le fonds de toutes les bonnes bibliothèques. La
bibliothèque de M. G. Duplessis attirera particulièrement ces
amateurs délicats qui ont des livres pour eux seuls et qui les
trouvent d'autant plus précieux que peu de personnes partagent
avec eux le plaisir de les posséder. 11 y aura plus de ces livres
qui conviennent à tout le monde, du moins à tout le monde let-
tré, dans la bibliothèque de .M. Parison. M. G. Duplessis atlendoit
les siens et les guettoit en quelque sorte au passage, assez maître
de lui-même cependant et assez raisonnable pour les laisser
aller et se contenter de les examiner d'un œil curieux lorsqu'un
prix trop élevé, une concurrence trop ardente les éievoient au-
dessus de ses modestes ressources. 11 savoit bien que le jour
d'un amateur patient arrive tôt ou tard, et que le livre qu'il fau-
droit disputer à prix d'or tombe quelquefois de lui-même entre
les mains du connoisseur qui veille. Il me semble voir encore ce
bon et sage M. Duplessis, avec sa mise propre et simple, son
air grave et doux, l'œil ardent néanmoins dès qu'un livre
nouveau lui étoit présenté; il me semble le voir tranquillement
assis dans le magasin de M. Potier et y passant des heures en-
tières, toujours prêt à faire part aux survenants de ses vastes et
sûres connoissances, mais gardant volontiers le silence lorsqu'on
ne l'interrogeoit pas. Il n'éprouvoit pas, comme certains ama-
teurs dont je me garderai bien de faire la critique pour d'excel-
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 615
lentes raisous, le besoin insatiable de posséder. 11 jouissoit avec
bonheur des livres môme qui ne faisoient que passer dans ses
mains. 11 les voyoit tous et n*en gardoit pour lui qu*un petit
nombre. Une simple note, prise sur l'exemplaire qu*un concur-
rent heureux alloit lui enlever, satisraisoit son goût et sa pas.
sion. S'il n'avoit pas acquis un livre, il avoit acquis une con-
iioissance de plus sur ces livres qu'il adoroit. Aussi, dès qu'une
question un peu difficile se présentoit en ce genre, un de ces
problèmes de bibliophile qui ont aussi leur importance dans
l'histoire littéraire, étoit>ce à M. Duplessis qu'il failoit s'adres-
ser ; sa complaisance n'étoit pas moins inépuisable que son sa-
voir. L'aimable et l'excellent homme !
H. Parison avoit commencé sa bibliothèque avec luxe. Les
éditions splendides et les riches reliures avoient séduit son
goût Très-versé dans les langues grecque et latine, amoureux
de Térudition qu'il cultivoil pour son propre plaisir sans éprou-
ver le besoin de la réputation, il recherchoil les beaux et les
grands ouvrages. Cette passion de sa jeunesse a laissé de bril-
lantes traces dans sa bibliothèque. Une armoire particulière
contient en ce genre de vrais trésors, peu nombreux, il est
vraL H. Parison s*étoit bientôt rangé à un goût plus modeste,
mais qui lui avoit permis de composer sa bibliothèque sur un
plan plus vaste. Ses livres, il les cherchoit lui-même sur les
quais, à une époque, je me hâte de le dire, où l'on trouvoit sur
les quais, plus souvent qu'aujourd'hui, d'excellents ouvrages
délaissés par des amateurs ignorants, excellents pour le fond,
excellents même pour la forme et d'une condition très-élégante
ou du moins très-pure, de beaux in-12 d'autrefois, reliés soli-
dement en veau fauve ou en veau marbré. Pendant cinquante
ans peut-être, M. Parison, d'une main sûre et heureuse, a
écrémé journellement la boite modeste des libraires en plein
vent. Il a fait là de précieuses découvertes, ne fût-ce que celle
de cet exemplaire des Commentaires de César, avec une longue
note manoscrite de Montaigne, livre inappréciable, acheté 90 cen-
times par M. Parison, et qui se vendra prochainement Dieu
sait combien, au feu des enchères! Je n'ai pas connu H. Parison
616 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
pour mon niallicur ; yaï vu sa bibliothèque, j'cu ai parcouru
avidement les rayons. C'est simple, en général, mais appétift-
sant par la propreté, pîur je ne sais quel air de choix délicat et
savant. Quant aux amateurs proprement dits, qu'ils se fassent
ouvrir Farmoirc mystérieuse, qu ils demandent à voir, à toucher
de leurs mains le PliUon en deux volumes in-folio, le Pline aux
armes de de Thou, le Vcycce^ exemplaire ayant appartenu à
Henri III, le Virgile Ëlzevier, Ylùiripide aux armes du comte
d'IIoym, le TClêmaque de Lon^epicrre, les Provinciales aux
armes de M'"* Ghamillart, le Dictionnaire de fiayle aux armes
de M""* de Pompadour ; ou plutôt qu'ils lisent le catalogue de
M. Labitte, car j'en oublie et des meilleurs.
Je ne puis pas énumércr non plus tous les trésors de la
bibliotht^que de M. G. Duplessis. Les littératures étrangères,
très-famili(>res au vaste savoir de M. I)u[)lessis, littératures ita-
lienne, angloise, espagnole, etc., y iigurent pour un bon nombre
de livres très-précieux et très-rares. M. Duplessis s'étoit beau-
coup occupé des proverbes de toutes les nations ; il avoit com-
posé sur ce sujet de curieux et savants ouvrages. L'article des
proverbes est donc un des plus riches de son catalogue. Il re-
cherchoit aussi les éditions originales de nos grands classiques;
il possédoit celles de Montaigne» de La Rochefoucauld, de La
Bniyère, etc., avec de belles et brillantes reliures. Les poètes
du XVI* siècle, des éditions les plus ran^s et les plus recher-
chées abondent dans sa collection. Je citerai encore VHaracc
Ëlzevier relié par Derome ; les Contes de La Fontaine, édition
dite des fermiers généraux ; les (ouvres de Molière de 1682,
des Rabelais fort rares, les Contes de Marguerite de Valois^ les
serves de Bouchet, un cancionero général d'Anvers, 1573; le
Mystère de la Passion, Paris, 1539. Je m'arrête; il faudroit tout
citer et tout prendre, si Ton avoit assez d*argent pour cela. J'a-
jouterai seulement qu'à la fîn de cette vente on offrira aux ama-
teurs deux ouvrages d'une haute importance, qui ne font point
partie, je crois, de la bibliothèque personnelle de M. G. Du-
plessis : un recueil de mazarinades des plus complets, et un
Voltaire unique qui ne contient pas moins de 12,800 figures.
BULLETIN DU niBLlOPHILB. 617
C*e8t le Voltaire illustré par les soins de M. le comte de Saint-
Mauris. On n'en trouveroit pas un pareil dans le monde entier.
Voilà donc encore deux belles bibliothèques qui vont être
dispersées ! Une réflexion me console : ceux qui. les possédoient
en ont joui sagement. Ce n'étoit pas pour eux un meuble de
luxe, une vaine décoration d'appartement. Ils aimoient les beaux
livres , mais ils les aimoient pour les lire ; ils en paroient leur
esprit, ils en nourrissoient leur cœur. Dans ces livres, M. Du-
plessifl et M. Parison avoient cherché et trouvé ce qui est le
véritable fruit des livres, la tranquillité de l'&me, le gofit d'une
vie simple, modeste et cachée. M. Duplessis et M. Parison ont
été heureux ; ils méritoient de Tétre. La science leur a donné
ce qu'elle devroit donner toujours, la sagesse. Tâchons d*étrc
bibliophiles aux mêmes conditions qu'eux ! Le goût des livres,
quand il n'est pas la passion d'une âme honnête, élevée, déli-
cate, est le plus vain et le plus puéril de tous les goûts.
8. DE 8ACY.
II.
Liste de quelques principales adjudications de la vente
de M. G, Duplessis.
N« 31. Heuros de Notr»>Dame de Chiulret, WX «... 210 fr.
89. Montaigne, 1580 , , . , . 332
253. Le second volume de Cathon 350
302. Marguerites de la Marguerite, 1554, in-16 200
43tt. Contes de La Fbntaine, édition des fermiers^énéraux. 173
470. Aindeoour. Poiiiên. 1007 300
kBOt Trdtor dea chansons amourousos, 16U 200
571. Oriando Farioso, 1533.. 283
000. Molière, 1682 320
«70. Racine, 1007 110
TOt. Sérées de Boucliet. 180
813. GoUeeUon de Caron 183
810. Gûlloction do Joycusetex. 2A0
1002. Les Menus Propos. 101
1471. RccueO de Mazarinades. 380
1472. Voltaire, 4,000
618 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
iri.
VENTE DES LIVRES DE M. PARISON.
La bibliothèque de M. Parison, dont la vente vient de se
faire dans l'appartement de ce bibliophile distingué, quai des
Augustins, n** 9, peut, sous plus d'un rapport^ être comparée à
celle du savant traducteur d'Hérodote, M. Larcher, laquelle fut
vendue très-avantageusement à la fin de Tannée 181/i. L'une et
l'autre, composées particulièrement d'auteurs classiques grecs
et latins, de livres de philologie et d'ouvrages relatifs à This-
toire ancienne, ont été également formées par des hommes peu
favorisés des dons de la fortune ; mais qui, à force d'économie,
et après plus de soixante années de persévérance, sont parvenus
à laisser, en mourant, deux collections remarquables par l'ex-
cellent choix des ouvrages et des exemplaires qu'elles conte-
noient. M. Larcher, il est vrai, dans les dernières années de sa
vie avoit été revêtu de fonctions lucratives, qui, en augmentant
considérablement son revenu lui avoit enûn permis de se pro-
curer des éditions princeps d'un grand prix et des exemplaires
en grand papier qu'il avoit longtemps convoités. Moins heureux
à cet égard que ce savant, M. Parison, dont le revenu annuel
atteignoit à grand'peine /i^OOO fr. et qui sur cette modique
somme avoit à prélever un loyer de 1000 fr. et les gages d'une
servante, s'étoit vu forcé de diminuer successivement ses ac-
quisitions de livres, à mesure qu'augmentoit le prix des choses
les plus nécessaires à la vie. Pourtant, comme quelque heureux
hasard lui avoit procuré de temps en temps, à des prix très-
modiques, des livres précieux soit par leur rareté, soit par la
beauté des reliures, la collection qu'il a laissée après sa mort
n'étoit guère inférieure à celle de M. Larcher, et elle avoit
même sur cette dernière l'avantage d'être plus variée, et de
bUtLLTlN 1>U BIBUOPHILE. 619
présenter des curiosités bibliographiques tout-à-fait analogues
au goût du jour. Toutefois si Ton compare les prix auxquels
quelques-uns des mêmes livres ont été portés dans les deux
ventes on sera affligé de voir dans quel discrédit sont tombées,
depuis 1816) les meilleures éditions anciennes des auteurs clas-
siques grecs et latins et certaines grandes collections. Tel livre
(le Platon, édit. de Deux-Ponts, en 12 vol. in-8<>) qui avoit été
payé 130 fr. dans la première vente a été donné pour 30 fr.
dans la seconde; d'autres, par exemple les in-^<», cumnoiis
diversorum, les in-S**, cum notis variorum, et surtout les beaux
iu-fol. imprimés en Hollande, ont perdu de 60 à 80 pour 100 ;
en sorte que ce qui, en ce genre, n'avoit pas coûté moins de
25,000 fr. à M. Parison, a produit à peine 10,000 fr. Mais par
bonheur pour les héritiers de notre bibliophile ce déficit a été
amplement compensé par la plus value d*un certain nombre de
beaux livres qui ont été portés à des prix exorbitants, par
suite de Tentrainement auquel plusieurs amateurs, et particu-
lièrement Fauteur de cet article, se sont laissé aller. La plupart
de ces livres curieux avoient été acquis à des prix très-faibles,
soit aux étalages des bouquinistes, soit môme chez les libraires
et dans des ventes plus ou moins célèbres, avant que ces sortes
de curiosités eussent acquis la haute valeur que leur donne
aujourd'hui une concurrence nombreuse.
Pour faire mieux juger de TefTet qu'a produit cette concur-
rence à la vente de M. Parison, nous allons donner ici les prix
des acquisitions d'un certain nombre d'articles précieux com-
parés à ceux des adjudications , en prévenant qu'il convient
d'ajoBter 5 pour 100 à ces derniers. Nous commencerons par
les trtÎGles trouvés aux étalages :
N* h Biblîa, 1526, in-/i, aux armes d'Henri H, mais assez mal
conservée, achetée 3 fr. en 1820, sur le pont Notre-Dame,
vendue 220 fr.
1& Psalterium Davidicum, 1555, in-16, exemplaire
du connétable Anne de Monmorency, acheté 65 c.
en 1827, sur le quai de l'École, et vendu 250 fr.
620 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
15 Liber Psalnioruin, in-8, exemplaire d'Henri 111,
acheté 1 fr. 25 c chez un fripier au Marais, en
1850 159 fr.
23 Paraphrase des psaumes par Godeau, in-ili, reliure
attribuée au Gascon , acheté 2 fr. sur le quai de
TÉcole, vendu 180 fr.
83 Office de la semaine sainte, exompl. de Louis XV,
acheté 1 fr. 25 c. sur le Pont-Neuf, en 1847, vendu 60 fr.
176 Les Provinciales, 2 vol. in-12, exempl. de madame
Ghamillart, acheté 10 fr. à Tétalage de Dabin, en
1828, vendu 350 fr
177 Autre édit. des Provinciales, aux armes de Gha-
millart; exempl. donné & M. Parison, vendu. . . 355 fr.
2/iO Explication des maximes des saints, exemplaire
de Godet Desmarais, évéque de Ghartres ; acheté
1 fr. en 1811, vendu 2ft0 fr.
662 Pline le naturaliste, édit. de 1608, in-8, exempL
de de Thou, acheté 5 fr. sur le quai Voltaire,
en 1820, vendu 100 fr.
575 Gento giochi, in-4, avec la signât, de Montaigne,
acheté 1 fr. 50 c. , vendu 89 fr.
764 Florilegium, in-8, même signature, acheté 1 fr.,
vendu 69 fr.
1059 La religion, poOme de L. Racine, pet. in-12,
reliure en veau dont les plats représentent un
parterre de jardin, acheté 2 fr. 75 c. sur le pont
St-Michel, vendu 52 fr.
1153 Plautus, in-24, exempl. du cardinal de Ri-
chelieu, acheté 2 fr. 50 c, vendu 108 fr.
1185 Le Misanthrope, édit. de 1667, acheté 25 c. et
la reliure, vendu % 63 fr.
1208 lléliodorus, in-8, exempl. deMaioli,en mauvais
état, acheté 30 c, vendu 370 fr.
1232 Télémaque, in-12, édit originale, acheté 2 fr.
vendu 55 fr.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 624
18/|2 Fragnienla, in-/i, exempl. de de Tbou, acheté
1 fr. 50 c. vendu 88 fr.
1908 César, édit. de Plantin, in-8, avec des notes et
une page de la main de Montaigne, acheté 90 c.
en décembre 1892 (pas 1801), sur le quai de
la Monnoie, vendu 1550 fr.
Le jour où M. Parison fit cette trouvaille mer-
veilleuse fut certainement un des plus heureux
de sa vie ; à peine venoit-il de la faire que, ren-
contrant un de ses amis, il voulut dans son
enthousiasme qu*il baisa comme une relique cet *
affreux bouquin. M. van Praet lui en offrit le
même jour 300 fr. mais il n'étoit pas homme à
le céder^ lui en eût-on donné 10,000 fr.
2\ki Histoire des rois des deux Siciles, in-^, mar. bl.
doublé de mar. acheté 3 fr. , vendu 95 fr.
2168 Maria Stuarta, in-12, v. f. exempl. dedeThou,
acheté 1 fr., vendu 46 fr.
UVRES ACUETÉS CUtZ DES LIBRAIRES OU DAJ<iS DBS VENTES
PUBLIQUES.
38 Novum Tcstamentum, 1649, 2 vol. in-12, mar.
bl. , acheté 12 fr., vendu 86 fr.
lOS Philo. Judœus, 2 vol. in-fol., vente Clavier,
acheté 111 fr., vendu 2j60 fr.
161 Élévations à Dieu, par Bossuet, 2 vol. in-12, m.
r., acheté 6 fr., vendu 160 fr.
S71 Boethius, in*8, mar. , Derome, acheté 1 5 fr. 60 c
en 1799, vendu 93 fr.
525 Gemini afltronomica,in*8, exempl. de de Thou,
acheté 10 fr., vendu 80 fr.
638 Glossarium médias graecitatis, in-fol, acheté
30 fr., vendu 93 fr.
622 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
687 Dictionnaire de Ménage, 2 vol. in-fol. Padeloup,
acheté 60 fr., vendu 220 fr.
67/i Deux dialogues d*Henri fistienne, 1579, in-16,
acheté 18 fr:, vendu 69 fr.
7/i/i Recueil d'oraisons funèbres, 4 vol. in -12, mar.
acheté 16 fr. , vendu 251 fr
763 Poelœ grœci principes, in-fol. mar. à compart.
de la bibliothèque de de Thou, acheté 122 fr.
vente Firmin Didot, vendu 6M fr.
776 Mulieres grflpcœ, 3 vol. in-4, gr. pap. mar. r.
■
Derome, acheté 151 fr. vente Maucuneen 1799,
vendu 522 fr.
793 Eudoxiic centones, joli manuscrit d'Ange Ver-
gece, in-8, provenant de Brotier, acheté 50 fr.,
vendu 805 fr.
871 Virgilius, édit. d'Elzevir, 1636, mar. bl. (91ig.)
acheté 40 fr. en 1792, vendu 600 fr.
884 Horatius, 1699, pet. in-12, mar. Padeloup,
acheté 12 fr. vente Crozat, en 1813, vendu 160 fr.
958 Panopliœ artium ; Album de Dupuis, acheté
6 fr. dans la cour Si-Martin chez un bouquiniste,
par M. By, accoucheur, et cédék M. Parison en
1804, en échange de quelques livres, estimés
9 fr., vendu 1000 (r.
1008 Œuvres de J. Molinet, 1587, in-8, Bauzonnet,
acheté 48 fr., vendu 131 fr.
1 028 Mellin de St-Gelais,avec les notes de Lamonnoye,
acheté 5 fr. 65 c, vente Laujon, en août 1811
(avec TédiL de 1719), vendu 460 fr.
1022 L'exemplaire de l'édition de 1719, vendu 16 fr.
Le po6te chansonnier Laujon, connu par ses
A propos de Société, et mieux encore comme au-
teur de V Amoureux de quinze ans, jolie pièce
composée par lui à l'occasion du mariage du duc
de Bourbon, dont il éloit le secrétaire, avoit
BULLETIN DU BIBLIOPHILB. 02S
eu autrefois une assez bonne bibliothèque, qu'il
fut obligé de vendre pendant la révolution. A A
mort, arrivée en 1811, il n'en restoit plus que
quelques débris que l'on vendit aux enchères,
sans en publier le catalogue. A cette vente
M. Parison acheta encore , indépendamment du
SaintrGelais, le Passerat (n» 1037), 3 fr., re-
vendu 99 fr. ; le firuscambille (n» 1233), payé
k fr. et revendu 67 fr., et le Vico, in-4, exem-
plaire de Grolier (n<' 2363), joli volume payé
7 fr. et revendu 1800 fr. ! ! !
Il est à remarquer que Tannée 1811 a été
très-favorable pour notre bibliophile , car ce
fut à cette même époque qu'il se procura plu-
sieurs beaux livres du Cabinet de Firm. Didot ;
qu'il trouva pour 1 fr. V Exposition des Maximes
des Saints , déjà citée, et enfin qu'il fit l'impor-
tante acquisition des papiers de Brotier, parmi
lesquels se sont trouvés tant de précieux auto-
graphes.
1208 Heliodorus, in-8, mar. à compart., acheté 10 fr.
chez Blondel, place Saint-Germain-l'Auxerroi^,
vendu 370 Ir.
1233 Télémaque, édit. de 1717, 2 vol. in-12, mar.
bl., exemplaire de Longepierre, acheté 30 fr.
vers 1802, chez Passart, au Louvre , vendu.. 1700 Ir.
Cette enchère extravagante a été portée pour
le compte d'un vieux bibliophile, qui, cette fois,
n'a pas fait preuve de sagesse.
H02 Petronius, cum notis variorum, in-8, Derome,
acheté 36 fr., vendu 89 fr.
1{|21 Adagia, in-6, mar. r. le plus beau de Thou de
la bibliothèque de M. Parison, acheté 12 fr. chez
Blondel, en 1804, vendu 161 Ir.
62 A BULLETIN DU BIBUOPHILB.
1529 PlutarchuB, 1590, 2 vol. in-fol. mar. r. armes
(le Ac Thou, QclieU^ l\2 fr. vente Le Blond,
en 1802, vendu 335 fr.
1715 Kusebii, etc. Ilistoria ecclesiastica, 3 vol. in-fol.
acIioU^ /i8 fr. en 1802, vendu 120 Tr
1773 nistoin3de Porl-lloyal, 6 vol. in-12, v. f. Pade-
loup, ackot(^. kO (r. en 18[i9, vendu 152 fr.
1858 llerodotus, editio Wesselingii, in-lol.,inar.De-
ronie, itchoté 92 fr. vente Maucune en 1799,
vendu 151 fr.
187/i Diodorus Sioulus, 2 vol. in-fol. mar. r. Derome,
ixdwÀé 100 fr. ni^^nie vente, vendu 205 fr.
1905 SullustiuR, 15/i3, in-8, mar. bl. armes du comte
d*lIoym, acheté 80 fr. vente de Bure, jeune, en
1849, vendu 176 fr.
HIM Dictionnaire do Bayle, 1720, h vol. in-fol.
mar. r., armes de madame de Pompadour,
achoW 200 fr. en 1 797, vendu 319 fr.
1.0 \v* 22.'iô, comprenant TAntiquité expliquée et les
Monuments do la monarchie française, par le
l\ Montfaucon, 20 \ol. in-fol. çr. pap., reliés
on \. f., qui on tlort'al an m (mai 1796), avoit
oto )K)yo 10,000 fr. en assignats, représentant
alors 9jO fr. en ar^nit , n'a été vendu que 585 fr.
JACi}* CHARLES RRIAET.
LE CÉSAR DE MONTAIGNE.
Nous avons pensé que nos lecteurs retrouve roisnt ici avee plaisir les
deux articles suivants sur le Cé»ar de la vente Parison , articles qui ont
paru dani le Journal diê Déhati (n** des 10 et 13 mars 1B50), et que Tau-
ti»ur nous autorise à reproduirp.
1.
Un Jour» il y a longtemps de cela, ce bon M. Parison, qui
étoit an savant modeste et un chercheur infatigable, trouva sur
le quai un aiïreux petit volume relié en basane qu'il paya qua^
tre*vingt-dix centimes. Ce volume étoit le César de Montaigne,
qui vient d'être vendu quatre-vingt-dix louis (1) aux enchères
de la bibliothèque de M. Parison.
Pour apprécier la joie que dut éprouver notre savant, quand
il se vit en possession de ce bouquin incomparable, il faut avant
tout se rendre bien compte de ce qui se passe dans Tftme d*ttn
vrai bibliophile quand il découvre un trésor. D'abord a Tinven-
teur » d'un trésor de cette sorte n'a rien à démêler avec l'arti-^
cie 716 du Gode civil, lequel dispose : « Si le trésor est
trouvé dans le fonds d'autrui, il appartient pour moitié à celui
qui l'a découvert, et pour l'autre moitié au propriétaire du
fonds, n Le trésor que découvre un bibliophile est bien à lui;
et il y a une bonne raison à cela : ce n'est pas seulement sa
découverte, c'est son invention, presque son œuvre. Si M. Pa-
rison n'avoit pas été un lettré de premier ordre, un habile dé-
chiffreur de vieux manuscrits et un coîleetionneur à outrance,
si môme il n'eût appartenu, bien avant la création du mot, à
cette classe d'érudits qu'on appelle aujourd'hui assez gauche-
ment Aesmantaignologues ;si M. Parison n'avoit pas réuni tous
ces avantages, il n'auroit pas sans doute attaché plus de prix au
César de Montaigne que l'étalagiste qui l'estimoit si peu , et le
(1) Le Cétar (Cœtarh Commeutarii^ 1570, petit in-S» bas, n** 1,008 du
catalogue) a été acheté 1,550 Tr. par M. Techcner pour le compte de M. le
duc d*Aumale, non compris les frais de vente et de commiision; soit à peu
près 1,100 fr.
K^,- v!Lir-:* ^: xrxtyj^'BZi.
L: ^ivii. u^ 1 MC n» MSkfïflHSLC k rïdc û^ î*cr« ^ inl le
i>L.'> ucry*»: A. Ty.<rz i % TïTtiiJT. *c j« -çTiiri:* bussent
'^r.^A jl :rr.r oiiiTiK ô^ *ix.:vr-ï z-vn-h:* ifîTLii: oecîT rûK des
Cè^^. ht î'!f- k itil. ii ^•-.•tj* rri^i-i r»î--5s ed:!>:«5 d^s ch»-
»>;;*^ 4«: i 4i.*i7-.'^: « '■! 5. ^'> r^rirc.î rî\ tv-:2\ livres, —
SfV.ûy;':*** ff%.Ci^/K*. Irrj'-riirr** *-r Tr ii. n îiit^rrlts ave»: msnia-
atv^ii^rftt proOU: 0 un^ trf-ve ;<«ar falr-=- '^cr iiiviiion bibliogra-
phique er. France apr*r* !*: traite d .\in!-=^>. rroSteot de la pais
y^ï rec/Huib^rij'.-er ;a càm[Azai apr^ ia Rf^IauraLion, et ils
«rttpfjrt^ût d<&ris leurs ch^t^ui ces dépouille^ opimes^ qui y sont
eric/ire, v>us ia protection du droit d'aine>s^. En ldf2. hausse
Mibite dei» VAihs'xTh, qui dure plu> de quinze ans: puis, vers
1 >.'//, f^endan: que ie> Flzevirs retombent en baisse, el que les
tÀiîSSU{\ï*ts Kre^rs et latins sont cabneplat, cumoie disoit \odier,
les romans de chevalerie, les mystères el les vieux poètes sont
plus que jamais '- demandés i I). Depuis vingt ans, même va-
riation dann la fortune des livres: même inconstance dans le
(Toiit et dan» le prix des reliures. J'ai connu un amateur ( le
premier de tous ! ) qui '< déshabilloit » impitoyablement tous
les vieux livre» qui lui tomboieiit sous la main, sans égard pour
les chefH-d'aruvre d'un art plutôt rajeuni que surpassé. Ten
«'finnois d'autres qui croiroient déshonorer un maroquin vicu\
(te Irois ou quatre siècles s'ils y laissoient mettre la plus légère
couche d'or on de vernis. Qui |)eut dire les destinées si diverses
(1; Ifu l'rij t-ouninl tlfn livrai nu en ila:iN \o ItuUftin du Uiblioyhiie .
P»rii»,iiunilH:{7.
BULLETIN OU BIBLIOPHILE. 627
des Gascon, des Dusseuil, des Derome, des Pasdeloup, des
«
Bradel, des Bozerian? Qui ne sait ce que deviennent souvent,
sur le marché, les magnifiques veaux fauves, les vélins satinés,
les tranche-files métalliques, les charnières dorées, les brillants
écussons qu'admiroient nos pères?
Comment en un plomb vil Tor pur s'est-il changé?
Comment ce qui avoit coûté si cher tombe-t-il à rien? Ou
pourquoi ce que vous aviez payé un écu en vaut-il tout à coup
cinquante pour avoir vieilli? Tantôt une indifl'érence sans pitié,
tantôt un engouement sans raison. L'amour n'est ni plus capri-
cieux, ni plus passionné, ni plus prodigue. <( ...Je trouve éga-
« lement naturelle, dftoil Nodier, l'élégante prodigalité du cu-
« rieux qui enrichit le Virgile d'Aide et l'Horace d'Elzevir
c d'un vêtement somptueux, et celle de l'amant qui suspend
c une rivière de diamants aux épaules de sa maltresse. La bi-
« bliomanie est peut-être encore de l'amour. Une bibliothèque
« de luxe est le harem des vieillards... » Soit! pourvu que les
trésors qu'on y rassemble n'y soient pas possédés par des eu-
nuques.
Revenons à Montaigne. J*ai montré la mode à peu près
maltresse sur la place, quand il s'agit des éditions rares et des
vieilles reliures, décidant tour à tour du prix d'un incunable ou
d'un Didot, d'un filet gothique ou d'un vélin blanc. Montrons
qii*elle décide quelquefois du destin des auteurs eux-mêmes.
Montaigne, pour ne parler que de lui, en est bien la preuve.
Très-recherché de son vivant, comme le témoignent les lettres
d'Eslienoe Pasquier, très-admiré après sa mort, même de Bi-
cbelieu qui accepta la dédicace de l'édition de 1635, la vogue
du grand sceptique commence à baisser vers le milieu du
xvn* siècle. De 1580 , date de la première publication des^
Essais, à 1650, le docteur Payen, c'est-à-dire l'homme de
France qui connoit le mieux Montaigne et ses abords^ compte
trente et une édition de son auteur; de 1650 à 172&, six édi^-
Ô28 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
lions seulement (1). Puis à ce moment la faveur lui revient. On
réimprime ses œuvres à Londres, à Paris^ à Genève^ à la Haye,
à Amsterdam, treize fois, de 1724 à 1801. Ici, nouvelle déca-
dence de la popularité de Montaigne^ qui ne se relève qu'en
1 8 1 6 et par une série non interrompue de réimpressions jusqu'en
1836. Pendant ces vingt ans, les Essais comptent vingt éditions;
et aujourd'hui, après un autre quart de siècle, grâce à des travaux
récents d'une valeur et d'une originalité incontestables, on peut
assurer que notre grand Montaigne est plus lu, plus aimé, plus
demandé, et, pour tout dire en un mot, u plus à la mode» qu'il
n'y fut jamais. Nous sommes donc bien loin du temps où Pas-
cal écrivoit : «Le sot projet qu'a eu Montaigne de se peindre!»
— où La Bruyère le défendoit à la fois contre Balzac et contre
Malebranche ; — où Voltaire disoit en pleine Académie : « Le
style de Montaigne n*cst ni pur, ni correct, ni précis, ni noble; »
— où La Harpe lui-même, qui l'a d'ailleurs bien jugé, lui re-
proche l'abus du langage familier; — où M. Aimé Martin, l'é-
rudit célèbre, rofusoit un de ses autographes et contestoit sa
signature (2). Les temps sont bien changés; les éditions origi-
nales de Montaigne se vendent aujourd'hui un prix fou ; ses
autographes ont monté, nous l'avons vu, dans la proportion de
dix-huit sous à dix-huit cents francs; on fouille les biblioUië-
ques pour y découvrir les moindres débris de sa correspon-
dance; on se dispute ses lettres devant la justice (3)... Si Mon-
taigne n'cxistoit pas, ce seroit le moment de l'inventer. Mais à
l'époque (c'étoit en 1801) où M. Parison trouva sur les quais
le César qui s'y morfondoit dans la case à quatre-vingt-dix cen-
times, Montaigne n'étoit encore qu'un écrivain de génie. Quoi-
qu'il eût été bien des fois Tobjet de travaux sérieux, personne
ne l'avoit encore ni commenté, ni illustré, ni autograpbié, ni
instrumenté, ni plaidé, comme il l'a été de notre temps. Mon-
(1) Notice bibliograpMqtte sur Montaigne» Paris, 1837.
(2) Voir dans le numéro du Bulletin du Bibliophile do février 1850* un
réoeut article de M. Paycu.
(3) Voir le apirituol iVrit public'- par M. FeuillPt de Conches sous ce litre :
Encore me lettre de Montaigne ! Paris, 1851.
BULLETIN DU BlfiUOPHILC. 629
taigne étoit Montaigne, et rien de plus. C'étoit bien assez, a Ah!
Tadmirable homme! » écrivoit M"*' de Sévigné, qui étoit restée
fidèle à Tauteur des Essais, « Ah! l'admirable homme! qu'il
est de bonne compagnie (elle vouloit dire : bon compagnon).
C'est mon ancien ami!... » Avant que Montaigne eût été re-
trouvé et remis h la mode par l'érudition moderne, plus d'un
homme de goût pensoit comme M"*'' de Sévigné, et le disoit tout
bas. M. Villemain a eu le mérite de le dire tout haut un des
premiers, dans « TÉloge » que TAcadémie françoise couronna
en 1812. Il a commencé la monrai^/io/o^fie françoise. Iln'auroit
pas inventé le moi, et je suis sûr qu'il ne l'aime guère. Il doit
avoir quelque respect pour la chose.
Et maintenant, comprend-on comment ce bon M. Parison
put se croire légitime propriétaire pour ses dix-huit sous,
comme il l'étoit en effet, de ce bouquin méconnu dont la haute
valeur venoil de lui être si subitement révélée? Il auroit dû
partager avec le vendeur, dira-l-on. Partager quoi? Une valeur
qui étoit tout entière de goût et d'imagination? Pour pouvoir
juger à quel point la valeur vénale du livre seroit en rapport
avec ce prix tout imaginaire que le choix de M. Parison lui
donnoit, il auroit fallu le revendre, et M. Parison n'y songeoit
pas. Il songeoit à le garder et à en jouir, à en jouir tout seul,
avec le délicieux égoïsme de l'érudition et de la passion. £t
ausi bien, qui lui eût, fait concurrence en ce temps-là? En 1801,
M. Parison n'étoit pas, comme nous tous, aussi enfant que le
siècle qui commençoil. Il étoit né en 1771. Sa bibliothèque
avolt presque le môme Age que lui : je crois vraiment qu'il l'a-
voit commencée au collège. uLa bibliothèque, c'est l' homme «»>
dit quelque part le docteur Payen. Celle de M. Parison s'ou-
vroit, avec une prédilection marquée, à ces livres curieux en-
tre tous qui portent la trace des savants ou des hommes célèbres
qui les ont possédés, ces livres préférés où ils mettent leur chif-
fre, leur nom, leurs armoiries, quand ils en ont, leurs notes
rapides, leur pensée, quelquefois leur génie. A tous ces titres
le César de Montaigne appartenoit à la bibliothèque de M. Pa-
630 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
rison, comme il apparlient aujourd'hui à celle qui Tattend, en-
tre TEschyle annoté de Racine et TAristophane de Rabelais.
Dans le César, Montaigne revivoit en quelque sorte à toutes les
pages. Au bas du frontispice, il avoit mis sa signature authenti-
que; sur les marges du livre, plus de six cents notes (1) de sa
main inégalement réparties sur trois cent trente-six pages ; k la
fin du volunîe, au verso d'un des derniers feuillets, tout entier
rempli de la plus fine écriture de Montaigne ( de trente-six li-
gnes à la page et de quarante lettres environ à la ligne), un
jugement inédit sur le grand homme qui avoit écrit ses campa-
gnes de la même main rapide et ferme qui avoit tenu Tépée du
commandement. Tel étoit ce César de Montaigne, si heureuse*
ment retrouvé par M. Parison (2). Montaigne avoit consacré
près de cinq mois à Tétude des Commentaires. Commencée le
25 février 1578, par la lecture des trois livres de la Guerre ci»
vile, et deux ans avant la première édition des Essais, il Favoit
terminée par la Guêtre des Gaules, le 21 juillet de la même
année. Après le millésime, Montaigne avoit mis le chiffre qui
(1) Le docteur Payen se trompe cette fois, lui qui ne se trompe guère ,
quand il dit que « le nombre des annotations ne s'élève pas à moins de
3G8. » {Doeumenii inédits sur Montaigne^ 1855.) J'en ai compté 644« ainM
i-éparties : livre I, des Gaules^ 43; livre II, 32; livre III, 37; livre IV, 35 ;
ivre V, 75; livre VI, 82 ; livre VII, 123 ; livre VIII, 2. Livre I, des Guerreê
civiles^ 56; livre II, 22 ; livre III, 137.
(2) En voici la description exacte : Au titre C. Julii CcBsaris Comnteti,
tarit, novis eme,ndationibus illustrati. Ejtisdem librorum qui desiderantur
fragmenta, ex bibliotheca Fuivi Ursini romani, — Pour écussoo , la main
armée du compas et traçant un cercle. — Antuerpiœ, ex officina Chriêtoph»
Plantini, CICDLXX. Pet. in-8o de 409 pages chiffrées, le livre finissant par
16 feuillets sans chiffres, dont Tun, le 14*, contient la grande page aato-
graphe de Montaigne ; le 15«, deux lignes de son écriture ; le 16% en blaor;
— et commençant par 16 autres feuillets également sans chiffres qui con-
tieinipnt les dédicaces, Vindex géographique, les cartes des Gaules et de
TEspagne, le plan des fortifications de quatre villos : Bourges, Marseille,
Uxelodunum (Cahors), Alexia, et celui d*un pont que César fit jeter deux
fois sur le Rhin et une autrt» fois sur l'Auron devant Bourges. « Estimant
indijrno do l'honneur du peuple romain, écrit Montaigne {Essais^ livre Ii;.
qu'il passast son armée à navire, ilfeit dresser un pont, à fin qu'il paflsast
ù pied ferme. »
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 631
Diarquoit son âge, quarante-quatre ans avant le 28 février (date
de sa naissance), quarante-cinq ans après. Il se précautionnoit
ainsi, comme il le dit lui-même, contre les défaillances trop
habituelles de sa mémoire : « Pour subvenir un peu à la trahi-
« son de ma mémoire et à son défault si extrême qu'il m'est
« advenu plus d'une fois de reprendre en main des livres
c comme récens et à moi incogneus^ que j'avois leu soigneuse*
o ment quelques années auparavant et barbouiUc de mes notes^
« j'ai prins en coustume depuis quelque temps d'adjouster au
« bout de cbasque livre (je dis de ceulx desquels je ne me veulx
ce servir qu'une fois) le tems auquel j'ai achevé de le lire et
c le jugement que j'en ai retiré en gros; à fin que cela me re-
« présente au moins l'air et idée générale que j'avois conceu de
« l'aucteur en le lisant... (1) » Et à la suite de ce passage Mon-
taigne cite in extenso les notes qu'il avoit écrites sur son Guic-
ciardin, son Philippe de Gomines et son Du Bellay. Quant à
800 jugement manuscrit sur Gésar, il n'en dit mot. Il le gardoit
pour M. Parison.
Je reviendrai avec détail sur cette page finale du Gésar de
Montaigne, et j'essayerai de l'apprécier. Bornons-nous aujour-
d'hui à la décrire. Elle est écrite d'un caractère très-fin , mais
lisible. La première ligne manque tout à fait : elle a été visi-
blement rognée par le relieur. Il en est de même des notes qui
couvrent les marges. Le mal est irréparable. Fortune des livres!
disions-nous. G'étoit bien la peine de parottre dans un temps
dont les reliures sont justement célèbres, où les Grollier d'a-
bord, puis les d'Urfé, les deThou,ces pères de la bibliographie
fraoçoise, trouvoient, je ne dis pas des ouvriers, mais de véri-
tables artistes qui composoient pour eux des merveilles dignes
de leur goût intelligent et magnifique. Voici un exemplaire de
César, imprimé chez Plantin, en 1570, sorti des mains de Mon-
taigne, marqué de son nom, couvert de ses notes, illustré par
une page inédite, donnant la date de sa lecture et celle de son
(i) Estais^ Utt« D, ch. X.
632 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
âge, nous associant presque jour par jour à son travail et à sa
pensée; — et cet exemplaire tombe sous le couteau d'un arli«
san grossier, qui non-seulement retranche cette ligne d'en haut
à la page finale, en rognant la tranche supérieure, mais qui
supprime deux ou trois lettres à chacune des notes marginales
en coupant la tranche du milieu dans toute Tcpaisseur du vo-
lume! Vanité des livres, comme tout le reste! M. Charles No*
dier a fait d'inutiles recherches pour découvrir le nom des ha-
biles relieurs d'autrefois. (( Tel homme, dit-il^ a brodé sur le
dos ou sur les plats d'un beau livre du xvr siècle des arabes-
ques d'une ûnesse et d'un goût qui feroient envie au crayon de
Raphaël et au burin de Benvenuto Cellini, dont le nom ne noua
est point parvenu... » On ne sait plus rien de ceux qui furent
habiles ; on saura peut-être un jour le nom de celui qui a rogné
le César de Montaigne! On apprend tant de choses aujourd'hui!
Ce relieur a droit à la célébrité d'Erostrate. Quant à moi, jo
voudrois mettre ces malencontreux rogneurs de raretés sécu-
laires dans ce coin du purgatoire où le Dante a placé je ne sais
plus quels réprouvés, qu'il nous montre les pieds et les mains
iés dans une immobilité sans relâche.
E quanto fia piaccr del giusto Sire,
Tanto staremo immobili e distesi. . .
Et aussi bien n'est-il pas toujours facile de rétablir le texte,
quelquefois même le sens véritable de ces notes ainsi mu-
tilées. Quelques-unes, huit ou dix au plus, résisteront, je le
crains^ à toute interprétation. Elles sont d'ailleurs, pour la plu-
part, fort lisiblement écrites dans tout ce que le ciseau du relieur
a épargné; et je ne sais pas trop pourquoi Montaigne s'accuse
quelque part « d'escrire si precipiteusement que, quoique il
peigne insupportablement mal, dit-il, il aime mieulx escrire de
sa main que d'y employer une aultre... » Tout au contraire, sa
main est fort belle. Sa correspondance a très-bon air; toutes
les lettres qu'on a récemment publiées de lui> avec le spécimen
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 633
antographi^ de son écriture, sont des pièces admirables. La
page finale du César est également d'une parfaite netteté ; et
quant aux notes marginales qui couvrent le livre, elles sont
presque toutes écrites visiblement avec le soin qu'on met (quand
On a ce défaut-là) à écrire sur les imprimés qu'on aime à lire.
ù Les historiens sont le vray gibier de mon estnde, » disoit Mon-
taigne dans la première édition de ses Essais. On voit assez,
dans le César qu'il nous a laissé, quelle rude chasse il faisoit à
ce gibier-là !
Quelle est au fond la valeur réelle de ces notes ajoutées au
texte des Commentaires? On pourroit les diviser en trois séries
distinctes, suivant la manière dont elles sont rédigées. Ainsi
tantôt ce sont de simples sommaires sans aucune réflexion, tels
que celui-ci : Dénombrement des forces des Suisses (p. 16); —
r Estât de la Gaule de ce temps (p. 17); — Victoire de César
sur les Anglois (p. 89), etc., etc.. Ailleurs, le sommaire est
accompagné d'une épithète qui est comme un jugement porté
par l'auteur : Paroles de Divico à César (p. 7); Montaigne
ajoute après coup le mot braves^ pour marquer l'état qu'il fait
de ce discours adressé par l'envoyé des Suisses au général ro-
main. Honteuse supplication des Gaulois à César, écrit-il ail-
leurs (p. 16); — Patience des Alcmands à la guerre (p. 21);
— Estrange obligation {p, 59), etc., etc. Enfin il arrive aussi
que tantôt ces notes résument, par quelque pensée brève et
expressive, la substance du texte, comme dans celle-ci : Un
ban chef n'est jamais désobéi (p. 26); tantôt elles ne sont que
la traduction précise et énergique de quelque sentence qui se
retrouve dans l'original, et alors le commentateur souligne sur
le texte la phrase qu'il a reproduite, comme ici, par exemple :
Le soldat aux guerres civiles donne plus à la crainte qu'au de-
voir (p. 239) {miles in civili dissensione timori magis quam re-
ligicni consulit). Ailleurs, Montaigne se contente de souligner
sans traduire, comme dans cette phrase : Plerumquc in summo
periculo timor misericordiamnonrecipit,.. (p. 1/|5), etc., etc.
Mon intention n'est pas, on le pense bien, de pousser à bout
63A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
celte recherche un peu lechnique. Bornons-nous à dire qu'a-
près la peine de déchiffrer ces notes de Montaigne, on pourroit
i»e procurer une grande satisfaction, celle de les publier, en les
utilisant, comme dit M. Payen, dans une édition nouvelle de
César. L'idée est heureuse. Quel ne seroit pas Tintérét d'une
édition des Commentaires oii ces notes de Fauteur des Essais
scrviroient de guide au lecteur et le mettroient sans cesse en
rapport avec ce grand et sage esprit !
Nous arrivons ainsi à la pièce principale, à la page autogra-
phe que Montaigne a écrite sur le dernier feuillet de son livre.
Mais ici nous avons tout un petit drame à raconter. « La
c chaleur des enchères met en jeu des passions si vives et si
(( difficiles h concevoir, que nous i^e craignons pas de trop pro-
c mettre, disoit le Bulletin du Bibliophile (janvier 1836), en
n faisant espérer à nos lecteurs qu'ils trouveront quelquefois,
(( dans le récit de ces innocents débats, tout Tattrait d'un spec-
< tacle... )) Aussi n'avons-nous pas fini avec le César de Mon-
taigne. Nous sommes loin d'avoir dit, sur l'histoire de ce bouquin
illustre, ce qu'elle renferme de plus nouveau et de plus curieux.
IL
C'étoit donc, vers 1801, un homme particulièrement heureux
que ce bon M. Parison, quand il se vit possesseur du César de
Montaigne.
Nous venons de raconter l'histoire de sa découverte. Nous
dirons maintenant l'histoire de sa possession. M. Parisoo ,
si j'ai bien compris quelques documents curieux que j'ai entre
les mains, garda près de cinquante ans le trésor dont le
hasard l'avoit rendu maître à si peu de frais, sans jamais trahir
vis-à-vis du public le secret de sa jouissance. Appartenoit-il à
celte classe de bibliophiles qui sont avares, jaloux et secrets 7
Je n'en sais rien. I! passoit pour un aimable homme, fort obli-
geant dans tout le reste. Je doute qu'il fût un grand a préteur
de livres » , comme étoit ce célèbre Jean Grollier, lettré par
goût, financier de son état, et qui avoit fait mettre en lettres
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 6S6
d'or sur cliacim des volumes dont se composoit sa magnifique
bibliothèque : Grollieri et amicorum (à Grollier et à ses amis).
Quant à M. Parisou, il garda pour lui le César de Montaigne, et
il n'en laissa jamais rien sortir^ jusqu*au moment où la fortune
lui suscita une concurrence dont il faut bien que nous disions
quelques mots.
Le concurrent de M. Parison dans la possession du César,
tout le monde le devine, c*étoit le docteur Payen. Nous avons
déjà cité avec éloge, dans un précédent article, les travaux sé-
rieux par lesquels cet érudit s'est fait connoitre, travaux qui
durent encore et qui ont presque uniquement pour objet la
bibliographie et la biographie de Montaigne. M. Payen sem-
bloit avoir voué sa vie à une sorte de commentaire perpétuel de
l'auteur des Essais, Avant de livrer au public l'ouvrage princi-
pal qu'il méditoit, il en avoit donné une sorte d'avant-goût par
quelques extraits d'une nouveauté piquante. Médecin à Paris et
praticien estimé, M. Payen s'étoit livré à sa passion dominante
avec cette vivacité un peu inquiète que nous mettons à suivre
nos goûts quand ils sont contrariés par notre état. Deus nobis
non otia fecit ! dit-il quelque part avec une sorte d'amertume.
0 J'ai mis au service de Montaigne'autant de désintéressement
que d'amour, » écrit-il ailleurs, à propos d'un récent livre de
M. Grûn sur la vie publique de son auteur favori. Puis, ayant à
relever quelques inexactitudes innocentes qui s'étoient glissées
dans cet ouvrage, M. Payen r( se croit forcé, dit-il, de signaler
« des erreurs d'autant plus dangereuses qu'elles sont protégées
a par un nom, une position et un remarquable talent (1) »
M. Payen, non plus, ne manquoit pas de talent. Il avoit la ré-
partie prompte, l'érudition un peu agressive, le ton poli, l'affir-
mation trancJiante, avec une certaine idolâtrie de son travail
et de sa pensée. Peut-être, à force d'étudier Montaigne, avoit-
il grandi hors de toute proportion humaine ce sage aimable et ce
sceptique de bonne foi. Peut-être s'étoit-il trop facilement per-
1) Bulletin du Bibliophile^ numéro de Janvier-février 1S56, p«ge 526.
M6 DULLETIN nu BIBLIOPHILE.
suadé que Montaigne étoit devenu sa propriété. Et malgré tout,
si Montaigne devoit appartenir à quelqu'un, qui ne voudroit le
céder à M. Payen plus qu'à tout autre? M. Payen est de l'école
de Grollier ; il croit que les bons livres ne doivent pas être mis
sous clef, que le génie des grands écrivains est le patrimoine de
tous, et que les rarelés sont pour tout le monde. Il diroit vo-
lontiers des auteurs illustres ce que Bossuet disoit des princeSt
que ce sont « des fontaines publiques qu'on élève pour les ré-
pandre. » Seulement il auroit bien voulu se réserver le privi-
lège d'étudier Montaigne à lui tout seul, sauf à répandre à flots
dans le public les fruits de ses études et le trésor de ses décou-
vertes.
Tel est le docteur Payen. Imaginez maintenant ce qui va 86
passer entre ce savant si discret qui veut tout garder, et cet
érudit si expansif qui veut tout savoir et tout produire. M. Pft*
rison jouissoit depuis trente ans sans contestation du César de
Montaigne ; il en jouissoit, comme je l'ai dit, avec le plus par-
donnable des égoïsmes, celui de l'érudition bien sûre de son
fait et bien tranquille dans son domaine. Mais il ne s*agissolt
plus de jouir, il falloit se proléger contre la convoitise d'un ri-
val. Ce n'étoit pas tout de posséder le César^ il falloit le dé-
fendre...
J'ignore à quelle époque le docteur Payen a su que M. Parison
avoit en sa possession le César de Montaigne , et cela importe
peu. Je m'en tiens aux documents que j'ai sous la main» docu-
ments tirés de la bibliothèque de M. Parison lui-même, et qui
marquent assez le caractère et la suite de ce petit drame bi-
bliographique. 8i je me sers de ces pièces, c'est précisément
parce que je suis du parti de M. Payen contre M. Parison, et
que je n'en veux rien tirer de désagréable ni pour M. Parison
ni pour personne. Après tout, ces passions que le goût des li-
vres entretient, sont les plus respectables de toutes; et s'il entre
parfois un peu de manie dans ces surexcitations inoiïensives,
M. Sainte-Beuve a raison de le dire : il y a aussi là bien sou-
vent quelque étincelle du feu sacré.
BUIXBTIIf DU BIBLIOPHILE. M7
Mai» pomsuivons* C'est en 1837 que le docteur Payen oom*-
meoce Fattaque contre le César de Montaigne. Le César étoU
alors retranché au quatrième étage d'une maison du quai
des Augustins, habitée par M. Parison. Le docteur Payen ve**
Doit de publier sa Notice bibliographique sur Montaigne, Dans
cette notice, une petite note glissée au bas de la page /|2, signa-
loil le précieux exemplaire, mais rien de plus. Dix ans se pas-
sent, la durée du siège de Troie. L'aiTaire tiroit en longueur.
Le César s'obstinoit à rester caché. M. Payen fait une nouvelle
tentative : il adresse à M. Parison une nouvelle brochure (Pa-
riSf 18^7), sous le titre de : Documents inédits et peu connus
sur Montaigne, Ce titre seul avoil un air d*épigramme. M. Payen
y joint, sur un des feuillets de garde, une dédicace ainsi con-
çue : « Au savant M. Parison, V heureux et trop discret posses-
seur de précieuses lignes autographes de notre Montaigne ; hum-
ble hommage de Fauteur... a Ce n'est pas tout : page 3/i de
cette brochure, M. Payen revient sur le volume introuvable, et
il en donne le titre en tôle d'une u Liste des ouvrages signés ou
annotés par Montaigne, qui sont parvenus, dit-il, à ma connois-
sance,.. • C'étoit un progrès. Trois ans plus tard, le docteur
Payen se rapproche de la place, et cette fois il essaye d'ouvrir
la brèche. Sous le titre de : Nouveaux Documents inédits ou
peu connus (Paris 1850), il lance une troisième brochure fort
curieuse et tout à fait pressante : a Notre publication d'au-
jourd'hui^ dit-il, encouragera peut-être les érudits à nous com-
muniquer les matériaux nouveaux qu'ils pourroient posséder;
el afin de leur donner une idée de l'œuvre que nous projetons,
nous en transcrivons ici le titre (1), tel qu'il nous a été conseillé
par un savant modeste qui pourroit, lui aussi, s*il voulait, nous
enrichir d'une belle jtage inédite encore de Montaigne, » « Ce sa-
vant modeste», qui ne le comprend? c'est l'obstiné possesseur
(1) Voici ce titre de l'ouvrage projeté de M. Payen :
« Michel de âfontaigney recueil de particularités inédites ou peu connues
sur l*auteur den Ensais^ son livre et ses antres écrits, sur m famille, ses
amis, ses admirateurs, ses contempteurs.
ô38 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
du César. Pourtant on semble déjà en meilleure intelligence
avec lui, hormis sur un point où le savant modeste se défend
encore. Mais patience! quelques années s'écoulent, et la brèche
n*est pas réparée ; le César va se rendre, non pas vaincu, mais
fléchi. Nous sommes en 1855. Le docteur Payen publie tout à
coup un nouveau recueil de Documents inédits sur Montaigne^
tiré cette fois à cent exemplaires seulement. Et que lisons-nous
en tête de Texcmplaire adressé à ce bon M. Parison?... « A
M. Parison ; bien chétif honimayc en reconnaissance d'une tm-
mense libéralité! » Qu'étoit-il donc arrivé? Âh! ici il faut lais*
ser parler M. Payen lui-môme : a Bonheur inouï!... M. Pari-
(( son, qui possède une page entière, autographe et inédite
« de Montaigne, dont jusqu'à présent il avoit désiré réserver la
f publication, a bien voulu s'en dessaisir en ma faveur^ et il
(( m'autorise à la publier !» M. Payen attendoit depuis vingt
ans cette autorisation. Mais quel triomphe pour lui! comme cet
hommage à M. Parison, sous forme d'un rcmerciment respec-
tueux, ressemble à un chant de victoire ! Il le tient enfin ce
précieux volume,
Mumbttsque mets Meienlius hic est !
il tient les notes marginales et la page inédite ; il tient tout. Il
a pu compter les notes, copier la page. Le César s'est livré à
discrétion. M. Payen prend son âme, c'est-à-dire cette page
autographe qu'il s'empresse de livrer au public : il ne laisse k
M. Parison que le squelette relié en basane... Quelques mois
plus tard, le savant si longtemps discret mouroit à Paris au mi-
lieu de ses livres chéris et de ses autographes inexplorés ; il
mouroit, non pas certes de cette indiscrétion dont avoit profité
le docteur Payen ; — mais peut-être ce sentiment de sa fin pro-
chaine ne l'avoit-il que trop disposé à un sacrifice si contraire
à ses habitudes. «... Ses organes s'étoient afl'aiblis, écrit
M. Brunet; il avoit éprouvé un peu de surdité, et de jour en
jour la marche lui étoit devenue plus pénible ; enfin il en étoit
presque réduit à garder la chambre, lorsqu'il fut atteint de la
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 689
maladie sous laquelle il a succombé, après huit jours de légères
souffrances et en pleine connoissance, le 16 septembre der-
nier (1). »
Arrêtons-nous ici et admirons cette puissance d'une volonté
résolue dans une bonne cause. M. Paycn vouloit voir le César
de Montaigne.... c J'ai voulu voir, j'ai vu ! » Il vouloit publier
la page inédite ; il en a été le premier éditeur. Plus d'un ama-
teur a pu la lire, même avant la mort de M. Parison. Nul doute
maintenant sur les intentions du docteur Payen, dans cette pour-
suite obstinée où nous l'avons vu employer tour à tour l'épi-
gramme et le madrigal, tous les aiguillons d'une ironie spiri-
tuelle et toutes les séductions de la dédicace. Nul doute non plus
sur le caractère [de sa passion pour Montaigne. Il est un pas-
sionné, non un jaloux. Il aime son auteur non pour l'exploiter,
mais pour le répandre," non pour en tirer l'égoïste satisfaction
d'an succès personnel, mais pour partager, s'il est possible,
son bonheur avec tout le monde. — Citons maintenant, à notre
tour, cette page si longtemps dérobée à la lumière. Citons-la
tout entière. Le nouveau possesseu r du César de Montaigne
nous y autorise, a Je ne suis nullement disposé au mystère,
nous écrit-il, dans les choses où la légitime curiosité [du public
érudit est intéressée... » Ajoutons ainsi, comme il le désire, à
une première et incomplète publicité. Voici le texte de cette
page fidèlement reproduit d'après l'original que nous avons
soos les yeux (2) :
(1) Notice 9ur N, PariêOH^ par M. J.-C. Brunet, le célèbre auteur du Ma-
nuel du Libraire^ p. 9, en tête du catalogue des livres de la biblioUièque
de feu M. Parison. (Paris, 1856.)
(2) M. le docteur Payen donne strictemeut Tortbographe et la ponctua-
tion de Montaigne ; nous avons préféré, pour Tintelligence du lecteur, nous
rapprocher davantage du système adopté par les éditeurs modernes de Fau-
teur des EnaU. Il y a pourtant ici une remarque à faire : Montaigne, dans
cette page qui est si incontestablement de sa main, écrit autres, et non
QuUres, eut^ et non eutt, fut^ et non fmt^ prele^ et non preste. Nous avons
justement respecté une orthographe qui est restée la nôtre.
6ikO BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
(( Somme, c'est Gésar^ un des plus grands miracle de Na-
(( ture ! Si elle eut voulu ménager ses faveurs, elle en eut bien
« faict deus pièces admirables ; — le plus disert, le plus net et
c( le plus sincère historien qui fut jamais; car en celte partie il
a n'en est nul Romain qui lui soit comparable, et suis très aise
« que Cicero le juge de même ; — et le chef de guerre en toutes
(c considérations des plus grands qu'elle fit jamais. Quand je
« considère la grandeur incomparable de cette ame, j'excuse la
« victoire de ne s'eslre peu défaire de lui, voire en cette très
« injuste et très inique cause. Tl me semble qu'il ne juge de
f Pompeïusque deux fois (208, 32/i) (1). Ses autres exploits et
(( ses conseils, il les narre naïfvement, ne leur dérobant rien
et de leur mérite ; voire parfois il lui prête des recommanda-
« tiens de quoi il se fut bien passé, comme lors qu'il dict que
(( ses conseils tardifs et considérés éloient tirés en mauvaise
u part par ceux de son armée; car par là il semble le vouloir
u décharger d'avoir donné cette misérable bataille, tenant Cé-
(( sar combattu et assiégé delà fein (319) (2). Il me semble bien
(( qu'il passe un peu legierement ce grand accident de la mort
(( de Pompcïus De tous les autres du parti contraire, il en
(f parle indifféremment, — lantost nous proposant fidèlement
c: leurs actions vertueuses, tantost vitieuses , — qu'il n'est pas
« possible d'y marcher plus consciencieusement. S'il dérobe
< rien à la vérité, j'estime que ce soit parlant de soi ; car si
(1) Ces chiffre» sont ceux do deux pages de l'exemplaire mrme du César
de Montaigne, auquel l'auteur nous renvoie : il s'ajrit en effet de deux ju-
gements portés par César sur son rival, dont le premier surtout est trts-
sév^re : page 208, uSimul iiifamia duarum legionum permotus .. »» (de BeUo
rivili, liv. I, /i), et pa^e 32.'i, « Quod nohis quidem nulla ratione factum a
Pompeïo mdeiur. .« {ibid.f liv, 111,02). Dans le premier cas, César reproclic
& Pompt^ une ambition peu srrupulcusc sur le choix des moyens ; dans lo
second, une fausse manœuvre sur le champ de bataUle.
(2) Ceci se rapporte évidemment à ce passage du livre III, 82, Dt bello
ciuili ; « Si quid Pompeîus tardius aut considcratius faccrct, -HlutH dt-
lednri imper'm et ronsuhires prœlorioxque sen'onnti luthere numéro dia^
bant. »
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. GAI
a grandes choses ne peuvent élre faictes par lui qu*il D*y aie
n plus du sien qu'il n'y en met. C'est ce livre qu'un gênerai
(( d^armée devroit continuellement avoir devant les yeus pour
(I patron, comme faisoit le maréchal Strozzi qui le savoit quasi
c par cœur et l'a traduit ; non pas je ne sçais quel Philippe de
<( Gomines que Charles cinquième avoit en paieille recommau-
« dation que le grand Alexandre avoit les œuvres de Homère,
i Marcus Brutus (avoit) Polybius l'historien. »
Telle est donc cette page, objet d'une si longue et si légi-
time convoitise. Le dirai- je pourtant? Bien que le mouvement
de phrase par lequel la page débute me paraisse admirable,
bien que César y soit très-nettement qualifié comme historien,
et que sa grande manière, son impartialité supérieure, son ha-
bile modestie y soient appréciées avec justesse, je ne trouve là
ni tout à fait le César que nous montre l'histoire, ni celui dont
Montaigne lui-même a fait une peinture si achevée en maint en-
droit de ses Essais. César est l'enfant gûté de Montaigne. Il
aime Épaminondas comme « le plus excellent » des hommes,
César comme le plus grand. Il ne dissimule, il est vrai, ni les
vices de son caractère, ni les crimes de sa politique. Il va quel-
que part jusqu'à le traiter de «brigand > (liv. II, chap. xi) ; il
ne lui épargne ailleurs aucun reproche sur «sa mauvaise cause
et l'ordure de sapesiilente ambition » (chap. x). Malgré tout,
ce miracle de nature l'attire. Il y revient sans cesse dans le
cours des Essais , et souvent dans des termes presque sem-
blables à ceux qu'une première impression lui a inspirés. Com-
parez, par exemple, cette phrase où, dans la page autographe,
Montaigne excuse la victoire, et cette autre où il caractérise
la modestie de César ; comparez-les avec leur reproduction dans
les Essais (liv. II, chap. xxxni et x), et vous y verrez la preuve
de ce travail incessant que le grand moraliste faisoit subir à son
style. Quant au fond des idées même, Montaigne est allé beau-
coup plus loin dans son immortel ouvrage, et il s'est élevé plus
haut. Ce n'est pas seulement Tespace qui lui manquoit quand il
fit ce résumé rapide d'une loniçue lecture; maison diroit qu'une
6h2 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
certaine confusion lui en étoit restée dans Tesprit ; le César
tout entier ne se détachoit pas encore nettement dans sa pen-
sée ; l'écrivain éclipsoit le héros. Pour Montaigne, quand il écrit
la page inédite, « le miracle de nature, » c'est rhistorien;
rhomme de guerre est presque sur le second plan. Or, c'est
l'homme de guerre que Montaigne admire le plus quand il a
une fois repris, par la méditation, toute la liberté de son juge-
ment. Relisez plutôt ce vif et profond chapitre (le 34* du
livre II) qu'il a écrit : t sur les moyens de faire la guerre de
Julius César. » Ce patricien débauché, qui, suivant le mot de
Montesquieu < avoit plusieurs vices et aucun défaut ; » ce poli-
tique sans scrupule qui disoit « qu'on ne doit violer les lois que
pour régner; » ce factieux, grammairien et puriste, qui passoitle
Rubicon, et dont la plume s'arrétoit devant un mot insolite (1);
ce grand capitaine qui va « se serrant, dit Montaigne, où H
parle des oflîces de sa profession > et des prodiges de son com-
mandement, et qui décrit un pont qu'il a fait jeter sur le Rhin,
avec la complaisance et la prolixité d'un vieil ingénieur (2) ; —
ce génie à mille faces et cet orgueil insaisissable, Montaigne le
peint supérieurement dans son livre. La page retrouvée n'y
ajoute rien, qu'une révélation curieuse des habitudes de son
travail et des procédés de son esprit. Dire que la tardive géné-
rosité de M. Parison <( a doté le monde littéraire vt Montaigne
lui-même d'une page admirable, » <*'est tomber dans l'exagéra-
tion et le dithyrambe (3).
Quant à moi, ce que j'aime précisément de cette page inédite
de Montaigne, c'est qu'elle n'est pas une feuille retrouvée des
Essais. Elle a une autre valeur, non pas supérieure, mais plus
originale. Elle a le mérite d'un premier jet. Elle contient comme
(1) Tanquam scopuhim, sic fiigins insolens verbum. (AulugeUc, livre I,
10).
(2) De liello yallico, liv. IV.
(3) liulletin du ttihhophUe , nnnirro do fi'vrior, pagf* .'i78. (Article de
M. Paycn.)
Z
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 643
le germe des pensées que la lecture des Commentaires de Cé-
sar a foi t naître dans Tesprit de Montaigne, et qui plus tard,
après on travail plus ou moins long , se sont répandues et
classées chacune à leur rang dans son admirable ouvrage.
On les y retrouve, comme je Tai dit, souvent avec la même
forme, mais mieux définies et plus achevées. Tel est le mérite
de cette curieuse page et aussi de cette quantité innombrable
de notes marginales. Nous assistons pendant tout le cours
de cette lecture, s'il est permis de le dire, & la gestation de ce
grand esprit ; puis, la pensée sort du cerveau, non pas tout ar*
raée, comme Minerve ; mais laissez-la grandir encore, cette fille
de la méditation et du travail : nous la retrouverons, sous sa
forme définitive et complète, dans les Essais.
Laissons Montaigne, et ne nous reprochons pas toutefois
d'avoir employé quelques instants à parler de ce respectable
booquin qui lui a servi cinq mois. Montaigne a mis cinq mois à
lire César. M. Payen emploie toute sa vie à commenter Mon-
taigne. Voilà de bons exemples, trop peu suivis de nos jours.
L'unité du travail, la durée du zèle, la persévérance de la pas-
sion^ Fardeur de la convoitise et Thonnêteté du but, voilà com-
ment on réussit quelquefois dans ce monde, et comment le doc-
teur Payen a fini par attendrir un jour le possesseur du César
de Montaigne^ ce bon M. Parison.
Ciivimjfr-Flfury.
!i'4
(yhh I>ULI.ETI\ l)!l BlnLIOPHlLK.
CORRESPONDANCE.
Monsieur,
Vous avez publié, dans le dernier numéro du Bulletin du Bi^
bliophilcy un article où M. le docteur Payen décharge toute
une année de mauvaise humeur contre l'ouvrage que j'ai en la
témérité de publier sur Montaigne, et qui a eu le tort de réus-
sir. Je réfuterai en temps et lieu celles de ses critiques qui mé-
ritent une réponse; mais je dois protester immédiatement con-
tre un de ses reproches, que ne me feront certes pas ceux qui
auront lu mon livre. Pour ceux seulement qui ne me connois-
sent pas, j'ai besoin de déclarer que j'ai rendu pleine justice
aux auteurs qui se sont occupés de Montaigne avant moi. J'ai
proclamé et je répète que, sans leurs travaux, je n'aurois eu ni
la liberté ni même la pensée de faire mon ouvrage ; j'ai cité
tous les écrits de quelque valeur dont j'ai eu connoissance. Il
est vrai que j'ai eu l'occasion de relever de nombreuses er-
reurs ; au lieu de s'en plaindre , M. Payen devroit m'en remer-
cier. Son amour pour Montaigne et pour la vérité me fait re-
gretter de n'avoir pas signalé tous les endroits où il s'est
trompé ; c'est un service que, le moment venu , je lui rendrai
complètement.
Veuillez «igréor Texpression de mes sentiments distingués,
A. (InuN.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 6ii5
Monsieur,
Je trouve mon nom'cilé honorablement à propos de Michel
Montaigne par M. le docteur Payen (1) , et je suis heureux que
ce ûls légitime de notre grand Périgourdin m'ait placé au nom-
bre des plus fervents disciples de notre maître. Il y a plusieurs
années, poursuivant une série d'études sur le xvi« siècle, com-
mencées (callida juventa) au moment où MM. Saint- Marc-Gi-
rardin et Sainte-Beuve se dirigeoient dans la même voie, je me
réjouis fort de rencontrer Shakspeare en face de Montaigne ;
Shakspeare feuilletant les Essais , s'en nourrissant et les imi-
tant , ou plutôt copiant (2) in extenso une brillante page de ce
beau livre, page qu'il inséroit sans changements dans son
drame féerique et philosophique the Tempest (3). G'étoit un
fait grave, et qui fortifioit mes convictions acquises sur la puis-
sance du génie que l'on accuse sans cesse de plagiat, comme on
accnseroit le ciel de dérober la terre et le chêne de prendre* et
de confisquer à son profit la substance même du sol. Soumise
d'abord à des modèles italiens, je voyois l'éducation intellec-
tuelle de Shakspeare traverser les chroniqueurs nationaux et
finir par accepter la tutelle de notre Amyot traduisant Plutarque
et de notre Montaigne qui traduit beaucoup aussi. Il me falloit
déterminer ces phases de transformations shakspeariennes et
donner des preuves; non pas toutes les preuves, seulement les,
plus connues, les plus incontestées, les plus vulgaires ; je n'en-
trois ici dans aucun combat spécial, n'ayant pas l'honneur, la
prétention, le droit ou la puissance d'être un savant ; mais,
comme un homme simple qui a une idée fixe à soutenir, je l'ap-
puyois de faits authentiques. De là, cette absence de détails
érudits que le docteur ne me reproche pas précisément d'avoir
(1) Bulletin du Bibliophile, 18jC, page 528.
(3) Tempest, a. II, se. I.
(3) V. notre Shakspeare, Marte Stuart, rArélin.
6A6 nULLI-TlN DU BIBLIOPHILE.
omis (il esl bienveillant comme an médecin , s'il est malicieux
comme un bibliophile) ; mais qu'après tout il signale. Ici le faîl
seul m'importoit. Oui, Shakspeare a copié et étudié Montaigne,
comme Molière, Rabelais. Oui, l'exemplaire du Montaigne tra-
duit par Florio, et portant la signature de William Shakspeare
existe au Musée britannique. Ces seuls faits, corrélatifs à tant
d'autres qui se trouvent épars dans la vie de Molière, de Pascal,
de Cervantes, de Rabelais, de Gœthe , de Byron , éclairent le
procédé psychologique des grands esprits. C'est tout ce que je
voulois dire et prouver. Que plus de deux cents écrivains an-
glois eussent signalé l'emprunt de Shakspeare ; cela ne me con-
cernoit en rien. Je ne leur prenois pas leur gloire ; je ne m'al-
tribuois pas leurs découvertes ; mes pages et mes idées n'ap-
partenoient à aucun livre étranger, quoi qu'en aient dit quelques
docteurs moins bienveillants et moins véridiques ; je n'avois
pas & revendiquer une trouvaille d'érudition devenue du do-
maine commun, écrite et imprimée dans tous les commentaires
sur Shakspeare, et qui n'étoit point mienne; j'avois à venger le
génie que les sots calomnient toujours, et je me plaisois à
pénétrer aussi loin que possible dans le mystère de ses créa-
tions.
Agréez, monsieur, je vous prie, avec tous mes remerctments
pour M. le docteur Payen, mes civilités les plus empressées.
Philauètr Chasles,
Professeur au collège de France.
Paris, Institut, 12 mars 1850.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE
■ T
CATALOGUE DE LIVRES RARES ET CURIEUX DE LITTÉRATURE,
D HISTOIRE, ETC., QUI SE TROUVENT EN VENTE
A LA UBRAIRIE DE J. TECHENER,
PLACE DU LOUVRE, 20
MARS — 1856.
SSl. Alphabetuii graeeum, Oralio dominica, Angelicasa-
lutatio , etc. , Grxce et Latine ; ^Esopi et Gabriae
fabellae, gr. lat. ; Homeri Batrachomyomachia, gr. lat. ;
Musseus, de Ere et Leandro, gr. lat. ; Agapetus, de
Oflicio régis, gr. lat. ; Galeomyomachia, gr. ; Intro-
ductio utilissima hebraice discere cupientibus, Matthaeo
Adriano interprète. Basileœ, J. Froben, 1518; le tout
en 1 vol. pet. in-â', v.-m » — »
Rakb. — Ce volume est ciU dans le Manuel du Ubrairef ainsi qu*il
mit : « i£8opi et Gabrite fabule; Homeri Batrachomyomadiia ; Museus de
Erone et Leandro; Agapetus, de Officio régis; Galeomyomachia. Omnia
gnece et latine, Bas.^ /. Froben^ 1518. 2 part, en 1 vol. pet. in-&. Édition
as«ez rare, dont les exemplaires n'ont de valeur que lorsqu'ils se trouvent
bien conservés, u
Notre exemplaire n*a donc à craindre aucune déprédation, car il est par.
faiiement conservé. Il contient même deux pièces de plus que n*en rcnfermoit
l'exemplaire indiqué par le Manuel du lUtraire : VAlphabeticum gnetum^ et
rinlroduetio hebraica. Nous ferons obsen-er, en outre, que la Galeomfoma"
tkia n'est pas traduite en latin ; que la première pièce et la dernière ne
•ont point paginées ; que les fables d'Ésope et de Gabrias forment un vo-
lume du* 362 pages , et que les quatre opuscules suivants , quoique ayant
/|5 .
6&8 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
une pagination suivie, ont ccpi^ndant des tittos séparés, des tôiucriptioiift
distinctes, et port«înt toutes sur le dornicT Aniillct la marque de Timpri-
moui'. Ces opuscules, doslinés aux j<îun('s gens qui étudioiont la langue
grecque, pouvoiont iHre détachés pour si'i vir à l'étude, ou réunis pour
former un petit volume de 128 pages. Les Préfaces^ écrites par Froben ,
sont intéressauteb.
C'est un beau livn; sous le rapport tyi)ographique , et la traduction lar
tine mot pour mot, en rend la lectui-<i facile.
332. Batrachomyomachia grœce : Glossa graeca, et la-
tinae versioneSy éd. Mich. Maittaire. Londinij typis
Bowyer, 1721; grand iii-8, vélin, fac-similé, portrait
ajouté t 18 — I)
On Ht sur la garde de ce volume la note extraite du cat:Uogue raisonné
de M. Renouard, cet exemplaire provenant de sa bibliothèque : « La meil-
« leure des éditions de oo poëm»^, elle contient un double texte, d'abord ce-
a lui de l'édition première dr l/iSO, (lu'elhi copie ligne pour ligne, aussi
« avec les vers en hîttres uoin;s, et la glose en lettrc»s rouges. Ensuite
« vient un texte grc^c formé sur les dornièrcs éditions; des notes interli-
« néaiifs inédite» et deux versions latines. Elle est fort bien exécutée et
M peu commune, ayant été tiive seuletnent à deux c(*nt quatre cxemplaii^îs,
te ainsi que le fait savoir un avis imprimé sur la dernil*re page. Comme ce
« volume est grand in-8, on l'iinnonce toujoui'ij en grand papier. »
333. Gasell£ {Pétri Leonis). De primis Itali® colonis;
de Tuscorum origine et republica Florentina. Elogîa
illustrium artificium. Ëpigraminata , et inscriptiones.
Lugduni^ 1606 ; in-8, vél. » — »
Premièrt^ édition du liviv d(* Casclla sur les anciens liabitants de l'Italie.
Cet ouvrage a été inséiv daits hi ivcueil d«^s lii-.toi-iens de l'Italie par Grœ-
vius et Bunnann. Le traité de Primis Italien col unis est suivi d'un opus-
cule du même* g(Mn*e : de Tiisconim origine ; de h!i «'loges d'artistes célè-
bres (i)eintres, sculpteurs et architectîs) ; d'in<.criptions funèbres et dMpt-
grammes en vei-s latins. En lisant'ce volume, ou peut Juger du mérite de
Tautcur comme antiquaire, comme historien et connue poCtc. Cascila étoSt
né en 1540, à Aquila dans l'Abruzze.
384. Cazeneuve {Louis de). L'héroïque Héros (Eros), ou
les forces d'amour, par L. D. G. (Louis de Cazeneuve).
Tourtwn, G. Linocier, 1614; 1 vol. pet. in-12, fig., fiL;
vél. {Armes) 24—»
Rare. — Qnoicpui cet ouvrage , écrit en prose mêlée de vers, ne soit
qu'un badin:igi> d'espi-it. ce]HM)dant l'auteur y a ivpandu beaucoup dVru-
1"
, r
. 1
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 649
dition. On peut lire parmi les pièces liminaires la liste des 124 auteurs
grecs, latins ou françois qui sont cités dans ce livre. Le sommaire de
VAavnt-propos nous annonce que L. de Cazeneuve donne en passant un
kaussebee aux envieux^ lesquels il promet de calenger plus amplement^ s'ils
ne sont plus advisés, «< J*aymc la paix , dit-il , j'ayme la concorde, j'ayme
Tamour qui m'a mis la plume en la main : mais si Ton lance la corsesque
de défy dans mes teri-es, j'ayme le débat, j'ayme l'hostilité, j'ajrme la
guerre. L'abeille de nature aymo le miel, le fait, le donne; irritez-la, elle
se plaist au picquant, le poincte, le plante. Moy tout de mesme. »
Le premier chapitre traite d(; la maiyre inscription que Vautheur VOU'
kiU donner à son livre, et qui en a retardé Vimpression, A ce sujet , L. de
Cazeneuve critique les titros mensongers, u Certains livrets françois ont à
|a leste un tiltre tiré dos plus rares et royales choses que puisse avoir un
monarque, comme sçavont fort bien tous ceux (|ui prennent plaisir de
¥oir tout ce qui de jour à autre vient on lumière, non sans estre souvent
trompés. Car tournant feuillet lmi lieu de quelque chose qui corresponde à
la majesté du tiltre, ils n'y trouvent que drilles et haillons ramassés en la
fripperie de certains jazeurs.... Par quoy il ne se faut attacher au tiltre et
à rescorce, mais bien jauger avant. »
Nous citerons encore la première phrase de VAvis au Lecteur : « Tel
presse qui est pressé , ainsi qu'il se void es pièces d'un pressoir, où celles
qui pressent sont ordinairement pressées. » Le reste est du même style.
VUéroique Eros est un panég>Tique de l'Amour ; l'auteur avait conçu le
projet de publier une contre-partie intitulée Anteros, Nous ignorons si ce
dernier ouvrage a été imprimé.
Les plats du volume sont ornés aux coins de 4 fleurs de lis, et, au
centre, d'armoiries dorées avec cette inscription : F, Tevfeliorvm a Ceyl-
hergio.
8S6. Chappellet (le) Des vertus et les vices contraires a
ycelles ; aultrement nommé Prudence. {Paris, Phil. Le
Noir)^ s. d. ; 1 vol. ia-4, goth » — m
Tai»-iiARB. Le Manuel du libraire indique quatre éditions de ce livre.
L'une de £yon, G. Le Roy (sans date), citée par l'abbé de Saint-Léger;
Tautre de» Lyon, P. Maréchal^ 1498. « Le premier catalogue de La Val>
« lière, n® 532 , qui nous fournit le titre de cette édition , nous fait con-
• naître une autre de Pam, Ph. Le Noir (s. date) ». Enfin la dernière do
Jl^fris, Ant, CaiUaut (s. date), inscrite au Catalogue de Sepher. Puisque
IL Brunet n'a vu aucune de ces éditions, nous pouvons en conclure qu'elles
tom également rares.
Le Roman de Prudence a été écrit dans le xv« siècle ; car nous ne pen-
aona pas qu'on en ait rajeuni le style. Le prologue se compose de 81 vers
françois de huit et de dix syllabes. Ces vers sont en nombre impair, parce
que l'imprimeur a oublié le soixantième, qui devait rimer avec celui-ci t
Mais pensay dedans mon couraige ;
omission qui rend la phrase à i)eu près inintelligible*
<5Ô0 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Cet autre vers est également inexact :
Puis attrcmpance et inattrempance ensemble.
Il a onze syllabes au lieu de dix ; et de plus, ensemble ne rime pa^ a?oc
elle^ mot qui termine le vers précédent.
Le prologue commence ainsi :
Ce fut dapuril xvii iour,
E» ce temps prin que la rose entre on (Iour,
Gnye saison que tout se renouuellc:
L<'s prez verdoyent et toute fleur est belle ,
Yucr se passe et la morte saison ,
Kt les oyseaulx commencent leur chanson.
Voici les derniers vers de cette pit'cc :
Si vous prie quayez pacience
Do prendre en gré cestuy runiant.
Et sachez que doresnauant
Pour les porolles abregier
De rime ne veulx plus user.
Mais vous diray comment commence
Le commencement de prudence.
Le Roman de prudence est un traité de morale, bien écrit, qu*onpeiit
lire encore avec plaisir. L*auteur dissorte sur les vertus et sur les vices ,
en allegant à propos les diti moraulx de plusieurs saincl* et aultres phi'
osophes et plusieurs exemples contenwi aux hystoires anciennes.
•
336. GiGERONis de Oiliciis libri très. Ahsque anni et loei
nota ; in-8, v. fauve 30~»
On lit sur le premier feuillet du volume, la note suivante : « Ce livre a
appartenu à messire Achille de Harlay, procureur général au parlement et
ensuite premier président (mort le 23 juillet 1712). C*est lui qui l'a fait
relier ainsi, et les notes que Ton voit sont de sa main , et par conséquent
fort justes et dignes d'un si grand homme; elles doivent par cet endroit
estre fort précieuses à ceux qui chérissent sa mémoire. »
« J*ay trouvé ce livre par hasard, le 10 avril 1710, chez un libraire qui
n'en connaissoit pas la valeur. »
Ce volume, interfolié par les soins du président Achille de Harlay , est
couvert de nombreuses annotations qui ne sont autre chose qu'une traduc*
lion aussi exacte qu'élégante des préceptes les plus importants du trtité ^e
Offlciis. C'est, en outre, une collection précieuse d'autographes d*un ma-
gistrat célèbre. Ces diverses considérations donnent h ce livre une grande
valeur.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 651
337. CoBLESTEs et Inferi (autb. Baltimore). S. 1. (VenctiiSj
typis C. Palese)^ 1771 ; gr. in-4. fig., mar.-r., dent.,
Ir. dor ; 35 —»
Ce poëme latin, de 1651 Tere, est divisé en huit chants. L'auteur raconte
les crimes et la mort funeste des rois de diverses nations, dans les temps
anciens, depuis Tempoisonnement de Ninus par Sémiramis, Jusqu'au
meurtre d'Héliogabale. Cet ouvrage est orné de 33 figures très-remarquablet
sous le rapport du dessin, et gravées à l'eau-forte : elles sont dans le goût de
celles de Cochin.
338. CoLLETET. Les divertissements du sieur GoUetet,
seconde édition revue et augmentée par l'autheur.
Paris, Jac. Dugast^ 1633 ; in-8 , cart 3A — »
Très-bel exemplaire grand de marges et réglé. — Guillaume CoUetet, né
à Paris en 1506, membre de l'Académie françoise dès son institution en
1634, fut un littérateur très-distingué. Il a composé plusieurs ouvrages ou
recueils de poésies fort estimés alors, surtout par le cardinal de Richelieu
qui mit CoUetet au nombre des cinq auteurs chargés par ce cardinal de
travailler pour le théâtre, sur des sujets qu'il leur indiquoit. Il mourut mi-
sérable en 1659 ; ses amis firent les frais de son enterrement.
Les Divertissements de CoUetet contiennent des élégies , des stances, des
odes et des sonnets sur les événements du temps , sur ses propres aventures,
sur le vin, l'amour, etc. Nous citerons seulement : Sur la paix faite avec les
Anglois, et Sur la réduction des rebelles du Languedoc, après la prise de
la Rochelle, l'an 1639; Chant de victoire sur la défaite des Anglois en
risle de Ré, et sur la prise de la Rochelle ; Hymne de l'imprimerie ; Sur la
paix de 1629, après la prise de la Rochelle ; Advertissement sur un livre
intitulé : le Moyen de parvenir; Sur la tragédie de Pasiphaé ; Advis sur un
lirre intitulé : les Heures perdues ; Sur un livre contre les frères de la Rose-
Croix ; Sur l'addition à l'histoire de Louis XI ; Sur une apologie pour les
grands personnages soupçonnez de magie ; Sur la tragi-comédie d' Argents ;
Sur la tragi-comédie de Lisandre et de Caliste ; Sur un livre d'airs ; Sur le
livre des abominations ; Les désirs pieux ; Sur la mort de Mme la Présidente.
339. CoLONNA {Gilles de). Le mirouer exemplaire et très-
fructueuse instruction selon la compillation de Gilles
de Rome, du régime et gouuernement des roys.... Et
auec ce est comprins le secret d'Aristote appelé le se-
cret des secretz enuoyé au roy Alexandre , et le nom
052 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
des roys de France et combien de temps ilz ont régné.
Paris^ Guill Eustace, 1517; 1 vol. in-â. goth., v. m.,
fig. s. bois, relié » — >
Gilles de Colonna , en latin ^gidim a Columna ou Algidius Romanus,
théologien de la fin du xiii^ siècle, do Tillustrc famillo des Colonna de Na-
plcB, entra dans Tordre des Augustins dont il devint général en 1293. Il Ait
le précepteur de Philippe le Bel, et c'est pour ce prince qu'il compoea le
traité de Regimine principum. Il Tut nommé archevôque de Bourges en
120â, assista au concile de Vienne en 1311, et mourut à Avignon le >S2 dé*
cembrc 1316.
Le traducteur du traité de Regimine principum est nommé dans le Jlia*
nuel du libraire^ Henri de Ganchy ou Gauchy, et, dans la Biographie iifii-
verselle^ Simon de Hosdin. Cette dernière attribution ne sauroit ôtro ad-
mise, puisqu'on l'applique au Gouvernement des princes imprimé par Ve-
rard en 1497, et que ce livre n'est pas celui de Gilles de Colonna. Panser
avait déjà confondu le Mirouer exemplaire avec le Gouvernement det
princes^ Verard, 1497, qui n'est autre chose que le Secret des secret» «TA-
risiote» Au surplus, on lit dans le privilège que G. Eustace avoit recouvré
cette traduction en 1516; il est donc probable qu'elle date de cette époque ,
et que l'édition de 1517 est la première et, sans doute, l'unique du Mirouer
exemplaire. Ce volume est, par conséquent, d'une certaine rareté.
Le Secret des secrets d'Aristote forme la cinquième partie do ce livre.
Ënfln, sensuguent les noms des roys de France et combien de temps il* ont
régné. C'est une singulière chronologie. L'auteur qui, sans doute, étoit né
sous Louis XI, ignoroit combien de temps ce prince avoit régnéj il lui
donne 30 ans de règne, au lieu de 22. Il nomme des rois qui nous sont
inconnus; il en augmente le nombre. D'après ses calculs, Pcpin seroit
monté sur le trône Tan 864 ; Hugues Capet, l'an 1039 ; et François î**,
ran 1576.
Nous terminons cette note par une citation extraite du Mirouer exem-
plaire. Voici ce que Gilles de Colonna écrivoit pour rinstmction de Phi-
lippe le Bel !
« C'est chose juste et raisonnable que cculx qui ont seruy aux roya et
« aux princes, et qui ont labouré corporellement et loyaulment ayent con-
fi digne rétribution tant en honneurs comme en biens temporelz sdon les
« mérites des personnes.... Toutefois voyons nous souuent qu'il est faict
« aultrcmeut, car ceulx qui sont bons, simples, et honnestos, vergongneux,
« et qui n'osent demander serucnt tou^jours et sont tousjours souffreteux,
« et no les rémunère Icn myo selon la loyaulté de leurs scruioes ne lelon
« l'exigence de leur mérite et de leur labour. Et ce est contre Justice est
< contre tout Jugement de raison. »
Gilles de Colonna avoit semé ses paroles dans un mauvais terrain ; six
eents ans n'ont pas suffi pour les faire germer*
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. (SbZ
8A0. CovARBUYiAS. Roguldo peccatum. De regul. jur. lib.
VI. Relectio, a Didaco Covarruvias a Leyva. Lugduni,
[Nie. Edoard. Campante), 1560 ; 1 v. in-8, vél. » — »
Diego Covarruvias y Loyva, fiurnommé lo Bartolo espagnol, naquit en
1515 à Tolède, et mourut à Madrid le 27 septembre 1577. En 1569, Char-
les-Quint lo nomma aroliev(V|uc de Saint-Dominguo. Philippe 11 le fit évo-
que de Ciud;id-I\odripo on 1560, et eu 1505 évC<iue de Ségovio. En 157Î,
Il devint président du conseil de Castille, et deux ans plus tard, président
du conseil d'fitat. Les savants étrangers Pont regardé comme l'un des pre-
miers jurisconsultes du x\i' siècle. Ses œuvre» ont étc* imprimées à Lyon,
en 1568, 160G et lOCl ; à Anvers, en 1G38, 2 vol. iu-fol. La derniùi*e édi-
tion est celle de Genl'vc, avec les additions d'Vbiinnez de Faria, 1702,
5 YOL in -fol.
Le titre do ce volume, Ilegulœ pectalum, pouvoit fttre compris par les
JtuiBConsultes du \>r' sitcle, mais il nous paroît inBuillsant aujourd'hui,
pour faire connoitrc le sujet de cette dissertation. C'est un traité complet
de la restitution des choses détenues illégalement. I/auteur discute toutes
les causes qui donnent lieu h restitution : le vol, Tusun*, le Jeu, les ga-
belles et les autres imprtts, la chasse, la guerre, les trésors, etc. Nous
louions un et cœtera, parce que le chapitre le plus curieux not^auroit être
indiqtié en françois. En voici le sommaire : Meretrix pet ère potesl apud
iudicem mercedem sibi prnmissam oh fornicationem. Donaiio fieri polesl
eoncubinœ, prœterquam à milite et clerico. Promissum porasitis ob verbera
re/ alapas^ an peti possit? Datum causa turpitudinis, an sit necessario ret-
tUuêndum danti^ qui in eadem turpitudine versatur. On trouve dans ce
chapitre des décisions telles que celles-ci : 3îonacha non tenetur reslituere
quod ob incestum accepcrit. Nupta non tenetur restituere quod pro ad^il-
leriopretiumveperit. Liret nerno dominus sit membrorum suorum , eet ta-
men dominus usûs proprii rorporis : siquidem usum corporis locare potesi
propter mercedis pretium.
La dédicace de ce livre est datée du 1" novembre 1553. Nous ignorons
8*n fut imprimé en Espagne avant 1560; toutefois, cette jolie édition de
£yon est la première publiée en France, et peut^trc la seule de cette œuvre
détachée.
3A1. Cbittom {Georgii)y professons regii, oratio de
ApoUinis oraculis. ParisiiSj Steph. Prevosteau, 1596.
Ejusdem, de Sortibus homericis. Ibid., id.,1697. Ejus-
dem, de Dicendi charactere vere regio. Paris., Ci. Jlfo-
ff /, 1599 ; en 1 vol. in-8 » — »
George Critton, oé en Écoeae Tan 1554, fit ses études dans rCJnlTerBité
de Paris. 11 professa le droit à Toulouse pendant quatre ans, et, en 1583.
654 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
il obtint une chaire au collège d^Harcourt. Il enseigna plus tard dans d*aa-
tres collèges de Paris, et enfin au collège Royal. Il mourut le 13 a;rril
1611. Critton avait épousé la fille de Adam Blackwood, Écossais, couseîUer
au présidial de Poitiers. Après la mort do son mari, elle épousa en se*
condes noces La Mothe Levayer qui, dit-on, acquit ainsi les manuscrits
de Critton et sut en faire son profit.
Critton publia un grand nombre d*opuscules; mais ces brochures ayant
été imprimées séparément, sont devenues fort rares. Les trois discours
que renferme ce volume nous ont paru offrir de TintérOt.
Le premier, de ApoUinis oraculis^ est une introduction à la Cauandre
de Lycophron. On y trouve quelques détails historiques sur rentrée de
Henri IV à Paris en 1504, et sur rengagement qu*il prit de confirmer
toutes les nominations faites par le duc de Mayenne. On lit dans la ffio-
grapkie universelle : • Critton étoit ligueur, et vers 1500, Mayenne le
nomma professeur de grec au collège Royal ; mais il perdit sa place à l'en-
trée d'Henri IV. En 1505, il demanda la chaire de grec qui étoit devenue va-
cante, et ne l'obtint qu'avec peine. » Voici ce que Critton raconte à ce sujet:
En 1500, il fut nommé professeur de grec après la mort de Hélic. Malgi^
les promesses du roi Henri IV, en 1504, il resta deux ans sans occuper sa
chaire ; d'abord , parce que toutes les heures de la Journée étoient em-
ployées par les autres professeurs ; puis, parce qu'il n'osoit pas conti-
nuer ses leçons, avant d'y f>trc autorisé par un diplôme royal. Pendant
ces deux ans, il professa au collège de Boncour. Après dix-huit mois de
sollicitations, il obtint son diplôme; mais il s'aperçut que le rédacteur
avoit glissé dans le texte une erreur qui rendoit cet acte nul. 11 fut donc
obligé do faire de nouvelles démarches, et il désespéroit de réussir, lorsque
Villeroy prit sa défense, surveilla l'expédition d'un second diplôme et le lit
approuver par le chancelier de Chiverny. Critton reprit alors possession
de sa chaire de grec Le discours de Apollinis oraculis, est son discoura de
rentrée, et par conséquent le premier qu'il ait prononcé au collège Royale
depuis l'occupation de Paris par Henri IV.
Le deuxième discours , de Sortibu* homerieis, est asses important. Cest
un panégyrique des douxe professeurs du collège Royal. Critton donne aor
chacun d'eux, des renseignements utiles pour l'histoire littéraire du xti*
siède.
Le troisième discours , de Dicendi charactere vere regio^ est une intro-
duction à l'un des ouvrages d'Hérodien . On lit dans cet opuscule une anee>
dote curieuse. Après avoir établi que le laconisme est le véritable caractère
d'un discours royal, l'auteur raconte qu'il avoit entendu parler Henri III
deux ou trois fois, et en dernier lieu lorsque le roi sortit de Paris, à la nite
de la Journée des Barricades. Le peuple, un peu calmé, envoya dea d^Mi-
tés pour apaiser le roi : Critton fit partie de l'ambassade. Tous les délégnét
admirèrent la facilité et l'élégance du discours que prononça Henri UI;
mais Critton disoit qu*un aussi long discours ne convenoit pas à on roL
Cet opuscule nous apprend encore qu'en 1500 les professeurs du collège
Royal faisoient leurs cours au collège de Boncour, attendu que l'on rép»-
roit celui de Cambrai , où se tenoit ordinairement le collège Royal.
BULLETIN DU BIBUOPHILC. 655
SâS. CcTJACii [Joe.) J. C, de Confessione concio. In scho-
la Bituricensi habita» an. 1676, et nunc primum typis
informata. Lutetiœ, F éd. Morellus^ 459S. — Ejusdem,
deRatione docendi juris oratio, habita in scholis Bi-
turigum, VI id. octob. 1585. Ibid., id. , 159A. » — »
Jacques Cujas, né à Toulouse en 1520, vint enseigner le droit à Cahore on
1554. L'année suivante, il fut appelé à Bourges par Marguerite de Valois ;
mais il se réfugia bientôt à Valence pour échapper à une émeute d'étu-
diants qu'avoit suscitée la jalousie d'un de ses collègues. Rappelé par ordrr
de llk duchesse de Berry, il quitta Bourges pour la seconde fois en 1567.
Bnfln, il revint dans cette ville vers 1576 et y mourut le 4 octobre 1500.
Cest la première édition de ces deux Opuscules de Cujas, que recueillit
l'imprimeur Frédéric Morel, l'un des nombreux élèves de notre éminent
JoriseoDsulte :
Attentus auditor Morellus, et notis
Impressit eneis, quod auribus suis,
Cum mille discipulis, prius perceperat.
On lit encore à la fin du second discours : Excepta ex ore dteenltf , Btlu-
rifii Cubontm,
Neiia ignorons si ces deux pièces ont été insérées dans les Œuvres de
Ci^M, imprimées au xvii« siècle et au xvin*; mais il est certain que
cette édition prmcepi est très-rare.
SAS. Examen du Traité de la liberté de penseï* (par Col-
lins) , écrit à M. D. Lig**. par M. D. Cr**. (J.-P. de
Crousaz) . Amst.., 1718 ; pet. in-8, v. f. » --»
Le Traité de la liberté de penser fit beaucoup de bruit lort de son app»-
ritioD. Le titre seul du livre alarma les catholiques, et le texte déplut
mèaie aux protestants. Voici les propositions que l'auteur soutient dans son
Tnilé. On ne doit rien croire sans examen. Or, l'examen ne peut conduire
à ftoeiiDe certitude : donc, il ne faut rien croire. Une th^se si téoiéraire
•OQlef a tous les théologiens. Des critiques et des réfutations, souvent vio-
lealea« quelquefois accompagnée» d'injures, fondirent de toutes parts sur
ce malencontreux ouvrage. Au surplus, le Traité de la liberté de pen-
ser a été traduit par le baron d'Holbach : c'est un brevet d'athéisme.
L'Examen^ par de Crousaz, se distingue des autres réfutations par le calme
et la modération de l'auteur. Mais il ne faut pas oublier que de Gronsas
était protestant; qu'en cette qualité il approuvoit le titre du livre de Col-
lins, et même plusieurs passages du texte. Ainsi, dans le cours de son Kxa-
m«fi, il ajoute de nouvelles preuves à oellei qne GoUins Ibiunit pour dé-
6Ô(5 nULLKri?( DL BIBLIOPHILE.
montrer quelques-unes de ses propositions, il i*éfutc seulement tout ee(|iii
tend à prouvrr que Texamon ne peut aboutir à la certitude. On s'aperçoit
par co court exposé, que rc volume n'est qu'une réfutation partielle du
Traité de la libertr de penser^ et qu'il a dû ranimer la polémique an Heu
de réteindre. Les ouvrages du baron d'Holbach et compaenie sont mainte-
nant peu recherchés, cependant nous croyons que lo livre do Grouiax,
contre les doctrines de l'athéisme, offre encore aujourd'hui un certain in-
térêt.
3iA. Essai sur le gouvernement civil où l'on traite de la
nécessité, de l'origine, des droits, des bornes et des
difTérentcs formes de la souveraineté, selon les psin-
cipes de Fénelon (par de Ramsay), Londreêf 1722;
in-12, V. br. arm » — »
« Le seul mérite de l'auteur ,dit-il h la fin delà préface) est d*aToir
été nourri pendant plusieurs années des lumières et des sentiments de feu
mossire François de Salignac do La Mothc Fénelon, arrhcvi-que de Cam-
bray. Il a profité des instructions de cet illustre prélat pour écriro cet
Essai, n
Cet ouvrage n'est que le développement des conversations qu*cut Féne-
lon avec le prétendant (Jacques 111), prndant le séjour que C4) prince fit à
Cambrai, dans le coui-s de la guerre de la succession d'Espagne.
Il est dinicile, dit M. do ik>aussct, de réunir sur la politique des îdéct
plus justes et plus saines ; de les prt^senter sous une forme plus claire et
plus à la portée de tous les esprits raisonnables, et de les discuter avec
une partialité plus exempte de préventions et d'enthousiasme.
Le chevalier And. Michel de Ramsay, littérateur, d'une branche cadette
de l'ancienne et illustre famille de ce nom, gouverneur du duc de Chà^
teau-Thicrry rt du prince de Turonoe, précepteur des enfanta de Jac-
ques m, rt'-fugié à Home ; enfin intendant du prince do Turenne, depuis duc
de Bouillon ; membre do la Société royale do Londres ; né en 1C86, à Ayr,
en Ecosse, mort à Saint-Germain en Layc, lo ti mai 17A3.
3&5. Frank (Sébast.). De arbore scientiœ bonietraali,
ex quo Adanius mortem comedit, et adhuc hodie cuncti
homines mortem comedunt... ; Augustino Eleutherio
(Sebast. Frank) authore. MuUiusii^ P. Fabrus, 1561;
1 vol. in-8, V. f., fil., tr. dor 48 — »
RAns. — Sébastien Frank, visionnaire du xvi« si^cle, naquit en BarRife
vers la fin du x\« si^clc, et mourut vers 1545. On possède peu de rensel-
gnemonts sursa vio; il étoit difficile do recueillir les particularités qui
concemoient un homme errant sans cesse d*un lieu à un autre. Il fut suo*
BULLETII^ DU BIBLIOPHILE. 667
oeMivcmcnt chassé de Nuremberg, do Strasbourg et d'Ulni, à cause des
ouvrages quMl faisoit imprimer. On ignore dans quelle ville il mourut. Son
eipnlaion de Nuremberg eut lieu en 1531, après la publication de son livre
De l'Arbre de la science du bien et du mal. Ce volume renferme la plupart
des rûverics qu'il reproduisit dans la suite.
Lacbute d*Adam n'est, selon Frank, qu'une allégorie. L*arbro fatal, c*est
U personne, la volonté, la science d'Adam. Adam ne devoit pas manger de
Tarbre, car c'étoit manger la mort. Il devoit ne rien savoir, ne rien faire
et garder le .silence : Dieu savoit, agissoit et parloit en lui. S'il eût suivi
ces préceptes, il serait resté soumis à Dieu, et Dieu auroit exercé, sans
obstacles, sa puissance entière en la personne d'Adam. Frank déclame con-
tre toutes les connoissances humaines et même contre l'usage do la raison,
Bui|uel il attribue la chute d'Adam. Les sciences, dit-il, sont de vains Jouets,
des erreurs ridicules, dos causes do perdition ; elles ont donné aux honmies
la mort et Jamais la vie. Nous devons chercher à annihiler notre esprit, et
par une dépression continue, nous rendre àncs, fous et imbécilles. Au sur-
plot, tous les hommes sont pétris de méchanceté et de sottise ; en culti-
vant cette dernière qualité, nous nous rendrons dignes de Dieu.
Frank avoit traduit en allemand l* Eloge de la folie ^ par Érasme; le
Trmité de la vanité des sciences^ et l'Eloge de Cane, par Agrippa. C'est
après avoir milité ces trois ouvrages facétieux ou paradoxaux, qu'il écri-
vit, aussi en allemand, son livre do l'Arbre de la seienrê du bien et du
mûl, dont Adam a mangé h morl^ et dont encore aujourd'hui tous les
k&mmei la mangent^ Après la mort do l'auteur, un anonyme traduisit ce
traité en latin et le fit imprimer à Mulhouse, en l5Ci. Seulement, il chan-
fe» le nom de Séb. Frank en celui do Augustinus Eleuthoriui, afin sans
dMtte que Ton regardât cette œuvre conune nouvelle.
SAO. Hegendorff. Encomium ebrietatis, Christof. Hegen-
dorfiino autfaore; — ejusdem, Encomium sobrietatis.
S. l. n. d. ; pet. in-12, demi-rel 12— n
Christophe Hegendorff, pofte, jurisconsulte et théologien luthérien, na-
quit à Leipsic en 1500, et mourut à Lunebourg en 15&0. Il composa son
Eloge de Virresse^ en 1526, et peu de temps après, V Eloge de la sobriété.
Gee deux dissertations facétieuses sont très-rares ; elles ont été sans douto
Imprimées à Loipeic. On trouve dans ce petit volume deux pièces do vers
latins d'Hegendorff : Epigramma ad leetorem, et Carmen in orgia S, Mar-
tini; enfin, Ph» Noveniani ad Chr, Hegendorjftnum amieum ntum earmen.
3A7. Hélie. HistoriaFiixensiumcomitum,BertrandiHelie
Appamiensis jurisconsulti, in quatuor libres distincta ;
ejusdem^ de Regni NavarrdQ origine, et regibus qui in
658 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
ea ad hœc usque tempora regnarunt. Tolasœ, iVtc»
Vieillard, 1540; 1 vol. pet. in-â, v. m 40— »
On lit dans la Dissertation sur la clause régnante Cliristo, par Besly, au-
teur de VHistoire des comtes de Poitou : « Bertrand Hélie, de Pamiers, a
c publié depuis cent ou six vingts ans, Thistoirc des comtes de Foix, qu'il
« a dérobée d'un Arnaud Souerrer, qui auparavant avoit traité le môme
«( argument en langue du pays ; comme aussi Guillaume de I^a Perrière qui
« traduit cet Ilélie en notre langue. » Voici le passage qui a donné lieu &
cette citation : Annus erat 4095, qui régnante propheta Jhesu inscribé~
batur in Gallia^ob Philippi hujus nominis primi Gallorum régis anathema^
quo Claromoutensi concilio Urbanus pontifexeumconcusserat.
La version françoise de l'ouvrage de Hélie parut avant l'original sous ce
titre : les Annales de Foix, etc., par G. de La Pcrritre. Tolos, N, Vieil-
lard^ 1539, in-A.
Hélic avoue lui-mt^mc dans sa dédicace au roi et à la reine do Navarre,
qu'il a fait usage d'un ancien manuscrit écrit en langue vulgaire, mais il
ajoute qu'il l'a corrigé et beaucoup augmenté. Cette histoire des comtes de
Foix, devenus rois de Navarre, est intéressante, quoiqu'elle conunencepar
une origine fabuleuse des comtes de Foix, qui, selon l'auteur, descendent
d'Hercule en ligne directe. On trouve dans cet ouvrage un grand nombre de
faits importants pour l'histoire générale de la France, jus([u'aux expédi-
tions de François I<^'' en Italie, et des détails curieux sur les guerres sus-
citées à diverses époques par des prétendants au comté de Foix et au
royaume de Navarre. »
Cet historien constate, ainsi qu'il suit, la découverte de rimprimerie :
« L'art d'imprimer, dit-il, inventé à Mayence, fut exercé à Rome quelques
années plus tard, et comme cet art étoit presque divin, on le consscn
d'abord à reproduire des livres sacrés. Aide Manuce a tenu autrefois le
premier rang parmi les imprimeurs, et de nos jours les plus céll'bres type-
graphes sont : Froben, à Bàle; de Colines et Robert Estienne, à Paris; Sébb
Gryphius, à Lyon, et Nie. Vieillard, à Toulouse. »
348. Lasgaris {Jani) Rbyndaceni Epigrammata grœc. la-
tin. Parisiis^ Joe. Bogardus, 1644 ; 1 vol. in-4. • — •
André-Jean Lascaris, l'un de ces savants grecs chassés de leur patrie dans
le xv« siècle après la prise de Constantinoplc, se réfugia d'abord à Flo-
rence; mais lorsque Laurent de Médicis eut cessé d'exister, Lascaris ao-
cepu les offres que lui fit Charles VIII pour l'attirer en France. U étoit à
Paris en 1A05. C'est lui qui enseigna la langue grecque à Budé et à Daoes*
Louis XII le nomma ambassadeur à Venise, en 1503 et en 1505. Il se rendit
ensuite à Rome où l'appeloit Léon X, pour fonder un collège et pour diri-
ger une imprimerie spécialement destinée à la reproduction d'ouvrages
grecs. Il retourna à Paris en 1518, et fut chargé avec Budé de former la
bibliothèque royale de Fontainebleau. Il mourut à Rome en 1535. Ses Épi^
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 650
grûmmts ffreequet et latine» Aircnt imprimées par les soins de Jseq. Tusft-^
RUS, k Parié, che% Badiuê Ascensius^ 1527, inS^ et réimprimées en 15A4,
ftvec une addition de 12 pièces. Cette dernière édition, presque aussi rare que
la première, est donc plus complète. Au milieu des Épigrammes grecques et
latines de Lascaris, nous en avons trouvé une en vers françois. Elle est
intitulée : De la patience de Marie de Crète. Nous citons les premiers vers :
lusqu'a ce iour le soleil qui tout ueoyt,
Telle uertu d'homme ou femme n'auoit
Mis en lumière. Vne femme do Crète,
Sans y penser, en sa chambre secrète
Cache un meutrier, qui pas ne la cognoist,
Et de la mort du filz d'elle il estoit
Ensanglanté, duquel filz on apporte
Le corps tout mort
S&O. Laurenberg. Ocium Soranum, sive Epigrammata,
continentia varias historias, et resscitu jucundas, ex
grœcis latinisque scriptoribus depromptas» et exercita-
Uonibusarithmeticis accommodatas, à Jo. Laurenbcrgio
in reg. Acad. Sorana Mathematum interprète. Hafniœ,
1640; in-i, vél., pi 28 ^»
Livre rare et singulier. Dans la dédicace adressée à Justin Hoi^, che-
valier, sénateur et président de l'Académie de Sorô (Danemark;, Jean Lau-
renberg dit : <( Selon l'opinion commune, l'étude de l'arithmétique est in-
digne de la noblesse, et n'est point le complément d'une solide instruction.
n faut laisser cette étude aux fils des marchands et à ceux qui se destinent
à la tenue des livres de comptes. > L'auteur ajoute que cette opinion est
finisse , que l'arithmétique est fort utile pour éclaircir certains points ob-
scurs de l'histoire, et qu'elle conduit à de curieuses découvertes.
C*est donc afin de prouver cette assertion que Laurenberg a écrit son
Ovre. Les pièces liminaires renferment quelques notions de géométrie né-
wsaircj pour l'intelligence des calculs, la signification des signes élémen-
taires de l'algèbre, et une planche gravée sur cuivre contenant sept figures :
?Vp*f mundi ex Jedikrat^ Tempe Epidaphnia, Rhodtm, CanathuM font,
Oi^mpiœ et Sotipolis fanum^ Murta peninsulœ Mathanemi»^ taera Tiberis
msv/a.
L'ouvrage est divisé en 71 articles. Chaque article se compose d'une
épigramme grecque, suivie de la traduction en vers latins, et de calculs
ayant pour but d'expliquer le sens de cette épigramme. En un mot, c'est ut
recueil de problèmes, basés sur des faits historiques, avec la solution don-
née par l'auteur.
Le professeur danois n'a point trouvé d'imiuteurs. Les mathématiciens
nodeme^ se sont sbittenus de prendre des vers grecs pour sujets de 1eur«
660 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
calculs. Au surplus, les élèves ne s*cn plaindront pas : il leur serolt peu
agréable de chercher à résoudre de^s problèmes d'arithmétique, tout héris-
sés de ç,nic et do latin.
Ce volume est lui-même un problème que nous proposons humblement
aux bibliographes. Dans laquelle des trois «éries, arithmétique^ poitte
grecque ou poésie latine doit-on classer Touvrage de Laurenberg ?
350. Martigna. Sylva radicum hebraîcarum; auctore
J.-B. Martigna. Parisiis, 1622; in-8, cart.. . . » — »
Ce volume renferme 2,000 racines imprimées à deux colonnes, en beaux
caractères hébraïques, avec rexplication latine en caractères italiques ; l'exé-
cution tj-pogrnphique ne laisse rien à désirer.
C'est par suite d'uiKî erreur commise par l'imprimeur que ce livre parut
sous le nom de Martigna : Tauteur vrritahic est le P. Nicolas Rigueil, do
Rouen, jésuite, <iui mourut à Reims le 16 octobre 1G43.
351. NiGRi {Stephani) Dialogus in quem quicquid apud
Pausaniam scitu dignum legitur, summa cum diligentia
congestum est. Accedunt Philostrati heroica (per eam-
dem in latinum conversa sermonem). Mediolani , 1517 ;
1 vol. in-â, d.-rel., v 60— o)
Très-rahe. Etienne Nigri, né à Casai, dans le pays de Crémone, fût l'an
des élèves de Démétrius Chalcondylas, et professa avec distinction, à Mi-
lan , les langues gi'ccque et latine. Il étoit lié avec plusieurs savants de
l'Europe, ainsi que le prouvent les vers grecs et latins composés en son
homieur et imprimés parmi les pièces liminaires de ce volume. Nigri dédia
son ouvrage au célèbre Lyonnois Jean G relier, le hiécèm de son tempe.
C'est un nom bien connu des bibliophiles; et, h notre avis, une dédicace à
J. G relier étoit une bonne fortune pour l'auteur, et doit être encore au-
jourd'hui une excellente recommandation pour son livre.
On sait que les Ileroica de Philostrate contiennent le récit des exploits
de tous les héros qui assistèrent au siège de Truye, et que Ton trouve dans
cet auteur grec des faits omis par Homère et par les autres portes. Nous
ferons remarquer que cette traduction des Heroica par Et. Nigri est citée,
dans le Manuel du Libraire^ conuue « un livre excellent et très-rare, qui
conserve encore une tii's-haute réputation. » I^e Dialogue se compose de
longs extraits traduits de Pausanias sur la géographie et l'histoire de la
Grèce.
Le priiilége^ imprimé sur le dernier feuillet, n*est pas la pièce la moins
curieuse du volume. En effet, ce privilège est accordé par le roi l^ançois !•%
en qualité de duc de Milan. Il est daté du 20 février 1517, et porte pour
souscription : Per regem, Mediolani ducem; ex relatione Conailii. Fran-
ciscus Castilliomts.
BULLETIN DU DIBUOPHILE. 664^
Notons encore l'autographe qu'on lit sur le titre i Sum Gilberti Coçtiaii
Noiertni^ et amicorum; autograplie du célèbre Gilbert Coualn de Nozeroi,
en Franche-Comté, auteur d'ouvrages recherchés.
S62. NuNEz. Refranes, o prouverbiosen romance, que
Duevamente coUigio y glosso, el comendador Hernan
Nunez. Van puestos por la orden del ABC. — En Sa^"
lamanca, 1578 ; in-12 allongé, vél » — »
Noua lisons une* note, jointe au volume, do l'érudit bibliothécaire d'An-
goulCme, M. Eusôbc Castaigno : « Édition rare de ces charmants proverbe»,
m plua recherchée, en raison de sa commodité, que Tédition de 1555, in-foU,
« qui 8*est pourtant vendue jusqu'à 50 flor. Mccrman. Elles contiennent
« l'une et l'autre plusieurs proverbes que les censeurs n'ont pas laissés pasr
« ser dans les réimpressions modernes. »
M. G. Duplessis [Bibliographie parémiologique) ajoute, en parlant du vo-
lume qui nous occupe : « Le Recueil de Nunez est un des plus curieux et
« des plus considérables qui existent. Il est distribué par ordre alphabétique,
m et Taotour s'est contenté, en général, de donner l'énoncé des proverbes,
• sans y joindre aucun coumientaire. De temps en temps il ajoute à certains
« proverbes quelques mots d'explication fort concis, mais suffisants. J'a-
< Jouterai que, dans cette immense nomenclature, on trouve presque tous
• les Proverbes portuguois et un assez grand nombre de Proverbes françois
• et de Proverbes italiens. Les Proverbes galliciens (gallegos) n'y sont pas
« non plus oubliés. Cet ouvrage peut donc ôtrc considéré comme un réper-
• toire abondant de Proverbes bon à consulter, et auquel il ne manque ,
a pour être encore plus utile, que d'avoir été rédigé dans un ordre alpha-
0 bétique un peu plus rigoureux. «
An surplus, notre exemplaire est conforme à la description du Manuel de
M. Bronet II est dans une parfaite conservation et rempli de témoins.
35S. Ordonnances royaulx sur le faict de la justice et
abbreuiation des procès ; publiées en la cour de parle-
ment à Paris, le 6* iour de septembre 1539. Paris
(impr. par Nicolas Couteau) , on les vend par Galiot du
Pré, 1539 ; 1 vol. in-4, goth., d.-r., v. f . . . . 86 — »
Ces ordonnances sont presque toutes relatives à la procédure oivile et
criminelle ; nous en indiquerons quelques articles remarquables.
(50-55). François !•» ordonne de tenir des registres de baptetmei qui eon-
tiendront le temps et V heure de la nativité, et par l'extraict detéUê r©-
futrei u pourra prouver le temps de la m^njorité ou mifiorité. 11 ordonne,
en outre, que Voti fasse registre des sépultures des personnes tenant biné-
fiées: et que ces registres: soient portés tous les ans et gardés ès-greffes des
66*2 BULLETIN DU BIBLIOPHILE,
plus prochains juges royaux^ pour y avoir recours quand mestier et hesoing
sera. Il résulte de là que Ton étoit tenu de constater les baptêmes de tous
les nouTeau-nés, mais que l'on inscrivoit seulement les décès des bénéfidevs.
Ces prescriptions n'étoient point encore suffisantes pour rendre inutile l'in»
scription des baptêmes, mariages et décès des membres de certaines familles
sur les marges de quelque volume précieux qui se transmettoit par llié
ritage,
(185-101). Le i*oi abolit les confrairies des gens de mestier et artisans •
leur défend de faire aucune despence pour obtenir la maistrise, de ne tesnr
aucune assemblée grande ou petite , pour quelque cause que ce soit , de ne
faire aucun monopole et n'avoir ou prendre aucune intelligence les ungt
avec les autres du faict de leur mestier ; sur peine de confiscation de eorpê
et de biens. Ces articles, tombés bientôt en désuétude, pourroient donner
lieu à des commentaires intéressants pour l'histoire des maîtrises et des Ju-
randes.
La torture étoit un terrible appendice de la procédure criminelle. Fran-
çois I*' consacre à ce sujet deux articles de son ordonnance de 1539 (163). 5i\
par la Visitation des pièces » la matière est trouvée subjecte à torture ou
question extraordinaire , nous voulons incontinent la sentence de ladiete
torture estre prononcée au prisonnier, pour estre promptement exéaUie
(164). Et st, par la question ou torture, Von ne peult riens gaigner à ren^
contre de Vaccusé , tellement qu'il n'y ayt matièr e de le condamner, hoêkê
voulons luy estre faict droict sur son absolution, ... Ainsi, le législateur avooe
qu*on appliquoit quelquefois à la torture ou à la question extraordinaire
des innocents qu'on étoit obligé d'absoudre après les avoir estropiés. Et
cependant ce n'est que sous Louis XVI que la question a été abolie !
Nous citerons encore l'article 3. par lequel il est ordonné que doresna-
vant tous arrests y pièces de procédure ^ contracts^ sentences ^ testament B^
et autres quelsconques actes soient prononcés ou rédigés en langage mater"
nel français et non autrement.
Cette édition gothique est aussi belle que toutes celles qui ont été impri-
mées pour Galliot du Pré. Nous ferons seulement observer que le roi ac-
corde le 28 août, à Galliot du 1^, un privilège pour trois ans, à l'exclndon
de tous autres libraires , et que , le môme jour, le Parlement accorde un se-
cond privilège pour trois ans à J. Bonhomme et à J. André, à rexcloaion
de tous autres libraires. Il nous seroit difficile d'expliquer cette singularité
qui résulte de deux privilèges émanant de deux autorités différentes et pa-
raissant se contredire. Nous préférons rappeler les conditions imposées par
le Parlement aux libraires : A la charge que ladiete impression sera bien
correcte, en beau volume, belle marge et'bonne lettre. Cette injonction étoit
la sauvegarde de l'art de l'imprimerie, et elle a été fidèlement observée par
Galliot du Pré.
— Exemplaire grand de margo<i et beau, sauf une légère piqûre à quel-
ques feuillets.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 603
S64. PiGARDUs Toutreriaiius {Joanties). De prisca Celto-
pœdia, libri y. Parisiis, Mat. David, 1566; pet. in-A,
vél 45 — »
Exemplaire de lluct, évoque d'Avranchcs. On trouve l'analyse suivante
du cet ouvrage dans la Bibliothèque de la France^ du Père Lelong^ U I :
« Ce livre conticnl l'histoire du progrès des lettres, des sciences et des
arts dans les Gaules. Le but de l'auteur est de faire voir que les Gaulois les
ont connus et cultivés avant les Grecs, les Latins et les autres nations, et
i\ti*îh n'y ont pas moins excellé. Son ouvrage est divisé en cinq livres, dont
on trouve l'analys^^ à la tôte.
• Dans le premier, il expose en abrégé la contrariété qui règne dans l'his-
toire par rapport à l'invention des arts et des sciences que chaque peuple
a \oulu s'attribuer. Dans le second, il fait l'histoire de l'antiquité des samo-
théens, saronides, druides et bardes qui ont cultivé dans les Gaules la phi-
losophie, l'astrologie, la poésie , etc., etc., plus de huit cents ans avant que
Cadmmeût apporté l'usage des lettres dans la Grèce. Saroothès, premier
phlloaopho des Gaulois, étoit petit-flls de Noé, quatrième fils de Japhet^ et
frère de Gomor. 11 occupa les Gaules cent quarante-quatre ans après le dé-
luge ; c'est ce qu'ont avancé les auteurs fabuleux que l'auteur suit, selon les
pi^ugés de son temps.
* Dans le troisième, il prétend que la langue grecque étoit en usage dans
lea Gaules longtemps avant que les Grecs s'en servissent, et qu'elle leur a
été apportée par les Gaulois lors do leur passage dans la Grèce, quand ils
peuplèrent une partie de l'Asie mineure, à laquelle ils donnèrent le nom de
Galatie ou Gallo-Grî'co. Pour le prouver, il rapporte plusieurs noms de
villes et autres très-anciens dans les Gaules, qui sont purement grecs. Il se
fonde aussi sur deux passages, l'un de Xénophon, l'autre d'Archiloque, qui
attestent que les lettres et les caractères grecs ont été tirés des Galates et
des Méoniens; d'où il conclut que c'étoient les mêmes qui y avoient été ap-
portés précédemment par la transmigration des Gaulois en Galatie.
Dans le quatrième livre , qui est sans contredit le plus utile et le meil-
leur, il rap}M)rtc plusieurs mots qui nous sont cooununs avec les Grecs, et il
attribue les différents changements qui sont survenus dans la langue gau-
loise aux incursions et transmigrations de différents peuples dans les
Gaules.^
« Dans le cinquicnu*, il s'emporte contre les auteurs qui ont mal parlé
des Gaulois. Il fait l'énumération de plusieurs grands honunes dans les
sciences et dans l'art militaire que les Gaules ont produits, et de différentes
ronqu(!tr*s de» Gaulois, surtout eu Italie.
m L'auteur étoit Bourguignon, natif de Toutry, proche Époisso, dans
r\u\ois, ainsi qu'il le témoigne lui-mf^me. Son ouvrage est savant, surtout
pour ce qui regarda; Ic^ langues oi les étymologies, et. c'est ce qui en fait
tout le inériti», car d'aillcui-s c'est bien peu de chose, tant par rapport au
m\1p «imo par rapport à la fa«;on dont il établit son système. Le style est à*un
^6
U()A llUtXETlIN DU niBLlOPlllLK.
latin plat ut plein de lieux communs, de répcHitions, d'invectives et de décla-
mations. Quant à son systî^me, il Ta pris d*Annius de Viterbe, ainsi qu*il
en convient, fol. 187, et il Ta appuyé sur quelques passages des faux Bérose
et Manethon, ouvrages publiés par Annius de Viterbe, dont on parle au com-
mencement de Tarticlc. Les autres autorités dont Picard se sert n*ont
aucune époque qui remonte aussi haut que Cadmus et Orphée; d'ailleurs,
son ouvrage prouveroit tout au plus que les Celtes ou les Gaulois avoieni
une connoissance imparfaite et grossière des arts et des sciences, et telle à
peu près que Teurent les premiers habitants qui peuplèrent la terre apr^
)e déluge, mais non pas qu'ik les avoicnt portés au point de perfection où
les Grecs les ont conduits.
« Pour ce qui est des lettres et de la langue des Grecs, il parolt plus pro-
bable, quoi qu'en dise l'auteur, qu'elles furent apjiortées dans les Gaules par
la première colonie des Phocéens, qui fondèrent Marseille l'an 63 de Rome«
501 ans avant Jésus-Christ. L'on sait que cette ville est une des premières
des Gaules où les lettres aient fleuri ; il y a eu des écoles par le moyen des-
quelles la langue grecque s'est répandue dans le reste des Gaules, et s'y est
peu à peu mêlée au langage naturel des Gaulois. C'est cependant ici la
meilleure partie de Touvrage de notre auteur. Le Père Pezron a eu à peu
près la mOine idée, mais il l'a soutenue d'une manière plus claire, plus
simple et plus persua;>ive. »
355. Réflexion sur Tédit IoiicIkuU la rérormation des
monastères. S. l. , 16(58 ; pet. in- 12, vél 12 — »
L'auteur de cet opuscule expli(|ue les moiifs d'un projet d'édit royal sur
la réformation des monastères. Après avoir fait connoitre les obstacles qui
s'opposent à l'exécution de l'édit projeté, il projwst^ et développe les moyens
qui lui paroissent utiles pour aplanir toutes les difficultés.
Ce n'est pas sans de bonnes raisons que l'autour et l'imprimeur ont gardé
l'anonyme, car à cette époque il étoit dangereux de parler avec tant de li-
berté des inconvénients qu'entralnoient pour la prospérité de l'État la mul-
tiplicité des monastères et le nombre toujours croissant des moines et des
religieuses.
356. Stephanoni. Gemmae anti([uitus sculptœ, a Petro
Stepbaiionio Vicentino collecta} et declaratiouibus illus-
tratiB. Romœ^ 1627, in-4, vél 40—-»
Ce volume, très-rare, se compose d'un titre gravé et de 49 planches égale-
ment gravées à l'eau-forte, sur cuivre ; elles ont du mérite. Il n'y a point
d'autre texte qu'une indication du sujet au bas de chaque figure. Les plus
riches bibliothèques en ce genre, telles que celles de Cotte, de Millin, de
Mariette, etc., ne possédoient point cet ouvrage; cependant il est indiqué
par Hébert (no 21,735). Notre exemplaire offre une particularité qui en aug-
mente la valeur. En effet, il est interfolié, et les feuillets ainsi intercalés
contiennent une savante explication manuscrite du temps, et en italien, de
Ja plupart des pierres antiques gravées dans lo volume.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. (565
357. ViNCARTii {Jo ) Gallobelgœ insulanî e soc. Jesu, sa-
crarum heroidum episiolœ. Tornaci, Adr. Qainque t
1640; 1 vol. in-1-2. lig., rel 3â— »
Jean Vincart, né à Lille on 1503 , fut reçu jésuite à Tàgc de vingt ans. Il
l>rofe»a les humanités à Lille et à Tournai, et se distingua par son talent
poétique. 11 mourut à Tournai en 1670.
L*auteur dit, dans la préface de ses Héroïdes sacrées^ que son admiration
pour le génie d*Ovide, et surtout pour les Héroïdes de ce po^te, Tavoit en-
gagé à rimiter, mais que, par respect pour sa profession, il ne mettoit en
scène que des héroïnes chrétiennes.
« Cet ouvrage, dédié à Vitellcsco, général des Jésuites, contient vingt-quatre
lettres en vers élégiaques ; elles sont divisées en trois livres, dont le dernier
spécialement consacré aux saints de Tordre des Jésuites. Chaque Héroîde
ornée d'une fort jolie vignette allégorique, gravée par P. Rucholle.
Nous avons remarqué que le privilège est signé par Florent de Montmo-
rend, provincial des jésuites dans la Gaule belgique, et que Vapprobation
est signée parle célèbre ligueur Jean Boucher, docteur en théologie^ archi-
ékaere et chanoine de Tournai. Le texte- de cette approbation nous a paru
curieux, et nous la transcrivons : Elégantes hœ , sacris heroidibus afficlœ
Fpûiolœ, prœterquam quod suaves sunt^ et lacteo decurrunt flumine, nihil
kûbent quod non pietalem simul, et bonos mores œdificet; ob idque quo mi-
nu» secure imprimi^ legique possit. Aclum Tornaci septima julii 1640. U est
Trai que la poésie latine de Vincart est facile, et que Ton trouve dans ce
livre d'heureuses imitations du poOte romain.
S58. Voyage (le) de Maline. S. l n. d., in-12, veau
fauve 18—»
Cette relation, écrite en prose et en vers, est dans le genre du Voyage de
Bachaamont. Des HoUandois, gens de qualité, et plusieurs dames, s'em-
barquent à Rotterdam pour se rendre à Malines, et assister à la célèbre pro-
ccwion qui a lieu dans cette ville de cinquante ans en cinquante ans, et
que par conséquent il est difficile de voir plus d'une fois en sa vie. L'an-
teur nomme et décrit quelquefois les villes qu'il trouve sur sa route. Voici
ce qu'il dit de Middelbourg :
Bliddelburg est sans doute une ville fort belle ;
Tout y rit, tout y plaît, il le faut avouer ;
Mais sur la porte de laquelle
On peut mettre ville à louer.
D raconte les dîners et les divertissements de cette joyeuse société. Enfin,
il fait une description minutieuse de l'aspect de la ville de Malines pen-
dant ces jours de fête, ainsi que de la fameuse procession de Saint-Romuald.
Cependant, comme le narrateur professoit la religion réformée, et que la
W6 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
o^rémonic, toute catholique, étoit dirigée par les jésuites, on »e aéra point
surpris des traits satiriques que l*on rencontre dans cet oa^rage. Nom ci-
terons pour exemple ce portrait des béguines de Malines :
C*ostoient des choses sans pareilles
"Que de voir toutes ces corneilles
Avec leur petit comillon
Qu*on voyoit en guise de creste,
D*où pcndoit un noir pavillon.
Planté sur le haut de la teste.
Qui les couvroit jusqu'au talon.
Nous terminerons cette note par le récit d*une Collation nutiqme à Ma-
lines : « Comme il faisoit extrômcment chaud et que nos dames, pea ao
coutumées d*aller à pied, se trouvoient lasses de marcher, elles dema»
dèrcnt de se reposer dans quelque logis : la peine fut d*en trouver an o4
il y eust place pour une compagnie aussi grande que la nostre, car tOQl
estoit plein jusqu'à la rue ; néanmoins, à la fin, après avoir bien cherché,
nous entrâmes dans un cabaret
Qui, pour dire la vérité,
Avoit bien Tair d'une gargotte :
Sales servantes, vilain hôte.
Hospice peu séant à gens de qualité :
Mais enfin la nécessité
Fait servir un sabot de botte.
« L'entrée estoit terriblement fumée, et nous ne trouvâmes pas le dcdaai
plus beau que rentrée. Cependant, tel qu'il estoit, il ne laissoit pas d'estrc
occupé jusqu'au grenier. Il ne restoit que la cour de vuide, dont il faUnl
nous contenter, aupr{;s d'une escurie et d'un magasin à foin : ce n*e8toil
plus un cabaret, mais une grange , où l'on nous apporta sur une escabeik
de quoy faire une collation à la rustique ■
Ce volume , imprimé en beaux caracttTcs , nous paroit avoir été publié
en Hollande , vers la fin du xvii« siècle.
BULLETIN
DU
BIBLIOPHILE
REVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAR J, TECHENER
A TKC LE COMCOO&S
MM. L. Barbibr, Coniiervateur>Administrateur à la Bibliothèqae du
l^uTre; Ap. Briquet ; G. Bru.nbt; Eusèbe Castaigkb, bibliothécaire
^Angoulème; J. Chenu ; de CLmcHAyp, Bibliophile; V. Cousin, de
t* Académie Françoise; Dbsbarreaux-Bbrnard, Bibliophile; A. Dinaux;
A. Ernoup, Bibliophile ; Ferdinand-Denis, Conservateur k la Bibliothèque
Sainte-Geneviève; J. de Gaillon ; Alfred Girauo; Grangibr de La
MAaiNttRB, Bibliophile; P. Lacroix (Bibliophile Jacob); J. Lamoureux ;
^ Lebbr; Leroux db Linct ; P. de Maldbn ; db Monmbrqoé ; Fr. Morand ;
Vauun Paris, de PInstitut ; Louis Paris; D' J. F. Payen ; Philarète
Chaslbs, Conservateur à la Bibliothèque Mazarine; J. Pichon, Pré-
sident de la Société dos Bibliophiles François ; Serge Poltoratzki ;
Bathbbt, Bibliothécaire au Louvre; Rouard; S. de Sacy, de TAcadémie
Françoise ; Sainte-Beuve, de TAcadéinie Françoise; Cb. Wbiss; Yembnu,
de la Société des Bibliophiles François ; etc.; etc.,
<^<lirtbnant des notices bibliographiques, philologiques, hi8t0-
klques, littéraires, et le catalogue raisonné des livres de
l'Éditeur.
AVRIL.
DOUZIÈME SÉRIE
A PARIS
J. TECHENER, LIBRAIRE
t\VE DE L'ARBBE-SEC, 52, PRÈS LA COLONNADE DO LOUVRE.
1866.
47
Sommaire du n^" d'Avril de la douzième nirie du Bulletin
du Bibliophile,
NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR
M. BAZIN, par J. Andrieux 669
NOTICE SUR DEUX OUVRAGES FORT RARES —
Proverbes basques d*Oihenart. — Vie et révélations
d* Agnès Blannberkin, par Gustave Brunet 681
VARIÉTÉS 685
CORRESPONDANCE. — Lettre relative à Montaigne,
par le docteur J. F. Payen 686
— Lettre sur la réimpression d*un petit volume fort
rare intitulé: Cagasanga Reistrosuyssolansqnenorum, 687
ANALECTA-BIBLION 691
NOUVELLES 696
CATALOGUE 699
.^
NOTICES ^
BIOGRAPHIQUES ET LITTÉRAIRES
M. BAZIN
SA VIE ET SES ÉCRITS.
La situation dans laquelle le critique se trouve vis-à-vis de
rhomme dont il veut étudier les écrits peut, à son insu, influer
beaucoup sur son jugement. Jamais la tâche n*est plus difficile
que lorsqu'il s'agit d'émettre un avis sur un personnage vivant,
aidé par les renseignements qu'il veut bien communiquer; car
il a soin de ne rien montrer de ce qui pourroit être à son désa-
vantage. Si celui que l'on veut juger s'est illustré dans la car-
rière qu'il a parcourue, on doit attendre longtemps, et ne point
se hâter, à moins que l'on n'ait l'intention de rédiger un pa-
négyrique ; s'il a obtenu seulement la sympathie de quelques es-
prits d'élite, sans rechercher l'approbation de la foule, sans que
900 talent ait soulevé de vives contestations, sans que les cir-
constances l'aient fait louer ou blâmer outre mesure, quelques
années après lui, le jugement peut se formuler d'une façon assez
équitable, pour qu'il n'y ait pas besoin d'appel. II en est des grands
hommes comme des grands monuments : pour bien les contem-
pler, il faut les voir d'un peu loin, et n'être plus à l'abri sous
leur ombre; pour les illustrations moins grandes, à qui la pos-
térité ne veut élever qu'une statuette ou qu'un buste, il suffit
de reculer d'un pas.
Cinq années se sont écoulées depuis la mort de M. Bazin. Il
semble que c'est déjà assez pour qu'il soit placé dans la si-
670 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
lualion qui, à son poinl do vue, Ini eut paru la plus favorable
pour t^tre jup:é, celle d'un ancien. Les événeiuenls se succèdent
avec laiil do rapidité dans Tépoque actuelle, que quelques-uns
mt^iues de ceux qui s'occupent exclusivement des choses de l'es-
prit, peuvent n'avoir plus qu'un vague souvenir de certains ou-
vrages de M. Bazin ; j'en rappelle ici le litre, en les rangeant
par ordre de date : c'est dans cet ordre aussi que je les appré-
cierai ; on sent toujours le progrès en passant successivement
de l'un à l'autre.
Eloge historique do Chrvtien-GuiUaume jMmoignon de Males^
herbes, in-8, Didol, 1830.
La Cour de Marie de }fcdicis^ Mémoires d'un Cadet de Gas-
cogne, 1 vol. in-8, Mesnier, 1830.
L'kpoque saîisnom^ 2 vol. in-8, Mesnier, 1833.
Histoire de France sous Louis XII J et sous le ministère du
cardinal Mazarin. (Les l\ vol. in-8 sur Louis XIII ont paru en
1838, les 2 vol. sur Mazarin en 18/|2.) 2' édition revue par l'au-
teur h vol in-12, Chamerot, 1846.
Études d'Histoire et de Bio(/raphie, 1 vol. in-8, Chauierot,
1844.
Notes historiques sur la vie de Molière^ 1 vol. in-12, Teche-
ner, 1851. (Ces notes avoient déjà été publiées dans les nu-
méros des 15 juillet 1847 et 15 janvier 1848, de la Revue des
Deux Mondes, )
J'ajouterai, pour être complet, une édition de Y Histoire de
Madame Henriette d'Angleterre, par M"« de La Fayette, 1 vol.
in-12, 1853. La publication de ces deux ouvrages posthumes a
été surveillée par M. Paulin Paris.
I.
Anaïs de Raucou, connu sous le nom de Bazin, que portoit
son bienfaiteur, et qu'il fut autorisé à prendre par ordonnance
royale du 25 avril 1843, naquit le 8 pluviôse an v ; il fut mis
de bonne heure en pension, puis au Lycée (Iharlemagne où il
faisuit de brillantes éludes, lorsqu'en 1814, dg^ de 17 ans, il
/
f
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 671
quitta ie collège pour entrer dans les gardes du corps. Le re-
tour de rtle d'Elbe termina sa carrière militaire, contre laquelle
il décocha plus tard ce trait : u J'ai le malheur d'appartenir à
« une nation qui n'est jamais plus fière que lorsqu'elle a un
« pompon sur la tôte, et quand elle obéit au mot d'ordre d'un
« caporal. » Il s'adonna à l'étude de la jurisprudence, et après
s'être fait recevoir avocat, il prit part à la rédaction de la Quo-
iidiennc^ que dirigeoit encore M. Michaud; mais en dehors de
la polémique, il s'exerroit sur les sujets mis au concours par
l'Académie; en 1820, le mémoire qu'il présenta n'eut pas de
succès; deux ans plus tard son discours sur Le Sage obtint une
mention, et quelques mois après la révolution de 1830, il lut
lui-même, dans une séance solennelle de l'Académie, son éloge
de Maiesherbe, achevé au bruit de l'émeute, et surtout in-
spiré par la vue de l'image mutilée de Louis XVI, placée au
Palais de Justice sous la«statue de son défenseur.
Le nom de M. Bazin devoit jusqu'à sa mort retentir presque
chaque année sous les voûtes de l'Académie, et y être toujours
chaleureusement applaudi. Si son existence avoit eu la durée
ordinaire, il seroit probablement aujourd'hui au nombre des
înoiDortels.
La Cour de Marie de MédicispdLVni en 1830, ce roman por-
tuit pour second titre : Mémoires d'un Cadet de Gascogne
(1615-1618), il n'y avoit pas de nom d'auteur; mais deux cir-
constances indiquoient assez M. Bazin pour que le public ne pût
pas se méprendre : d*abord sur le verso du faux titre se trouve
Pannonce de V Histoire de Louis Xlll^ dont la première partie
ne fut publiée que huit ans plus tard; ensuite on lit dans l'aver-
tissement : (c Soit que ces mémoires viennent d'un écrivain mo-
« deme qui s'est rendu contemporain de cette époque par des
« études destinées peut-être à une composition plus sérieuse,...»
il n'est guère possible de se déguiser de façon à se faire mieux
rcconnoltre. Ce roman a une certaine originalité qui peut sembler
1111 défaut au premier abord : il est sur la limite entre l'œuvre
d'imagination et l'histoire, de sorte qu'il n'appartient d'une fa-
1«-
672 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
çoD marquée ni à Tune ni à Tautrc de ces deux catégories. L'ia-
vention y fait complètement défaut, mais Tétude déjà approfon-
die de la littérature des premières années du temps de Louis XIII
répand un certain charme sur Tensemble, et M. Bazin, qui
lorsqu'il sera devenu réellement historien s'abstiendra de notes
et de pièces justificatives, ne déplace pas le fait historique le
moins important sans en prévenir le lecteur. Son Gascon est
un observateur ingénieux; mais pour un homme de sa pro-
vince il se vante bien peu, et reçoit successivement les couseik
de tout le monde. Un poëte de second ordre lui donne d'abord
des avis assez sensés, trop sensés môme pour un poôte, et si
après plusieurs pérégrinations il ne s'attachoit pas k la fortune
du cardinal fle Richelieu, ce héros de roman pourroit bien avoir
une fm tragique au lieu de devenir paisiblement capitaine des
gardes de Son Ëminencc. Le manque d'intrigue dans un roman
paroit toujours assez singulier ; mais en 1830, c'étoit une oppo-
sition à l'excès dans lequel tomboieut beaucoup des auteurs de
nouvelles. Voir les défauts de son temps, les critiquer, y résis-
ter pour tomber dans les défauts contraires, c'est ce qui arriva
plus d'une fois à M. Bazin.
L'étude du passé occupoit déjà la majeure partie de sa vie,
mais elle ne Tavoit pas encore absorbée complètement, il se
méloit des affaires de son temps, non point dans l'espoir d'ob-
tenir quelque place au lendemain d'une révolution qui avoil
renversé le gouvernement qu'il préféroit, mais comme délas-
sement de ses études. Il publia d'abord séparément, dans di-
vers recueils, puis en 1833, sous la forme de deux in-8, une
série d'articles piquants et spirituels sur l'époque contempo-
raine qu'il appela : VÉpoque sans nom^ titre peu flatteur, qui
pourtant n'em|)écha pas son livre d'avoir beaucoup de succès.
Si on le relit aujourd'hui, quelques-unes des scènes qu'il dépeint
ont un peu passé; mais sauf La Bruyère, quel est le moraliste
dont Tœuvre n'a pas diminué de valeur au bout de plus de
vingt ans ? Des plaisanteries sur la garde nationale, les Jour-
naux et les parlementaires, n'ont plus de sens aujourd'hui ; elles
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 67S
ODt du moins conservé le mérite d*étre venues des premières
et d'être narrées dans un style pur et correct, bien éloigné de
celui qu*on a employé pour peindre le personnage affublé du
nom de Ai. Prudhomme, On le nommoit May eux en 1830, et
M. Bazin lui a consacré un chapitre en ayant soin de ne pas le
confondre avec le bourgeois; ce n'est que plus tard, quand la
plaisanterie a été usée, que Ton a réuni en une même personne
le type du commerçant retiré et celui du garde national.
Ceux des chapitres de V Époque sans nom, qui ne s'attaquent
pas à un ridicule momentané, mais qui sont consacrés à des
études de mœurs plus générales, tels que la Bourse, le Palais
de Justice, les Boulevarts, le Jour de l'An, les Jeunes Gens à
marier, auroient, s'ils étoient publiés aujourd'hui, le même à
propos qu'au temps de leur première apparition. Il en est un
bien remarquable, qui heureusement ne seroit pas de circon-
stance, c'est le chapitre sur le choléra. - Mais c'est dans l'étude
sur le flâneur que l'on trouve tout l'esprit de M. Bazin ; quel-
ques-uns disent qu'il s'est peint lui-même ; je serois disposé à le
penser. Il faut, en effet, une expérience personnelle pour dé-
peindre : a Le quai des Vugustins entièrement peuplé d'hon-
« nêtes libraires qui confectionnent hardiment des livres
« nouveaux en face même des parapets où la littérature de trois
« siècles étale au rabais ses produits oubliés ; » et le quai Mala-
qnais : « Musée toujours ouvert, où l'on trouve des tableaux,
a des armures, des meubles gothiques, des porcelaines, des
« gravures, où l'on est sûr de voir sa figure exposée pour peu
« que l'on ait de célébrité, que l'on soit homme d'État ou co-
« médien. » Mais voici quelques traits qui montrent d'une
façon évidente que M. Bazin pensoit à lui en écrivant : u II n'y
a a jamais vu son portrait, grâce à Dieu ! car le flâneur ne pose
« point, et pour ce qui est de la renommée, il la fuit comme
« d'antres la cherchent. Vous jugez, en effet, quel fardeau ce
« seroit pour lui qu'un visage qui se fait nommer des passants,
ti quel insupportable compagnon de sa vie lui seroit une répu-
« tation quelconque, fût-ce celle d'homme d'esprit; quel tour-
67i BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
« ment il éprouveroit à se voir désigner par un de ces gestes
c( que provoque chez les curieux la rencontre d'une notabilité*
(( Je l'ai vu un jour regretter de n'avoir pas un ruban rouge à
(( sa boutonnière, il prétendoil que cela le faisoit remarquer. »
Un jour vint, en effet, ou M. Bazin désira la croix d'hon-
neur, ce ne fut pas le moins singulier de sa vie. G'étoit pendant
l'été de 1839; une maladie l'avoit forcé à se diriger vers Aix-
la-Chapelle pour y prendre les eaux. Au milieu de l'ennui et
du désœuvrement, il adressa h M. Villemain, alors ministre de
l'instruction publique, une lettre qui fait maintenant partie de
la belle collection d^autographes de M. Moulin, où j'ai pu la
consulter. Celte épître assez longue est remplie de traits sati-
riques; M. Bazin prie l'ami puissant de ne pas l'oublier, de
souscrire à ses ouvrages, et de lui envoyer un peu de ce ruban
(( dont il porte une aune.» L'épigramme étoit lancée, le minis-
tre accéda à la demande après avoir ri^ et sans doute il ne
manqua pas de rappeler ces mots de ['Époque sans nom : « Si
« pour entrer aux Tuileries vous n'avez ni chien, ni croix
a d'honneur, ni paquet, le factionnaire ne vous regardera pas. n
II.
Il est temps de laisser de côté cette nuance d'originalité qui
n'étoit motivée que par une extrême indépendance, |)Our consi-
dérer M. Bazin sous le point de vue sérieux de l'historien. C'est
en 1838 qu'il conquit vis-à-vis du public ce titre d'une façon
incontestable, en publiant les 'i vol. sur l'Époque de Louis XIIL
Le succès fut grand, et les deux volumes sur Mazarin, venus
quatre années plus tard, ne firent que justifier l'opinion bien-
veillante qui, du reste, avoit dès le principe rencontré peu de
contradicteurs. Depuis I8/4O jusqu'il la mort de l'auteur, l'Aca-
démie françoise décerna chaque année à cet ouvrage le second
prix (iobert, en maintenant lo nom de M. Bazin immédiatement
après celui de M. Augustin Thierry, (réloit lui assigner une
place élevée ; mais il la méritoit à beaucoii]) de titres. Les qua-
lités réunies de ces publicistes formcroient un historien parfait;
BUUETIN DU BIBUOPHILE. 075
Us ont à un égal degré la pureté du style, Télégance et la vi-
vacité dans le récit ; M. Thierry a plus d'élévation dans les
considérations générales, M. Bazin lui est supérieur dans les
appréciations de détail. Une grande diiïérence paroit exister
entre eux au premier abord ; mais un examen sérieux en fait
promptement disparoitre jusqu'à l'apparence. Les pages de
M. Thierry sont couvertes de citations et de notes, qui quel-
quefois n*ont pas un rapport immédiat avec le texte. Jamais on
ne rencontre la moindre indication de source chez Thistorien
de Louis XIII ; c'est une affectation que Ton est tenté de blâ-
mer quand on ne sait pas à combien de recherches prépara-
toires il soumettoit son travail. Au moment où j'adresse à
M. Bazin ce reproche, qui me paroit être le seul qu'on puisse lui
faire sur l'ensemble de ses travaux, je me trouve forcé de l'at-
ténuer par la vue d'une note inédite qui en détruit presque
rimportancë. A la page 61 de ses Notes sur la vie de Molière,
se trouve cette phrase : « Quanta celle (l'anecdote) où l'on fait
« figurer et même parler Ménage, d'après le Mènagiana, pu-
0 bliéen 1693, cette révélation posthume venant après trente-
« quatre ans attribuer l'honneur d'un bon sens vraiment pro-
« digieux à un homme qui a fait peu de preuves en ce genre,
c nous paroit tout k fait suspecte. » Pourquoi 7 Le livre ne le
dira pas; mais M. Bazin confie ses doutes à un ami, il dédaigne
le public, et veut être cru sur parole ; voici la note en son en-
tier, il seroit difficile de l'abréger sans en dénaturer le sens, et
sa longueur même a le mérite de montrer la façon de travailler
de H. Bazin :
(c Ma principale objection contre l'historiette rapportée dans
« le Ménagiana au sujet des Précieuses ridicules, étoit qu'elle
« faisoit vraiment trop d'honneur à Ménage, en lui attribuant
« un excès de désintéressement, une dose énorme de bon sens,
« dont rien de ce qu'on snit dn lui n'avoil pu laisser croire
c( qu'il eût jamais été capable. Un tel fait raconté par lui ou
ce par ses amis d'après lui, plus de trente ans après Févénement
a auquel il se rapporte» ne me sembloit rien de plus qu* un men-
076 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
« songe habile ou complaisant. Mais comme c'étoit là une cod-
i( viction purement morale contre laquelle une conviction con-
(( traire pouvoit argumenter, je m'étois arrêté aux circOD-
<( stances matérielles de son récit, qui, manquant de vérité se-
(( Ion moi, suiBsoient pour lui ôter toute créance et supprimer
u la discussion.
« La première édition du Mvnagiana (1693), page 278, s'ex-
« prime ainsi : j'étois à la première représentation des Pré-
« cieuses ridicules^ de Molière, au Petit-Bourbon, M"* de Ram-
« bouillet y étoit. M"»* de Grignan, tout le cabinet de l'hôtel de
(( Rambouillet, M. Chapelain et plusieurs autres de ma connais-
M sance. . . » « grammaticalement, il n'ctoit pas possible d'entendre
<( cette phrase autrement que comme je Tai fait. Une énuméra-
(( tion qui commence par deux personnes, qui résume ensuite
c( une désignation générale, tout le cabinet, et qui reprend
(( après cela par VI. Chapelain et les autres.
« Or, je trouvois que les deux personnes nommées d'abord,
« et dont Tune avoit été fort irrégulièrement appelée de son
(( nom de fille, étoient toutes deux ou dévoient être alors ab-
c sentes de Paris.
« M. de Monmerqué pense qu'il y a moyen de réduire ces
H deux personnes à une seule, de ne faire assister à la première
« représentation des Précieuses que la seconde. M"* de Ram-
(( bouillet, celle qui étoit alors M"'" de Grignan, en lisant ainsi :
« M"* de Rambouillet y étoit (M™*" de Grignan).
ii C'est là faire ingénieusement violence à la phrase imprimée.
« mais enfin il n'est pas impossible qu'un passage du Mena'-
<( giana ail été mal écrit et imprimé inexactement.
a il rcstoit donc à chercher si Tunique personnage fait de
0 deux, pouvoit être au Petit-Bourbon le jour où l'on joua les
« Précieuses,
« J'îivois trouvé la preuve que M™' de Montausier étoit à An-
ci gouléme, et je croyois absolument certain que la femme de
« M. de Grignan devoit être avec lui en Provence dans ce temps
« là, où l'on y attendoit le roi.
BUUëTIN du BIBUOPHILB. 677
o En cberchaot aujourd'hui un témoignage positif de ce que
(( je teuois pour constant, j*ai trouvé, à ma grande confusion
a et pour renseignement de tous ceux qui conjecturent, le
< témoignage du contraire.
a La même semaine où furent jouées pour la première fois
c les Précieuses ridicules^ M. de Grignan dinoit à Paris en très-
« bonne compagnie, avec les ducs de Lesdiguières et de Ghaul-
< nés, les marquis de Cœuvres et de Gadagne, chez le duc de
« Saint-Simon, et nous tenons cela d'un des convives, dont je
(f vous donnerois, après ces noms-là, à deviner le nom en cent,
<i si je n'étois extrêmement pressé de vous le dire, ce convive
u est notre ami Loret.
« Me voilà donc hors de mon dernier retranchement. Si M. de
tt Grignan étoit à Paris le 18 novembre 1653, sa femme devoit
a y être, et en accordant que la phrase du Mènagiana puisse
a s*appliquer à elle seule, moyennant deux ( ), peu importera
u que M"* de Montausier, l'ancienne M"' de Rambouillet, n*y
(t fût pas.
a Dès lors, plus d'impossibilité matérielle au récit du Mena-
u giana, qui n'en restera pas moins, pour moi, un délit de
u mensonge ; mais sans que je puisse le prouver par l'alibi. »
Peut-on accuser celui qui a rédigé une note aussi minutieuse
de manquer d'exactitude et de patience dans les recherches? Le
seul reproche qu'on lui puisse faire, c'est de garder sa science
pour lui et pour ses amis. Mais n'est-il pas permis, lorsqu'on
s'est fait contemporain du passé, d'avoir un peu de misanthropie?
Le temps où l'on vil intéresse peu ; ce que l'on aime, c'est la
lecture des vieux livres, le déchiffrement des manuscrits, la
vue des débris épars des anciens monuments ; et, chaque année,
le monde moderne, pour niveler le sol, pour élargir une rue,
pour faire quelque chose de nouveau, détruit ces vastes palais
dans lesquels faiiliquaire recherche des souvenirs oubliés; Ips
anciens jardins sont couverts de constructions. S'il s'éloigne de
Paris, où tout semble lui faire la guerre, à lui qui n'attaque per-
sonne, pour visiter les coteaux avoisinants, riches en souvenirs.
^78 BC1UTI5 DC BIBUOPUU.
d'où U grande ville ne semble plus qn'ane masse noire à rbori-
zon, que f rouve-Nil? A Marty. des brouMailles an lieu d'an palais;
» Saint-fiermain. la chambre on est qh Louis \IV cooTertie en
rabfirft; le reste du monunent, en prison : â Versailles, le lien
ou habitoit le srrand roi devenu trop petit pour tous les héros
qo on y entasse, quoiqu'un architecte moderne Fait démesu-
rément agrandi. Il y ciierche les souvt^nir^ de la vie intime de
Louis Mil et de Louis \IV : il y rencontre les batailles gagnées
depuis Tolbiac jusqu'à l'Aima.
M. Ba/.in, plus que personne. s«?mb!e avoir éprouTé cette
dé<:eption : la trace s'en retrouve souvent dans ses écrits, où
elle jf:tte wtut nuance de tristesse. Il avoit pourtant remédié à
cet inconvéni^^nt en s'cntounmt d^s portraits, des livTes, des
meubles qui remontoient à répo<{ue qu'il étudioiL Tout autour
de lui rappeloit le xvfi* siècle.
M. Bazin ainioit â surprendre son lecteur, et pour cela il
employoit miuvent un procf*dê assez bizarre. Dans son histoire
fie Louis Xlll, où d'ordinaire il vise à la concision, lorsqu*iui
fait qui attire Tintérf^t, comme la mort de la maréchale d'Ancre,
est sur le point d'être narré, il parolt vouloir donner des dé-
tails; mais, au bout de quelques lignes, la concision revient
avec plus de vigueur, et on est étonné d'avoir trouvé un récit
plus succinct que lorsqu'il s'est agi de l'assemblée des réformés
il Sauniur. Oa défaut est encorf; plus sensible dans l'histoire
du niinlst<M'e de Mazarin, parce ({ue les circonstances secon-
(laireH sont |)réMentcs dans le souvenir du lecteur, grâce aux
mémoires de Hetz, de M'"* de Motteville, de la grande Mademoi-
»(*ile, et mémo h ces pamphlets qui ont formé une littérature
snns avoir eu de mod/>ln vA restés depuis sans imitateurs : les
Ma^arinadcs,
L(\H études dliistoire et de biographie sont un de ces volumes
rounn(> la littérature des journaux en a tant formé, elles se
nunposrnt d'une réunion d'articles publiés dans l'ancienne
lirvurdr Paris, dans la Revue des Deux-Mondes, ^i dans di-
vemoK collections historiques; c'est le complément de l'œuvre
/
. j
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 670
de M. Baxin. Le défaut de ce travail est, on le voit, le manque
d*unité ; mais, comme tous les sujets qui y sont traités ont à-
peu-près rapport à la même époque, le lecteur n'est pas trop
étonné de les trouver cAte à cAte. La plupart de ces pièces dé-
tachées sont remarquables par la rapidité du récit, par Té-
légance du style, et surtout par la rectification de nombreuses
erreurs historiques. Les articles consacrés à Henri IV, à la
reine Marguerite, et aux économies royales de Sully, sont de
véritables petits chefs-d'œuvre. Il n'y a dans tout le volume
qu'un seul morceau qui fasse ombre auprès de ces excellentes
notices, c'est celui qui a pour titre le duel théologique, petite
nouvelle historique qu'il eût mieux valu ne pas joindre à ces
sujets sérieux. M. Bazin, lui-même, reconnoît son tort avec trop
de franchise pour que j'insiste davantage, et dans quelques li-
gnes placées avant ce récit, il demande : « Humblement pardon
« à la raison et au bon goût pour ce timide essai dans un genre
« détestable. »
L'espace de temps qui s'écouloit entre l'apparition de cha-
cune des publications de M. Bazin serviroit ati besoin à prouver
le soin qu'il apportoit dans les recherches qu'elles nécessitoient.
On sait qu'il travailloit d'une façon continue, et que le même
sujet l'occupoit sans relâche depuis le jour où il en commençoit
l'étude jusqu'à celui où il livroit son travail à la publicité. Eh
bien! de iSlik, c'est l'époque à laquelle parut le dernier des
morceaux qui composent les études d'histoire, jusque vers le
milieu de 18/i7, la vie de M. Bazin fut complètement occupée
par son travail sur Molière, qui devoit former deux articles de
revue; dont le second eut la mauvaise fortune de paroltre
presqu'à la veille d'une révolution. De notre temps, on est
habituée! travailler plus vite; mais aussi à moins approfondir
son sujet. Poui* peu que l'on ait étudié la vie du grand po^te
comique, soit dans les travaux des devanciers de M. Bazin, soit,
ce qui vaut infiniment mieux, dans Molière lui-même, on est
étonné en songeant au nombre prodigieux de recherches aux-
quelles ce dernier biographe a dû se livrer, pour réduire tant
680 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
d'anecdotes faites après coup, à un petit nombre de notions cer-
taines. J'ai cité plus haut un fragment inédit relatif à ce travail
qui prouve ce que j'avance ici d'une façon que je suis tenté de
nommer mathématique. M. Bazin donne à juste titre des éloges
à M. Beiïara, cet ancien commissaire de police, qui s*est mis au
bout de deux siècles à la piste des dates importantes de la vie
de Molière ; mais l'auteur des Notes historiques (il n'a pas eu la
prétention d'intituler son travail histoire) mérite bien davantage
d'être lu pour avoir su réunir une vaste érudition à une perspi-
cacité non moins grande que celle de l'ancien fonctionnaire.
Ce travail est le dernier que devoit publier M. Bazin; il le re-
toucha pendant les deux années qui lui restoient à vivre ; mais,
au lendemain de la révolution de 18/i8, sa vie dut principale-
ment se passer (j'en juge d'après V Époque sans nom) k décocher
des épigrammes k toutes ces vanités qui se heurtoient les unes
contre les autres, afin d'attirer sur elles, pendant un instant,
l'attention publique. N'ayant jamais eu ce travers, il évita la con"
tagion et mourut le 23 août 1850.
Riche, spirituel, érudit surtout; sa vie s'est écoulée au milieu
de quelques amis, et dans l'étude calme du passé. Il n'a jamais
recherché que l'estime de ceux qui, comme lui, comme le font
maintenant un évéque et un philosophe, s'étoient reconstitués
un wii* siècle bien plus pour eux que pour le public. Cette spé-
cialité de M. Hazin me fait, en terminant, exprimer un souhait :
je voudrois que ses amis formassent la réunion de ses œuvres
complètes; et, pour y contribuer en quelque chose, je leur rap-
pelle, pour les placer au bas du portrait (qui me procureroît
l'avantage de contempler pour la première fois le visage de
M. Bazin) , ces vers de La Fontaine qui me semblent résumer
l'esprit de l'historien de Louis XIII :
Que j'ai toujours haï les pcnsers du vulgaire î
Qu'il me semble profane, injuste et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Kt mesurant par soi ce qu'il voit en autrui I
J. Andaieux.
BUUETIN DU UBUOPaïU. 081
NOTICE SUR DEUX OUVRAGES FORT RARES
Proverbes basques d'Oihenart (2*parlie). — Vie et R^.vélations
d'Agnès Blannberkin.
M. Francisque Michel a publié, eu 1847, une fort bonne
édition des Proverbes basques, recueillis et mis au jour en
1657, par Arnaud Oibenart, le savant historien des provinces
du sud-ouest de la France. On sait à quel point ce volume est
devenu rare; il n'en existe, à notre connoissance du moins,
que deux ou trois exemplaires ; mais ce qui est encore plus
difficile à trouver, c'est un Appendice qu'Oihenart joignit à sa
collection, et qu'il fit paroitre après coup et sans date. Le
Recueil primitif contient 537 proverbes; le supplément en
donne 168 numérotés 538 à 706. M. Francisque Michel n'a
point parlé de ce supplément; M. G. Duplessis n'en a pas dit
un mot dans sa Bibliographie parvmioloyique, où il a cepen-
dant épuisé ce qui concerne les recueils de proverbes; les
personnes qui sont un peu au fait de l'édition basque (et ces
personnes ne se trouvent que dans le département des Basses-
Pyrénées) ne soupçonnoient pas l'existence de ce livret ; il s'en
rencontre un exemplaire (le seul peut-être qui subsiste encore)
à la Bibliothèque impériale. La langue basque étant très-digne
d'attention, ses productions littéraires ne se montrant qu'en
nombre des plus restreints, et les dictons sauvés de l'oubli par
Oibenart se distinguant assez souvent par un tour ingénieux
et une expression pittoresque, nous croyons faire chose utile en
consignant, dans le Bulletin du Bibliophile, une vingtaine de
ces sentences, que nous accompagnons d'une traduction
fidèle.
082 BUtUTIN DU BIBUOPHILB.
NotODs que les Proverbes 538 à 679 sont rangés dans Tordre
alphabétique; de 079 à 706 il y a un troisième supplément
disposé dans le même ordre. Oihenart a donc à trois reprises
différentes repris Ténumération des adages qu'il recueilloit.
Ahoan min dûenari estia Kannin,
Le miel est amer à celui qui a mal à la bouche.
A 15 cortes gusiequin^ eta nahassi gutirequin.
Sois courtois avec tous et familier avec peu.
Aurki gusiac du bere imper zia.
Tout drap a son envers.
Belea ikus daite , xurit esiaite.
Le corbeau peut bien se laver, mais non devenir blanc.
Bihicor da naguiaren alhorra, bana helharsar beci hanti
estathorra.
Le champ du paresseux est fertile, mais il n'en sort quenie
méchantes herbes.
Daquian gusia esterrala, es ian bethi eure ahala.
Ne dis pas tout ce que tu sais, et ne mange pas tout ce que
tu peux manger.
Educan eure athea hersiric etaes erran eure ausoas gai»'
quirric.
Tiens ta porte fermée et ne dis pas de mal de ton voisin.
Estago ilharguia bethi bere bethean,
La lune n'est pas toujours dans son plein.
Estemala eure molsa beguirazera bethi so dagoenari lurrera.
Ne donne pas ta bourse à garder à celui qui a toujours les
yeux fichés en terre.
HiZ'ixila, hintr beharritan iraganes guerosy arotan Ifisterea
dabila.
Le secret, après qu'il s'est promené en trois oreilles, va
courant partout.
Inharbaictaric su handi ialguidaite.
D'une étincelle peut sortir un grand feu.
Latsari onari estaquidio falta latsarri.
BUIXETIN UU niBLIOPHILE. (588
A une bonne lavandière il ne sauroit manquer une pierre
pour y battre sa lessive.
Mahaïan errana bego gordei'ic dahaillan.
Que ce qui est dit à la table demeure caché dans la nappe.
Nahiayo dut arsto iassan nescnbat , csies saldi egoz ne-
satibat.
J'aime mieux un âne qui me porte qu*un cheval qui me jette
à terre.
Urdaia cta amoa^ urthecoa ; adisquidea urthetacoa.
Le lard et le vin de Tannée courante, les amis de plusieurs
années, sont les meilleurs.
UfTunera dehona esconzera , edo da enganatu , edo doha
enganazera.
Qui loin va se marier, ou il est trompé, ou il va tromper.
Vrlhearequila iragan datceno, kexa esadila.
Ne te plains pas de Tannée jusqu'à ce qu'elle soit passée.
Aberatsi nahi scna urthc bitan, urkha sediù urtherditan.
Celui qui vouloit devenir riche dans deux ans, se fit pendre
dans une demi-année.
Bcrceren escus suguea berrotic athera nahi du.
Il veut tirer le serpent du buisson avec la patte d'autrui.
Ema surzari lurra cre alha.
A veuve ou à orpheline, la terre même à nuire s'obstine.
Ohi bano nauena acata zenago, cerbaiten eske dago.
Celui qui me caresse plus que de coutume, veut me deman-
der quelque chose.
Orrazac bano hariac luceago behar du isan.
11 faut que le fil soit plus long que l'aiguille.
Ser da mira, ardiac ofsoari ihes ari badira ?
Quelle merveille si la brebis fuit le loup ?
Agnetis Blannberkin, Vita et Revelationes.., edidit B. Pcz,
Viennœ, 1731, inS.
Cet ouvrage est bien connu de nom des bibliographes
68ft BULLETIN DU BIBUOPHILE.
ronime ayant M supprimé h rniiso di^ absurdités mystiques
dont il est rempli.
M. Peignot en a parlé, d'après Vogt (Dictionnaire des Livres
condamnés, 1806, t. I, p. iO).
Nous n'avons jamais rencontré l'opuscule d'Adr. Pootius :
Epistola qua historiam libri rarioris qui inscribitur : « Agnetis
Blannberkin Vita et Revelationes , exponit, Francfort, 1735,
in-8 ; mais Us Procvs-verbnux (rédigés en allemand et très-peu
connus en France) den srances de V Académie impériale de
Vienne, nous offrent (janvier 18/|9) quelques détails sur ce
livre.
Les ravissements d'Agnès au troisième ciel , ses visions, ses
extases, sont l'objet des récits les plus étranges. Le chapitre 27
de Praputio Domini est devenu fameux par son ridicule ; le
chap. XXVII de Ferculis coquinœ Domini, moins indécent, est
tout aussi absurde. Le Seigneur y est représenté comme un
cuisinier qui prépare trois plats , l'un formé d'épices et d'aro-
mates signifie le souvenir de la Passion ; le second est un plat
do laitage et « signifient dolorem et compassionem super pee^
catis proaimi; le troisième est du beurre, substance douce qui
entre dans la confection des autres mets, et qui représente la
prière quœ in se dulcis est et ad omnia valet. Les couronnes
des confesseurs admis dans le Paradis, et qui sont partagées
en quatre sections de couleurs différentes (or, vert, rouge et bleu) :
l'odeur suave qui s'exhaloit des autels (jue baisoit la soeur,
les mille coups qu'elle se donna une nuit avec une branche
d'arbre ; toutes ces circonstances et bien d'autres mériteroient
d'être relatées pour la singularité du fait ; mais il nous suflbra
de les indiquer, et nous laissons dans les Actes des académi-
ciens de Vienne la reproduction de ces récits prolixes en latin
très-peu cicéronion. G, B. "
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 685
VARIÉTÉS
Une publication périodique qui fait parfois d'intéressantes
excursions dans le domaine de la bibliographie, Y Artiste, nous
a offert, il y a quelque temps, une curieuse notice de M. Charles
Monseiet sur un ouvrage fameux en son genre et des plus rares,
puisqu*il n'en existe qu un seul exemplaire.
Il s'agit du Tableau des ma'urs du temps dans les différents
âges de la vie, livre composé par M. de La Popelinière, fermier-
général, fameux au wiii® siècle, grâce à ses infortunes conju-
gales et à son luxe.
On peut consulter ce que dit le Manuel du Libraire (der-
nière édition, t. II, p. 3) à l'égard de ce volume.
Nous ajouterons seulement (et ces détails n'ont pas été con-
nus de M. Monseiet), que le Tableau des Mœurs a figuré à la
vente J. G. (Gallois), faite pai* M. Techener en 18/i/(. Une note
annonçoit que le livre étoit mis en vente sur une mise à prix
de 5,000 fr., et que les peintures étoient Tœuvre de Carême,
artiste peu habitué à traiter des sujets édifiants.
Lne copie manuscrite du Tableau des Mœurs, indiquée
comme le manuscrit original, est portée à un catalogue de ra-
retés bibliographiques publié par M. Leblanc, 1837, n° 348.
M. Monseiet analyse successivement les dix-sept dialogues
qui forment cette production ; il glisse sur quelques-uns d'en-
Ire eux qui semblent malheureusement sortis de la plume de
TArétin; il s'arrête sur quelques autres qui peuvent se lire
partout et qui offrent une piquante image de ce qu'étoit la haute
société à l'époque de Louis \V.
C'est également à La Popelinière qu'on doit le petit roman de
Daïra, dont l'édition originale, 1760, est très-rare, et l'édition
«le 1761 bien moins difficile \\ IrouviT. •
686 BULLETIN IHI BIBLIOPHILE.
(( Les aventures qui y sont relatées ne sortent pas du cadre
ordinaire des romans musulmans; on y trouve cependant quel-
ques situations pathétiques et un certain art de composition. Ce
livre n'a rien de bien galant, malgré la réputation que les ca-
talogues lui ont faite, et quoique la scène se passe dans le sérail
d'Alep. » Ainsi s'exprime M. Monselet. M. Saint-Marc Girar-
din, qui a trouvé l'occasion de dire un mot de Daira dans ses
Études sur Jcan-Jacques Rousseau, publiées dans la Revue des
Deux-Mondes, s'énonce d'une façon qui donne peu d'envie de
lire cette narration : a Je n'ai jamais rencontré de roman plus
sottement écrit et plus sottement inventé. »
CORRESPONDANCE
Le dernier numéro du Bulletin contient deux lettres relatives
à l'article que j'ai récemment publié sur Montaigne. L'une est
de M. Philarète Chasies, et l'ingénieux professeur du GoUé^
de France a cru devoir répondre à une critique qui, dans ma
pensée, s'adressoit exclusivement a M. (îriln ; mais M. Ghasles
porte dans ses relations privées les habitudes du haut enseigne-
ment dont il est chargé, et il m'apprend ce que j'ignorois en
des term(»s où la plus exquise courtoisie le dispute à l'érudition.
Je l'ai déjà remercié directement, je suis heureux de trouver
l'occasion de le faire en public.
Quant à la lettre de M. Grûn, le Bulletin s'est chargé d'y ré-
pondre. En plaçant en regard deux pièces d'un ton si différent,
relatives au même article , il a fait de cette dernière la critique
la plus sanglante. Tout ce que je puis faire pour la lettre de
M. Grûn, c'est de la répandre; je la publierai, et elle formera le
comj)lémcnl de mon article.
M. Grun me reproche d'avoir « drcharyé dans le Bulletin
BULLETIN DU BIRUOPHILE. 687
« toute une année de mauvaise humeur. » De la mauvaise
humeur ! mais c'est dans la leltre de M. Grun qu'on en trouve
et non pas dans mon article ! Et si j'avois pu en éprouver
en cette occasion, j'aurois dû commencer dès le premier jour
de nos relations, et je me serois évité les reproches ouïes raille-
ries de mes amis.
M/ Grûn me menace de me rendre un service.,, de signaler
totis les endroits où je me suis trompé ; d'abord tout le monde
est sujet à Terreur, et le livre de M. Grûn le prouve surabon-
damment; ensuite, je pourrois m'élre trompé encore plus que
je ne fai fait, que cela n'ôteroit pas une erreur à M. Grûn;
enfin, ce service qu'il me fait si délicatement entrevoir ne sera
pas tout à fait gratuit, car pendant les dix-huit mois que je lui
ai donné mon hospitalité, à lui, qui m'étoit (je le confesse)
complètement inconnu, qui ne se réclamoit de personne, je lui
ai signalé moi-même bon nombre de rectifications que le temps
m'a fait connoitre, et il ne sera pas sans agrément pour moi de
me voir, un jour ou l'autre, écrasé par l'érudition de M. Grûn,
après lui avoir communiqué à peu près sans réserve les notes
que j'ai recueillies, les travaux préparatoires que j'ai rédigés,
les pièces authentiques que j'ai péniblement rassemblées depuis
trente ans.
SIT MIHI TERRA LBVIS !
Avril 1856. D' J. F. Païen.
Monsieur l'Éditeur,
J'aime beaucoup les Macaronées , et j'en possède d'assez
rares. Aussi, me suis-je empressé de me procurer un exem-
plaire de la nouvelle dissertation de M' 0. Delepierre sur la
littérature macaronique. J'ai lu avec plaisir l'analyse de cet
ouvrage, que vous avez insérée dans le dernier N'» de votre
688 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Bulletin, et je suis de votre avis : c*est une charmante collec-
tion de raretés bibliographiques. Mais..., j'avois sous les yeux,
par hasard, le Cagasanga; Paris, 1588, 21 pages pet. in-12 :
livret fort mince, en vérité, qu'on peut lire tout d'une haleiae,
sans trop se fatiguer. J'ai vu d'abord, avec surprise, que M. De-
lepierre attribue cette Macaronée à Est. Tabouret* Les vers
latins qui se trouvent à la fîn du volume prouvent clairement
que Tabourot n'en est pas l'auteur. Puis, je me suis aperçu
que M. Delepierre a donné un titre fautif : Cagasanga Reistro-
suyssoy Lansquettorum, au lieu de Cagasanga Reistrosuyssolans-
qnettorum. Enfin, j'ai remarqué que les mots Lamqnettiy Latu-
^nerronnnétoicnt presque toujours réimprimés Lan^uerrt, Laïu-
quettorum et même Lansquenetorum. Ces erreurs, je l'avoiie,
m'ont rendue suspecte la reproduction du texte original, et,
pour en avoir le cœur net, je me suis mis à coUatîonner mon
exemplaire de 1588 avec la réimpression de 1856.
Le livre de M. Delepierre n'a été tiré qu'à 50 exemplaires. Les
amateurs en réclameront bientôt une nouvelle édition : je me
réjouis d'avance de pouvoir concourir à la rendre parfaite.
C'est dans ce but unique que j'ai Thonneur de vous adresser
le résultat de mon travail de correcteur.
Je vous soumettrai {)réalabiement deux observations impor-
tantes : 1" la plupart des notes marginales sont embrouillées
et mal placées ; puis , comme on a négligé d'imprimer les mots
auxquels se rapportent les notes, en caractères différents de ceux
du texte (ce qui n'a point éiô oublié dans Toriginal), il devient
à peu près impossible de deviner à quel passage telle ou telle
note est relative ;
2» Les deux poèmes sont divisés en 34 alinéas : on les a
supprimés dans la réimpression. Ceci nuit essentiellement à la
clarté du sens, surtout lorsqu'on s'abstient très-souveot de
mettre un point à la fin du dernier vers de l'alinéa*
Je regrette encore qu'on ait substitué le j h l'i, et le v à Tl.
A mon avis, c'est altérer la physionomie d*un livre ancien, sans
en rendre la lecture plus facile.
BULLBTIN DU BIBUOPBIU. 689
Passons maintenant à Tërrata :
Partout où vous trouverez Lansquetti^ Laïaquetiorum, Usez :
Lansqnetti, Lansqncttorum,
On a imprimé 2k fois la diphtongue œ au lieu de ^. Il me
suffit d'indiquer le nombre de ces fautes typographiques qui ne
peuvent échapper aux lecteurs.
p. 45, I. 2 Hcay lisex sçay.
— 1. 3 naïf — naïf.
— I. 7 os rue» — é» rues.
— 1. 16 traytros — trtyitros.
— dernière note margin. : in^utum, que; U)ez insutum. Que...
Ije mot que devroit Mrc à la ligne; il commence une
seconde note.
P, 46, I. 4 Culot a5 lisez Culatas.
— I. 27 Piccas — Pieças.
— !'• note marg. Métrai — Metri.
P. 47, 1, 6 Etquid — Et quid.
— 1. 9 Crimem — Crimen.
— 1. 13 VesprimatJui fragidas; lisez en un seul mot.
— l. 16 ferra lisez terra.
— d'* note O bene — O, bcne.
P. 48, 1. 9 qiii' — quo
— 1. 1 1 niôstieris — môstieris (p' monstieris).
— 1. 23 area — aerca.
— I. 24 minguida — ninguida.
— 4* note Cacasangue — Cacasangue.
— — Vcl — vel.
P. 49, d" 1. trcpidarr. valtêi — trepidaro Valesi (de Va-
lois, et non pas adieu ),
— 1. 22, ajoutez en note margin. : Ex billeo.
P. 51, I. 1 Cagu;isangam lisez Caquasangam.
— L 9 tcrreviratus — ter reviratus.
~ 1. 11 eclassat — eclafTaU
— L 20 barba — barb».
P. 52, 1. 2 Catbolices — Catholicot.
» 1. 9 fœnare — franare.
690
BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
P. 54, 1. 9
hugonotti
lisez
hugnotti.
— 1. 20
ait
—
ait.
P. 57, 1. 6
Ventridolcre
_
Ventridolore.
— 1. 8
Cathedra)
—
Cathedram.
— l. 17
Ijngucbant
—
linquebant.
P. 58, 1. 3
tam
^—
Jam.
— 1. 17
Malberoso
—
Malhoroso.
— 1. 26
Galline
—
Galli ne.
— d" 1.
albora
— .
alhora.
Il faut croire que M. Delepierre n'a pas eu le temps de cor-
riger les épreuves de sou livre, ou qu'il a fait imprimer une
mauvaise copie de Tédilion de 1588.
J'ai rtionneur de vous saluer avec une parfaite considération,
Un de vos abonnés.
P. 5. J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli, un article destiné à
votre Analecta biblion, sur les véritables auteurs des deux polîmes
macaroniques réimprimés par les soins de M. Delepierre.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 691
ANALECTA-BIBLION.
Cagasanga Reistrosuyssolansqnettorum. Per magistrum
loannem Bapistam Lichiardum recatholicatum spa-
liporcinum poëtam. — Ad Caquasangam loan. Ba-
pista) Lichiardi poëta) spaliporcini Reistrorum niaca-
ronica defensio, per lo. Kransfeltum Germanum. —
Chant sur la deffaite des Reistres, par F. B. Auxon-
nois. Paris, loan. Wêe/zer, 1588; 1 vol. pet. in-12.
On a souvent parlé de cette rarissime macaronée ; elle est
citée par les bibliographes ; elle vient d'être réimprimée tout
récemment. Je me permettrai de dire, cependant, que le vo-
lume qui la renferme est encore inconnu. En eiïet, d'après les
indications données jusqu'à ce jour, on devroit conclure qu'il
n'existe sur le Cagasanga qu'un seul poOme macaronique, at-
tribué assez légèrement, soit à Jean -Baptiste Richard, avocat k
Dijon, soit au célèbre Etienne Tabourot. Quant au poi^me qui
suit le Cagasanga^ ce seroit tout simplement une seconde par-
tie composée par l'auteur de la première. Enfin, on passe sous
silence l'ode en vers françois sur la défaite des Reltres, écrite
par un Auxonnois, ainsi que les vers latins de Philippe Robert
et d'Etienne Tabourot. Il est vraiment extraordinaire que per-
sonne n'ait pris la peine de lire avec soin ce petit volume de
21 pages. Je rends grâce à cette négligence, qui me procure le
plaisir de restituer ces deux pof^mes à leurs véritables auteurs.
On lit dans les histoires de France : « Cependant le roi de
Navarre, à Taide du secours de l'Angleterre, avoit fait lever
en Allemagne une armée de 36,000 hommes. Retires^ Land-
sknechts^ Allemands, Suisses et Grisons. Cette grande armée
pénétra en Lorraine, au mois d'août 1587, et s'avança au tra-
692 BULLETIN OU BlBUOPUiLE.
vers de la France pour rejoindre la chevalerie de Henri de
Navarre. Les campagnes étoient dévastées et toutes les villes
inquiétées. Guise, avec 10,000 hommes, entreprit de Taire léte
à celte multitude ; il sut couvrir Paris, poursuivre et harceler
CCS bandes pillardes, les tailler en pièces à Vimory (près de
MoDtargis) et à Auneau (Eure-et-Loir) ; enfin, Guise repoussa
les Reîtres jusqu'à la frontière. »
C'est à Toccasion de cette défaite des Reitres par le duc de
Guise, que fut composé le Cagasanga, petit poème macaronique
de 123 hexamètres. L'auteur, caché sous le pseudonyme de
Joannes Bapista Lichiardus, commit l'imprudence de se don-
ner le titre de Reeatholiçatus et, ce qui est plus grave, de plai-
santer sur la grande marmite des moines de Giteaux.
Marmitasve amplas, pedefirmas, et résonantes,
Quales Cisterti, tornare novitia turba
Edocta, à missis et vespris quando revenit.
Un zélé catholique, scandalisé des facéties de Lichiardus^ lui
répondit par un poème du même genre, en 264 vers. Non-seu-
lement il reproche à son adversaire qu'il nomme ter reviratus^
ses variations en matière religieuse, mais encore il critique amè-
rement tous les ouvrages qu'avoit déjà publiés l'auteur pseudo-
nyme du Cagasanga, Il est donc impossible d'admettre que ces
deux pièces macaroniques soient l'œuvre d'un seul écrivain.
Oo lit à la fin du volume, les vers suivants :
Ad Stephanum Taborotium.
Ut qui de partu certum novere parentem,
Sic mihi de versu notus Ecebolius.
Qui dùm falsa suis affmgit nomina rithmis,
Vera miser Musœ sentiet arma mea;.
Diunque tibi veterem subducere tentât amicum,
Non impunè planus crimen utrumque feret.
P. R. J. G.
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 093
Ad p. Robertum amiciss. De inepto Nugivkndulo.
Inler se cbaros committere tentât aœicos,
Ineptufi Nugivendulus :
Ac eroentito supponit Domine nobis,
Versus quibus te vellioat.
8ed tu qui suboles insuiso ex carminé fraudem,
Suum authorem quod arguit.
Par referens Roberte pari festiviter illum,
Suis pingis coloribus.
Tam taroen est fatuus tua paasim ut carmina cantet.
DigQum imposture prœmium.
Strph. Tabor.
11 est évident que Tabourot n'a composé ni Tun ni l'autre
des deux pommes ; mais Fauteur de la critique du Cagasanga
est clairement désigné. Phil. Robert annonce qu'il connott le
po(^te qui écrit ses vers sous un faux nom, et qu'il lui déco-
chera les traits de sa muse. Tabourot est encore plus explicite
dans ces deux vers :
Par referens Roberte pari festiviter illum
Suis pingis coloribus.
Au surplus, Philippe Robert, avocat et substitut de Favocat
général au parlement de Dijon, est cité dans la Biblioth, de
Papillon et dans le Diction, de Moreri, comme l'auteur de plu-
sieurs ouvrages, et entre autres d'un volume de poésies
latines.
La lettre liminaire de Claude Bomibitous à Hans Kraufeit,
commence ainsi : « Monsieur, je vous envoyé la copie d'un
« Macurouique gracieux, qu'a fait un advocat de Dijon : et
(( combien qu'il soit d'un stile embronché en tout ce qu'il fait,
(( si est-ce qu'il semble qu'il ait esclaircy sa Muse en ce petit
u livret, plus que de coutume. »
Ô9à BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Phil. Robert découvrit aisément quel étoit ravocat de Dijon
qui avoit écrit le Cagasanga. Aussi, dit-il dans la réponse de
Kransfelt à Bornibitous : « J'ay leu les vers de vostre poète
« Bourguignon, que je vous renvoyé avec petites notes : afin
(( que vous cognoissiez de quoy vous faites cas. J'avoy deqà
« veu ses versions disticaires des quatrains de M. de Pibrac.
« C'est assez pour faire jugement de Tautheur, qui est je croy
« aussi bon catholique que poète : car il se moque à pleine
a gorge de ceux qui ont deffait les nostres, et n'espargne pas
(( les religieux de Gisteaux. »
Cet auteur se nommait Jean Richard, et non Jean-Baptiste
Richard. Le titre porte Joannes Bapistâ^ c'est-à-dire Papista.
C'est ainsi, sans doute, que Ph. Robert a voulu expliquer ce
mot :
0 si successus nostrique tuique fuissent
Ut pensabamus, non te, revirate, virasses,
Nomine nec ficto fieres Baptista, Papista.
il ne faut donc point attribuer le Cagasanga à Jean-Baptisle
Richard, avocat au parlement de Dijon, né en 15/45 et vivant
encore en 1615.
Jean Richard, avocat au parlement de Bourgogne, fils de
Claude Richard et de Jeanne Véfe, étoit né à Dijon. Selon Fe-
vret (De claris fori Burgundici oratoribus), Richard avoit un
grand fonds de lecture et d'érudition ; mais il n'avoit ni la mé-
moire, ni l'action, ni l'éloquence. I^hil. Robert partage cette
opinion :
Nam défendis eos, sicut défendis iniquas
Ore ministrali et longo brouillamine causas.
Fevret ajoute que Richard était excellent poète Bourguignon,
Ph. Robert dit à ce sujet :
Sed sis contenlus Bourguignâ voce pitaldos
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 095
Delectare tui similes rogoosaque verba
Pro spaliporcinis vineronis scribere.
Voici la liste des ouvrages de J. Richard, extraite de la Bi-
blioth. de Papillon. J*y ajouterai les commentaires de Phil.
Robert.
1. Vidi Fahri tetrasticha gallica^ distichis reddita h J.
Richardo divionensi. Paris, 1585, in-4".
Nec te plus mesles de Grœco, deque Latino,
Vel Macaroneo, vel Franco idiomate, nàmque
Cœtera quœ scribis sunt una digna litura.
Testes sunt nobis tua carmina sufficientes
Quels deshonorasti Pibrachi pulchra quatrina,
Pro quibus ut pressis Parisinis imprimerentur,
Imprimatori scutos bis quinque dedisti,
Et bis quinque iterum, populo ne venderet illa :
In syllabarum quia quantitate clochabant,
Grammaticoque dabant suffletos sœpe Donato.
2. J. Richardi Antiquitates divionenses^ et de statuts noviter
Divione repertis Paris. 1585, in-8".
Appello testes etiam istas Antequitates
Dijonis, Gothicus quarum lu ferruminator.
Te monstras sine judicio, ratione, rimâque.
3. Notes sur Pétrone^ par J. Richard. Paris^ 1585, in-8*».
Teslis erit quoque suffîciens Poltronius ille
Arbiter, in quo te tantùm comprendere monstras
Quantum in muscoso porcus cognoscit odore.
Je crois avoir prouvé d'une manière irrécusable que Jean
Richard est Fauteur du Cagasanga, et que la réponse a été
composée par Philippe Robert. C'est donc mal à propos que
6M BnLLRTIN DU BIBLIOPHILE.
Barbier {Dict. des an,, n» 19986) a attribué, «tir la foi de Joly
{Notes sur Bayle^ p. /i8), Tun et l'autre poftme à Et. Tabonrot.
Je ferai remarquer, en outre, que Barbier n'avoit pas vu cet
ouvrage; car le titre qu'il donne est d'une rare inexactitude.
Quant au nom du pof^te auxonnois, dont nous ne connais^ns
que les initiales, il est plus difficile de le déterminer. Les docu-
ments bibliographiques sur les écrivains d'Auxonne manquent
complètement. Si je parviens plus tard à découvrir le véritable
nom de cet auteur, je m'empresserai d'en faire part aux lecteurs
du Bulletin,
NOUVELLES.
— Un manuscrit important, un de ces registres dans lesquels
on transcrivoit des chartes, et qui sont spécialement désignés
sous le nom de Cartulaircsy vient d'être découvert dans le«
riches archives du chftleau de Serrant, appartenant à M. le
comte deWalsh de Serrant. Il remonte au milieu du xv«^ siècle,
et contient la copie des Lettres et Enseignements de la seigneu-
rie de Rays, depuis 1161 jusqu'en 1/|49. Cette découverte,
faite par M. P. Marchegay, excitera sans doute la curiosité des
nombreux investigateurs des antiquités bretonnes, poitevines et
angevines.
— M. Paulin Paris a été nommé, dans une des dernières
séances, membre de la Société des bibliophiles françois.
— On écrit du Mein, le 23 mars : • On a trouvé hier à
Mayence, en creusant un puits, un fragment d'une presse à
imprimer, qui porte les initiales de J. Guttcnberg, et Tannée
H(il en chiffres romains {Mercure de Souabe), »
BULLETITf DU BIBUOPHILE. 607
— Le8 frètrs Gèbcodà viennent de publier à Londres leur
troisième publication, tirée, comme les autres, à 60 exemplair
res pour le commerce. Ce petit volume , qui se compose d'un
choix de chansons historiques et satiriques sur la cour de France
(1615-i6/i0), sera l'objet d'un examen plus étendu dans une
prochaine livraison.
— On écrit de Rome :
(( Hier est mort le savant jésuite Gian Pietro Secchi, professeur
de langue grecque et bibliothécaire au collège Romain. 11 étoit
profondément versé dans Tarchéologie païenne et chrétienne,
l'herméneutique, Fhistoire de l'Église et la philologie. Ses
ouvrages les plus connus sont : « la Cattedra di S. Marco di Ve^
nezia et VAnatisi delV edizionc del Nuovo Testamento greco, »>
On dit qu'il a laissé prêt à être imprimé un nouveau lexique de
l'ancienne langue égyptienne. Il étoit membre de l'Académie
archéologique de Rome, de celle de Berlin, ainsi que de l'Insti-
tut de France. »
— Un littérateur aussi spirituel qu'érudit, M. F. Génin,
est mort à Paris le 20 mai dernier, à l'âge de cinquante-
trois ans. Il avoit élé successivement professeur de la Faculté
de Strasbourg, puis chef de division au ministère de l'instruction
publique (18/i8-1852). Outre plusieurs ouvrages de polémique
et de nombreux articles de critique épars dans les revues et les
journaux, on a de ce philologue distingué : Des variations
du langage français depuis le xir siècle, 18/|5, in-8"; Lexique
comparé de la langue de Molière^ 1866, in-S" ; des éditions des
iMtres de Marguerite d' Angoulâme ; delà Chanson de Roland;
de la Farce de Pathelin; des Éclaircissements de la langue
françoise, par J. Palsgrave (in-{|*') ; et en On, le matin même de
sa mort, a paru, chez Téditeur Ghamerot, le premier volume
de ses Récréations philologiques^ in-8% dont nous reparlerons
dans une prochaine livraison.
— Les charmants ouvrages de M'"« de La Fayette sont entre
les mains de tout le monde. Cependant un livre de sa compo-
sition, demeuré inconnu de presque tous les bibliographes, ou
698 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
du moins auquel ils n'ont pas fait grande atlenlion, a été mis à
contribution par des éditeurs de Hollande, par un historien
de notre pays, et même par plusieurs romanciers, sans jamais
avouer la dette. 11 porte le titre de Mémoires de Hollande.
Paris, Michallet, 1678, in-12, édit. orig. de /|56 p. C'est un
savant philologue hollandois, Grœvius, qui le premier a soulevé
le voile qui nous déroboit le nom de M'"^ de La Fayette. A ce
témoignage d*un ami de Huet, et sans exposer dans ce moment
des preuves intrinsèques tirées du livre même, nous mettrons
sous les yeux de nos lecteurs une lettre du bibliographe
littérateur qui a jeté le plus de lumière, par ses travaux, dans
ces derniers temps, sur la vie et les ouvrages des personnages
célèbres anciens et modernes. Les Mémoires de Hollande^
soumis à une sage révision par M. Parison, et édités par
M. A. -T. Barbier, paraîtront prochainement imprimés avec tout
le soin qui a présidé à l'édition d'Henriette d'Angleterre de
M"»*^ de La Fayette, publiée il y a quatre ans, par M. Paulin-Paris,
avec les notes de Bazin.
Besanvon, le 25 mars 1836.
Monsieur,
C'est sans doute d'après quelques-uns des catalogues de
Paris que j'ai attribué les Mémoires de Hollande à Stoupe,
personnage qui m'est d'ailleurs parfaitement inconnu, mais je
m'empresse de reconnoître que j'ai dans celle circonstance agi
avec une impardonnable légèreté. 11 in'auroit suffi de lire la
lettre des éditeurs au président Rose pour reconnoître que ces
mémoires sont l'ouvrage d'une des personnes les plus aimables
et les plus spirituelles du temps; et je suis prêt à me ranger à
votre opinion, en les donnant h M"*« de La Fayette.
Je vous remercie de m'avoir averti de mon erreur, et vous
pri(^ d'agr<''er l'expression de mes sentiments d'affectueux dé-
vouement. Ch. Weiss.
A M. Harbier, h Paris.
BLLLKTIN \){} BIBLIOPHILE
ET
CATALOGUE DE UVRES RARES ET CURIEUX DE LITTÉRATURE,
d'histoire, ETC., QUI SE TROUVENT EN VENTE
A LA UBRAIRIE DE J. TECHENER,
AVRIL — 1856.
359. André {Valère). Imagines doctorum viroruin e variis
gentibus, elogiis brevibus illustratae : Valerius Andréas
Desselius Brabantus publicabat. Antverpiœ, 1611 ; pet.
in-12, vél. , portr 28 — »
Valèr« André, surnommi^ Desselius, du bourg de Desschel, dans le Bra-
bant, où il étoit né en 1588, fut professeur de droit et bibliothécaire de
ronivcrsité de Louvain ; il mourut en 1G56.
Valère André n'avoit que vingt-trois ans lorsqu'il publia les portraits et
I« éloges de soixante-treize savants de diffén-nts pays; mais il parolt qu'il
attachoit peu d'importance à cette compilation, car il ne l'a point citée
au nombre de ses ouvrages, dans les deux éditions do sa Bibliotheca bel-
gica. Chaque page du livre contient un portrait en médaillon, avec un éloge
fort succinct. A la suite de ces portraits, on trouve un opuscule assez
curieux, dont voici le titre : Nomina ac studia torunUy qui in coUegium bi-
bliothecœ Ambrosianœ à Frtderico Borromao^ card, et archiep. Mediola-
iiefiti, anno i644y v idw decembris cooptati sunt. Les neuf docteurs agrégés
au collège de la bibliothèque ambroisienne, par le cardinal-archevêque,
étoient chargés de dresser les catalogues des volumes imprimés et manus-
crii» de cette bibliothèque ; ils dévoient, en outre, travailler à traduire des
ouvrages écrits en langues étrangères, à préparer de nouvelles éditions des
livres rares, et à publier certains manuscrits précieux. Le fondateur de
cet établissement littéraire fut vivement loué par les savants contempo-
rains ; et nous saisissons cette occasion pour rappeler aux bibliophiles de
notre époque le souvenir du cardinal Borromée, qui a créé l'un des plus
andpns collèges de bibliophile^.
49
700 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
360. BiBLiA SACRA ((licUi des évêques), Parmis, typogra-
phia Regia, 1642; 8 vol. gr. in-fol., mar. rouge fil. tr.
dor. larges dentelles {rel de Dusseuil) 1000 — »
Magmfiql'b f.xempi.urb en grand papier aux armes db Logis xiv. —
Véritable monument typoj;raphi(]uo élovii à la gloire et à rillustration d'mi
graud règne. Tout co qui pouvoit cuncourir à faire une édition spleudidn
a été mis à contribution. Le premier volume s'ouvre par un frontispice
dessiné par N. Poussin et gravé par Cl. Mellan. Et dans le courant de
Touvrage se trouve une multitude de fleurons et de lettres inajuBCules
gravés sur cuivre représentant les embR'nies alléporidues du Roi.
361. BoNTEMPS. La vérité de la foy chrestienne, contenant
douze protestations, suyvant Tordre des douze articles
d*icelle foy. (Par L. Bontenips). Rouen, s. d. (vers
1557); 1 vol. pet. in-16, mar. r., fil., tr. d. . 28 — »
Léger Bontemps, bénédictin de Dijon, savant dans les langues latine,
grecque et hébrai(iue, mourut le 9 août 1505, suivant le nécrologc de Saint-
Bénigne de Dijon.
La Vérité de la foy chrestienne est une paraphrase des douze articles da
Symbole des apôtres, extraite de l'Écritui-e sainte et des saints rères. Cette
œuvre a pour but d'affcîrmir, dans resj)rit des fidèles, les principes de la
foi orthodoxe, et de I(>s prémunir coiitn; l(.>s opinions contraires à la religion
catholique, c'est-à-dire contre les lutin-riens (»t les calvinistes. La dédicace
adressée au cardinal de Givry, évèqu(> de î^angres, «îst datée du monas-
tère de Saint-Benigne, à Dijon, l'an 1555, et signée par l'auteur. L'appro-
bation porte la date de 1557.
Ces petits volumes de polémi(iue religieuse sont devenus tK»s-rares ; et
notre exemplaire se recommande pai- une conservation parfaite.
362. Bossi {Mattliaei) Veroiiensis canonici regularis vera
et salutariaanimi gaudia. Impressit Florentine ser Fran^
ciscus Bonaccursius. Anno salutiSf mcccclxxxxi; 1 vol.
iii-â, cart 48—»
Volume TRÈs-nARR et bien imprimé. — Bel exemplaire ri>glé et nou nigné.
— Mathieu Uosso, né à Véront! en li'i28, mourut à Padoue en 1502. Eu
1451, il entra dans la congrégation d*'s chanoinr^ ii'îguliers do Sainl-Jcan-
de-Latran, et il drvint confesseur de Lauit'nt d«» Médicis. Bosso avolt
donné h son ami. Antre Politien, son livre tliéol<igi>-pliiiosophique De IWJ
et salutarihus animi ijuudiis: (-•'lui-ci le pivsiMita à LaunMit de Médici\
avant d(* le fair4> imprimer. La lettre d'envoi de lV)li!ien :^rt do préface à
l'ou\ragi^ (\<' Bosso. I^a ra«*t''' de c»^ vrlnme engagea D. MabilItMi à le rt'im-
BlLLKTiN DU BiBLlOPUlLL. 701
primer dans son Musaum italicum, p. 173. 11 a été traduit en italien par
!♦» chunuine régulier D. Antoine Pallavicini ; LuganOy 1755.
On seroit tenU' de croire que notre exemplaire est incomplet du titre ;
mais le registre (jui se trouve à la fin du volume prouve que ce livre n'a
jamais eu de titre imprimé. On lit : A. — Primum vacat, et, en effet, le
premier feuillet est blanc. La lettre de Poliiien à I^urent de Médicis est
sur le second feuillet, signé Aii.
S63. Bouillon. Les œuvres de feu M. de Bouillon , con-
tenant THistoire de Joconde, le Mari commode, TOiseau
de passage, la Mort de Daphnis, l'Amour déguisé, por-
traits, mascarades, airs de cour et plusieurs autres
pièces galantes. Paris, 1663; pet. in-12, mar. rouge,
fil. tr. dor. (TrautZ'Bauzonnet) 65—»
Bel e&euplaibe de M. Armand Bertin. — C'est à propos de V Histoire de
Joconde, de M. de Bouillon que Boilcau-Despréaux fit cette dissertation que
ron comprend toujours dans ws œuvre*; complètes, où il établit une com-
paraison entre cette histoire et le conte de La Fontaine sur le même sujet.
Boileau étoit encore fort jeum; ; il avoit au plus vingt-six ans quand il com-
posa cette dissertation, puis(|ue de Bouillon étoit encore vivant, et qu'il
mouinit eu 1G62. François Lamothc Lcvayer de Boutigny, auteur d'un
roman de Tarsis et Zélie, avoit gagné cent pistoles pour La Fontaine contrt^
Saiut-Gilles, qui soutenoit le mérite do la production de Bouillon. Ce Saint-
Gilles étoit une espiicc d'original, qui inspira, dit-on, à Molière, avec lecjuel
il étoit lié, le portrait de Timante dans la comédie du Misanthrope :
C'ebt de la tète aux pieds un honnnc tout entier, etc.
A défaut de goût, Saint-Gilles auroit fait preuve de sens s'il avoit em-
ployé la même diî>ci*étion à juger du mérite de Bouillon.
J'ai peine à comprendre «lu'à l'époque où nous sommes parvenus, on ait
pu, non pas préférer l'histoire de Bouillon au conte de La Fontaine, mais
même établir une comparaison entre ces deux ouvrages! Boileau a dit sur
ce sujet tout ce (lue Ton peut dii*e, et je ne m'aviserai pas de le traiter
après lui.
Les autres pièces de Bouillon sont, comme l'histoire de Joconde, de la
dernière platitude. C'est le plus faible, certes, de tous les auteurs depuis
Malherbe, qui me soient passés sous les yeux. Il étoit secrétaire de Gaston,
duc d'Orléans, à la cour duquel il aura dû se rendre agréable par la com-
position de ballets, de couplets de circonstance, fOtes, mariages, bap-
têmes, etc.. ce qui aura fait tolérer ainsi un petit nombre de pièces plus
importaiitt^, car on ne sauroit expliquer autrement l'impression de choses
aussi misérable». Viollkt-le-Dcc. Bibliothèque poétique.
S6â. CAGASAN(iA Reistrosuyssolansqnettorum. Pa^isiis,
1588; pet. in-12 60— »>
Voir VAnalevtti-Iitblion de cotte livrai^n, page 691.
702 HIÎIXETIN OU bibmopiiim:.
365. (Iale.ndrier de Philadelphie en Pensylvanie ipar
Barbeu-Dubourg). Philadelphie, '1770; pet. in-12, d.
rel., V. f. {Kœhler) » — »
Jacques Barbeu-Dubourg, médecin et botaniste, né à Mayenne le 13 fé-
vrier 1709, mourut à Paris le Ih déct^nlm; 1779. II publia plusieurs ou-
vrages de botanique ut do médecine. Dan» les deniiôres années de sa vie, il
fut très-lié avec Franklin. C'est par suite de cette liaison ([w Bai-beu-Du-
bourg devint, eu 1773, l'éditeur des Œuvres de Franklin^ trad. en franr;in9
par L'Ecuy, et qu'il composa quelquiîs opuscules, t*'ls que le Petit Code de
la raison humaine ci 1(» Calendrier de Philadelphie. ('.«;s deux ouvrages sont
assez rares en Francf, parce <\\w la plupart des e^<".nplpiiv'H furent des-
tinés aux États-Unis.
Le Calendrier de Philadelphie est un recueil d«' préceptes moraux et
religieux, adaptés à chaque jour do l'année. Ces préc<?i)tes sont f)ueIqncfoîs
d'une grande hardiesse, et souvent sont dirigés contre l'Église romaine ei
contre les moines. Mais il ne faut pas oublier que l'auteur écrivoit pour
les (juakei-s de la Peusylvanio. L'introduction renferme de curieux détaib
sur rétablissemenl de Guillaume Penn en Amérique, et sur la révolntioo
qui rendit indépendants les États-Unis. On y trouve plusieurs chants sati-
riques contre les généraux et les ministres de l'Angleterre, ainsi qu*un
fragment d'une tragi-comédie, intitulée : Albion, ou l'humiliation méritée,
306. Cantico reprehensibile de sier Alessio de i disconzi
a Selin imperator de Turchi. ln-4, de 2 ff. mar. v. fil.
tr. d. (Bauzomiet) 60 ~ »
IMèce très-ran; et tr^s-sinj;ulirre, qui a dû pai-oîtro à Venise* vers 1572.
C'est un petit poëme à l'occasion diî labatailh? de lA-pauii'. Ce qu'il y a de
curieux, c'est <|ue les vers de ce jx'tit [)Oéme sont moitié en latin, moitié on
patois vénitirn. Voici le commencement du Cantico : « Indigne induperator
sier Selin. — Dedecus magnum de to niisier Pare. — Cùni rcepisti à regnar,
dime mô, quare. — Pacem iurasti per ess»'r sassin? — Frangent! fidem, no
sastu meschin, etc. *> — Nous ne connoissons pas un autre exemple de ce
singulier mélange. Cette pièce a dû toujours être si rare que l'i^iteur du
Trofeo^ >olume dans lequel on a reproduit toutes les com|)ositioos publiées
à l'occasion de la bataille de Lépante, ne l'a pas connue et ne l'a pas in-
sérée dans son recueil.
367. Nie. Clenardi epistolae, quorum posterior iam pri-
mùm in lucem prodit. Antverpiœf ex officvia Christ.
PlantinU 1666; in-8, maroq. citr. fil. Ir. dorée (Dtw-
seuil) 65 — n
Très-belle reliure; superbe exemplaire.
fai.Li/riN nu niBUOPiiiLE. 703
368. DtLoiniii. I.a muse nouvelle ou les agréables diver-
tissements du Parnasse, par T. de Lorme, Lyon, 1665 ;
pet. in-I2, litre gr., portr., mar. r. {anc. reL) 28—»
Voici un auteur inconnu, qui, dan» la crainte, dit-il, qu'on imprimât ses
Ter» à son insu, les fait imprimer lui-mOnie, quoiqu'ils aient été composés
au collège depuis quinze jusqu'à dix-neuf ans, rt presque tous inpromptu,
Dclorme réclame, en conséquetice, l'indulgnnce du lecteur, « ne s'étant
jamais appliqué absolumejit à co gcni^e d'écrire, et le barreau ne lui permet-
tant pas do visiter souvent la double moutugnc. » l\ craigDoit probable-
ment aussi que l'on ne publiât son portiait, car il s'est également hâté de
le faire graver avec soin vi d'en illustrer son ivcueil.
J'en cn)is du n»ste et ti» s-\olontici"s l'assertion de Delorme, qu'il a eom-
pos»' des vers au collège, car ce sont do véritables vers d'écoliers : élégies,
satires, sonnets, énigmes, épigrammes, et quatrc-viiip;ts madrigaux! tout
cela écrit avec une sorte d'outrecuidance qui sent tout à fait le jeune
homme. Viollet le Duc, bibl. poétique.
S69. DiALor.us quo multa exponuntur qua? lutheranis et
bugonotis gallis acciderunt (aut. Nicol. Barnaud). —
Oragniœ, Adamus de Monte, 1573; 1 vol. pet. in-8,
mar. v., tr. dor 60 — »
« Édition originale asi.e/. rare do la rt;Iaiion du massacre delà Saint-Bar-
thélémy et des événements qui l'ont suivi, attribuée par Adrien Baillet à
Théodore de Bî'ze, mais plutôt de Nicolas Barnaud. Il en parut, dans la
même année, une traduction intitulée . Dialotjue des choses advenues aux
hUhériens et huguenots de France. iJaste, /Ô7.>, in-S. L'année suivante, on
ajouta une seconde partie latine à la réimpi*ession de la première, sous le
titre : IHaloiji ah Eusebio Philadetpho, cosmopolita, in Gallorum et cœle-
rarum nationum gratiam compositt. Kdimburgi^ i57-i^ inS; et l'on eut
presque en mém<> tem|)s la traduction fran(;oise du tout, augmentée de
quelques pièces préliminaires, »iuis le nouveau titre de Réveille-matin des
François et de leurs roisins... Edimbourg ^ ^574, in-S. On se gardera bien
de confondre, mais on mariera cet ouvrnge avec un autre Réveil de mômo
date et format : Le vrai ResveUle-matin des Calvinistes et Publicain», par
SoHrin : L'un est tout noir, l'autre est tout blanc...
C. Leber.
On lit dans la Bibliothèque histonque. do P. Marchand : « Nicolas Bar-
naud, écrivain peu connu de la tin du wr siècle et du commencement du
ivii*, naquit à Crest en Daupliiné, d'une famille noble. On ne connott ni la
date de sa uaissani:e, ni celle de sa mort ; on sait seulement qu'il voyagea
en Espagne vers 1559, fiu'il étoit h BAle vers 1575, qu*il s'étoit établi à
Leide, vers 1599; et à Tergou vn 1601. Barnaud était médecin, ou plutôt
alchimiste ; car pres(|ue tous si^ écrits roulent sur la philosophie hermé-
tique. On lui attribua le fameux livre tie Tribus impostoribm. Peu après la
70A HULLETl.N DU BIBLIOPHILE.
saint Baiiliélcmy, et lorsque l(>s esprits étoient encore extrêmement irrités
de cette affreuse journée, il composa uu livre fort violent contre ses princi-
paux instigateurs, et ne manqua pas de les y bien dépeindre, et peut-être
même outre mesure; car on prétend qu'il fut désavoué par ses confrères.
On ajoute de plus, que Lafin, beau-frère de Beauvais-la-Nocle, Payant ren-
contré h Bàlc, dans la rue FromantiOre, le diûtia personnellement de son
ndiscrétion. L*ouvrage pour lequel Barnaud fut ainsi désavoué et châtié,
est intitulé : le Réveil-matin des François et de leurs voisins. »
P. Marchand n'indique «luc la socoudo édition franroise de l'ouvrage de
Barnaud. S'il avoit connu l'édition originale : Dinlogus, etc...^ il auruit cité
la date de l'avis au lecteur : Hasileœ, die 7 mcnsis quinti ab infausto et fu-
nesto die proditionis. Ceci prouve qu<» rc livre a été achevé le 7 jan-
vier 1575, et (lu'à cette époque l'auteur habitoit déjà la ville de Bâle. Il
auroit encore rappelé le vers numéral qui teiniine le volume :
BarthoLoMuBVs fL(^t, qVLa gaLLIGVs oCCVbat atl^s.
370. Directoire uniforme, ou journal commun des offi-
ciers subalternes de chaque couvent des religieux cor-
deliers réformés de France ; mis en lumière. Tan 1668.
Paris, 1668 ; 1 vol. pet. in-12, vél 24—»
Ce livre renferme des détails curieux sur les règles de conduite imposées
aux officiers subalternes des cordeliers, ainsi qu'aux simples religieux, soit
au dedans, soit au dehors de leurs couvents. Ou peut lire h ce sujet les
chapitres du Sacristain, des Quêteurs^ du Serviteur des liâtes^ des Lettre9
missives^ etc.. Mais cet ouvrage n'est pa-^ seulement utile pour l'histoirr
des ordres monastiques ; il intéresse encore les bibliophiles. En effet, le
l«?r chapitre de la 2» partio est intitulé : du Bibliothécaire ^ et se compose
des paragraphes suivants : De la disposition d'une bibliothèqae. — De l'ordre
des livres. — Des catalogues des litres. — De la distribution des livres. —
De l'achat et choix des livres. — Du soin et de Ventretien d'une hiblitt
thèque. Malgré les progrès introduits depuis le xvii« siècle dans l'organi-
sation des bibliothèques et dans le classement d«.»s livres, on s'apercevra
que les moines de cette époque n'étoient point étrangers à la science biblio-
graphique, et que l'ordre indiqué en 1CC8 pour la classification des volumes,
se rapproche beaucoup de l'ordre adopté de nos jours.
Nous transcrirons deux articles extraits du paragraphe ayant pour titre :
Du soin et de Ventretien d'une bibliothèque.
«t Quand le bibliothécaire tirera quelque livre hors de sa place, il arres-
tera les autres avec des baguettes arrondies, qui soient do deux ou trois
ligues plus longues que l'espace d'entre les tablettes d'où il tire le livre. »
Cette précaution nous paroit être de bon goût; car il n'est rien de plus
.désagréable à la vue que des tablettes incomplètes, sur l(»squelles des vo-
umes mal assujettis so renversent les uns sur les autres.
« Le bibliothécaire aura grand soin de tenir toujours la bibliothèque bien
rangée, et les livres en lear place, sans les laisser traîner autrement. Il
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 705
prendra bien gard» de no les laisser ganter ny pourrir, ny ronger par les
ver» ou par les souris. Pour en destoumer les vers, il enduira le devant do
la rouverturo des livres avec de la colle de farine, dans laquelle il trem-
pera de la coloquinte devant que de la faire cuire. Pour les souris, il mettra
do petiu plats pleins d*eau en divers endroits de la bibliothèque; car
pourvcu qu'elles trouvent à.boii"e, elles ne s'attacheront ny au papier ny au
parchemin. »
Voilà des moyens bien faciles pour préserver les livres des ver» et des
v)uris. \ous en recommandons IVssai aux bibliothécaires. S*ils sont réelle-
ment efîicaces, ils serviront fi prévenir des pertes souvent irréparables, sur-
tout lorsqu'il s'apit de manuscrits.
Nous signalerons encore un chapitre consacré à la disposition, à l'inven.
taire et à la conservation des Archives.
371. Enchibidion piariim precationum, cum passionali,
ut vocant, quibus accessit iiovum Calendarium ,
Wuittembergiœ, 1543 ; 1 vol. in-8, v. ant., tr. dor. et
ciselée, fig. s. b 68 — »
L'éditeur de cet ouvrage luthérien dit, dans la Pn^face : « Parmi les livres
qtii, pard(»s promesses d'indnljjciices, des titres pompeux et de nombreuses
gravures, peuvent exciter la curiosité et tromper un lecteur inexpérimenté,
je citerai si>i5rialement Vllortithts animœ et le Paradisus animœ. La cor-
rection de ces livres entraîneroit un trop long travail; il vaut mieux les
supprimer. 11 en est de mCrnc des Libri passionales, où l'on trouve tant de
choses évidemment inspin^es par l'Esprit malin. » V Enckiridion est donc
la contre-partie de Vtlortulus animœ. C'est un recueil de paraphrases et do
prières empruntées aux plus célèbres luthériens, tels que Luther, Mclan-
rhtoo, Fredcr, etc.
Les pièces liminaires sont: 1. Calendarium novum continens motum solis
verum ex novis tabulis supputatum proprie ad an. xliii;... — 3. Tabula
magnitudinis dierum atque noctium,... toti Europœ inservienê; — 3. Ta-
Ma regionum, continens insignium locorum Europœ altitudinê» polares;
ft. De usu calendarii. Cette œuvre remarquable, qui occupe 78 feuillets,
est de Érasme Reinhold, savant professeur de mathématiques à Wittemberg,
mort en 1 553.
Le Passionalis luthérien se compose de 51 gravures sur bois, avec un
texte explicatif imprimé en regard. Les dernières pièces du volume sont un
Catéchisme hétérodoxe et des Litanies corrigées. {Voy. Hortulus anime.)
372. Etbennes des Esprits forts (par Diderot). Londres^
1757; 1 volume petit in-16, mar. r,, fil., tr. dor. {anc.
rel.) 18—
»
h» Pensées philosophiques parurent en J746. Il n'y a que <J2 Pensées,
dont la plupart sont assez courtes; mais quelques-uoes sont hardies. Ce-
706 BULLETIN DU IIIULIOPHILL.
pendant, l'uutcur sf^mblo cncoi-c liésitcr : s'il fait des objections contre lo
christianismr, il blùinc r^.ux qui attaquent la religion. Il distingue troi»
sortes d*athécs : les irais, 1rs sccpliqucs, et ceux qui voudraient qu'il n'y
eût point de Dieu, qui font semblant d'en être persuadés, qui vivent comme
s'ils Vèloient : ce sont les fanfarons du parti. Did(^rot les déteste, parée
qu'ils sont faux. Il plaint les vrais athi'es; toute consolation lui semble
morte pour eux. Il prie Dieu pour les sceptiques: Us manquent de lumières»
Ces Pens(.^cs furent condamni^es au feu par un arKl du parlement de Paris,
le 7 juillet 17ii6. Cette condamnation excita la curiosit*'?, et les Pensées fu-
rent réimprimées en 1757, sous le titre de Ktrennes des esprits forts: mais
cette édition a un double titn», et Ir fsccond est le mèmi' que relui do l'é-
dition de 176G: Pensées philosophiques, avec l'épij^raplie : Piscis hir non
est omnium.., Ij'EpiIre dédicatoire aux esprits forts e:st ai^nùc Philopisle, et
le texte est oncore intitulé : Pensées philosophiques, avec a»tte nouyellc
épigraphe: Qiiis leijet hœr? et c^t avis de» l'autcjir : J écris de Dieu, je
compte sur peu de lecteuis, et n aspire qu'à quelques suffrages. Si ces Pen-
sées ne plaisent à personne, elles pourront n être que mauvaises: mais je
les tiens pour détestables, .vi elles plaisent à tout le monde. \ji> Pensées
sont suivies d'une Épître philosoi)liique (en vers) à un philosophe, et d*une
Table des matières. N'oublions pas lii- sipinah'r une jolie gravure allégori-
que, placée entre les deux titres, (iette réimproNsion d'un livre condamné
au feu, est fort rare.
373. Fénelox. Les Avîuitiircs ile IVIéniaque ; à Paris»
chez la veuve de Claude Bavbin, au Palais, sur le second
penon de la Sainte-Chapelle^ m.dc.xcix; Avec privilège
du Roy. In-12 de î2Iâ pages, ayant chacune 20 lignes
(le texte et la dernière 13 lignes et demie. . . . 30 — »
Ce volume n'a ni faux titre, ni pièces préliminairi's; mais il porte un titre
courant ainsi conçu : les Avantures de Télémaque, et le titre est compris
dans les 21.'t pages.
Éditiouiinconnuc de ce célèbre fragment du Télémaque, dont l'iniprcsbion
fut arrêtée par ordre du Roi. On voit (lu'elle diffère d'une autre édition d«s
214 pages citée dans le Manuel de M. Urunet (tom. h> additions, p. 810),
puisque la sienne n'a pas de titre courant, r{ue les pages ont 22 lignes, et
que le titre n'est pas compris dans les 216 pages.
Il est probable que Texemplairc décrit par M. Bnmct est le même qui a
été annoncé par M. B. (Bourdillon), dans lo Feuilleton du Journal de la
Librairie du 25 mai IShh-, et qu'on a vu exposé chez M. II. Labitte, libraire,
quai Malaquais.
Ce fut la note de M. Bourdillon qui motiva les observations publiées en
1844, par l'abbé Caron, dans les 8 pages d'additions et corrections de ses
Recherches bibliographiques sur le Télémaque.
M. Caron no pense pas que l'édition de 214 pagi>s soit antérieure à celle
du même fragment en 208 pages, que l'on a regardée jusqu'ici comme la
nULLETlN DU BIBUOPHILË. 707
preinièru. il n'a peut-^tre pas tort ; uiais les raisons qu*il donne pour Justi-
fier son opinion ne semblent pas tout à fait convaincantes et présentent
même quelques inexactitudes.
Il accuse M. BourdiUoii d'avoir dit que Tédition de 208 pages ne contient
pas de privilt'g:c, tandis que ce dernier ne vouloit parler que de Fédition do
314 pages, en faisant observer que ce document «seroit venu à la fin du
« volume ou de l'ouvrage, si Timprcssion n'en eût pas été arrêtée subit»-
« ment; • ce qui tend simplement à di^montrer que Tabsence du privilège
ne prouve rien contre la priorité de cette édition. Quant aux fautes gro«-
sières qui dûpan^nt l'édition de 208 pages, elles seroient loin d'appuyer
son authenticité, comnio on Ta souvent prétendu; et le feuillet des fautei à
corriger militeroit encore inoins en sa faveur, car on sait très-bien qu*un
Errata ne s'imprime jamais (juc Iors(iue l'ouvrage est terminé.
On a dit que l'exemplait-c exposé chez M. Labitte paroissoit d'une im-
pression plus modenie que celle des 208 pages. Cette remarque ne peut
s'appliquer à notn' t^ition de 214 pages, qui a bien certainement été impri-
mée avec les caract^res dont Barbin s'étoit ser\'i plusieurs fois pour des ou-
vrages antérieurs à notre fragment, et notamment pour les œuvres diveneê
dm r I). Il*** (Hesnault), 1670, in-12, et pour la Montre de Bonnecorse,
1671, 2 part, in-12.
Notre exemplaire est donc plus ancien (|ue celui des 214 pages décrit
par MM. Brunet et Bourdillon , et il nous parolt mériter la qualité d'édi-
tion inconnue que nous lui avons donnOe au commencement de la présente
note.
E. Castaigne, Bibliothécaire.
37à. Fond (le) du Sac, ou restant des babioles de M. X.,
membre éveillé de l'académie des Dormans (Félix No-
garet). Venise [Paris, Cazin), 1780; 2 tom. en 1 vol.
pet. in-12, fig. ,d. rel. mar. vert 28 — »
Ce recueil de pièces fugitives en prose et en vers, est orné de neuf jolies
gravures sur acier, et d'un portrait-caricature de l'auteur. C'est un char-
mant petit volume, dans lequel on remarque des vers facilement tournés,
et des analyses critiques de VOrigine île l'Eventail, par Gray, de la Syphilis,
de Frasrator, des deux Imitations du temple de Gnide, par Colardeau et
Léonard , etc.
Quelques pièces un peu libn>s et des pensées assez hardies engagèrent
sans doute Nogarct à garder l'anonyme ; mais il laisse deviner son nom
lorsqu'il dit, dans la Préface : « n y a des lecteurs qui ne savent point lire,
« aux yeux de qui un o accouplé avec un u est la même chose que si Vo
« étoit tout seul : ceux-là m'attribuent des choses qui ne sont point de moi,
« Dieu merci. — J'ai en aversion les u joints avec les o. Cette diphtongue
« OU-OU ou n'est bonne qu'à effaroucher : je n'en veux point. • On com-
prend aisément que Nogarct se plaint de ce qu'on lui attribue certains
ouvrages de Nougaret, écrivain du même genre et de la même époque.
708 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
375. Formulaire (le), ou la manière d'instruire les en-
fans en la chrestienté, fait en manière de dialogue, où
le ministre interrogue, et l'enfant respond, s. 1., 1561 ;
in-16, cart 45 —»
Trks-rare. — Ce petit ouvrage, imprimé en caractères cun>if8, n'est autre
cliose qu'un catéchisme protestant. L'auteur lui a donné le titre de Formulaire,
afin, sans doute, qu'il ne fût pas confondu avec les livres catholiques du même
genre. Cependant, on lit au bas du dernier feuillet : Fin du catéchisme.
Cette instruction comprend les articles de la foi, insérés au Symbole, les
dix Commandements, l'Oraison et spécialement l'Oraison dominicale, la pa-
role de Dieu, et ennn les Sacrements réduits à deux : le Baptême et la
Sainte C6ne.
376. Gryphii [And,) mumiœ Wratislavienses. Wratii'
laviœ, 1662 ; pet. in-12, fig., vél 18—»
\ndré Gryph , poGte allemand , naquit à Glogau , en Silésic, le 2 octobre
1616. Il voyagea successivement en Hollande, en Angleterre, en France et
en Italie, où il contracta une étroite amitié avec les savants les plus distin-
gués. En 1647, il fut nommé syndic des Ëtats de la principauté de Glogau;
il mourut le 16 juillet 166/j.
(iOtte dissertation fut compos»^. à l'occasion d'une momie égyptienne
conser\'é<î à Breslau, et (examinée dans tous ses détails par A. Gryph, en
1656. On voit, p. 41, une curieuse gravure sur cuivre, représentant cette
momie.
Ce petit volume est assez rare ; je ne l'ai pas vu figurer parmi les ouvrages
de Gryph.
377. HoRTCLUs ANIME, cum aliis quamplurimis orationi-
bus pristine impressioni superadditis. [Impemis probi
viri Joannis Koberger civis Nuremberg. Impressus : finem
optatum 8(n*iitti$ est Lugduni arte et industria Joan. Clan
chalcographi. an. 1517); 1 vol. in-8, goth., mar. noir,
tr. dor., fig. s. bois 70 — «
Rare et curieux. — VHortulus animœ fut imprimé pour la première fois
à Strasbourg, GuilL Schaffner, 1498, in-8, fig. La seconde édition paraît
Atre celle de Strasbourg , Griininger, 1500. On lit dans le Manuel du libraire :
« VHortulus anim'z est un livre ascétique qui a été souvent réimprimé an
commencement du xvi* siècle, et dont, à cause des figures en bois qtii le
décorent, on recherche encore assez les exemplaires bien conservés. H y eo
a une traduction allemande impr. pour la première fois à Stra^nmrgs che%
Gruninger, en 1503, in-8, avec 57 fig. gravées sur bois. »
BULLETIN DU BIBLIOPIILE. 709
Selon Pi-os|)or Marchand, ce livm est chargé de figures impertinentes. Il
rite comme ridicule celle qui reprtVnte David considérant Bethsabée dans
le bain, et frapp*? d'un trait décoché par Cupidon; il cite comme indécente,
rello qui représente S** Ursule exposée nue aux regards d'un cavalier. Les
ligures de ri'dition do Strasbourg ne sont point reproduites dans Tédition
de l^yde, 1317. Cependant, on y trouve encore des gravures assez' singu-
lières, tell&s c|ue la S»*" Trinité (f. 83), la Tentation de S. Antoine (f. 122),
S. Bernard ix'cevant dans l'œil un jet du lait de la S*»* Vierge, S*'' Gertrude
obsédée par des diablotins ï|ui grimpent le long de sa quenouille (f. 135).
S** Ursule est complètement et richement vêtue ; mais sa pudeur doit être
bien effarouchée par la tenue hardie des deux Satires qu'on voit dans l'en-
cadrement de cette gravure (f. 139).
Ce livre, imprimé en beaux caractères gothiques, rouges et nbirs, est
parfaitement conservé. Toutes les pages sont encadrées. Les 80 gravures
sur bois qu'il renferme sont généralement bonne», et souvent remarquables
par la finesse de la pointe, la beauté des portraits et l'élégance des cos-
tumes.
Le cah'ndrier placé en tête du volume est accompagné de préceptes astro-
logiques, médicaux et agricoles, rédigés en vers latins. Il est suivi d'une
table des signes, dos lettres dominicales, des nombres d'or, et des fêtes
mobiles pour cent ans, ainsi que de quelques notions astronomiques, expli-
quées d'une manièn; fort singulière.
Sur le dernier feuillet du livre, on voit la marque de l'imprimeur.
378. La Motte. Fables de M. de La Motte, de l'Académie
franroise. Paris, au café dÉlie^ 1723; 1 vol. petit
in-8 10—
Ce titre indique très-imparfaitement ce que renferme le volume. En effet,
outre les fables de La Motte, on y trouve ces mêmes fables refaites en vers
françois par Gacon, le poëte sans fard. Ce sont des satires violentes diri-
gées contre La Motte. Au surplus , le plan de l'ouvrage est nettement ex-
pliqué dans une phrase de la prétendue Apologie de M. Houdarl de La
Motte, par l'abbé de Pons, critique mêlée de prose et de vers, composée par
Gacon et imprimée en tête du volume : « Mais le comble de la malice de
Gacon est d'avoir mis et traduit en vers françois les fables de M. de La
Motte, disant pour ses raisons que le privilège qui défend de les mettre en
latin, en grec et en hébreu, n'a point défendu de les mettre en langue
françoisc. »> On trouve encore à la fin du volume trois lettres satiriques mê-
lées de prose et de vers.
H nous paroît démontré qu'il n'y a eu qu'une édition de ce livre, et qu*afin
de le vendre plus facilement, le libraire a substitué au titre primitif: Les
Fables de Houdart de La Motte , trad. en vers par le P. S. F. Asînus ad Ly-
mm, et se vend nu café du mont Parnasse, s. d., celui-ci : Fables de M. de
La Mottey de VAcad. franc. Paris, au café d'Elie, 47Î3. On peut remarquer
qtie ce dernier titre diffère complètement du texte par le papier et les ca-
ractères.
710 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
François Gacon, ité à Lyon en 1667, étoit prieur de Bâillon , près Beau»
montHsur-Oise, lorsquMl mourut le 15 novembre 1725. Peu d*écrivaiiiB eô-
lèbrcs ont échappé aux critiques et aux invectives de Gacon. Les rédactenrs
de la Biographie universelle ont jugé très-«évèrement ce poCte satirique :
« Nous avons eu , disent-ils , de plus mauvais petites que Gacon ; nous n*en
avons pas eu do plus méprisés. Son nom est devenu une injure. Ce n'est
point pour avoir composé des satires , ce n*est pas mCme pour avoir fait
souvent de méchants vers, qu*il s*est déshonoré : tous les genres de satire
ne sont pas blâmables; mais lorsqu*une basse méchanceté dirige la plume
du satirique ; lorsquMl attaque sans sujet et sans pudeur les hommes les
plus vertueux , les talents les plus distingués ; lorsque enfin il a l'air de
spéculer, pour vivre, sur le scandale et la calomnie, eût-il d^ailleurs un es-
prit supérieur, il ne peut espérer d'échapper au juste mépris de ses conci-
toyens. »
379. Le livre de plusieurs pièces. Patis, Amould LAn-
gelier^ 15AS, in-16, mar. citron, fil. tr. dor. {Bau^
zonnet ) 150 — n
Exemplaire de Courtanvaux et de Meoii de l'édition la plus complète.
Ce recueil, qui est très-rare, contient : Discours du voyage de Constadti-
noplc, par de La Borderie. — La fable du Faulx cuider.~La Saulsoye.— Dé-
ploration de Vénus sur la mort du bel Adonis. — Chansons. — Le proeès
d'Ajax et d'LMixes pour les armes d'Achille, translaté en langue tençdse
par Jacques Colin, abbé de Saint-Ambroise. — Conformité de TaniourM
navigage. — La Mort et la Résurrection d'Amour, le Blason des cbereni et
autres compositions, le tout en vers.
380. Livre (le) de prières et oraisons. S. 1., par Jean
Bonne-foyy 1558; — l'Instruction des escoliers. S. L
n. d. ; en 1 vol. pet. in-12 , cart 28 — »
Ce recueil do prières, à l'usage des protestants pour toutes les droon-
stances de la vie , pourroit ùtre facilement confondu avec les Uvres de
prières catholiques, surtout après avoir lu le second titre : Dévotes orttt-
sons très-utiles pour former les consciences et mœurs des fidèles. Toutes ees
prières sont composées asseï habilement pour que le sens hétérodoxe échappe
à ceux qui les liront supcrlicicUemeut.
On a relié dans le même volume l'Instruction des Ecoliers, Ce petit ou-
vrage est divisé en deux parties. La première, écrite en vers françois, m»
fermc les devoirs d'un écolier envers Dieu et envers ses maîtres, des exhor-
tations au travail et des préceptes de conduite. La seconde partie , mêlée
de prost" et de ve», contient les prières à Tusage do l'école protestante de
Lausanne. L'Instruction des Ecoliers est suivie du Jftroir de la Jeunesse ,
par Mathurin Cordier, traduit en vers frant.*tns, et enfin d'uu petit Discoure
(poétique) sur les cotNmatidemcnts.
BULLEim DU BIBUOPHILE. 7il
S81. LucEMBOURG (Piètre de). Le voyage spirituel du
pèlerin de saincte mère l'Eglise romidne. Monseigneur
s^nct Pierre de Lucembourg iadis illustrissime cardi-
nal, autbeur. Auquel est insérée une epistre liminaire,
descouvrant aucunes fallaces et faussetés des hérésiar-
ques; et vers la fin dudict voyage est comprinse la vie
du glorieux sainct Pierre de Lucembourg. Avignon^
1562; 1 vol. pet. in-8, v 36—»
Tùs-RARB. — Le Voyage spirituel a été traduit du latin par Pierre de
Sure, d'une famille noble du Lyonnois, religieux célestin à Avignon. Il avoit
été traduit antérieurement sous le titre de le Chemin de pénitence, lequel
chemin a trois journées de long, Paris^ s. d., in-4°, Goth. Ces deux traduo
tioas sont aussi rares l'une que l'autre ; mais celle de P. de Sure offre plus
d'intérêt. En effet, il ne s'est point borné à reproduire en françois le Voyage
mjTstique du cardinal Pierre de Luxembourg : il a Joint à cet ouvrage plu-
sieurs pièces en vers et en prose.
La première est un(^ épi ire de cent soixante vers françois adres8<';e au
ckrestien catholique ; la seconde est une épitre dédicatoire à Laurent d'Ar-
pi^oo, baron de Rochefort, datée d'Avignon, le 15 août 1561. Cette épitre
en prose, de soixante-seize pages, est dirigée contre les luthériens et les cal-
vinistes; elle renferme beaucoup d'érudition. L'auteur cite à tout propos les
Grecs et les Romains ; mais les expressions dont il fait usage nous parois-
tent aujourd'hui assez singulières. En voici un exemple : « Si me souviens
de Mennon, puissant seigneur et colonel de l'armée démesurée que Darius
dressa contre Alexandre, qui, ouyant à sa présence ung soldard mal parler
dadict Alexandre, luy donna subit d'une halbarde sur le cr&ne si gratieU'
sèment qu'il l'estendit mort. • n faut lire dans cette épitre le récit curieux
d*an miracle opéré par saint Pierre de Luxembourg, qui ressuscita un enfant
tombé du haut d'une tour, et tellement brisé de sa chute que son père l'em-
porta dans un sac. Cette première partie du volume est terminée par neuf
stances de onze vers chacune, sur la Vénération des Saincts, Le Voyaye spi-
rituel commence au quarante-quatrième feuillet. Vient ensuite une Oraison
médiocre déclarant en brie fia vie de S. Pierre de Lucembourg prononcée
par ung jeune escalier. Cette Oraison est suivie du Concile des Muses. C'est
une étrange idée, même de la part d'un moine, d'avoir fait parler les Muses
contre Luther et Calvin. Le poète entre ainsi en matière :
Au Chastelet des paciflcques
Je trouvay les Muses encloses,
Gringotans à leurs voix celicques
Vne diversité de choses,
Dond en cueillant certaines roses
La première se print à dire.
Et moy (si escouter tu l'ouses)
Subit par bel ordre l'escrire.
712 BULLETIN DL BIBUOPHILË.
Voici les derniers vers prononcés par Galliope :
Que ne tiens-tu, Cuhin faulx et menteur,
L'ordre que Dieu, nostr<; l-gislatour,
A son Église ofTrc pour héritage?
Tu tomberas dans l'infernal cstaigo,
Et seras dict à jamais novateur,
Ung fol bien fol.
La dernière pUiCQ du volume est intitulée : Pour ung de nouveau con-
verti,
382. Martyr Vermile {Pierre). Saintes prières recueillies
des psaumes de David par le docteur Pierre Martyr
Vermile Florentin; trad. de lat. en franc. LaBochelU,
P. HaultiUf 1581; i vol. in-16, mar. v., fil., tr, dor.
{anc. rel) 28—»
llAiiK. — Piorre Martyr Vormilio, célèbre théologien du wi* siècle, niquit
à Florence le 8 sei)tcmbi'e 1500, et mourut à Zurich le 12 novembre 1562.
A seize ans il entra chez les chanoines réguliers do Saint-Augustin. Sei
nombreux ouvrages lui acquii-ent uno grande réputation et lui frayèrent la
route des dignités monasti(iues. Mais Pierre Martyr étoit l'un des amis de
Bcm. Ochin ; il penchoit vers les nouvelles doctnnes; do plus, il avoit été
chargé des fonctions de visiteur général , et il les avoit remplies avec beau-
coup de sévériti'. Kn 1542, ses ennemis l'accus«»rent, et voulurent le forcer
à comparoltre d(?vant le chapitre général de son ordre, assemblé à Gêne*.
Pierre Martyr, craignant les suites do cette affain*, se réfugia en Suisse, et
embrassa ouvertcnn-nt la religion calviniste. Il passa ensuite en Angleterre
avec Ochin, et aida le fameu\ Craninicr dans la réforme de rÉgiiso angli-
cane. Lorsque la i-eine Marie, monta sur le ti-one, P. Martyr rcwint en Suiase.
n professa la théologie dans plusieurs villes, et en dernier lieu à Zurich, où
il mourut.
ApK^s la mort de P. Martyr, si>s manuscrits furt^nt recueillis par Josias
Slmler, l'un de ses élèves, qui publia les Preces ex psalmit Davidit
dtsumptœ. Zurich, 1^66, in-IG, Cet ouvrage fut traduit en anglois, puis en
françois, sous le titre d(î Prières chrétiennes. Lyon, m-/tf. Est-ce la mOme
traduction qui a été imprimée à la Hochelle avec un tkrc dilTéreutt Nous
l'ignorons complètement. Au surplus, nous ne connoissons |)oint la daU*
de l'édition de Lyon, qui pourroit ôtre postérieure à la nôtre.
Les Saintes Prières ^ publiées à la Uoch(^ll<\ sont accompagnées de trois
pièces de poésie calviniste : 1<» Prières ijénéraies , composi'-es de deux cent
dix vers; 2" Complainte chrcstienne adressée à Dieu, sur lu de/fcnce de
son Eglise. On trouve dans ce petit ivoénie, divisé en trois chnnts, dt»s allu-
sions aux Guise*, ùlu Ligue fonni'e en 1570, ot même au siège de la Rochelle
en 1573; 3° une Paraphrase de l'Oraison dominicale. On lit au bas du der-
nior fouiller : Servir à Dieu^ c'est Régner, e« au-dessous les initiales Y. R.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 713
£n supposant que cette sentence renferme une allufiion au nom du traduc-
teur ou à celui du poCte, on pourroit en conclure qu*il ae noumoit Yve»,
ou plutôt Ysaac Régnier.
PUBLICATIONS NOUVELLES
388. Dialogue de Thoinelte et d'Alizon, pièce inédite en
patois lorrain du xvii* siècle publiée et annotée par
H. Albert de La Fizelière. Paiis, 1856; in-12 de 82 p.
broché 5—»
On voit tant d'excellents espriîs rechercher aujourd'hui les anciens nio-
Duments du langage écrit de nos pères, ()u'on doit s'estimer heureux de
pouvoir ofTrir un nouvel aliment à leurs investigations. Telle est l'opinion
de notre collaborateur, M. Albert de La Fizelière; aussi vient-il de publier
avec tout le soin qu'on peut mettre h. un bon livre, un curieux manuscrit
du x\ii* sil'cle, en patois de la Lorraine.
Il y a Joint un Glossaire et a dirigé l'impression de ce petit trésor biblio-
graphique, de manière à le rendre digne de l'attention des linguistes et des
bibliophiles.
Le Dialogue de Thoinettc et d'Alizon provient d'ailleurs d'une source
tout à fait estimable, et l'origine de ce document précieux doit encore en
augmenter l'intérêt aux yeux dos lecteurs qui connoissènt l'histoire litté-
raire de Metz et de la I^orrainc. Il avoit été trouvé jadis dans les papiers
du célèbn> Paul Ferry, et avoit passé do là dans la bibliothèque bien connue
du conseiller Ferry de Talange.
Ce petit opuscule, tiré seulement à 65 exemph sur papier vergé, et à 10
aur papier de chine et sur papier vélin, est à la fois un document précieux
pour la langue, et une rareté bibliographique.
384. Notes et documents pour servir à l'histoire de Join-
ville, par M. J. Feriel, in-8 de 80 pages avec portrait,
sceaux et fac-similé 2 — 25
Dès 1835, M. J. Feriel a publié une histoire de Joinville, mais cet ou-
vrage n'étoit pas sans défaut. I/es notes sur Joinville avoient été réunies
714 BULLETIN nu BIBUOPHILE.
avec plus de zèle que do patiente observation ; en outre, il renfermoit des
fautes typographiques beaucoup trop nombreuses pour Thonneur d'une
presse parisienne. Aussi, de 1838 à 18A1, M. Fericl, visiteur et explorateur
assidu des archives départementales, nourrissoit-il le projet de donner sur
Joinville des détails plus exacts et plus complets. La réalisation de ce pro-
jet, indéfiniment ajourné par le temps et los événements vient d*ètre enfin
mise à exécution. On trouve dans les Notes et documents de curieux dé-
tails : les hôpitaux, les couvents, l'église paroissiale, la maison de plaisance
des ducs de Guise y sont Tobjet d'autant de descriptions où l'attrait de la
forme se joint au mérite du fond. Des pièces caractérisant les mœurs locales
viennent k chaque instant interrompre la narration. Cet opusi'ule se ter-
mine par redit d'érection de Joinville en princ4)auté, sous le roi Henri II,
et par un procès-verbal énonçant les richesses c|ue possédoit, en 1790, l'é-
glise seigneuriale détruite en 1793.
On y a joint le |>orti-ait inédit d'Antoinette de Bourbon, duchesse de
(iuise, une planche d<^ médailles et de sceaux également inédits, dont les
originaux sont rares ot presque introuvables, et enKn le fw-similt de la
signature des dur^c Guis4\ soigneurs do Joinville. M. Hector Guiot, pro-
fesseur de dessin au lycée de Chaumont, est l'auteur de rps planches,
illustrations utiles dont on ne sauroii tn»p louer ri\éc'iTiiin et l'oppor-
tunité.
Pensez-vous que ces notes et diX'uments, ces des>ii:N inrt-i'C'isent l«» vul
pays Haut-Maniais? Non, l'histoire générale y trouveroi; :iu>si son profit;
mais Thistoin* p'néralo est exilusive et ne va pas ii'-vz rJ: ';cJier se* élé-
ments dans les livres de MM. le> 'iavants de provinro. Klle a tort ; c'est là
qu'elle peut trouver bien des petits faits expliquant de grandes chuses, ou
tout au moins les détail> qui animeront >on rrcit.
J. Carwndft,
ERRATUM DE LA PRÉCÉDEXTE LIVRAISON.
Page 620, au lieu de: itùS, Heliodonui..,.^ lise/: tin. Xarrrationes
fimaforùp Ki fr. am lieu de: 570 fr.
BULLETIN
DU
BIBLIOPHILE
>
REVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAR J. TECHENER
A TEC LE C0NC00R8
Di MM. L. Babbibr, conservateur-administrateur à la bibliothèque du
Loam; BoiTCAD d'ÀMBLY ; Ap. Briquet; G. Brunbt; Ensèbe Castai-
«KB, bibliothécaire à Angoulôme ; J. Chenu ; V. Goosin, de TAcadé-
mie françoLsc; Cuviluer-Fleury ; Dbsbarreaux-Bernard, bibliophile;
A. DmAux; A. Ernoup, bibliophile; Ferdinand-Deiii s, conservateur à la
bibliothèque Sainte - Geneviève ; J. de Gaillon ; Alfred Giraud ;
GmANGiKR DE La MARINIERE , bibliophile ; P. Lacroix (Bibuophile Jacob) ;
J. Lamoobeui ; G. Lbber ; Leroux de Lincy ; P. deMalden ; de MoNMERQui ;
Fb. Morand; Pauun Paris, de Tlnstitut; Louis Paris; D' J. F. Payen;
Philarètb Chaslbs, conservateur à la bibliothèque Mazarine ; J. Pichon,
président de la Société des bibliophiles franco is; Seroe Poltoratzei;
Rathery, bibliothécaire au Louvre; Rouard ; S. de Sacy, de rAcadémie
» françoise ; Sainte-Beuve, de l'Académie françoise ; Ch. Weiss ; Yem eniz,
de la Société des bibliophiles françois ; etc., etc.,
contenant des notices bibliographiques, philologiques, histo-
riques, littéraires, et le catalogue raisonné des livres de
l'Éditeur.
MAI ET JUIN.
DOUZIÈME SÉRIE
A PARIS
J. TECHENER, LIBRAIRE
RUE DE L'ARBRK SEC, 52, PRÈS DE LA COLONNADE DU LOUVRE.
1856.
—
J
Sommaire du n"* de mai et juin de la douzième série du
Bulletin du bibliophile.
DES ACCUSATIONS DE PLAGIAT LITTÉRAIRE, par
François Morand 717
NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR
JEAN DOURLËT, poète dieppois, par le vicomte de
Gailloû 739
LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES ANGLOIS, par
M. Cuvillier-FIeury 757
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES DES DÉPARTE-
MENTS 763
NOTICE HISTORIQUE SUR LES MANUSCRITS DB
LA BIBLIOTHÈQUE DE TROYES, par M. Harmand,
bibliothécaire 76ft
LES LIVRES QUI NE SE VENDENT PAS. — Essais
divers, lettres et pefisèes de J/"* de Tracy, par A.
Teulet 772
ANALECTA-BIBLION. — Histoire du ifrieuré du Mont-
aux^Malades-ïès-RoucHy par Paulin Paris 775
REVUE DE PUBLICATIONS NOUVELLES 784
DES ACCUSATIONS
PLAGIAT LITTÉRAIRE
n a été composé un assez grand nombre de traités spéciaux
le plagiat et les plagiaires. On a donné à leurs auteurs la
qnaUflcation de plagiaristes. Je n'en connois aucun, et je com-
mence par le déclarer, pour que Ton n'attende pas de ce qui va
suivre un travail d'érudition. Ces ouvrages sont rares : ils me
manquent dans le lieu que j'habite, et je n'ai ni le loisir de les
rechercher, ni le temps de les consulter là où je pourrois les
tnmver. Je me borne dès lors, pour le moment, à savoir qu'ib
existent; et d'ailleurs ils ne me sont pas nécessaires pour ce
que j'ai à dire. Les plus simples lectures et un peu de raison-
nement m'y suffiront.
Je me place, pour parler du plagiat, sous un point de vue
négatif. Non pas que je veuille révoquer absolument en doute
qu'il y ait eu des écrivains qui se sont furtivement approprié
les travaux des autres, soit au total, soit en partie. Je n'ai rien
à opposer à la dénonciation de plagiat, lorsqu'elle porte sur
des faits avérés et probants, dans une aussi grande étendue que
tout un corps d'ouvrage. Ainsi, quand Jean Thomasini est in-
culpé d'avoir publié, sous son nom, des Éloges des hommes t7-
lustres composés par Jean Rhode, si l'on établit que Jean
Rhode est réellement l'auteur de ces Éloges, Thomasini est sans
doute un plagiaire. Le point important est que la preuve en
soit acquise, et que, pour arriver à celte preuve, il y ait eu,
comme en toute poursuite régulière un délit, une instruction
du procès. Ici, par exemple, on n*a que des allégations :
718 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
c est Colomiès qui rapporte ceci : « M. Vossius m'a dit que
Jelian Rliodius disait hautemeiil, à Padoiie, qu'il avoit fait les
Éloges des hommes illustres que Thomasinus a publiez sous
SOI) nom. » Voilà donc un propos qui passe par trois bouches
au moins. A combien de questions ne donne-t>il pas lieu ? Et
d'abord Rhode Ta-t-il tenu? S'il Ta tenu, lui a-t-il donné toute
la portée qu'il a dans le passage de Colomiès? De qui Vossius
Fa-t-il recueilli? De Rhode lui-môme ou d'un intermédiaire?
Je suppose (pie ce soit de Rhode; mais Ta-t-il rapporté dans les
termes de Rhode et avec le sens qu'il y attachoit? Et Colomiès
(Ml le tirant de Vossius Ta-t-il exactement reproduit? Tous ces
))oints sont h examiner. Le premier, de qui dépendent ceux qui
suivent, devroit ôtre résolu nt'palivement selon quelques biogra-
phes. Il est plus que probable, dit M. Weiss, que jamais Rhode
n'a rcvendiqu(^ les Éloges. Sur quoi se fonde cette probabilité?
M. VVoiss n(^ le dit pas; mais elle me paroît être dans ses mo-
lifs une conséquence de ce qu'il ne croit pas que Rhode soit
r auteur des Éloges, Or, son unique raison de ne pas attri-
buer les Éloges à Rhode, c'est qu'il y est cité plusieurs toi^
avec honneur. Je ne me charge pas de la cause de Rhode; ce-
pendant si j'avois à revendiquer pour lui l'ouvrage qu'on lui
dispute, et (jue je n'eusse à combattre que la raison invoquée
])ar M. Woiss, j'y puiserois justement toute la force d'une opi-
nion opposée h la sienne; car je dirois que les citations ho-
norables d(»nt Rhode est l'objet dans les Éloges, y ont pu
iHvo semées par Thomasini précisément pour mieux déguiser
son larcin.
Mais, déjà, Nicéron avoit entrepris de maintenir Thomasini
dans la propriété des Éloges, u Quelques-uns, dit-il à Fartide
de Rhodius, prétendent, sur l'autorité de Colomiès^ que Rho-
dius étoil l'auteur des Kh^es qui portent le nom de Jacques-
Philippe Thomasini ; oVst une imagination sans fondement. Il
peut avoir fourni quelques faits à Thomasini et revu son ou-
vrage ; c'est apjKirennnent toute la part qu'il y a eue. »
Nicéron paroil présumer que l'autorité de Colomiès étoit la
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 719
seule que Ton put invoquer contre Thomasîni, et sur laquelle on
eût à se fonder, en remontant à l'origine des bruits de plagiat
dans cette afTaire. Mais Golomiès qui recueilloit ses Particularités
en 1665, pour ne les publier qu'en 1668, n'étoit pas le premier
qui en eût écrit. On cite des correspondances du temps dans
lesquelles on s'en entretenoit : une lettre de Reinesius, une
autre de Gaspar Hoffmann à George Richter, dont les lettres
choisies avoient été publiées avec celles de ses amis, en 1662, a
Nuremberg. Hoffmann va jusqu'à envelopper tous les écrits de
Thomasini dans l'accusation de plagiat, pour les restituer à
Rhode. Il avoit professé la médecine à l'université d'Altorf,
jusqu'à sa mort, arrivée en 1648, et je remarque que Reinesius
et Rhode étoient aussi médecins. On pourroit croire que l'hon-
neur de la Faculté se trouvoit engagé à couvrir un de ses
membres, si un autre médecin, Thomas Barlholin, n'étoit sur-
venu pour défendre Thomasini. Gette défense se lit dans la
seconde de ses dissertations De legcndis libris : « Reverendi
Thomasini mânes lœdunt, qui operum variorum famam, cum
Rodio nostro partiuntur. Limam subinde illis, a Rhodio adhi-
bitam non ignoramus ; et si forsan loca auctorum desiderarentur,
pro amicitia, qunc utrique intercessit, maxima, sicut inter doc-
tes ûeri solet, communicata, utriusque amicus bona fide testari
debeo. Nec aliud hujus modestia et sueta longo usu scribendi
penna suadet. » G' est en ces termes que dépose Bartholin, l'ami
de Rhode et de Thomasini, comme il le dit lui-même; et j'ajoute
qu'il étoit devenu propriétaire des manuscrits de Rhode, qui
n'eussent pas manqué de laisser des traces de l'ouvrage des
Éloges, si Rhode l'avoit effectivement composé.
Je n'irai pas plus loin sur ce point qui soulèveroit bien d'au-
tres questions; car je ne me suis pas proposé d'y rien décider,
bien que j'y aie une opinion. Je ne l'ai présenté que comme un
exemple des complications qui se rencontrent dans les accusa-
tions de plagiat d'ouvrages, des nécessités de les prouver, et des
difficultés d'arriver à cette preuve. C'est tout un procès crimi-
nel et toute une instruction qu'il y faut. J'appellerai les plagiats
720 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
de cette étendue, plagiats en gros, pour les distinguer des pla-
giats en détail, dont je vais m' occuper, encore plus délicats à
peser dans la balance des tribunaux littéraires, et d'une aature
qui peut être infiniment subtile. Dans Tune comme dans Fautre
catégorie de plagiat, et plus certainement dans la première, à
moins que le plagiaire ne soit pris sur le fait et en flagrant
délit, il y aura toujours raison de douter, s'il n'y a pas raison
d'absoudre. Pourquoi cela? parce que le plagiat est moins com-
mun qu'on ne se Timagine, et qu'il y a toujours eu plus deCaoi
accusateurs que de plagiaires véritables.
Si Martial n'est pas le premier qui ait prononcé dans sa
langue le mot de plagiat, du moins nous fait-il connottre, eo
l'employant, le sens tout allégorique qu'il eut à l'époque où
l'on convint d'en faire l'application aux larrons de la litté-
rature.
Il s'en sert dans cette épigramme, la cinquante-troisiëiiie de
son livre P' :
Gommendo tibi, Quinctiane, nostros,
Nostros dicere si tamen Uhellos
Possim, quos récitât tuus poeta.
Si de servitio gravi queruntur,
Assertor venias, satisque prœstes,
Et, cum se dominum vocabit ille,
Dicas esse meos, manuque misses.
Hoc si terque quaterque clamitaris;
Impones plagiario pudorem.
Martial reproche au plagiaire de s'approprier des ouvrages,
libellas, ou autrement de pratiquer le plagiat en gros. Pendant
très- longtemps, en effet, on n'a frappé de réprobation, sous le
nom de plagiat, que le fait de s'attribuer les ouvrages d'autniû
Calepin, Vossius, Ménage, Furetière, Facciolati , dans leurs
dictionnaires, s'accordent à définir le plagiaire, celui qui vole,
prend, pille les livres, les ouvrages des autres. Mais le senti-
BDUETllf DU BIBUOPHOE. 721
ment de la propriété chez les auteurs, et plus persounellement
chez les poêles, est devenu plus vif. On ne s'est plus borné à
crier au voleur pour un mouton que le lion emportoit, et Ton
prétendit atteindre jusqu'au fait de ce pauvre animal, qui fait si
ingénument sa confession dans Les animaux malades de la peste :
(c Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. »
En d'autres termes on a fait un plagiaire de celui qui pilloit
dans les ouvrages d' autrui. C'est la définition que le dictionnaire
de l'Académie françoise donne du plagiaire, et il ne faut pas s'en
étonner ; les poètes, qui ont peuplé l'Académie, ont fait la loi
pooreuju
Aux termes de cette législation, pas un auteur n'est demeuré
sûr de n'être pas inquiété dans ses œuvres. Les législateurs
eux-mêmes y ont été pris.
Il y a cependant, je le répète, bien moins de plagiaires qu'on
ne pense, si Ton considère qu'il ne sauroit y avoir réellement
plagiat qu'autant qu'un écrivain a la conscience que, ce qu'il
fait entrer dans son œuvre, comme venant de soi, il le prend
dans tel ouvrage où il se souvient de l'avoir lu, ou à tel auteur
qn'il sait le lui avoir récité. Hors de là, il y a simplement ren-
contre de la même idée, soit par l'imagination» soit par la mé-
moire.
Quant à l'imagination, pourquoi l'idée d'une situation dra-
matique, par exemple, ne se présenteroit-elle pas la même dans
plusieurs cerveaux, lorsque le fait d'où elle dérive peut-être,
peut se répéter dans l'ordre physique ? Y auroit-il, dans les coin*
binaisons de la pensée, des rapports, des images que deux es*
prits ne sauroient concevoir à l'insu l'un de l'autre, ou se re-
présenter l'un après l'autre et en divers temps? Ou bien appar-
tiendroit-il à ces rapports et à ces images de ne pouvoir être
trouvés qu'une fois? Je suis bien loin de le penser.
On a porté les accusations de plagiat jusqu'aux derniers ter-
mes de la puérilité et du ridicule, grâce à la vanité d'auteur sans
722 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
laquelle il ircùt jamais été parlé de plagiaires. J'accuse à mon
tour, et sans restriction, les dénonciateurs du plagiat de ne ra-
voir érigé en délit littéraire que par complaisance envers un
sentiment d' amour-propre personnel fort indifférent à l'intérêt
public, puisqu'en déftnitif le plagiaire ne dérobe au public que
pour donner au public; les œuvres de l'esprit, dès l'instant où
elles paroissent au jour, devenant intellectuellement la pro-
priété commune.
A la suite des auteurs qui ont réclamé pour eux-mêmes, par
orgueil, sont venus les critiques de profession qui ont réclamé
pour les auteurs, par vengeance, par jalousie, et rarement sans
malignité. Aussi les accusations de plagiat ne sont-elles pas or-
dinairement rétrospectives, et l'on peut remarquer que presque
toujours elles ont été lancées instantanément sur l'heure même
d'un succès que l'envie vouloit combattre ou contre-balancer.
Lorsque VAristomène de Marmontei parut, la critique nota
dans cette tragédie, comme pris dans divers auteurs connus,
des vers que Marmontei, disoit-on, ne s'étoit presque point
donné la peine de changer. On le lui imputa à déshonneur.
Il ne se faisoit point scrupule de s'enrichir du bien d'autnii :
on lui eût pardonné ces petits larcins, s'il avoit été réduit à
l'indigence; mais il étoit honteux à un poète tel que lui, si
riche de son propre fonds, de s'approprier celui des autres.
La critique faisoit entendre tout cela !
On peut répondre d'abord qu'il n'y a pas d'exception, eo
morale, pour la justification des voleurs, et que, fût-on indigent,
on a aussi peu le droit de prendre le bien d'autrui que si l'on
étoit riche. Mais, ensuite, Marmontei s'est-il bien réellement
approprié le fonds des autres? Voici comment la critique a
essayé de le prouver :
Elle cite ces vers d'Aristomène :
« Je ne veux que le voir, l'embrasser et mourir. »
« Vous aviez intérêt de garder le silence. »
« Mon amant est à moi ; que m'importe le reste ! »
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 72S
Et elle d : le premier vers est dans Polyeucte :
a Je ne veux que le voir, soupirer et mourir; »
le second dans le Comte d'Essex :
« Et j'ai quelqu'intérét à garder le silence; »
le troisième dans Sémiramis :
a L'amour parle, il suffit; que m'importe le reste! »
C'est là ce qu'on nomme des larcins qui font honte? Mais,
en vérité, si l'on ne pouvoit exprimer par la parole des senti-
ments si simples, sans commettre un plagiat, il faudroit renon-
cer à rien dire, dans la crainte de passer pour un voleur. On
fait un reproche à Marmontel d'avoir dérobé le bien des deux
Corneille et de Voltaire! Est-on. sûr, au moins, que ce soit le
bien de ces trois portes, et que d'autres n'eussent pas dit mille
fois avant eux ce qu'ils ont mis dans la bouche de leurs person-
nages? Le sentiment commun dicte de semblables discours et
dans le même ordre d'idées, depuis le commencement du monde,
à des milliers d'individus, dans une infinité de rencontres et
d'événements. Mais l'on devient plagiaire dès que l'on y ajoute
une rime ! De telles accusations ne doivent exciter que la pitié.
Je les trouve dans les Observations sur la littérature moderne,
de l'abbé de La Porte (tome V% pages 29 et suivantes), où il
est encore rapporté que le nombre des vers pillés de côté et
d'autre par Marmontel, pour son Aristomene, s'élève à plus de
huit cents ! Je demande si quelque auteur que ce fût, à moins
d'y être condamné sous des peines sévères, consentiroit jamais
à écrire une pièce de théâtre où il dût faire entrer huit cents
vers pillés de toutes parts et rassemblés à cette unique fin?
Quand on m'aura prouvé qu'il peut exister, même dans les plus
bas degrés, des poètes doués de cette patience, je prendrai la
peine d'examiner jusqu'à quel point Marmontel en a mérité le
reproche.
La mémoire et l'imagination sont certainement deux facultés
7SA BUUBTIN 0D BIBLIOraiLE*
très-distinctes : en général on ne sanroit les confondre. Mais il
faut se tenir à leurs sources pour les reconnaître; car dans leur
cours elles tendent toujours à se réunir, et elles y réussissent
ordinairement si bien qu'on n'en peut plus faire la différence.
L'homme qui se souvient, sans le savoir, croit qu'il- imagine.
Godeau avoit composé et publié, depuis quinze ans, ces vers
d'une ode à Louis XIII :
« Mais leur gloire t&uche par terre.
Et comme elle a l'éclat du verre.
Elle en a la fragilité..», »
lorsque Corneille écrivit ceux-ci, dans Polyeucte :
0 Toute votre félicité»
Sujette h l'instabilité,
En moins de rien tanibe par terre^
Et comme elle a l'éclat du verre,
Elle en a la fragilité, n
Cependant Corneille croyoit bien avoir tiré les siens de son
propre fonds. Ménage assure l'avoir souvent entendu dire qu'il
les avoit faits , sans savoir qu'ils fussent de Godeau. Qui sei*a
maître de décider si Corneille imaginoit, ou se souvenoit à son
insu? Et dans quels innombrables exemples n'y auroit-il pas
lieu de poser la même question?
Je lis dans YAndromaque de Racine, acte I, scène i :
c( Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle; »
et dans VAndronic^ de Campistron, acte III, scène iv :
(c Enfin, dans un instant ma fortune cruelle
Va prendre j par la fuite, une face nouvelle: n
— dans Les fausses infidélités j de Barthe :
« L'Amour me les ravit , l'Hym/en me les rendra, »
BULLBTiN DU BIBUOPHUJB. 726
et dans La fiancée , de Scribe :
« L'Amour nous les enlève ,
L'Hymen nous les rendra, »
— dans Vert" Vert , de Gresset :
(c Enfin, avant de paroitre au parloir^
On doit m moins deux coups d'ceti au miroir. »
et dans Le domino noir y de Scribe :
(( Même avant d'entrer au parloir^
On jette un coup d'œil au miroir, n
— dans Vert'Vert encore:
c( Il partageoit dans ce paisible lieu
Tous les sirops dont le cher père en Dieu,
GrAoe aux bienfaits des nonnettes sucrées^
Réconfortait ses entrailles sacrées, »
et dans Les Visitandines^ de Picard:
a Et le pauvre homme ainsi reçoit de chaque sœur
De quoi reconforter ses entrailles sacrées 1
Ah I de ces nonnettes sucrées
Je voudrois être directeur. »
-^ dans La Fontaine, épilogue du liv. VI des Fables :
(c Bornons ici notre carrière.
Les longs omragts me font peur,
Loia d'épuiser une matière
On n'en doit prendre que la fleur. »
dans ce même Vert-Vert^ que je surprends à son tour :
tt Les Muses sont des abeilles volages,
Leur goût voltige, il fuit les longs ouvrages^
Et, ne prenant que la fleur d'uQ sujet,
Vole bientôt sur un nouvel objet «
726 BULLETn« DU BIBLIOPHILE.
— dans Georges Dandin,àe Molière (la scène est enlre Georges
Dandin et Angélique, sa femme) :
ANGÉLIQUE.
(( Je vous déclare que mon dessein n'est pas de m'enterrer
toute vive dans un mari. »
et dans L'École des vieillards y de Casimir Delavigne (la scène
est entre Danville et Hortense, sa femme):
HORTENSE.
« Et vous ne pourrez pas m' enterrer toute vive ,
Dans Fennuyeux souper d'un si triste convive, n
— dans l'un des opuscules de Saint- Real, DonCarlos, je crois :
<( On n'arrive au crime que par degré, de même qu'à la
vertu, »
et dans je ne me rappelle plus quel poète tragique :
« Ainsi que la vertu le crime a ses degrés, »
Je serois intarissable si je voulois citer tout ce que j'ai
recueilli d'exemples où, comme dans ceux-ci, l'on peut voiries
mêmes idées se produire sous deux plumes différentes à ce
point de ressemblance qu'elles offrent le même tour d'expres-
sion et le même langage. La similitude et les rapports ne se
trouvent que pour la pensée dans le rapprochement suivant ;
mais ils n'en sont pas moins d'une identité remarquable.
Je lis dans V Étourdi y de Molière (la scène est entre Lélie et
Mascarille« son valet) :
LÉLIE.
(( Je sais que ton esprit, en intrigues fertile.
N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile;
Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs.
Et qu'en toute la terre....
BULLETIN DU BIBUOPHIU. 727
MASGARILLE.
« Hé! trêve de douceurs;
Quand nous faisons besoin , nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables ;
Et, dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins qu'il faut rouer de coups. »
et dans Le barbier de Sévillcy de Beaumarchais ( la scène est
entre le comte Almaviva et Figaro, son valet):
LE COMTE.
« Eh ! Figaro, mon ami, tu seras mon angCj mon libérateur,
mon Dieu tutélaire.
FIGARO.
a Peste ! comme Tutilité vous a bientôt rapproché les dis-
lances I Parlez-moi des gens passionnés ! »
Eh bien ! maintenant, croit-on que, pour trouver ce qu'ils
font dire à leurs personnages, les cadets ou les modernes
que je viens de citer aient eu besoin de copier leurs aînés;
qu*ils aient eu Tœil collé Campistron sur Racine, Beaumar-
chais sur Molière; et que, si la police qui recherche les
plagiaires se fût placée, à point nommé, derrière Scribe et
Picard quand ils composoient chacun leur opéra, elle les eût
surpris les mains dans les poches de Gresset? Si Ton avoit cette
opinion pour si peu, à quelles condamnations ne devroient pas
s'attendre et l'auteur de Zampa^ qui se rencontre ainsi avec
l'auteur de La Parisienne, Dancourt :
{La Parisienne , 1691)
LISETTE.
Ah! double chien ^ je te re-
trouve à la fin 9 après t'avoir
cherché si longtemps !
l'olive.
On ne peut éviter son malheur.
CVst ma femme.
(Zampa, 1831).
RiTTA.— Juste ciel!
Daniel.— Ah! grands dieux !
RiTTA.— Qu'ai-je vu!
Dajniel. — C'est ma femme ;
Par Notre Dame^
Cest avoir du malheur !
728 BULLBTIll DD BIBUOPHILB*
Et ce même Beaumarchais qui, dans son Mariage de Figaro^
a de telles ressemblances, et aussi consécutives, avec Dufireaay ,
l'auteur de La noce interrompue^ représentée en 1699 T
(La noce interrompue, )
Scène m.
NANETTE.
Madame la comtesse ne m'aime
plus tant, depuis que son mari
m'aime.. . Depuis que M. le comte
a tant d'envie d'être seid avec
moi, je crains toujours de m'y
trouver.
Scène x.
LE COMTE.
Adrien, ne sais- tu point com-
ment ma femme a pu deviner
mon dessein ?
ADRIEN.
Elle aura lu dans vos yeux
que vous vouliez faire Nanette
concierge^ et <{ue....
Scène xi.
LE COUTE.
N'en doutez pas, Lucas Je vous
fais mon fermier.
Scène dfrnièro.
LE COMTE.
Je suis trompé.
LA COMTESSE.
Console-toi, si on t'enlève, Na-
nette, tu retrouveras en moi une
consolation légitime.
{Le mariage de Figaro,)
Acte I, MlDA I.
U y a, mon ami , que M. le
comte Almaviva veut rentrer au
château; mais non pas diei sa
femme , c'est siu* la tienne, en-
tends-tu, qu'il a jeté ses vues....
Apprends qu'il la destine (la dot)
à obtenir de moi, secrètement ,
certain quart d'heure seul à
seule.
Acte I, scène vni.
LE COMTE à Suzanne,
Le roi m'a nommé son am-
bassadeur. J'emmène avec moi
FigarOj et comme le devoûrd'une
femme est de suivre son mari. ..
Acte III, scène v.
HGARO aa comte.
Votre Excellence m'a gratifié
de la conciergerie du château.
Acte V, scène dernier.
LE COMTE.
J'ai voulu ruser avec eux; ils
m'out joué comme un enfant.
LA COMTESSE, cn rtoML
Ne le regrettez pas^ monsieur
le comte.
La sphère des comparaisons, comme on le voit, se trouve ici
agrandie. Ce ne sont plus seulement des rapprochements de
mots ou de pensées d'un seul jet. C'est une suite de sitiiitioiif
et d'idées, qui se combinent et s'ajustent pour former un en-
semble et une harmonie. Le court tableau de situations de ce
genre que je viens d'offrir me paroit en faire ressortir
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 729
•ensiblement le parallèle dans les deux pièces ; cependaot on
en jugeroit mieux en lisant ces pièces, et j'y renvoie.
Le mariage de Figaro me fournira encore un sujet de com-
paraison. Il s*agit des scènes iv à xix du second acte, auxquelles
je renvoie également; car elles seroient d'une trop grande
étendue pour pouvoir être mises ici , en regard de l'extrait d'un
ouvrage qui n'est plus cette fois une composition dramatique ;
je veux parler de V Histoire des amours de Henri IV, laquelle
est moins commune à rencontrer que les œuvres de Beaumar-
chais; et, pour cette raison, je donne l'extrait dont il s'agit ^ et
qui comprend les pages 28 à 32 de cette histoire, dans l'édi-
tion de Leyde, 166ft.
^- « Madame Gabrielle continuoit à aymer Bellegarde, dont
le roy avoit quelque soubçon, mais à la moindre caresse qu'elle
iuy faisoit, il condamnoit ses pensées comme criminelles et s'en
repentoit. Il arriva un petit accident qui faillit à Iuy en ap-
prendre davantage, ce fut qu'estant en Tune de ses maisons
pour quelque entreprise qu'il avoit de ce costé-là, et estant allé
à trois à quatre lieues pour cet elTet, madame Gabrielle estoit
doneurée au lit, disant qu'elle se trou voit mal, et Bellegarde
avoit feint d'aller à Mantes, qui n'cstoit pas fort éloigné ; sitost
que le roy fut party, Arpbure, la plus confidente des femmes de
madame Gabrielle et en qui elle se confioit de tout, fit entrer
Bellegarde dans un petit cabinet dont elle seule avoit la clef» et
après que sa maltresse se fut défaite de tout ce qui estoit dans
sa chambre , son amant y fût receu. Gomme ils étoient ensemble*
le roy, qui n'avoit pas trouvé ce qu'il avoit esté chercher, revint
plus tost que l'on croyoit, et pensa trouver ce qu'il ne cherchoit
pas. Tout ce que Ton pût faire, ce fut que Bellegarde entra dans le
ddnnetd'Arphure» dont la porte se trouvoit au chevet du lit de
ondame Gabrielle, et où il y avoit une fenestre qui avoit vene mn
un jardin. Aussi tost que le roy fut entré, il demanda Arphure pom
avoir des confitures qu'elle gardoit dans ce cabinet. Madami
Gabrielle dit qu'elle n'y estoit pas, el qu'elle hiy avoit demanda
coDgéd'aUervisiterquelquespareDsqu'eUeatoiCàlavSle. -^ 9
7S0 . BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
est-ce (dit le roy) que je veux manger des confiture^. Que si
Arphure ne se trouve, que quelqu'un vienne ouvrir cette porte,
ou qu'on la rompe.» Luy-mesme commença à donner des coups
de pieds. Dieu sçait en quelles allarmes étoient ces deux per-
sonnes si proches d'estre découvertes. Madame Gabrielle fei-
gnoit un extrême mal de teste, se plaignoit que ce bruit Tin-
commodoit fort , ^ais pour cette fois le roy fut sourd , et conti-
nuoit à vouloir rompre cette porte. Beliegarde voyant qu'il n'y
avoit pas d'autre remède, se jeta par la fenestre, et fût si heu-
reux qu'il se fit fort peu de mal , bien que la fenestre fut assez
haute. Et aussitost Arphure, qui s'estoit seulement cachée pour
n'ouvrir point cette porte, entra bien eschauffée, s'excusant sur
ce qu'elle ne pensoit pas qu'on deût avoir affaire d'elle
Madame Gabrielle voyant qu'elle n'estoit point découverte ,
reprocha au roy mille fois cette façon d'agir : « Je voy bien (luy
dit-elle) que vous me voulez traitter comme les autres que vous
avez aymées> et que vostre hun^r changeante v^t chercher
quelque sujet pour rompre avec moy. ..» Et là-dessus les larmes
ne manquèrent pas , ce qui mit le roy en tel désordre, qu'il
luy demanda mille fois pardon, qu'il confessa d'avoir trop
failly.... »
Beaumarchais avoit-il lu V Histoire des amours de Henri IV?
Avoit-il besoin de la lire pour se représenter le sujet des
dix-neuf premières scènes de son second acte, et pour le mettre
en scène? Voyons. Le comte Almaviva est parti pour la chasse,
comme Henri IV pour ses amours. La comtesse s'enferme
avec le petit page, comme Gabrielle avec Beliegarde , le page
ayant été introduit par Suzanne comme Beliegarde par Arphure.
Le comte revient sur ses pas comme Henry IV, et dans la
même situation d'esprit. Chérubin se cache dans un cabinet
<M>mme Beliegarde. Le comte et Henri IV veulent l'un comme
'autre enfoncer la porte de ce cabinet pour y découvrir un
ornant en flagrant délit. Chérubin et Beliegarde se sauvent cha-
4un en sautant par une fenêtre assez haute, et quand la porte
du cabinet s'ouvre» te comte n'y trouve que Suzanne, comme
BULLETIN DD BIBLIOPHILE. 731
Henri IV n'y trouve qu'Arphure. Pendant les assauts que don-
nent le comte et Henri IV à la porte du cabinet mystérieux,
la comtesse et Gabrielle sont pareillement dans les plus vives
angoisses sur ce qui va se passer; toutes deux elles sont tirées
dn danger par Tbabileté d'une camériste, et au dénoûment,
lorsqu'elles se voient sauvées, elles prennent à leur tour l'oflen-
aive envers ce pauvre comte et ce bon roi Henri, qui s'excu-
sent de leur mieux, l'oreille basse, et réussissent à peine à ob-
tenir pardon.
Voilà en substance les circonstances et la marche de l'événe-.
Bsent, dans l'histoire et dans la comédie. Je ne saurois les ré-
duire à une plus simple expression. L'histoire paroissoit en 1663,
et la comédie se jouoit en 178&. Jamais question de plagiat
n'a trouvé à se poser sur son plus véritable terrain. J'en
trouverai cependant encore une autre : mais en attendant, vidons
celle-ci.
Si j'étois un ennemi ou un rival de Beaumarchais, ayant un
intérêt quelconque à rabaisser son talent; ou bien si je faisois
tOQt simplement de la critique à l'étroit, je m'en tiendrois aux
apparences et je croirois au plagiat : etj'auroispour crier avec
moi les gens qui n'y regardent pas de près. Ou bien je pour-
rois être moins bref et argimienter quelque peu, en insinuant
que si l'on est parfois disposé à douter de la culpabilité d'un
. homme à qui on repsoche une première faute, on n'en doute plus
lorsqu'il est en récidive, et jefortifierois l'un par l'autre, comme
antant d'exemples de plagiats, et le passage du Mariage en regard
de celui de La noce interrompue^ et le deuxième acte du même
Mariage en regard de l'épisode historique, et jusqu'à la compa-
raison de quelques lignes du Barbier avec une citation de L't'-
taurdi; au moyen dequoijemontrerois eu saillie, dans laphré-
oologie de l'esprit de Beaumarchais, la partie la plus délictive
de Facquisivité littéraire. Qui se refuseroit alors à croire qu'on
n'a pas chez soi tant d'objets qui ressemblent à d'autres, sans
les avoir volés? La plupart des auteurs condamnés comme pla-
giaires n'ont pas vu instruire autrement leur procès.
51
b
732 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Cependant (pourroit répondre quelqu'un qui entreprêUdrott
de raisonner dans l'espèce, n'eùt-il lu que la Gazette des IVi-
bunaux) les infortunes de la vie conjugale ont leurs archives» et
les conversations dites criminelles datent de loin. Dans VïàM^
toire des sociétés réglées par le mariage, on ne dénombreroii
pas facilement tout ce qu'il s'est trouvé d'épouses avec lem
amants surprises par le retour imprévu d'un mari parti pour la
chasse ou autrement; plus d'un amant en pareil cas s'est trouvé
heureux de s'enfermer dans un cabinet et de s'enfuir par la fe«
nétre, faisant disparoître avec soi le corps du délit ; et U n'a
pas manqué de Suzannes et d'Arphures pour se montrer eii-<
suite & propos et donner le cliange à un mari au plus graad
avantage de leurs maîtresses. Tout cela est dans la nature qui
n'a pas épuisé toutes ses ressources en produisant le premier. •••
adultère. ... sous le toitconjugal, et personne ne s'est jamais avisé
de dire que le second n'ait été qu'un plagiat du premier. Potir-
quoi donc contesterions-nous à Beaumarchais l'originalité du fond
dans les scènes du second acte? Elle ne lui est pas plus dispu-
table que celle de la forme dans cette gracieuse et spirituelle
situation, l'une des mieux conduites et des plus attachantes
qui aient été mises au théâtre.
Et au surplus Beaumarchais n'est plus là pour nous dire s'il
avoit lu V Histoire des aniours de Henri IV; point qu'il fauditrit
prouver avant tout.
Mais l'auteur de Notre-Dame de Paris est encore de ce
monde, et, au moins, on peut avoir sa confession, s'il veut te
aire.
Je remonte un peu haut. Peu d'hommes se rappellent
sans doute, sauf les parties intéressées, l'explosion qui se fit
en 1833, dans le Jourmi/ des débats^ contre Alexandre DumaSi
Il fut accusé de plagiat ! Non pas d'un ou deux plagiats,
mais d'un exercice en grand de piraterie littéraire qui
composoit tout le fond de son talent. Il copioit ses drames, il
copioit son style. Son livre de Gaule et France n'a jamais été
un bon livre. Je voudrois bien n'en point parler. On pouvoit
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 733
D'en rien dire Jl ne lui profitoit en quoi que ce fût d'être né
d'un plagiat. On l'en accusa comme le reste. Le coup partit
avec toute la violence possible.
J'ai dit que l'explosion avoit eu lieu dans le Journal des dè^
hats. On choisit pour mettre le feu à la batterie un jeune écri*-
vain qui s'annonçoit dans ce début sous la simple initiale G. ,
avec beaucoup de verve et de coloris, et que l'on connut bientôt
pour être M. Granier de Cassagnac. Peu lui importoit sans
doute de s'engager témérairement, et au bout du compte dé
n'avoir pas raison dans une mauvaise cause, s'il se montroit
capable d'en soutenir une bonne au besoin. Je n'ai plus sous les
yeux le feuilleton du Journal des débats^ où M. Granier de
Cassagnac fit ainsi sa première campagne. Mais je vois encore le
journaliste passer en revue les œuvres d'A. Dumas, et nous
montrer Schiller qui lui réclame une scène, Walter Scott un
chapitre, Augustin Thierry et Châteaubriant une phrase, et Victor
Hugo un mot. Le drame Henri II! et sa cour s'y trouva le plus
particulièrement dénoncé. Il étoit pris d'une aventure de Ma-
dame Monsoreau, dans Anquetil; et l'intrigue du Mouchoir
constituoit un larcin fait au Fiesque de Schiller. Comment toutes
ces allégations se soutenoient-elles ? de la même manière
qu'elles se prouvent presque toujours en pareil cas : par la sim-
ple affirmation d'une critique sans doctrine, qui, entre deux
points offrant quelques rapports, ne sait ou ne veut pas distin-
guer d'où procèdent ces rapports, où ils cessent, ce qu'ils de-
viennent en se quittant, quelles nuances les différencient, quel
esprit particulier les anime, enfin s'ils touchent au même but,
el aux yeux de laquelle tout est confusion d'un seul et même
objet.
Les révélations de la presse périodique répandirent sur la
portée des attaques dirigées contre A. Dumas, un jour suffisant
pour ne pas laisser complètement & l'ombre de M. Granier de
Cassagnac l'adversaire plus réel qui se tenoit derrière dans
l'insomnie de Thémistocic. Les succès dramatiques de l'auteur
i*Antony n'avoient cependant point fait pâlir l'astre de Notre-
73A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Dame de Paris^ qui ne 8era jamais éclipsé. Aucun livre de
l'époque n'avoit été plus lu ni plus en vo^e. Sa renommée s'ac^
croissoit de jour en jour. Entre les scènes et les tableaux de ce
beau livre, quelle popularité n'est pas restée à l'épisode de La
cour des miracles, dans le chapitre vi du II* livre , La cruche
cassée?
On se rappelle cet épisode.
Gringoire, après la dispersion de la procession du pape des
ous par Claude Frollo^ sur la place de Grève, transi de froid,
de l'humeur d'un poète dont la pièce vient de tomber, et n'ayant
pas soupe, cherche un gîte pour la nuit qui est déjà venue. Cette
nuit est sombre; il se perd dans les rues, toutes au plus noires,
jusqu'à ce qu'enfin une longue ruelle lui offre un point lumi-
neux vers lequel il se dirige. Chemin faisant il passe près d'un
cul-de-jatte. Ce cul-de-jatte lui adresse ces mots : La buaim
manda y signorl la huona manda !
Gringoire passe outre, sans savoir, plus que moi, ce que cela
veut dire, et rejoint un second individu, boiteux et manchot,
qui lui crie aux oreilles : Scnor caballerOy para comprar wn
pedazo de pan !
Il double le pas, mais un aveugle lui barre le chemin en lui
disant : Facitote caritatem! Gringoire comprend cette fois et
poursuit sa route. Alors l'aveugle se met à allonger le pas, et
Gringoire à courir. « L'aveugle courut, le boiteux courut, le
cul-de-jalte courut. » L'idée vient à Gringoire d'essayer de re-
tourner sur ses pas. Il est trop tard Enfin il atteint l'extré-
mité de la rue. Elle débouche sur une place immense Grin-
goire s'y jette, espérant échapper, par la vitesse de ses jambes,
aux trois spectres informes qui s'étoient cramponés à lui.
« — Onde vas, hombre! cria le perclus, jetant là ses bé-
quilles et courant après lui avec les deux meilleures jambes qui
eussent jamais tracé un pas géométrique sur le pavé de Paris.
« — Cependant le cul-de-jalle,'deboul sur ses pieds, coiffoit
Gringoire de sa lourde jatte ferrée, et l'aveugle le regardoit en
face avec des yeux Hamboyants.
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 73b
t — OÙ suis-je? dit le poêle terrifié.
ce — Dans la Cour des miracles »
Là-dessus, on mène Gringoire au roi de Tendroit, Glopin-
Trouillefou, qui est assis sur un tonneau, en guise de trône.
Cet aimable souverain le condamne à être pendu, parce qu'il
est entré dans le royciume d'Argot, sans être argolier. Gringoire,
qui tient à n'être pas pendu, fait observer qu'il est argotier de-
puis longtemps, parce qu'il est poète, et demande à être reçu
truand. On lui impose, à ce titre, l'épreuve de fouiller le man-
nequin, et il y échoue; ce qui le ramène à être pendu; mais il
échappe une seconde fois à la corde, par le bénéûce de la loi
bohémienne, qui veut qu'on ne pende pas un homme sans de-
mander s'il y a une femme qui en veut. A cett« espèce d'encan
il ne tente aucune des truandes de la Gour des miracles, pas
même la plus repoussante; cependant, à la fin, une voix dit : Je
le prends, c'est la voix à' Esmeralda. On apporte une cruche
d'argile. Esmeralda la présente à Gringoire, et lui dit de la je-
ter à terre. La cruche se brise en quatre morceaux. Le poêle et
la bohémienne sont unis pour quatre ans.
Tel est l'épisode.
Depuis l'apparition de Notre-Dame de Paris, en 1831, ce
souvenir de la situation de Gringoire, dans la Gour des mira-
cles, m'est constamment resté ; il m'a fallu néanmoins le railral-
chir à sa source pour l'esquisse que je viens de donner. Il se
raviva surtout à la lecture que je ûs d'une ancienne pièce en
trois actes, juste au moment où M. Alex. Dumas se trouvoit ac-
cusé de plagiat. Gette pièce a pour titre : Arlequin , roi de Se-
rendit, et pour auteur Lesage, qui s'est immortalisé par le
roman de Gil Blas. Représentée en 1713, elle a été imprimée en
1721, dans le recueil du Théâtre de la Foire. J'en extrairai
textuellement la scène première du premier acte.
a Le théâtre représente une solitude où l'on voit des rochers
escarpés. Arlequin a fait naufrage sur la côte. Il s'avance dans
l'Ile de Serendib, s'assied à terre et compte son argent. Tandis
qu'il est dans cette occupation, il arrive un homme qui a uo
786 RUIXETIN DU BIBUOPHltE,
emplAtre sur Tœil et une carabine sur Vépaule. Cet homme
pose sou turban à terre, fait signe à Arlequin de jeter de l'ar-
gent dedans, et le couche en joue en criant : Gtiaff, Gnaff. Ar-
lequin, effrayé, jette plusieurs pièces dans le turban. Le volear
se retire, et dans le moment il en parait un autre qui a le bras
gauche en écharpe, une jambe de bois et un large coutelas aa
côté. Celui-ci met, comme Tautre, son turban à terre, et teaant
son coutelas fait signe à Arlequin d'y jeter de Targent, en lui
disant : Gniff', Gnxff. 11 obéit, et le voleur s'en va. Arlequin,
après cela, pose sa bourse à terre derrière lui ; mais un troi-
sième brigand, en cul-de.-jalte, et portant un pistolet à la cein-
ture, paroit et s'empare subtilement de la bourse. Arlequin se
lève pour la lui ôter. Le cul-de-jatte lui présente le bout de son
pistolet, en criant : Gnoff, Gnoff, On voit alors revenir les deux
premiers voleurs qui se défont, l'un de son emplâtre, l'autre de
sa jambe de bois; le troisième sort de sa jatte, et tous se met-
tent à danser autour d'Arlequin. Dans le même temps, il paroit
une charrette tirée par un âne et conduite par un sauvage, qui
tient â la main une grosse massue. 11 y a dans la charrette une
table, deux bancs, un pi(klestal, des peaux de bouc et un ton-
neau. Pendant qu'au fond du th('u\tre quelques voleurs s'occu-
pent à décharger la charrette, trois autres dansent avec trois
femmes de leur compagnie. Après la danse, les trois voleurs
qui ont volé Arlequin dressent une table et y placent des pro-
visions, le tonneau au milieu. Tous se mettent à boire et à
manger. Arlequin veut cajoler une des femme^s qui est auprès
de lui, mais le cul-de-jatte lui présente le bout de son pistolet
Le repas fmi, toiLs les voleurs s'en vont, à l'exception des trois
premiers, qui décident enln; eux du sort d* Arlequin et veulent
le faire mourir. 11 va être frappé d'un coup de coutelas; mais
il demande grâce à genoux, (»l alors ou arrête de l'enfermer
dans le tonneau, pour le laisser en pâture aux loups du désert.
Après quoi les voleurs s'en vont. Dans son tonneau. Arlequin
est flairé par un loup, dont il saisit la queue en passant la main
par le trou de la bonde. Le loup, qui a peur, veut entraîner le
■y
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 787
tonneau ; mais sa queue reste entre les mains d'Arlequin, et le
tonneau se partage en deux. Le loup se sauve d'un côté et Ar-
lequin de l'autre, n
A cela près que Gringoire ne possède pas un sou, n'est-il pas
dans la même situation qu'Arlequin ? N'est-ce pas le même fil
aventureux qui le conduit aux mains des trois mendiants? Et
quel ra{^rt de conformité, exact jusqu'au nombre, entre les
trois voleurs de la pièce et les trois brigands du roman, égale-
ment fardés de plaies et d'infirmités, sortant des deux parts de
leur jatte et recouvrant soudainement l'usage de leurs mem-
bres I Pour peu que Ton force les rapprochements, leur argot
respectif n'est-il pas empreint d'une égale étrangetéî Gringoire
n'est-il pas d'abord condamné à mourir^ comme Arlequin ; et,
du supplice de son tonneau, Arlequin n'appeloit-il pas Gringoire
à fouiller le mannequin? 6i la diversité des actes les sépare, ne
se retrouvent**ils pas à la bizarrerie des moyens? C'est là ce
que ne manqueroit pas de prétendre, pour vouloir convaincre
Notre-Dame de Paris de plagiat, une critique qui se tiendroit à
la surface des choses et à leurs apparences. Mais que l'on com-
pare à l'informe et grossière ébauche d'Arleqmn, la belle or-
donnance du tableau de V. Hugo, dans cette scène si animée et
ai pittoresque de la Cour des miracles, et quelle critique se
sentira la force de dire — à la bouffonne majesté de Glopin
Trouillefou : a Je t'ai vue quelque part; » — à l'originale fi-
gure de ce Gringoire^ toujours philosophant, pédant jusque
sous la potence : « Tu as échoué un jour sur les sables de Se-
rendib?»
Cependant il y a similitude entre les deux parties, il seroit
puéril de le nier ; mais cette similitude est-elle un efiét du ha-
sard de l'imagination dans deux esprits différents? Cette question
me ramène à celle de savoir si Victor Hugo, lorsqu'il a com-
posé Notre-Dame de Paris, avoit lu ou connoissoit la pièce de
Lesage. Je déclare pour mon compte que, l'eût-il connue, on de-
vroit en bonne justice lui faire la même part qu'à Molière,
lorsqu'il disoit reprendre son bien chez les autres. Mais s'il ne
738 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
l*a pas connue, la question de plagiat n'est-elle pas tranchée pour
toujours? Une déclaration de M. V. Hugo, sur cet article, an-
roit donc une grande importance. Elle n'ôtera rien à sa gloire
d'avoir écrit Notre-Dame de Paris, dans quelque sens que la
vérité la lui dicte ; et elle peut résoudre par le fait un point très-
intéressant de psychologie.
Lorsque l'on aura ainsi acquis la certitude qu'il peut se for-
mer dans plusieurs cerveaux, spontanément et originellement,
des combinaisons d'idées identiques, avec le même ensemble,
la même suite et les mêmes détails qu'elles se montrent dans les
compositions que je viens de comparer, il deviendra impossible
de laisser subsister toutes ces cellules où l'on enferme de pré-
tendus plagiaires, et de poser des limites à la faculté d'ima-
giner.
A plus forte raison permettra-t-on à deux poètes de compa-
rer à une orange ce qui est jaune, sans que l'on accorde uo
mérite d'invention à celui qui a fait la comparaison le premier;
car on a été jusque-là.
Tout est dit, a dit lui-même La Bruyère en commençant un
ivre. Et il n'en a pas moins ,fait ce livre qui a sa place dans
les chefs-d'œuvre de la littérature française.
C'est qu'en effet, si tout est dit, tout peut se redire. Tout
doit même être redit, pour être entendu de tous, dans les révo-
lutions des âges et les successions des siècles.
L'important d'une vérité qui doit éclairer l'esprit public, d'une
idée qui doit l'agrandir, d'une pensée ingénieuse qui peut l'or-
ner, n'est pas que cette vérité, cette idée, cette pensée édo-
sent dans un cerveau privilégié, mais qu'elles se propagent et
multiplient. Si le premier épi sorti de terre avoit eu la préten-
tion et eût obtenu d'être le seul épi, nous n'aurions pas de
moissons.
François Morand.
Boulogne-sur-Mer.
BULLETIN DO UBUOPHILE. 7S9
NOTICE
BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE
SUA
JEAN DOUBLET
DIEPPOIS.
La critique, de nos jours , est animée à l'égard du passé des
intentions les plus chevaleresques : nous nous servons à des-
sein de ce mot, en allant au-devant de la comparaison qu'il
amène. Les paladins des anciens romans n'étoient point en ef-
fet plus en quête de princesses malheureuses à délivrer que la
critique ne Test de pauvres Muses à tirer de la prison d'oubli
où les retient enfermées quelque négromant ennemi de leur
gloire. Cette Muse, cette princesse une fois trouvée, la critique
rhabille, la pare de son mieux, et la présente au public, comme
feroit l'heureux don Quichotte sa Dulcinée, s'il la rencontroit
enfin. Que la critique joue en ceci un peu le rôle de don Qui-
chotte, rien de mieux ; seulement le public, pour rendre l'allu-
sion plus complète, est souvent de l'humeur de Sancho Pança,
et trouve que celle à qui nous faisons enfiler des perles épluche
tout au plus des pois ou des haricots. « Tu te trompes, ami San-
cho; je t'assure qu'elle devoit enfiler des perles, en vraie prin-
cesse qu'elle est ; un enchanteur t'aura abusé aussi. » Et Sancho
de hocher la tétc à cette explication, et de sourire à l'idée de
cette princesse qu'il sait bien n'être qu'une paysanne.
Paysanne ou princesse, la Muse que je vous présente, lecteurs,
est bien ignorée. Qui a connu Jean Doublet? personne, pas
même l'abbé Goujet, qui l'omet dans sa Bibliothèque française.
Quelques lignes lui sont accordées dans le Manuel du libraire^
7i0 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
et il y est dit que ses œuvres ne sont pas sans mérite. C'est peut*
être le seul éloge qu'il ait reçu ; heureux encore qu'il l'ait reça!
Son volume est si rare qu'il eût pu être ignoré même de l'auteur
du Manuel, Qu'où feuillette tous les catalogues de vente de li-
vres, on ne le trouvera dans aucun. Bnfin, moi-même je ne croi-
rois pas à l'existence de Jean Doublet, si je n'avois fait connois-
sance avec lui cet hiver en allant plusieurs fois le voir à la
bibliothèque de V Arsenal , où il réside dans une belle et bonne
reliure de maroquin rouge. De ces visites en ce quartier éloigné
je me fais un mérite auprès du poc^te, et prétends qu'il doit m*en
savoir gré. Je n'ose, par modestie, afficher la même prétention
à l'égard de mes lecteurs : on est hardi avec les morts, mais
avec les vivants il faut des précautions. Toujours est-il que Je
l'ai touché, le rare volume, que je l'ai lu d'un bout à l'autre
avec soin et à plusieurs reprises. Peu à peu j'étois si bien accour
tumé à ces visites dont j'essaye de tirer quelque gloire, que, mes
notes prises, mon travail terminé, j'en étois k regretter de n'a-
voir plus à revenir dans cette bibliothèque si tranquille, si éloi-
gnée des bruits de Paris, et dont le nom guerrier se prête aune
explication symbolique, puisque une bibliothèque est véritable-
ment un arsenal pour l'esprit humain, et comme le magasin
des armes qui servent à combattre l'ignorance. Si, chemin fai-
sant et près d'arriver, je rencontrois l'ombre de Sully qui me
parloit d'artillerie et de canons à fabriquer (des canons, mon-
sieur le grand-maitre, hélas! oui, il est toujours question de
canons en ce monde , et ils font plus de bruit que jamais) , à
peine entré dans ce sanctuaire où leur bonne étoile a conduit
nos vieux poètes , une autre ombre , avec laquelle j'étois plus
familier et plus à mon aise, m'accueilloit, celle de Nodier, qui me
montroit du doigt les volumes sur les rayons, et dont il me sem-
bloit que le sourire m'encourageoit et ajoutoit à ma besi^ne,
déjà agréable par elle-même, un agrément de plus.
Mais je m'écarte de mon but, ou plutôt je tarde bien ày anv
ver. Tout à Theure j'ai été, je ne sais par quel chemin, cher-
cher jusque dans la Manche don Quichotte et son écuyer San-
BUUETIN DU BIBUOPHILE. 7&i
eho Pança ; je crois que ma plume faisoit comme eux, et, & leur
exemple, cherchoit les aventures. « Quand une plume a la bride
8ur le cou, disoit M"' de Sévigné, il faut la laisser aller. » Voici
maintenant que j'évoque et le grand Sully et le bon Nodier, sous
prétexte de ce quartier de l'Arsenal, qui ici n'est point en cause.
C'est Ui, à proprement parler, faire l'école buissonnière. Mais
quoi! l'école buissonnière? ce sont les écoliers qui la font; et
moi, en ce moment où j'écris dans le Bulletin ce très-docte ar-
ticle, suis-je un écolier, je vous prie? Non certes, mais, au
contraire, un professeur. Les écoliers, c'est vous, lecteurs. . .
Mais la suite de ma comparaison m'embarrasse et m'amèneroit
k blesser encore votre amour-propre, que je veux ménager avant
tout Ma comparaison a tort, ou plutôt j'ai eu tort de la com-
mencer; je n'ai, pour me tirer de peine , qu'à faire comme cet
avocat de l'épigramme de Martial qui, ayant à parler d'une chè-
vre, se perdoit en toute sorte de digression, et que l'on força
d'ep venir enfui à sa chèvre. Ma chèvre , à moi , c'est Jean
Doublet,
Jean Doublet ! le nom est prosaïque et bourgeois. C'est en
effet à la bourgeoisie dieppoise qu'appartenoit notre poète, qui
o'avoit de parchemins que sur le Parnasse.
Si tu n'ois point un long ordre de titres
Quand on m'appelle, et n'ay qu'un petit nom,
Si tu vois peintes en mes vitres
Des armes de peu de renom,
Phœbus pourtant et ses neuf doctes filles
De raoy font compte
Haitf^ qu'on ne s'y trompe pas, cette bourgeoisie de Dieppe étoit
accoutumée à produire des héros, de hardis marins, célèbres
par leurs combats contre les Espagnols et les Flamands. Dou-
blet parle au commencement de son livre de ses cousins morts
et de son frère brûlé (sans doute au milieu de la mer). Ces ex-
ploits à chanter le séduiroient, s'il ne trouvoit la tâche au-des-
sus de ses forces et ne la laisaoit à ton oncle Hifant. Cet onde
7A2 BULLETIN OU BIBLIOPHILE.
Mifant , c'étoit l*oracle de la famille, et qui , lui aussi ,^parloit,
comme doivent parler tous les oracles, en vers. G'étoit le Gaton
de Dieppe; c'en étoit aussi le Platon, au dire de son neveu, et
la même aventure lui étoit arrivée qu'au philosophe grec : des
abeilles étoient venues se poser sur ses lèvres en présage du
miel de ses discours. Mifant avoit même un avantage sur Platon :
Platon ne s' étoit pas tout de suite élevé à la contemplation deDien
et des choses éternelles; mais lui, Mifant, avoit tout d'abord con-
sacré sa nmse aux sujets pieux, et Rouen gardoit dans ses ar-
chives dos pièces de vers où, jeune encore, il avoit célébré les
louanges de la Vierge. Quelquefois, mais toujours saintement,
amusoit ses concitoyens par des comédies, des mystères pro-
bablement ; les paroles étoient de lui, et un musicien de la ville,
Mathieu Fournier, y entremêloit ses douces mélodies. Telle avoit
été, selon une gracieuse image de Doublet, V herbe nouvelle et
tendre, le vert printemps des productions de son oncle. Mais
cette sagesse avunculaire ne faisoit que mieux ressortir la folie
du neveu, l'un ayant échoué à tous les écueils que l'autre
avoit évités. Lui, Doublet, que sa jeunesse emporte, ne rime
qu'épigrammes et chansons d'amour, et il ose , à la barbe de
son oncle, hasarder cette réflexion^ que ce n'est pas là un bien
grand crime , telle imperfection ne méritant pas moins être ex-
cusée en un jeune homme que la verdeur et surté en un fruit non
mûr.
Du Bellay, qui, dans son illustration de la langue françoise,
trace aux poètes le programme qu'ils auront à remplir, semble
avoir indiqué à Doublet sa part, quand il dit : Distille d!'un style
coulant ces lamentables élégies, à V exemple d*un Ovide, d^wn
Tibulle , d'un Properce. C'est ce qu'a fait notre poète , sinon
dans le style coulant que demande Du Bellay, au moins avec une
certaine facilité et avec une certaine élégance dans les bons en-
droits. C'est par un souvenir d'Anacréon qu'il débute; lui aussi,
l'esprit rempli de projets d'iliades et d'odyssées, alloit chanter
sur un mode grave la victoire de ses demi-brûlés dieppogs, et
faire emboucher la trompette à sa Muse :
BULLETIN DU B1BU0PHILK. 7&S
Tout alloit bien : Amour s'en prît à rire,
Et de mes vers, qu'égaux il vil marcher.
Leur coupant un pied sans mot dire,
Toute une moitié fit clocher.
Ailleurs, il parle et s'applaudit de cette nouvelle composition
de vers inégaux, qu'il croit propres à rendre l'effet des distiques
latins. Quoi d'étonnant, puisque c'est l'Amour lui-même qui leur
a coupé un pied, que ses quatrains aient quelque grâce à botter?
n n'en feint pas moins l'air dépité et mécontent, toujours pour
imiter Anacréon :
Qui t'a donné, faux garçon plein de ruses.
Tant de pouvoir sur ce qui n'est point tien ?
Nous et nos vers sommes aux Muses ;
Petit larron, tu n'y as rien.
Le petit larron y a tout , au contraire , excepté dans ceux de
l'oncle Mifant; que l'oncle Mifant chante donc les héros de
Dieppe :
Cestui pourra chanter vos faits d'armes ,
Guerriers dieppoys, si que nul autre mieux,
Et tandis ce Triant de larmes
8e baignera dessous mes yeux.
Ce friant de lannes exprime avec une nuance heureuse la
pensée de Virgile, que l'Amour ne peut se rassasier de pleurs.
Puisqu'il ressuscite Ovide, Tibulle, Properce, il faut que Dou-
blet ait comme eux une maîtresse , un nom de femme à pro-
mettre ù l'immortalité. Nous ne le trouvons pas heureux dans le
choix qu'il fait du nom de Sibille , qui sent son antiquité» et
n'offre à l'esprit aucune idée agréable. Le nom , du reste , ne
fait rien à la chose ; la réalité des amours de notre poète n'en
perce pas moins sous le voile de l'imitation classique, et celte
7AA BULLBTIIf DD BIBLIOPHILE.
maîtresse, quel qu'ait été son vrai nom, a bien réeliement vécu
à Dieppe au temps où il la chantoit ; il nous en a, dans ses élé-
gies, donné toute l'histoire. D'abord, jeune fille, nous la voyons
bientôt, cédant aux désirs de ses parents éblouis d'avarice^ épou-
ser un vieillard, un homme qui vivoit de procès, un chicanoux
dont les doigts, quoique percliis de goutte, savoient tirer l'ar-
gent de la bourse des plaideurs. 11 y avoit mieux que deâ raisoni
poétiques contre ce mariage, et le plus étroit bon sens eût parlé
sur ce sujet, comme l'imagination de notre poète. « Gomment,
disoit-il , comment unir à un stérile hiver le printemt>d d'une
verte jeunesse? Qu'importe que ce vieillard soit riche?
S'il est rente de deux ou trois fois mille»
Si son argent un peu haut l'éleva.
Si, en longue housse par la ville
Sur un âne écourté s'en va ,
Si n'est-ce assez k une vierge gaie... »
Unie à son vieillard , la vierge perdit peut^tre un peu de fla
galté, mais comprit ses nouveaux devoirs et résolut d'y Mre
fidèle. Cette résolution, le poète, de son côté, se proposa de la
respecter; mais l'Amour, qui se croyoit des droits sur son cœur
et sur sa nme aussi , lui inspira bientôt d'autres pensées, pen-
sées que Sibille n'écouta point :
Et cependant, toujours sage et accorle,
Kt clairvoyante, et constante toujours,
Sibille, sur ces raisons forte^
D'Amour se moque tous les jours.
Elle ne lui retiroit point son cœur qu'elle lui avoit donné depuis
longtemps ; mais la crainte de Dieu et la sainteté des liens con-
tractés par elle étoient toujours devant ses yeux, et cela ne fai-
soit point les affaires de son amant. Ce dernier la prëchoit à ce
sujet, et, non content d'appeler à son aide la morale amoureuse
BULLETIN DU BIBUOPHILE* 7A6
d*Ovide, il etnpiétoit sur Lucrèce et tmnchoit de Tesprit fort,
déclarant que ce qu'on racontoit des enfers, et de Badamante,
et de Tisipbone, n'étoit que fables qui n'effrayoient personne,
Que quelques enfants bien petits.
Et TAmour étoit trop éveillé, trop avisé pour être de ces en-
fants-là« Belle promesse qu'en son âge tendre elle avoit faite
sous le latin d'un vicaire étolé! Gela Tengageoit-il à rien? pou-
voilrelle baiser ce rechigné visage
Qui de sa vie un souris ne songea?
Hélas ! il ne sourioit pas même en songe, le vieux mari. Songer
un souris I expression charmante, pleine de naïveté, et dont
j'imagine que La Fontaine , s'il Teût rencontrée, eût fait ce que
Molière faisoit de son bien qu'il reprenoit où il le trouvoit. Mais,
tandis que nous montrons à La Fontaine son bien chez Jean Dou<*
blet, celui-ci, insensible à cet honneur, tant il est préoccupé
de sa passion , continue ses tentatives de séduction auprès de
Sibille, qu'il suppose effrayée par le souvenir de la mésaven-
ture de Vénus et de Mars. Vénus, en effet, eût tout gâté avec ce
filet où elle se laisse si heureusement surprendre, si, pour éviter
semblables accidents en son empire, elle n'eût inspiré à ses sujets
un esprit inventif capable de tromper la surveillance des jaloux.
De là ce langage muet , ces signes par lesquels on se comprend
sans se parler ; de là les échelles de soie, les semelles de feutre,
sans oublier le g&teau jeté au chien pour étouffer ses abois :
toutes inventions de Vénus , qui ne veut point que Vulcain la
surprenne une seconde fois :
Bref, jusqu'au lit elle-même nous meine
Dans la ruelle, cl de sa propre main
Tient le soupir de notre haleine,
Tant que s'endorme le vilain.
7A6 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
A ce discours erotique et presque impertinent dans sa fami-
liarité, Sibille oppose le langage de la vertu et de la religion;
aussi le poète nous avoue qu'il en fut repasmé tout coi :
J'avois tout dit : Tunique à mes yeux belle
Avec deux mots me repasma tout coi :
« Je t'aime plus que moi, dit-elle;
Mais Dieu seul plus que loi et moi. »
Le contraste, en effet, ne pouvoit être plus grand. Le plaidoyer
de Doublet ne sort pas du ton du badinage et de la galanterie
erotique, et a bien Tair d'être prononcé devant une cour d'amour
dont les juges seroient Anacréon, Ovide, Tibulle, Guillaume de
Lorris, Martial d'Auvergne, ce dernier prêt à enregistrer un
nouvel arrêt sur ses tablettes. La réponse de Sibille a un carac^
tcre tel qu'on pourroit se croire transporté devant un autre tri-
bunal , et ressemble au refus que feroit une héroïne chrétienne
de sacrifier aux idoles. C'est en effet un acte d'idol&trie que lui
demandoit Doublet. Nous ne prétendons pas toutefois dire cela
sérieusement, et ne voulons pas qu'on croie que nous écrivons
les acles du martyre de Sibille.
Quoi qu'il en soit, ce caractère chrétien relève un peu le fond
classique et païen des élégies de notre poète. Cette beauté» qui
lui fit oublier Dieu, alors qu'elle eût dû lui servir d'échelle pour
monter h la source du beau, lui parloit souvent dansée sens re-
ligieux, et l'exhortoit à se tourner vers les choses divines; mais
lui n'avoit d'inclination que pour la terre, tant la jeunesse ren-
doitson esprit farouche (l'âge féroce d'Amaury le voluptueux).
Plus tard cependant il rentra en lui-même, et, changeant en so-
lide amitié son fol amour, il voua au feu la plume et le papier
qui lui avoient servi à écrire ses chansons criminelles. Cet auto-
da-fé ne fut exécuté que dans ses vers, sans quoi nous n'aurions
pas cl nous occuper ici de son livre.
La belle réponse et la scène dramatique que nous avons ra-
contées n'ont point terminé les amours de Doublet et de Sibille :
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 7&7
achevons-en l^histoire. Ce vilain , qu'il ne s'agissoit que d'en-
dormir, fit mieux : il mourut. Toutefois, nos amoureux ne s'é-
pousèrent pas ; rheure de la sagesse étoit-elle venue, même pour
Doublet? N'étoient-ils plus assez jeunes tous deux pour renouer
les doux sentiments de leur jeunesse ? Ces sentiments se renouè-
rent bien, mais adoucis, pour ne pas dire aiïoiblis et sur un autre
ton. Après la mort de son mari, Sibille, qu'il avoit transplantée
à Rouen, où le fîxoient ses fonctions judiciaires, revint à Dieppe,
bravant les bruits que la médisance faisoit courir sur les motifs
de ce retour. Qu'elle voulût se rapprocher de son ami, cela étoit
bien naturel ; mais d'autres raisons lui conseilloient ce parti ;
ces raisons , le po<^te les énumère dans une pièce de vers qu'il
lui adresse pour l'exhorter à persévérer dans son projet de quit-
ter Rouen. G'étoit son pays natal que Dieppe , le lieu où repo-
soient les cendres de son époux, où sa mère et ses sœurs dor-
moient sous tombes honorables. Puis, comment ne pas préférer
à l'air brumeux de Rouen l'air vif des bords de la mer, et cette
température qui rend inutiles les médecins auxquels tout Rouen
est voué? Doublet insiste sur cet air vif de Dieppe auquel il at-
tribue une grande influence sur le naturel et les dispositions des
habitants :
Aussi pour vrai, un air tiède et mollace
N'eût rien valu pour engendrer des cœurs
Qui fussent sur l'onde fallace
De tout autre peuple vainqueurs.
Ni tant d'esprits que Pallas y avoue :
Deux Mifants morts et deux morts Parmentiers,
Et deux que vivants moins je loue :
Terrien et ce Mifant tiers.
Ce Mifant, troisième du nom, c'est l'oncle que nous savons. Les
vers que nous citons sont un peu barbares, mais ils peuvent in-
téresser le patriotisme dieppois. Malheureusement, le patrio-
tisme dieppois ne lit peut-être pas le Bulletin du bibliophile.
52
7A8 BULLETIN DU BIBLIOPHUE.
Voici donc Sibille revenue dans sa ville natale et notre ro-
man fini, mais sans mariage. Cette conclusion, que nous regret-
tons de n'avoir pas à mentionner, étoit si naturelle, que si elle
n'eut pas lieu, il en fut au moins question. Gela résulte d'une
élégie dans laquelle Doublet introduit auprès de Sibille veuve
une certaine vieille qui joue le rôle et tient le langage de h
Macette de Régnier. Cette vieille , qui n'avait plus rien à faire
en ce monde pour son propre compte , s*entremettoit de ma-
riages:
Mais cependant pour sa proie elle guette
Si quelque riche est à pourvoir encor,
Ou si quelque veuve est jeunette,
Car pécher y vout cliaîne d'or.
Ayant ouï, par les bruits de la ville,
Qui, peu à peu doublant, courent toujours,
Que le mari d'une Sibille
Bien riche avoit fini ses jours,
A elle vint, el me sembla sa langue
Pour beaucoup nuire Olre diserle assez,
Car j'ouïs toute la harangue
Entre dcMix huis sur moi poussés.
Tandis que Doublet est entre ses deux huis, écoutons avec lui
ce que va dire la vieille. Après quelques mots de consolation,
peu nécessaires peut-Olre, au sujet de la perle que Sibille a faite,
elle en arrive à lui proposer de rcmi)lacer le défunt. Dieu, qui
la prive d'un mari qui, h vrai dire, étoit un peu Agé, saura la
pourvoir mieux. Klle on sait un,... luiiis c'est trop se presser...
Après tout, pourquoi ne pas profiter de l'occasion? Celui qui
la désire est riche. Du reste, à défaut de celui-là il y QO a
d'autres :
J'en sais encor : les voulez-vous d'espée.
Ou financiers ? à Rouen ou Paris 7
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 749
Élisez pour n'eslre trompée ;
Je vous baille au choix cent maris.
Mais, tout en lui donnant des maris h choisir, la vieille prétend
guider son choix :
Épouses-moi quelqu'assuré riche homme
D'un haut état; si pouves, honoré,
Tel que celui que je ne nomme ;
Mais premier vous Tai figuré.
Au choix d'un riche mari bien des avantages sont attachés :
Après sa mort vos douaires augmentent...
C'est toujours ii cela que regarde la vieille, qui n*a qu'une pas-
sion, celle de l'argent. On lui a dit qu'il s'agissoit pour Sibille
de quelque jeune homme sans nom et sans fortune ; mais elle ne
veut pas croire à ce sujet les langues médisantes :
Pour toute chose un po6te assez habile,
Enfant de Dieppe aux rives de la mer,
Si fol d'une élude inutile.
Qu'autre chose ne veut aimer.
Mais quand ce seroit Clément Marol lui-même ou Ronsard, qu
se dit Pindare gaulois (la vieille connotl la littérature ae son
temps) :
D'eux ni de lui qu'aurez-vous autre chose
Qu'une ballade, un rondeau? voilà tout.
Mais mieux vaut un écu en prose
Que mille rimes sans un sou.
Aufl6i de ces gens^là il ne faut faire ni son ami ni son époux ;
750 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
le douaire de leur femme ne se prend que sur le Parnasse, el
rhypolhè(jue n'en vaut rien. Voire mari, et la vieille d'ajouter:
Dieu veuille avoir son âme ! votre mari passoit pour aimer l'ar-
gent , mais il vous laisse du bien, ce qui vous est en mescheftm
bonheur; puis il étoit extrait de noblesse; l'autre , le po^te, n'a
ni titres ni écus. Je ne sais à tout ce discours quelle grimace
fait notre Doublet derrière la porte ; je crois qu'il lui est difficfle
de se contenir plus longtemps; aussi est-ce fort à propos qae
la venue d'une voisine le tire de sa cachette, et lui permet
d'exhaler son indignation contre la vieille dans ce quatrain qui
termine la pièce :
Dieu pour loyer te doint, vieille damnée,
Sans feu, sans vin le reste de tes jours,
Rien qu'yver par toute l'année,
Et gosier altéré toujours !
C'est dans les mêmes termes que Régnier prend congé de Ha-
cette. Nos deux poètes suivent ici la trace d'Ovide dans son
élégie contre la vieille Dypsas, la Macctte de son temps. Je me
suis aperçu i\ temps de cette imitation commune, sans quoi j'ai-
lois, selon mon zèle de critique chevalier, et dans l'intérêt de la
Muse qui est ma dame, faire honneur à Doublet de la satire de
Régnier. C'est pour le coup que Sancho se fût moqué de don
Quichotte !
Mais peut-être on se lasse de toujours rencontrer Ovide sous
Doublet, qui a bien sa personnalité propre, sa personnalité nor-
mande et dieppoise. Il paye la dîme à son curé bien exacte-
ment. . . ; son calendrier n'est point celui des fastes de Rome, mais
celui des fêtes catholiques dont il n'est basse ni haute qu'il ne
chôme ; le patron de son village, qui n'est qu'un saint des plus
grosses façons, un saint de bois mal taillé, reçoit tous les ans sur
son autel, avec înaint feu de cire, l'olTrande de ses bons fruits»
et (lu prime épi il lui fait un chapeau mi-jaune mi-vert. Aussi
u-ImI laconûance qu'en remplissant ainsi ses devoirs de parois-
BULLETIN OU BIBUOPHILE. 761
sien il attirera sur lui la bénédiction d'en haut, et qu'il verra
les purs froments tassés jusqu'aux tuiles dans sa grange, et que
ses celliers seront pleins de cidre et même de vin, car il a une
vigne en son climat de Normandie, une vigne dont lui-même a
planté et aligné les ceps; c'est lui qui nous donne ces détails
dans une pièce de vers où il raconte ses occupations champê-
tres. Cette pièce, qui n'est pas une des moins agréables du vo-
lume, débute à la façon d'Horace. Qu'un autre, pour attraper des
bénéfices, suive la mule des prélats cramoisis, lui n'a point cette
ambition, et ne voudroit point sacrifier sa chère ^ sa toute cCor
Uherté à une oisive prébende. Il a un petit patrimoine qui lui
suffit, hoc erat in votis; ce patrimoine , il le cultive lui-même,
bobus exercet suis , car ce n'est pas seulement sa poésie, mais
sa vie qui imite Horace : s'agit-il de se mettre à la besogne, il ne
fait point le délicat :
Le long louchet ou la courte faucille
Entre mes mains ne me fait honte lors,
Ni ce lou velu qui m'habille.
Ni les souliers sales et ords;
De la charrue aucune fois peut-être
Les mancherons moi-même guiderai.
Toutefois , ce n'est que pour son plaisir que notre poète met
ainsi la main à la besogne, et ces travaux rustiques ne sont pour
lui qu'une diversion aux occupations de l'esprit. Au besoin , ce
patrimoine le nourriroit sans qu'il eût à s'en mêler; l'argent
lui viendroit pendant qu'il dormiroit, et il n'auroil qu'à le comp-
ter à son réveil :
En paix je tiens de juste patrimoine
Non loin borné, un peu de fonds normand ,
Qui sans rien faire, comme un moine,
Me nourrit, si je veux, dormant.
752 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Sans anibilion à la ville , dont il nr recherclKî poinl les hauts
emplois, les {grandes fonctions, Jean Doublet, aux champs, ne
court point après le gain; ce qu'il demande, c'est que le loup
épargne son petit troupeau, et que les voleurs se détournent de
sa maison ; aussi bien n'y feroient-ils pas grand profit. Ce que
lui produit son fonds normand suffit à sa consommation, et rien
de plus :
Pour le marché mes besles je n'engraisse,
Je ne bats point pour la halle mes blés.
Et même, si l'abondance versoit chez lui sa corne pleine, à
peine les provisions de son fruitier iroient-elles jusqu'aux nou-
veaux fruits. L'auteur termine cette élégie, qui est plutôt une
idylle, en se déclarant content de la médiocrité de sa vie; il
peut l'être aussi de sa muse, (jui l'a heureusement inspiré.
N'avoil-il point raison de préférer aux grands et lucratifs em-
plois le doux métier des vers? Et cependant ce doux métier, on
le lui reprochoit comme un vice d'esprit fainéant, et de ce côté
aussi on l'attaqnoit auprès de Sibille. « Hé quoi! s'écrie-t-il ,
Veulent-ils point qu'à mes côtés je mette
D'art milanoise espée et dague aussi.
Et sur ma teste une phunelte
Pour estre bien pUis noble ainsi?
J'aurois du roy les gages d'un gendarme
Au rang vaillant de ces hardis jureurs.
Qui ne donnèrent onq alarmes
Qu'aux poules des bons laboureurs. »
Non, non, il continuera h cultiver la muse pour l'amour de Si-
bille et aussi pour l'amour de la muse elle-même. Ceux qui le
blâment ne poursuivent que des choses périssables; l'objet de
ses désirs est immortel, et l'œuvre des poëtes dure au delà du
tombeau :
BCUETIN DU BIBLIOPHILE. 753
Tant qu'aurn France une chreslienne leste,
Tant y vivront les psalraes de Gahors,
Et no6l n'y sera plus feste,
Quand Denisot en sera hors.
Puisque décidénjent nous avons oubli*^ Ovide, et que nous
cherchons surtout dans les vers de Doublet la couleur locale, la
couleur normande, mentionnons la pièce on il invite tous les
portes de France à concourir pour le prix de TAssomption à
Dieppe, en l'annexe 1556. Les prix de quatre, leur nombre ordi-
naire, avoient éié portés à six. l ne trôve de cinq ans venoit
d'être conclue, et les jeunes Dieppois, qui n'avolenl plus à com-
battre l'Espagnol ni le Flamand, se tournoient vers les jeux lit-
téraires ; puis il s'agissoil pour la ville d'un souvenir patriotique,
d'une commémoration de •sa délivrance par Louis XI, alors dau-
phin, après un siège de neuf mois qu'en avoit faitTalboL Cette
délivrance, qui eut lieu le 1/| août, fut attribuée ti rinlervenlion
de la Vierge. Il y avoit là-dessus toute une légende embellie et
grossie d'année en année, et qui, après avoir inspiré des ballades
légères, de doux rondeaux, pouvoit être le sujet de dircéennes
odes et de tuscans sonnets. Ainsi parle notre pocMc en un lan-
gage où l'on sent l'adepte de Ronsard et le propagateur de la
révolution poétique inaugurée sous Henri IL
Les détails personnels n'abondent pas assez dans les poésies
de Jean Doublet pour que nousen omettions un. Une de ses élégies
Dous apprend qu'il fut député par sa ville auprès du roi. Il ne
dit pas quel étoit l'objet de sa mission , et est plus occupé de
nous décrire les jardins de Fontainebleau, qui ne lui font pas
oublier cependant sa cliènî maîtresse. Tout ce qu'il voit la lui
rappelle, et la salamandre de François I*', dont il s'approprie
le symbole, et la statue de bronze de Cléopâtre piquée au bras
par un aspic, comme lui l'est au cœur par l'Amour, mais sur-
tout ces Sibilles
Peintes partout pour leur divin renom ,
et qui lui rappellent celle qu'il a laissée à Dieppe.
75A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
C'est peut-ôtre en revenant de quelque mission de ce genre
et encore en train de parler aux princes et aux seigneurs, qu'il
s'arrêta devant le château de Gaillon , où étoit de retour de
Rome le cardinal de Bourbon, à qui il fait un peu hyperbolique-
ment sa cour, le comparant au soleil , comparaison dont les
poètes ont usé et abusé. Que le cardinal de Bourbon soit le so-
leil, la preuve en est qu'il a suffi de son absence pour faire geler
les vignes cette année. Mais voici qu'à son retour, en ce mois de
septembre 1555, partout le raisin mûrit, nouvelle preuve delà
justesse de la comparaison :
Gaillon, Louviers et Duroule les costes,
Aïant senti ce soleil revenu,
Ja dcsja présentent aux hostes
Le raisin tout noir devenu.
A ce même prélat et dans la même élégie, le poète exprime d'une
façon assez gentille les sentiments de la Normandie quand les
conclaves l'appellent à Rome. Cette Normandie est alors coinme
une mère inquiète de son fils absent, et qui sur le rivage inter-
roge les mariniers , sans oublier les cierges qu'elle voue et fait
brûler dans les églises.
Terminons cette revue de Jean Doublet en mentionnant une
de ses plus gracieuses élégies. C'est une antique comparaison
que celle que l'on a faite des poètes à la cigale : comme elle, ils
chantent en clTet, et, comme elle, arrivent sans prévoyance, sans
soin de l'avenir, à l'hiver, c'est-à-dire à leur dernière saison :
La cigale ayant chanté
Tout l'été.
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Jean Doublet , nous l'avons vu , avoit de quoi braver l'hiver,
grâce à ce petit fonds normand et à cette vigne dont il nous a
BULLETIN OU BIBUOPHILE. 755
parlé ; il oe s'en compare pas moins à la chanteuse des prés.
0 Toi, dit-il à un médecin, son ami, à qui son élégie est-adressée,
toi, tu t'immortalises en prolongeant la vie humaine; nous, ché-
lifs, qui ne nous plaisons qu'aux sons de cette lyre dont Apollon
nous tient affolés, nous ressemblons
A la chanteresse cigale
Qui r hiver dur ne prévoit pas.
a Sous le doux ciel qui rousoîant Tabreuve,
Elle, sans soin, criquète jour et nuit.
Tout autant que la saison brève
D'un clair esté sur elle luit. »
Mais voici qu'aux beaux jours succèdent les frimats et la neige :
La malprovide, alors être abusée.
Tard s'aperçoit, tard accuse ses chants :
Plus ne lui tombe la rousée.
Plus rien ne se recouvre aux champs.
De faim donc meurt, et avec elle à l'heure
Mène en mourant son importun cri-cri.
Hélas! s'il faut qu'ainsi je meure,
Au moins vive ce que j'écri.
Que le souhait du poète s'accomplisse ! Nous ne sommes pas
de ceux qui ont la puissance de tirer les morts du sépulcre de
l'oubli ; nous n'en sommes pas moins heureux d'avoir pour un
moment rendu sa voix à la pauvre cigale de la falaise dieppoise ;
et espérons, lecteurs, que son cri-cri ne vous aura pas paru
importun.
Souvenons-nous, pour apprécier le mérite de Doublet, qu'il
est l'émule plutôt que l'imitateur des poètes du règne de Henri H,
et que ses élégies parurent en 1559. Ce recueil d'élégies n'est
point son seul ouvrage : on a aussi de lui une traduction des
756 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
Mémoires do Xénophon , imprimée chez Denys Duval en 1582,
traduction écrite d'un style qui, pour la fluidité, se rapproche
de celui d'Aniyot, le grand maître du genre. Ce rapprochement,
que des citations justifieroient, seroit un nouveau titre pour
notre Dieppois.
Nous ne savons quand est mort Jean Doublet, mais il vivoit
encore en 1582, et datoii du 7 septembre de cette année Tépltre
liminaire de sa traduction de Xénophon, adressée à Charles de
Bourbon, archevêque à Rouen.
Vicomte de Gaillon.
BULLETIN DU BIBLIOPHILIE.
767
VARIÉTÉS
SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES ANGLOIS(i).
La Société des bibliophiles de Londres (Philobiblon Society)
publie depuis deux ans un recueil de mélanges qui mérite,
même de ce côté -ci du détroit, d'attirer Tattention des érudits
el des lettrés. Quelques-unes des pièces de ce recueil sont
d*ailleurs écrites en françois. Elles sont en général d'un choix
excellent et d'une variété agréable. Bibliographie, histoire,
philologie, mémoires, curiosités typographiques, recherches
originales et documents inédits, rien n'y manque. La Société
est composée de trente-cinq membres, sous le patronage du
prince Albert (2). Elle a d'abondantes ressources. Son recueil
annuel est un fort beau volume que sa magniûcence seule
(1) Cet article a été publi<^ dans le Journal dex débats du 23 juin.
(3) Voici la liste dos membreb de la société des Philobiblon^ 1855-56 :
H. R. H. Prince Albert, patron.
KiUki.E (H. R« H. Thn Duke of).
BorriBLD (Boriah) F. R. 8.
Chi^iey (Edward).
Caoasi.eY (James).
CiKi^iix.iiAM (Peter).
CiRZOïM (The Hon. RoJwrt).
Delamerk (The Lord).
Dblbpikrri (Octave).
DcFFKiiiN (The Lord).
Eastlakb (Sir Charle«) P. R. A.
Ellesmerf. (Earl of).
FoRo (Richard). %
Foi (Lieuu gênerai Charle« R.)
GiPFORO (Earl of) M. P.
GofifORD (Earl of) K. P.
(iRFY (Ralph W.) M. P.
Hawii.to\ (The Duke of).
Hawtrey (Rev. Edward G.) D. D.
HiGGixs (Matthew J.)
H01.FORD (Robert 8.) M. P.
Laboicherr (RightHon.Henry)M.P.
LoNGMAN (Thomas).
MiLMAx (The Very Rev. II. H.)
Dean of St*Paur».
MiLNES (Richard Monckton) M. P.
MiRRAY (John).
Perry (Sir Thomas E.) M. P.
Powis (Earl of).
Raï (Henry B.;
Shirlry (Evelyn P.) M. P.
SiMEON (Sir John), Rart.
Sseyd (Rev. Walter).
Stirlim. (William) M. P.
Stonor (The Hon. Thomas E.)
\k\ de Weyer (His Excellency
Mons. S.)
Wellesley (Rev. Henry) D. 0.
758 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
feroit rechercher. Il n'est tiré qu'à un petit nombre dVxem-
plaireS; mais sa rareté est le moindre de ses mérites.
Le volume publié en 1856 (1) contient une quinzaine de
pièces dont quelques-unes sont de simples recherches d'érudi-
tion bibliographique, telles que le Catalogue des livres de Ai-
chard de Gravcsend, évèque de Londres^ 1303, par M. Hilman,
le savant doyen de Saint-Paul ; — l'analyse d'un manuscrit
grec du xr siècle, illustrée d'un curieux fac-similé j par
M. Walter Sneyd, — et une dissertation sur la première Bible
en langue anglaise, par M. Beriah Botûeld.
La plupart des autres pièces du recueil se rapportent à l'his-
toire et à la biographie. Dans ce nombre on remarque une série
de documents relatifs à Gharles-Quint, donnés par H. William
Stirling, secrétaire de la Société. Cet intéressant travail se
rattache aux deux années qui précédèrent la retraite de l'em-
pereur (1555-1556) ; il est tiré presque entièrement des dépê-
ches de Frédéric Badoér, ambassadeur de Venise à la cour de
(1) Contents of Misceilanies of the Pliilobiblon Socithj^ 1S55-56.
(Vol. II«). Fort vol. in-80.
Rev. Walter Sncyd Some account of a rare Greek MS.
Dr Milmau Catalogue of the books of Richard de
Gravesendy bishof ofUmdon^ 1303.
B. Botfield Bibliotheca Membranacea Britamùoa,
H. R. H. The Duke of Aumale. . . Notes et docunientM relatifs à Jean^ roi
de France.
W. Stirling Notices of the Emperor Charles V.
1555-1556. From the Dcspatches of
Federigo Badoer.
Ë. Cheney Notices of Sansovimo: l'Hisioria dieam
Orsiniy Venet : i565.
J. Miuray Unpublish^ lettersofLaurentt Sterne,
W. Stirling A few tpanish proverbs about Friars*
O. Dclepierre De la littérature Macaronique^ et de
quelques raretés bibliographigue* de
ce genre,
R. M. Milncs Boswelliana.
And a few more contributions, of whidi thcrc aro iu ail 15 , from 12 of
the Mcmbers.
BULLETIN DU DIBUOPHILE. 759
Bruxelles. M. William Stirling, membre du parlement d* Angle-
terre, n*est pas seulement un des plus riches bibliophiles qui
soient au monde ; c'est un érudit très-sérieux, un « chercheur »
Irès-fm, trës-habile et très-heureux. Il s'est fait de Charles-
Quint une sorte de spécialité dont il a tiré parti avec beaucoup
d'esprit et un grand succès. Son livre sur la retraite {Cloister
life) du célèbre empereur peut se lire encore après celui de
M. Amédée Pichot, et même après l'ouvrage supérieur qu'a
publié M. Mignet. Son point de vue est différent. M. Stirling
est auteur aussi d'une charmante étude sur Vélasquez. — Un autre
membre du parlement, l'aimable M. Monckton Milnes, orateur
spirituel, poète fécond, politique entreprenant, a fourni à la So-
ciété, sous le titre de Boswelliana, toute une série d'anecdotes,
de maximes et de facéties fort amusantes. — M. Robert Gurzon,
connu par ses voyages en Orient, possesseur érudit de manu-
scrits grecs admirables, a donné une Histoire de Moïse^ écrite
sur place pour ainsi dire avec beaucoup de verve et de couleur.
— xM. Henry Belward Ray a tiré des papiers de sir Robert Eyre,
chief-jtistice en 1735, la chronique secrète de cette querelle
domastique qui mit quelque temps aux prises le roi George P'
et son fils le prince de Galles, au sujet de l'éducation des en-
fants de ce dernier. — M. John Murray , le célèbre éditeur, a
publié des « Lettres inédites de Sterne. » — M. Edward Cheney a
donné des extraits d'une histoire de la famille Orsini, par
Francesco Sansovino (Venise, 1565, deux vol. in-folio). Un des
héros de cette famille est un Napoléon Orsini, né en 1!(20,
mort en U80, qui commanda tour à tour les troupes du roi de
Naples et celles du pape pendant près de trente ans. C'étoit un
maître homme, aussi hardi que rusé, négociateur habile et
guerrier redoutable, et dont M. Cheney nous fait connoître,
d'après son biographe, la politique et la stratégie : « Défense
« légitime ou besoin d'agrandissement, gloire ou vengeance,
(( la guerre est naturelle à l'homme. Si vous faites la guerre,
(( portez-la du premier élan sur le sol ennemi,... etc., etc. »
lip nom de Napoléon étoit donc illustre et a cher aux oreilles
760 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
italiennes • dès le xv^ siècle , comme récrit Thistorien de
la famille Orsini. Il cite à ce propos quelques vers dédiés au
iVapoléon de 1/|50, et qu'on pourroit croire, si on ne regardoit
à la date, adressés au vainqueur de Rivoli et de Marengo (1)
Mais qui songeoit aujourd'hui au héros de Sansovino ? M. Boni!-
lel lui-même sembloit avoir oublié son nom ; les pkilobiblan
de Londres nous Font rendu....
TA pstrintérét de ce recueil. Nous n'avons voulu en donner
aujourd'hui qu'un apcîrçu très-sommaire, et nous sommes loin
d'avoir pu citer toutes les pièces fournies par des Ânglois, et
qui mériteroicnt une mention, telles, par exemple, que ces pe-
tits Poèmes inédits de Daniel, publiés par sir John Simeon.
Parmi les morceaux envoyés par des étrangers, membres de la
Société, on a beaucoup remarqué l'année dernière un charmant
et sérieux essai signé d'un nom illustre dans la politique,
M. Sylvain Van de AVeyer, ministre de B<»lgique. Cette pièce
a été publiée sous \q litre de Lettres sur les Anglais qui ont
écrit en français. Il y auroil aussi une intéressante histoire à
raconter « des François qui ont écrit en Angleterre. » M. Van
de W(»yer, qui est vraiment un François, tout au moins par ses
ouvrages, y occuperoit, à quelque distance de Saint-Évremond,
une place très-honorable. N'oublions pas, parmi ces derniers,
M. Octave DelepicTre, qui, dans le premier volume des 3/<^-
Janijes, a publié sous le titre d(» u Doute historique n de curieux
mais éniKniali(|ues renseignements sur Jeanne d'Arc, et qui,
cette anné<', a donné ii la Société une dissertation tout entière
sur \ti littérature viacaronique , appuyée» de citations nombreuses
et éclairée par les plus savantes recherches. N'oublions pas
non plus un autre François, M. le duc d'Aumale, un des con-
tribuables (contributor) les f)lus assidus du Philobiblon.
(1) Viri immortale, n ijrun Napoleoue,
Poi fhe Vopere tne sono immortali.
Tu pmlre de' noltUiti
Tu dee duiujuc, non pur Ifelhna, e Marie,
Ma il sonuno Giove, ne* futuri tempi,
Corsenmr immortal; dunque immortali
Vivi, 6 Napoléon, padre delV armi!
BULLETIN ntJ BIBLIOPHaE. 761
L'année dernière, M. le duc d'Aumale avoit donné deux
pièces au volume des Mélanges, la première sous le titre de
Notes sur deux petites bibliothèques françaises du A^** siècle,
La seconde étoit une Lettre inédite de Guillaume III (26
octobre 1688). C'est encore à Thisloire, objet spécial de ses
études, que le jeune prince a emprunté, cette année, le sujet
de la communication qu'il a faite aux bibliophiles de Londres ;
et ce sujet doit plaire, on France et en Angleterre, non-seule-
ment aux érudits curieux de raretés bibliographiques, mais à
tous ceux qui s'intéressent à leur histoire nationale. Le travail
de M. le duc d'Aumale a pour titre : Notes et documents relatifs
à Jean, roi de France, et à sa captivité en Angleterre (190 pages
in-8*). La captivité du roi Jean est un fait bien connu, mais
auquel se rattachent beaucoup de détails qui le sont moins et
qui méritent de l'être; et par exemple, la Société de Thistoire
de Francea publié (en 1851), dans le volume relatif aux Comptes
de V argenterie {\) de nos rois au quatorzième siècle , une pièce
d'an intérêt hors ligne : c'est un a Journal dé la dépense du
roi Jean » pendant la dernière année de sa captivité, du 1'' juil-
let 1359 au 8 juillet 1360, jour de son débarquement à Calais.
Ce journal abonde « en détails curieux ; tout y a sa place, non-
ff seulement les meubles et l'habillement, mais encore les ob-
t jets de consommation, les provisions de bouche, les épices,
« les vins, les chevaux; enfin, ou y trouve aussi quelques ren-
« seignements d'un ordre plus élevé et qui complètent les ré-
a cits des chroniques contemporaines. En résumé, c'est un
o document également important pour l'histoire de la vie pri-
a vée, pour celle des personnes et des affaires publiques dans
« les deux pays.... (2) »
Ce compte du roi Jean devoit, suivant la remarque de M. Douet
d'Arcq (3), « être précédé de deux autres »> qu'on croyoit per-
(1) " L'argentier était un offlcier chargé de tout ce qui regardait l'ha-
bUlemcDt et les meubles de toute nat^ire fournis au roi et à sa maison. »
{Note» et diH-mnem, pag. 3.)
(2) Soie» et doiutnenis, pag. k»
(3) Dans VavertiMement des Comptes de l'argenterie.
762 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
(lus. M. le duc d'Aumale les a retrouvés dans les archives delà
maison de Gondé, et il a comblé presque entièrement la lacune
signalée par M. Douet d*Arcq. Les pièces qu'il a publiées dans
le recueil des Philobiblon se rapportent, les unes aux dépenses
du roi Jean en Angleterre, les autres au comptable chargé de
l'administration de ses fmances pendant sa captivité, le chape-
lain Denys de CoUors. Cette seconde série comprend, entre
autres documents : 1^ les lettres du roi Jean pour approuver
les comptes de son chapelain ; 2'' un inventaire des joyaux de
la reine Jeanne ; S» une expédition certifiée le 6 juin 136/i par
Jean Bernier, garde de la prévôté de Paris, d'ime lettre par
laquelle le roi Charles V donne k Denys de CoUors décharge
des bijoux à lui confiés par le feu roi, etc., etc. Tel est l'en-
semble des pièces tout ci fait inédites et fort curieuses donl
M. le duc d'Aumale s'est fait l'éditeur pour la Société des bi-
bliophiles anglois , et qu'il a fait précéder d'une Notice sur
le roi Jean qui leur sert d*introduction (1). Ce travail lui-
même n'est que l'accessoire et le prélude d'une œuvre beaucoup
plus importante du même auteur^ sur une époque plus rappro-
chée do notre histoire. Un des compagnons de la captivité du roi
de France, le chapelain Gaccs de La Buigne,employoitson exil
à composer un poi^me sur la chasse. Le duc d'Aumale consacre
le sien à étudier et à écrire l'histoire. Ce n'est donc pas sans
raison que la Société des bibliophiles de Londres Ta choisi,
cette année, pour son président, honorant ainsi l'érudit sérieux
dans le prince exilé.
Guvillier-Fleurt.
(1) Le Bulletin du Bibliophile espôre pouvoir reproduire entièrement
ros pi^ccs ot cette notice dans aun prochain numéro. — Le Journal dei
Débats n*en avoit donné quo des extraits h la suite de son article.
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 7(53
BIBUOTHÈQUES PUBLIQUES DES DÉPABTEMENTS.
Le 3 août iSki , uoe ordonnance royale rendue sur le rap-
port de M. Villemain, ministre de rinstruction publique,
prescrivit la rédaction ^t la publication d'un catalogue général
des manuscrits contenus dans les bibliothèques publiques des
départements. Une commission nommée par le ministre fut
chargée d'assurer les travaux relatifs à la confection de ce ca-
talogue général , et cette commission fut composée de :
MH. Le Clerc, membre de Tlnstitut, président de la
commission ;
Hase, membre de Tlnstitut;
Reinaud , membre de l'Institut ;
Libri , membre de l'Institut ;
Danton, chef du secrétariat au ministère de l'instruction
0
publique.
Les travaux de rédaction et d'impression ont retardé pendant
plusieurs années la publication du premier volume, qui ne parut
qu'en 1849 (1). Ce volume comprend : Manuscrits de la biblio-
thèque du séminaire d'Autun, par M. Libri. — Manuscrits de la
bibliothèque de iMon , par M. Félix Ravaisson. — Le catalogue
des manuscrits des deux bibliothèques de la ville et de laFaculté
de médecine de Montpellier, rédigé par M. Libri avec le con-
cours des conservateurs de ces bibliothèques, MM. RIanc et
KQhnhoItz; — celui des Manuscrits d'Alby^ rédigé par M. Libri
(1) Catalogue ficénéral des manusrrits des bibliothèques publique» dea
départements, publié sous les auspices du ministre de rinstruction publi-
que. Parii, imprimerie nationale^ 1849; un vol. in-4® de vu et 901 pages,
format et complément de la Collection de» docutnenls inédits twr V Histoire
de France,
53
76A BULLETIN DU BIBUOPHILB*
et revu par M. P. Ravaisson, ainsi que les deux précédents; —
enfin un appendice composé d'ouvrages ou morceaux inédits tirés
de divers manuscrits de la bibliothèque de la ville de LaoD et de
celle de la Faculté de Montpellier. Les notices des mantiscrits
grecs qui se trouvent dans la bibliothèque de la Faculté de
médecine de Montpellier sont entièrement dues à M. Hase; les
notices et traductions des manuscrits orientaux de la même
bibliothèque, à M. Beinaud ; le commentaire d'un manuscrit
latin coté (r63 , de la bibliothèque de Laon, à M. Victor Le
Clerc. Les tables qui terminent ce premier volume ont été faitei
par M. Taranne.
Nous allons maintenant parler delà publication, faite en 1865|
du deuxième volume du Catalogue général des bibliothèqun
départeirientalcs de la France. II est rempli tout entier par U
notice des manuscrits de la bibliothèque de Troyes, compre-
nant 2,427 numéros.
Cet important travail^ dû au savant conservateur actuel de la
bibliothèque de Troyes, M. ilarmand , imprimé dans le même
format que le premier volume, composé de \xvii et 1170 pages,
est précédé d'un Avertissetnenr que nous avons pensé devoir
vivement intéresser les lecteurs du Bulletin du bibliophile;
nous le reproduisons textuellement :
NOTICE HISTORIQUE
SCR LB8
MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQliK DE TROYES.
En 1651, le docteur Jacques Hennequin, de Troyes, qui,
pendant un demi-siècle, professa en Sorbonne avec une grande
distinction, fit présent de sa bibliothèque, sous le titre de Bi-
bliothèque de Troijes, au couvent des frères mineurs, à condi-
tion qu elle seroit ouverte trois jours par semaine à tous
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 765
fut désireroieni y entrer y depuis midy jusques à soleil couchant.
Les religieux, établis conservaleurs responsables, dévoient
fournir pour bibliothécaire un profès de leur maison et il leur
étoit assuré, en conséquence, une rente annuelle de i!iOO livres.
La bibliothèque ainsi fondée par Jacques Hennequin, et où
l'on comptoit 12,000 volumes imprimés, n*avoil qu'un petitnom-
bre de manuscrits, et ces manuscrits avoient peu de valeur:
eeiix qu'elle possède aujourd'hui proviennent des couvents de
la ville et du département qui ont été supprimés par la révolu-
tion françoise.
L'abbaye de Clairvaux, cette fille illustre de Giteaux, fondée
par saint Bernard, l'an 1115, en a fourni le plus grand nombre.
1,736 volumes manuscrits composoient, en 1/|72, ce qu'on ap-
peloit dans le langage du temps, la librairie de la maison
(voir le n" 521 du présent catalogue). Depuis cette époque jus-
qu'à la fin du xviii^ siècle, les dons reçus et les acquisitions
faites avoient porté ce nombre à environ 1,800. Une notable
portion de ces manuscrits, exécutée au xii* siècle, dans l'abbaye
mtoe, constitue une série à part et comme un groupe particu-
lier qui représente bien la physionomie primitive de ce grand
monastère de Clairvaux.
Mais cette première collection s'accrut tout d'un coup de
plus de moitié par l'achat que l'avant-dernier abbé, François
Le Blois, fit, en 1781, de la bibliothèque du président Bouhier,
de Dijon.
Cette bibliothèque fameuse avoit été formée par neuf géné-
rations d'hommes passionnés pour les livres et dont les noms
sont tellement mêlés à l'histoire de ceux-ci, qu'il est convena-
ble d'en dire quelques mots.
Depuis Louis XII jusqu'à Louis XV, sept personnages du nom
de Bouhier se succèdent dans les charges du parlement de
Bourgogne. Le second de ces sept était l'ami intime de Cujas,
et son fils fut l'élève de ce grand maître. Héritier des livres des
trois qui l'avoient précédé, Etienne possédoit déjà une biblio-
thèque remarquable pour son temps. A sa mort, en 1611, elle
766 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
fut partagée entre ses enfants. Jean, son fils atné, travailla avec
ardeur à combler les lacunes qui furent la conséquence de ce
partage; il acheta, en 1662, toute la partie de théologie de b
belle bibliothèque rassemblée par les soins de deux évêques de
Chalon-sur-Saône, Pontus et Gyrus de Thiard de Bissy, dont le
premier, ami de Ronsard et son émule, compte parmi les astres
de la pléiade. Son neveu, à qui il résigna son évêché, reçut en
même temps sa bibliothèque qu'il ne cessa d'enrichir jusqu'il
sa mort.
Aux livres imprimés, ce cinquième Bouhier réunit un grand
nombre de manuscrits. Il les rechercha avec une infatigable
activité, en acheta aux couvents, en fit copier de tontes parts,
et copia lui-même plus de cinquante gros volumes. En 1671, il
légua par son testament, à son fils aîné. Bénigne Bouhier, sa
bibliothèque tout entière avec son cabinet de médailles, far
prcciput , et à la charge de substitution et fidéieamtnis envers
ses autres enfants masles, aûn que ce double trésor demeurât
intact dans la maison. Et pour tenir lieu à leur mère de la moi-
tié qu'elle y pouvoit prétendre, une somme de 20,000 livres à
prélever par elle sur les propres du défunt, dut être consentie
par Bénigne Bouhier, par son frère et par le tuteur de ses au-
tres enfants mineurs.
A la mort de ce sixième Bouhier^ sa bibliothèque passa dans
les mains de Jean son fils, le dernier et le plus illustre de la
famille. Conseiller au parlement de Bourgogne à vingt et un
ans, et, à trente et un, présidente mortier^ ce magistrat s'étoit
acquis une si grande réputation comme savant et comme litté-
rateur, que FAcadémie frauçoise Tadmit dans son sein, à Funa-
nimité des suffrages, le IG juin 1727, quoiqu'il résid&t à Dijon :
honorable exception, car les règlements exigeoient résidence à
Paris; ce qui fit dire à Voltaire, héritier du fauteuil de Bouhier
à la même académie : a Ce serait violer l'esprit d'une loi que de
n'en pas transgresser la lettre en faveur des grands hommes, n
En de telles mains, la bibliothèque des Bouhier reçut encore
des accroissements considérables, et ne tarda pas à compter
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 767
35,000 volumes imprimés, ofTranl, dans tous les genres , les
ouvrages les meilleurs, les plus beaux et les plus rares, tous
bien reliés , portant tous sur les plais de leur couverture en
veau fauve le bœuf d'or qui rappelle le nom du maître.
Deux mille manuscrits choisis, et dont plusieurs étoient du
plus grand prix, complétoient cette magnifique collection que
le P. Louis Jacob, dans son Traité des plus belles bibliothèques,
désignoit déjà plus de cent ans auparavant comme la plus
somptueuse du duché de Bourgogne.
A la mort de Bouhier, qui ne laissoit pas de fils, elle devint,
par droit de succession, la propriété de son gendre, Ghartraire
de Bourbonne, président à mortier au même parlement, qui en
prit le plus grand soin et continua de l'augmenter comme Tat-
testent et ses notes sur les acquisitions à faire et les nombreux
articles ajoutés de sa main au catalogue que Bouhier avoit ré-
digé et écrit lui-même.
Le fils de M. de Bourbonne, président au même parlement,
hérita non-seulement de la bibliothèque de son père, mais aussi
de son zèle à enrichir ce précieux dépôt. Malheureusement il
n*eut pas de fils à qui il pût inspirer ces nobles goûts. Le comte
d'Avaux, son gendre, militaire plein d'honneur, mais plus ha-
bile à manier l'épée que les livres, apprécia peu un trésor qui
n'étoit point à son usage et témoigna le désir de s'en défaire.
Quoique la somme de 300,000 livres qu'il en demandoit fût
fort au-dessous de la valeur réelle, néanmoins cette valeur
même rendoit la vente difficile ; car les riches ne sont pas tou-
jours assez amateurs, ni les amateurs assez riches. On attendit
donc d'abord, mais on finit par se lasser d'attendre; et, lorsque
Claîrvaux offrit comptant 135,000 livres, ce prix fut immédiate-
ment accepté. Dijon vit bientôt avec douleur s'éloigner de ses
mors ce monument qui l'honoroit.
Le fonds le plus considérable après celui de Glairvaux, est le
fonds du collège de l'Oratoire de Troyes, formé d'une partie des
manuscrits des doctes Pithou. François, le plus jeune des deux
frères, avoit laissé à la ville, par son testament, non-seulement
768 nULLETIN DU BIBUOPHILE.
sa maison pour qiril y fût dressé un collège pour enseigner la
jeunesse , sans être employé ailleurs et sans que les jésuitet y
fussent aucunement reçus, mais il avoit aussi légué audit collège
toute sa bibliothèque et tous les livî'es qui se trouveraient en sa
maison. Or, la partie la plus précieuse de cette collection se
composoil d'un assez grand nombre d'excellents manuscrits, la
plupart d'une haute antiquité. C'est de là que vient, entre au-
tres, le plus ancien que nous possédions (n» 50i!i) , le traité de
saint Grégoire le Grand , De cura pastorali , en lettres OQ-
ciales, de la lin du vi'' siècle ou du commencement du vu*.
En 1630, les Pères de TOratoire furent mis en possession du
collège et de la bibliothèque. Grosley, dans la Vie des Pithou^
raconte qu'un des supérieurs de ces bons Pères, n voyant ces
maimscrits mutilés, dégradés, sans couvertures, épars sur les
rayons, les fit rassembler eu difTérents volumes, sans égard aux
matières, mais seulement aux dilîérentes grandeurs. Il en en-
tassa dans chaque volume la plus grande quantité qu'il fut pos-
sible ; et, pour économiser encore sur le nombre des volumes,
il ût traiter plusieurs manuscrits qui se trouvoient pins grands
que ceux qu'on leur donnoit pour compagnie comme Busiris
traitoit ses hôtes, c'est-à-dire en faisant couper dans le vif tout
ce qui débordoil. »
C'est dans cet état qu ils sont entrés dans notre bibliothèque,
et l'ancien vêlement de parchemin terne qui les recouvre en-
core aujourd'hui les fait reconnoître au premier coup d'œil.
Celte collection des Pères de l'Oratoire s'accrut, dans la pre-
mière moitié du xviir siècle, de deux collections particulières
qui ne manquoient pas d'une certaine importance. L'une leur
avoit été léguée par Charles Herluison, secrétaire de Tévéché
de Troyes , sous l'épiscopat de Denis-François Bouthilier de
Chavigny, et Fautre par liemy Breyer, docteur en théologie de
la Faculté de Paris, et chanoine de l'église de Troyes. Celle-ci
renfermoit plusieurs manuscrits. A côté de ces manuscrits du
moyen âge, TOraloire avoit recueilli avec soin et mis en réserve
quelques centaines de volumes, liasses et cai'tons appartenant
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 709
à la seconde moitié du xvii* siècle et aux deux premiers tien
dn xvui*. Ces manuscrits, émanés de Port-Royal et des amis
de cette célèbre maison > entre lesquels se distinguoient les
Pères de TOratoire , contiennent un grand nombre de lettres
autographes, de mémoires, de discussions, de travaux sur la
Bible, etc., qui peuvent fournir de nombreux documents et une
foule de détails particuliers pour l'histoire du jansénisme.
Nous aurons complété Ténumération sommaire de nos ma*
nuscrits si nous ajoutons aux fonds précédents le contingent
d'une centaine de volumes environ, provenant des huit maisons
religieuses qui suivent :
1* L'abbaye de Montier-la- Celle, fondée, en 650, par saint
Probert , dans un terrain marécageux près de Troyes ;
2* L'abbaye de Montier-Ramey (monasterium Arremarense),
établie, en 837, par le prêtre Arrémare on Adrémare, à quatre
lîeoes de Troyes, vers Test ;
3<> L'abbaye royale de Saint-Loup, fondée à Troyes même,
eo 888 ou 892 ;
&o L'abbaye de Larivour (Ripatorium), fille de Clairvaux,
fondée en 1139, à trois lieues à l'est de Troyes ;
5* Le couvent des Jacobins, établi, en 1232, dans la ville
même;
6* L'église collégiale et royale de Saint-Étienne, fondée, en
1157, par le comte de Champagne Henri le Libéral, qui l'atta-
cha à son palais, dont elle devint comme la sainte chapelle ;
7* La cathédrale ;
8* L'évéché.
Tous ces livres, soit manuscrits, soit imprimés, réunis dans
un dépôt commun , étoient propriété de la nation. Un arrêté
dn gouvernement, du 8 pluviôse an xi (28 janvier 1803),
mentionné dans un des registres des délibérations du conseil
municipal, sous la date du 16 vendémiaire an xiii (8 octobre
1806), folio 35 du registre, « mit la bibliothèque de FÉcole
centrale (c'est le nom que portoit alors ce dépôt) à la dispo-
770 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
sition et sous la surveillance de la municipalilé , » laquelle,
en retour, s'engageoit à nommer et à payer le conservateur de
la bibliothèque. Cependant, dès le H thermidor an ix (2 août
1801), une mission avoit été confiée au citoyen Chardon-la-
Rochette, avec des instructions générales lui prescrivant :
c lo d'examiner le nombre de volumes que renferment les dé-
pôts littéraires de chaque département; 2° de faire le relevé
des manuscrits précieux des éditions du xv« siècle, des livres
rares et de ceux qui sont enrichis de notes de savants, etc. ;
3" d'envoyer successivement au ministre les notes prises dans
chaque département, notes qui serviront, quand le travail sur
tous les départements sera terminé, pour dresser le catalogue
général des richesses de la république , et en faire une juste
répartition. »
Cet examen minutieux de tous les dépôts de livres^ confié à
un seul homme, étoit une œuvre de longue durée ; aussi, quoi-
que l'opération eut été commencée en 1801, ce ne fut qu'ai h
fin de février 180/» que le commissaire du gouvernement vint
à Troyes. On lui avoit adjoint le docteur Prunelle, professeur
à la Faculté de médecine de Montpellier. Leur travail dura
trois mois. Le docteur Prunelle mit en réserve 2,575 ouvrages
imprimés et 328 volumes manuscrits, et Chardon-la-Rochette,
2kk volumes imprimés de jurisprudence et H7 volumes ma-
nuscrits, plus 25 cartons et une liasse dont le contenu est dé-
taillé ci-après.
Tous ces volumes, manuscrits et imprimés, les cartons et la
liasse, à l'exception des 2kk volumes de jurisprudence, spécia-
lement réservés pour la bibliothèque particulière du conseil
d'État, dévoient être déposés à la bibliothèque nationale, comme
le prouvent les deux listes qui suivent, en vertu probablement
de dernières instructions plus précises que celles de 1801.
Mais, par suite de nouvelles considérations, 323 manuscrits
furent attribués à la bibliothèque de l'école de médecine de
Montpellier. Ils font maintenant partie des 5^2 articles dont
se compose le catalogue des manuscrits de cette école. On les
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 771
reconnaîtra parfaitement à leur provenance dans le premier
volume du catalogue général des manuscrits des bibliothèques
départementales.
Si à ces distractions nous ajoutons les 23 cartulaires que
Fadministration centrale du département avoit déjà envoyés à
la bibliothèque nationale, en 1799, sur la demande de Fran-
çois de Neufchâteau, alors ministre de l'intérieur, nous aurons
la somme des pertes qu*a éprouvées notre collection de manu-
scrits. Toutefois ce qui reste est encore d'une grande valeur, et
le catalogue qui suit prouvera que cette collection, telle qu'elle
est, peut être regardée comme une des plus considérables de
France.
Je pourrois étendre davantage cette note en signalant un
certain nombre de manuscrits précieux à divers titres, mais
Je pense que l'attention des savants n'a pas besoin d'être exci-
tée et moins d'être dirigée encore : je renvoie donc simple-
ment aux détails du catalogue pour éviter un double emploi.
Mais ce que je ne puis passer sous silence , c'est la recon-
naissance que je dois à la commission chargée de surveiller
l'impression des catalogues des manuscrits, pour m' avoir con-
stamment aidé de son obligeance et de ses lumières , et m'a-
voir indiqué une foule de rectifications, d'additions et de sup-
pressions.
M. Taranne qui, de plus, a bien voulu m'épargner, en s'en
chargeant lui-même, le difficile travail des tables qui terminent
le volume, est prié d'en agréer ici mes sincères remerclments.
HARMAND,
Conservateur de la bibliothèque de Troyes.
772 BOUETn DU BDUOPHIU.
LES LIVRES QUI NE SE VENDENT PAS.
Essais divers, lettres et pensées de madame de Tracy.
Paris, 4852-4856 ; trois voL in.l2.
Cette publication est particulière et n*a pas été faite dans on
but de spéculation, car elle ne se vend pas, et aucun exem-
plaire n'est rois dans le commerce. C'est à ce titre que nous
réimprimons dans le Bulletin Y avertissement de Téditear.
M"* de Tracy a voulu laisser un souvenir à ses nombreu
amis : ce recueil, publié pour eux, n'a pas d'autre prétention ;
il est donc à l'abri de toute critique littéraire, et une prélieu^e
est en quelque sorte inutile. Cependant, chargé, par une dispo-
sition formelle du testament de M""' de Tracy, d'exécuter un
travail qu'une mort prématurée l'a empêchée d'accomplir elle-
même, j'ai besoin d'expliquer en peu de mots comment je oie
suis acquitté de la tâche sacrée qui m'étoit confiée.
M"*« de Tracy avoit su se créer des ressources inépoisables
contre l'ennui, ce terrible fléau des femmes du monde. Toal le
temps qu'elle ne consacroit pas à la musique ou à la peinture ,
elle l'employoit à des études sérieuses sur la littérature et la
philosophie, et prenoit soin de consigner par écrit le résultat
de ses lectures : c'est une habitude qu'elle avoit contractée de
bonne heure et qu'elle a pratiquée toute sa vie. Elle a donc
laissé de nombreux manuscrits qu'elle avoit intention de résu*
mer pour en extraire un ou deux volumes destinés à ses in-
times. Malheureusement, la mort est venue la surprendre, et je
me suis trouvé chargé de faire ce qu'elle auroit fait infiniment
mnXBTIIf DU BIBLIOPHILE. 778
mieux que moi. M"** de Tracy u'avoit pas désigné d'une ma-
nière spéciale ceux de ses écrits qu'elle désiroit livrer à l'im-
pression ; il falloit nécessairement choisir : c'est ce que j'ai fait,
après avoir lu avec l'attention la plus scrupuleuse et en m'ar-
rètant à Tidée de donner un spécimen des divers genres de tra-
vaux auxquels M"** de Tracy s'étoit livrée. Tel est le plan qui a
présidé à la composition de ces trois volumes.
Le premier commence par le récit d'un voyage que M"* de
Tracy, qui se nommoit alors M"* Sarah New ton , fit à Plom-
bières, en 1808, sous Tégide de M"** de Coigny. Lorsqu'elle
écrivit ce charmant opuscule, plein de gaieté. M"»* de Tracy
n'avoit pas encore dix-huit ans. — Vient ensuite , dans ce
même volume , la traduction ou plutôt l'imitation de deux ro-
mans anglois, » de ces romans à peine connus en France, et
qui cependant sont tout à fait dignes de l'être. » Enfin , le vo-
lume se termine par la notice sur M. Destutt de Tracy. Cette
notice, qui avoit déjà été publiée séparément en 18i!i7, est con-
nue de tous les amis de la famille, et ils savent tous qu'elle ren-
ferme des particularités intéressantes sur la vie, le caractère et
les ouvrages de l'illustre auteur de V Idéologie,
M"^ de Tracy étoit née dans la religion anglicane ; mais éle-
vée en France , attirée de bonne heure par les pompes et la
grandeur de l'Église romaine, elle étoit catholique de cœur dès
sa plus tendre jeunesse. Toutefois, elle ne voulut embrasser le
catholicisme que par suite d'une conviction profonde, réfléchie,
et, pour atteindre à ce but, elle se livra à la lecture et à l'étude
des écrivains sacrés; mais cette étude, qu'elle s'étoit imposée
primitivement comme un devoir, devint bientôt pour elle une
véritable passion. Elle eut le courage de se mettre en état de
lire les Pères de l'Église latine dans les textes originaux, et,
après les avoir étudiés pour elle-même, elle fut prise d'un vif
désir de familiariser les gens du monde avec des écrivains qui
renferment une foule de beautés du premier ordre, et que ce-
pendant ils connoissent à peine de nom. G'étoit là se donner
une grande tÂche. H<*' de Tracy y a consacré les dernières an«
77& BULLETIN DU BIBUOPHILE.
nées de sa vie avec une ardeur, une persévérance dont il est à
peine possible de se faire une idée. Ce qu'elle a écrit sur les
Pères de T Église formeroit la valeur de plusieurs volumes
in-folio. Au milieu de tant de travaux qui malheureusement n'é-
toient qu'ébauchés pour la plupart, nous avons choisi les quatre
notices qui forment notre second volume. Nous recommandons
à Fattcntion de nos lecteurs Tétude sur saint Athanase et sur-
tout l'étude sur Tertullien , qui nous semblent renfermer des
appréciations et plusieurs passages qu'on ne s'attendroit guère
à voir sortir de la plume légère d'une femme du monde.
Les matières contenues dans le troisième volume sont beau-
coup moins sérieuses , mais peut-être plairont-elles davantage
aux lecteurs à qui ces volumes sont destinés. Ce sont principa-
lement des extraits du journal dans lequel M"** de Tracy avoit
l'habitude de consigner ses impressions de tous les instants.
C'est là que les personnes auxquelles sa mémoire est restée
chère la retrouveront avec toute la sensibilité de son cœur, avec
toute l'originalité et tout l'imprévu de son esprit. £lle parle Ut
à cœur ouvert ; elle dit tout ce qu'elle pense d'elle et des autres.
Ses amis y rencontreront à chaque page le témoignage non sus-
pect des bons sentiments qu'elle leur portoit, et pas un, j*en
suis sûr, ne lui gardera rancune pour quelques innocentes épi-
grammes qu'il eût été fAchcux de supprimer. — M""' de Tracy
a, pendant toute sa vie, entretenu avec ses amis une active cor-
respondance ; presque toutes ses lettres ont été religieusement
conservées, et on pourroit en composer plusieurs volumes. Mais
il n'est pas toujours facile de publier des lettres qui tiennent
souvent aux détails de la vie intime autant de la personne qui
les reçoit que de celle qui les écrit. Peut-être ferons-nous plus
tard cette publication. Nous nous sommes borné, quant à pré-
sent, à donner comme spécimen les lettres écrites par M"* de
Tracy à trois de ses amis. Parmi ces lettres, les unes prouvent
combien M*"* de Tracy avoit pris au sérieux ses études sur les
Pères de l'Église; les autres nous révèlent ses opinions politi-
ques. 11 m'a semblé qu'il n'y avoit aucun inconvénient à les pu-
BUIXETIN DU BIBLIOPHILE. 775
blier, et qu'on pouvoit avouer hautement les vives sympathies,
le dévouement éclairé de M"»* de Tracy pour une famille qui
n'est plus sur le trône , mais qui n'en a pas moins donné à la
France dix-huit années de bonheur et de liberté.
A. T.
ANALECTA BIBLION.
Histoire du prieuré du Mont-aux-Malades-lès-Rouen,
et correspondance du prieur de ce monastère avec
saint Thomas de Cantorbery, 1120-1820, par l'abbé
P. Langlois, directeur de la maîtrise de la métropole
de Rouen; membre de l'académie de Rouen, etc.;
Rouen j 1851. — Essai historique sur le chapitre de
Rouen, pendant la révolution, par M. Tabbé P.
Langlois, chanoine honoraire; 1789-1802; Rouen^
1855.
On lit avec un vif intérêt ces deux volumes d'un prêtre sa-
vant, judicieux et très-homme de bien, qui, prenant pour lui
toute la peine, a rassemblé les anciens témoignages et les a
coordonnés dans le silence du cabinet, pour en dégager, avec
une sûreté parfaite, Télément historique. Cet auteur, il est aisé
de le voir, chérit tendrement les touchants souvenirs qu'il nous
a si bien retracés, et l'on ne doute pas qu'il n'eût assurément
suivi l'exemple de ses prédécesseurs, s'il eût été chanoine de
Rouen ou moine du Mont-aux-Malades, quand la première ré-
volution françoise vint demander aux prêtres un serment que
répudioit leur conscience et leur foi. « Le coeur, » diiexcellem-
770 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
ment H. l'abbé Langlois, c le cœur m'a fait historien. J'ai
c( longtemps habité les cellules et marché sur les tombes des
« religieux du Mont-aux-iMalades ; j'ai joué, tout enfant, sous
« leiu-s ombrages antiques, et, prêtre, je me suis assis à leurs
« places, dans le chœur de leur église. De là, mon zèle à re-
<( chercher leurs traces et leurs noms dans les siècles passés,
(( pour leur épargner, autant qu'il est en moi, l'injure d'uni
« éternel oubli. »
Parlons d'abord de {'Histoire du prieuré du Motit-^tix-Ma"
lade-lèS'Rouen. Elle est divisée en seize chapitres. Les douze
premiers contiennent les annales de la maison depuis sa fonda-
tion vers 1120, jusqu'il l'expulsion de ses trois derniers moines
en 1791. M. Langlois va même plus loin : il nous dit comment,
en 1792, l'accusateur public du tribunal de Rouen, le citoyen
Sacquepié, se fit adjuger la maison claustrale et ses dépen-
dances, et comment l'abbé Helluy, supérieur du séminaire de
Rouen, la racheta le 13 août 1810 de madame veuve Sacque-
pié. C'est aujourd'hui le petit séminaire du diocèse de Rouen.
Mais par malheur, en retrouvant l'abri de la religion à laquelle
elle avoit dû sa fondation et toutes ses annales, la maison du
Mont-aux-Maladcs perdit son caractère. Pour l'approprier à sa
destination nouvelle, il fallut sacrifier des bâtiments, des mu-
railles, tout ce qui conservoit l'empreinte des anciens jours.
M. l'abbé Langlois dira cela mieux que nous : u Le prieuré du
(( Mont-aux-Malades n'a plus ce qu'il y avoit de monumental et
c( d'antique dans sa physionomie; les cellules des anciens
n chanoines réguliers se sont perdues dans des constructions
(c modernes, les vieux murs sont maintenant recrépis et far-
« dés. Un cénobite octogénaire qui les avoit longtemps habi-
(( tés^ les revit il y a quelques années, en 183&, et les recon-
« nut à peine. Nous n'oublierons jamais l'apparition inattendue
u de cet homme d'un autre âge, et nous croyons voir encore
0 ses traits doux et majestueux. G'étoit dom le Lorrain, qui,
« après quarante ans d'absence, venoit voir, une dernière fois,
tt le monastère d'où la tempête révolutionnaire l'avoit arraché.
BULLETIN DU BIBUOPRILE. 777
« Il parcourut lentement sa chère solitude ; il put célébrer le
« saint sacrifice dans son ancienne église. Il revit avec atten-
« drissement cette cellule où il avoit longtemps goûté les dé-
fi lices de la prière et de l'étude, et où, par hasard, nul chan-
0 gement n'avoit encore été fait. Après quelques jours passés
« dans ces lieux, le vieillard s'éloigna pour jamais, en bénis-
« tant Dieu qui avoit rendu à T Église la maison qu'elle avoit
« possédée pendant tant de siècles... Dom le Lorrain mourut
« à Vitry-le-François d'une mort sainte, le jour de la Féte-
« Dieu de Tannée 1840, dans la quatre-vingt huitième année
« de sa vie. u
Il étoit assurément impossible de mieux finir un récit, qui
d'ailleurs ne cesse d'être attachant, instructif et sincère. Le
monde, dit-on, est fait comme notre famille : l'histoire d'un
hospice consacré au soulagement des misères humaines, servi
par des hommes généralement vertueux, mais qui tous ne fu-
rent pas à l'abri des passions humaines, ofllVe au talent d'un
historien l'occasion de pages aussi instructives, et de tableaux
aussi variés que les annales politiques d'une ville, ou même
d'une province entière. M. l'abbé Langlois a su profiter d'un
grand nombre de documents inédits de tous genres; chartes
des anciens ducs de Normandie, rois d'Angleterre et rois de
France; décrets des archevêques de Rouen, bulles des papes;
procès-verbaux des visiteurs du prieuré. La correspondance
de saint Thomas de Gantorbery avec les religieux du Mont-
inx-Halades, a surtout captivé son attention ; M. Langlois l'a ti-
rée de la poussière des manuscrits et de nombreux recueils
peu consultés dans lesquels elle étoit éparpillée. Grâce à tant
de nouveaux matériaux, l'histoire de la résistance de l'arche-
vêque de Gantorbery, de son voyage en France et de sa mort,
est éclairée d'une nouvelle lumière. Regrettons seulement
que notre historien n'ait pu connoltre le beau poème qu'un
trouvère contemporain, Garnier de Pont-Sainte-Maxence, avoit
lEdt en l'honneur de saint Thomas, poème dont M. Victor Leclerc
vient de donner une excellente analyse dans le tome XXIII*
778 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
de V Histoire littéraire de la France, qui parott en ce moment.
Là, se montre mieux encore l'influence et le crédit de l'abbé
iNicolas, le célèbre prieur du Mont-aux-Malades, son dévoue-
ment pour Tarchevéque, et la communauté de leurs senti-
ments et de leurs efforts contre les violences du pouvoir tem-
porel. On sait que, toujours combattues avec moins d'ensemble
et de succès, ces violences dévoient aboutir au grand schisme
de l'Église anglicane, si contraire à la véritable liberté des peu-
ples, si bien accueilli cependant par le sentiment populaire ;
car on a souvent remarqué que le peuple a toujours été du
parti de celui qui le gruge. C'est une si belle chose que la vio- .
lence !
Le chapitre le plus important du livre de M. l'abbé Langlois
est celui qu'il a consacré à l'histoire de la lèpre et des maladre-
ries en France. L'hospice du iMont-aux-Malades ne fut guère,
en eflfet , depuis sa fondation jusqu'à sa réforme à la fin do
xvir siècle, qu'une léproserie. Rien de plus sobre, de plus atta-
chant et de plus complet que ce mémoire historique et vérita-
blement digne d'un recueil tel que celui de l'Académie des
inscriptions. On y voit l'origine et la décadence de l'horriblemal,
les moyens employés pour en arrêter ou du moins en circonscrire
les ravages, le règlement des asiles consacrés aux malheureux
qu'il atleignoit; les désordres inséparables de ces réunions
de pestiférés, dont les populations s'exagéroient encore la fu-
neste influence. Je regrette seulement que M. l'abbé Langlois
ait accepté sans commentaires le récit des historiens contem-
porains qui accusent les lépreux de toutes les parties de la
France « d'avoir formé le complot monstrueux d'empoisonner
(( toutes les eaux du royaume, afin de communiquer à tous leur
<( maladie, et ne plus être regardés comme infâmes » (page 103).
Hélas! le seul crime de ces malheureux étoil d'avoir trop sou-
vent essayé de toucher aux fontaines et aux eaux courantes qui
leur prometloient un soulagement passager. Dans leur isole-
ment, comment auroient-ils pu former une conspiration pa*
n^ilhf ? Que plus d'une fois, dans un cas d'extrême pénurie.
BULLETIN DU BIBU0PH1U. 779
les princes et les grands vassaux aient aOecté d*accuser les juifs
de tels projets, on le conçoit; Tescarcelle des juifs étoit trop
gonflée, leurs livres trop remplis de litres dont on redoutoit
Téobéance : mais les ladres, que pouvoit-on attendre de leur
dépouille ? Aussi la première pensée du complot fut-elle mise
sur le compte des juifs, et les juifs payèrent surtout pour les
victimes du mal saint Ladre. En vérité, quand on voit avec
quel manque d*égards on traitoit autrefois les juifs, on est assez
naturellement conduit à comprendre qu'ils ne soient pas aujour-
d'hui trop fâchés de prendre leur revanche.
L'ancienne église collégiale de Saint-Thomas le Martyr,
construite par ordre de Henry II, en Tannée 117/i, est la pre-
mière de toutes celles qui furent placées sous Tinvocation de
l'archevêque de Cantorbery. Ce que le temps et surtout la révo-
Itttion en ont épargné est aujourd'hui l'église paroissiale du
lIont-aux-Malades, à Rouen. Mais, dit avec un juste et touchant
regret M. Tabbé Langlois, « depuis que la paroisse a remplacé
« la collégiale, vous y cherchez en vain quelque souvenir de
(I ton illustre patron. C'est cependant la première qui, dans nos
« contrées, ait été élevée à la gloire du martyr des libertés de
« l'Église. Un roi victorieux et repentant, qui lui atlribuoil ses
« triomphes inespérés, l'avoit bâtie et dédiée sous le nom de
« Saint-Thomas. Pendant plus de six siècles, le peuple fidèle y
tt vénéra ses reliques, y célébra sa fête : aujourd'hui il n'y reste
m pas un vestige de son culte, pas un autel, pas une image, pas
« une inscription qui rappelle au moins son nom dans ces lieux
a qu'il affectionnoit, qu'il honora de ses lettres, qu'il enrichit
« de ses aumônes quand il fut dans l'opulence, et d'où lui vin-
o Fent tant de consolations, lorsqu'il connut le malheur et la
(4 pauvreté. » Des regrets si bien exprimés font honneur au
cœur et à la sincérité de l'historien, et Ton ne peut s'empêcher
de faire avec lui des vœux pour qu'un autel, un sanctuaire
soient au moins réunis sous l'invocation de saint Thomas Bec-
quet, dans une église fondée jadis en son honneur par le prince
qui venoit do lui donner une place au milieu des martyrs.
5f
780 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Les deux chapitres xiii et xiv nous offrent, le premier This-
toire littéraire de Tancien prieuré; l'autre, le tableau des
mœurs et Torganisation de cette maison hospitalière. Le Ment-
aux-Malades possédoit une riche bibliothèque, et compta des
supérieurs et des religieux savants, habiles et recommandables
par leurs ouvrages. Au premier rang se place^ ûnsi que nous
Tavons déjti remarqué, Tabbé Nicolas, cet ami, ce conseiller de
saint Thomas Recquet. M. Langlois nous a conservé plusieurs de
ses lettresqui le montrent comme un latiniste exercé, comme on
théologien sévère, comme un homme de sens profond et d'ex-
cellent jugement. Dans les temps modernes, les chanoines régih
lîers du Mont-aux-Malades prirent part plus d'une fois à ces
concours pieusement liltéraires qui, sous le nom de Puy des Pâli'
nods, appcloit à Rouen, chaque année, les poètes et les musi-
ciens de toutes nos provinces, dans Tespoir d'y recevoir des cou-
ronnes. Il y eut pour présider ces assemblées qui préludoient à
nos académies, plusieurs princes choisis dans leur maison. En
1520, sous le principat de maître Guillaume d'Attigny, prieur de
Saint-Thomas le Martyr, le Puy des Palinods fit représenter une
moralité à quatre personnages, intitulée le Triomphe des Nor*
mands. Plus tard, en 1036, les prix de la confrérie étoient dis-
putés et souvent gagnés par Antoine Corneille, humble religieux
du Mont-aux-Malades, dont les triomphes n'avoient pas le
retentissement et nous devons ajouter l'importance de ceux de
son frère, le grand Corneille : toutefois, les vers que cite
M. l'abbé Langlois ne sont pas k mépriser, et justifient parfai-
tement les lauriers dont le prince du Puy de Rouen couronna
le modeste front du bon religieux. On lit encore avec plaisir,
dans notre volume, une excellente notice sur la vie et les ou-
vrages de François Rertaud de Freauville, prieur du Mont-aux-
Maladcs, frère de madame de Molleville. C'est lui qui, si l'on en
croit quelques contemporains malveillants, avoit mérité le
surnom de Bertaud l'Incommode, Il avoit du savoir et de la
facilité ; il faisoit des vers, jouoit du luth et chantoit même
d'une façon remarquable, bien que sa voix n'égalât pas Tagré-
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 781
ment, la douceur et la pureté de celle du célèbre Bertaud^ son
homonyme. M. Fabbé Langlois, qui n*a rien ignoré, cite, à ce
propos, des pages entières de Talleroant des Beaux ; et je dois
reconnottre que le dernier éditeur des Historiettes eût tiré
grand proût des recherches de M. Tabbé Langlois, sUl les eût
plus tôt connues. Mais il ne s*étoit pas avisé d'aller chercher,
dans Y Histoire du prieuré du Mont^aux- Malades^ de nouvelles
lumières à Tappui de son Commentaire.
On trouve encore ici de bonnes notices sur la vie et les ou-
vrages de dom Lelarge, de Tabbé Talbert et du savant astronome
dom Pingre, mort en mai 1796, un des premiers membres de
rinstitut de France. Pingre, qui avoit courageusement refusé
de prêter le serment constitutionnel, fut le seul homme illustre
de cette maison du Mont-aux-Malades qui mourut en dehors des
saitiments d'un vrai chrétien. A force d'étudier les étoiles et les
mondes célestes, il fmit, comme Lalande, par ne plus rien voir
au delà des cieux. «L'ancien martyr de la vérité,» dit M. l'abbé
Langlois, u le liturgiste scrupuleux qui avoit corrigé les offices
a romains en usage dans sa congrégation , expira en citant des
« passages du poète épicurien de Tibur :
Rxacto contentus tcmporc vitas
Ccdat, uti conviva satur »
Je n'ai pas le temps de m' arrêter sur les derniers chapitres
de cet excellent livre, qu'on peut avec raison regarder comme
nn modèle d'histoire particulière. Je laisse de côté le curieux
tableau des mœurs anciennes, la description archéologique des
bâtiments et des pierres tumulaires, des inscriptions, des reli-
ques de l'abbaye ; la chronologie raisonnée des prieurs, enfin
les pièces justificatives. Mais je vais consacrer les dernièn*s lignes
dont on me laisse la disposition à l'examen du second ouvrage
de M. l'abbé Langlois, V Essai historique sur le chapitre de Rouen
pendant la révolution, f/cst la relation vraie, touchante et dou-
loureuse de toutes les épreuves auxquelles ces dignes et coura-
geux prêtres furent soumis dans les premiers jours de nos longues
782 BUUETIN DU BIBLIOPHILE.
discordes civiles. Ici je ne puis m'emp^cher de citer quelques
passages de la lettre qu*unc personne non moins recommandabte
par l*éIévatioD de son esprit que par la grandeur de son nooi,
vouloil bien in'écrire,ii y a quelques jours, à propos de cet ou-
vrage : <( Rien de touchant, monsieur, comme le simple récit de
« tant de souiïrances et de sublimes misères. On croit lire une
(( suite du Martyrologe. Ces héros chrétiens, victimes de la fm,
(( supportant les privations, les traitements les plus horribles^
(f pour ne pas renier leur croyance, sont à la hauteur des pre-
« miers chrétiens torturés par les idolâtres, et tons leurs
(( noms doivent assurément être religieusement conservés dans
« les annales de chacun des pays auxquels ils appartiennent.
« Dès mon enfance, j*ai entendu prononcer leurs noms avec
(' respect ; j'ai pu voir dans leur vénérable vieillesse quelques-
(( uns de ces précieux débris ; et je comprends l'empressement
« avec lequel nous recueillons aujourd'hui tout ce qui noos
« parle d'eux. Plusieurs appartiennent à des familles qui ne
« sont pas éteintes ; et quel plus beau titre de noblesse que de
« compter parmi ses ancêtres des saints et des martyrs I C'est
(( donc un utile enseignement pour l'histoire que ces pages de
c( M. Langlois, écrites avec tant de sincérité, un respect si
<( religieux, une modération si grande. Et dans notre France,
c si riche en dévouements héroïques et en sublimes sacrifices^
(t combien il seroit h désirer qu'il pût se rencontrer de nom-
<( breux écVivains pour réunir, quand il en est temps encore,
n tant de documents d'un intérêt incomparable ! Mais ne pen-
« sez-vous pas, monsieur, qu'il faudroit se hâter? I..es derniers
« chaînons qui nous rattachent au passé sont bien près de se
u rompre ; et bientôt on ne retrouvera plus la trace des pas de
« ceux qui ont hiissé de si grands exemples. »
Que pourrois-je ajouter à ces excellentes paroles? Rien assu-
rément, sinon que VEssai historique sur le chapitre de Rouen
est divisé en quatre articles. Dans le premier, M. Langlois
nous fait connoilrelo nom de tous les chanoines qui assistèrent
à la dissolution de leur rompagnie en 1790, et nous raconte
DULLëTIN du OIOLIOPHILE. 7S3
les attaques, les résistances, les délibérations, les conférences,
ea 00 mot, tous les événements qui précédèrent cette dissolu-
tion. Nous revivons au milieu des scènes émouvantes de 1789
et 1790. Ici c*est le premier discours du neveu du vénérable
cardinal de La Rochefoucault, archevêque de Rouen , le jeune
abbé de Pradt^ qui, dit M. Tabbé Langlois, u alloit débuter dans
« la législature ù côté de Cazalès et de Maury, pour unir entre
« Foy et Benjamin Constant, après avoir été le docile agent de
m la politique impériale. » Là, c'est la dernière et courageuse
protestation des chanoines, adressée aux bourgeois de Rouen,
chargés de Texécution du fatal décret de l'assemblée natio-
nale. Inutiles efforts ! le 28 décembre, les portes de la cathé-
drale de Rouen demeurèrent fermées au chapitre métropoli-
taiO| et les chanoines, expulsés de leurs sièges, durent se
borner à des protestations mentales, jusqu'au moment où Ton
devoit leur interdire jusqu'au droit de se taire et de laisser
passer tranquillement l'oppression, sans faire chorus avec les
oppresseurs.
Nous suivons, dans les trois autres chapitres, ces vénérables
chanoines dans toutes les épreuves auxquelles les exposoit leur
foi robuste, leur résistance, et surtout la fureur de tous ceux qui
Yoyoient, dans la fermeté des vrais ûdèles, la condamnation de
leurs excès, de leurs opinions ridicules ou, pour le moins, de leur
foiblesse. Le chapitre, par l'organe de l'un de ses chanoines les
plus habiles, l'abbé Baston, entretient le mouvement de polé-
mique nécessaire à tous ceux qui, victimes de la violence, sentent
le besoin de ramener les indécis, et de démasquer les instru-
ments de sottes ou mauvaises passions. L'évèque constitutionnel
de Rouen, Beaulieu, eut beau s'entourer d'une cohorte de
lévites assermentés comme lui, le sentiment chrétien répugna
toujours à ces ministres de l'Église que le chef de l'Église
désavouoit. Mais quand les grands orages furent passés , quand
le clergé constitutionnel, pressé comme il l'étoit par l'opinion
publique, en vint à douter, à rougir de lui-même, il fallut
éviter un autre danger, celui de l'intolérance à l'égard de tous
78& BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
•
ceux qui avoient obéi aux puissances de la terre : les vieux
débris du chapitre de Rouen donnèrent encore, à 1* époque du
concordat, Texcinpie de la modération et de la charité ; oubli
du passé, respect au saint-siége qui, sagement, faisoit de rin-
dulgence une loi, telles furent les règles dont il ne se départit pas.
On aime à suivre, avec M. Langlois, chacun de ces dignes
confesseurs, dans les dernières années de leur pèlerinage. La
tranquillité de conscience est la meilleure garantie d'une longue
vie ; au moins voyons-nous, en dépit des plus rudes épreuves,
le plus grand nombre des chanoines de Rouen mourir octogé-
naires. Leur historien, tout en traçant avec chaleur le tableau
de leur vertu et de leur noble résistance, a su jeter avec art
quelques ombres dans la perspective ; il nous montre cet abbé
Baston, longtemps sur la brèche, payer enfin le tribut à la foi-
blesse humaine, et, fatigué de dix années de luttes, se montrer
un des plus ardents apôtres de Tobéissance passive, quand re-
commencèrent les luttes de TÉglise avec le souverain de la
France. Il n*oubIie pas Vaumônier du dieu Mars^ le célèbre
abbé de Pradt, qui n'avoil assurément pas appris, au milieu des
chanoines de la cathédrale de Rouen, à sacrifier les principes
de la conscience aux convenances d*un jour, à la volonté d*un
homme, cet homme fùt-il le maitrc du monde. iM. de Pradt étoit,
avons-nous dit, le neveu du vénérable cardinal de La Rochefou-
cault, mort dans Témigration peu de jours avant la signature du
concordat, et dont M. Langlois nous racontera bientôt la vie.
C'est là, du moins, ce qu'il nous promet, et ce travail sera sans
doute le couronnement de rexcellent Essai historique sur fe
chcpitrc de Rouen, dont nous venons de parler.
Paulin Paius.
0
r
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 785
REVUE
DB
PUBLICATIONS NOUVELLES
— Les actes et gestes merveilleux de la cité de Genève ^ par
Anthoine Franiment, mis en lumière par Gustave Revilliod;
Genève, Jules-Guill. Fick, 1854; 1 vol. in-8 de 500 pag., por-
trait et vignettes. Antoine Fromment, natif du Dauphiné , et
compatriote de Farel, prit une part active à rétablissement
de la réforme à Genève, et aux guerres que cette ville soutint
IK>ur conserver son indépendance et sa nouvelle religion. Lors-
que la paix fut établie, Fromment recueillit les matériaux né-
cessaires pour écrire Thistoire de cette époque, et après avoir
achevé ce travail , il le fit imprimer. Mais le conseil de Genève
y découvrit des passages qui ne lui convinrent pas, et supprima
Tédition entière. Aucun exemplaire n'a échappé à cette des-
truction. M. Revilliod a publié Tœuvre de Fromment sur le
manuscrit autographe déposé aux archives de Genève, et il y a
ajouté les Extraits des registres publics de Genève^ d'après
Floumois, depuis 1532 jusqu'en 1536. Cet ouvrage est indis-
pensable à tous ceux qui voudront écrire ou connoître l'histoire
de la ville de Genève , et celle de la réforme calviniste. Les
portraits et les nombreuses vignettes dont ce livre est orné, ont
été dessinés par M. Gandon, et les majuscules historiées sont
celles qu'employoit Badius , le célèbre typographe, beau-frère
de Robert Ëstienne. Ge volume, imprimé en beaux caractères,
sur papier chamois, coûte 10 fr. à Genève.
— Notice littéraire et biographique sur le comte Théodore
Hostopchine (1765-1826), par S. Polstoratzki, 1854, brochure de
6k pag. Rostopcliine, rendu célèbre par l'incendié de Moscou
en 1812, catastrophe terrible, qif il désavoua plus tard, on ne
sait pourquoi, et qu'il chercha vainement à attribuer aux Fran-
çois, est l'auteur de plusieurs ouvrages en russe et en franrois.
780 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
M. Polstoratzki cite un païuphlet intitulé : lUflexions à haute
voix sur le Perron rouge, 1807; Les faux bruits, comédie
représentée en 1808; des proclamations et des lettres publiée»
en russe et en françois; !.a vérité sur l'incendie de Moscou,
1823. On a dit de cette brochure que la Vérité de Rostopchine
n'avoit servi qu'à obscurcir la vérité. Un quatrain inédit, en
vers françois , et enfin ses Mémoires écrits en dix minutes. Ce
dernier opuscule, écrit en françois, est fort original. Il est
reproduit en entier dans celte notice » d'après le manuscrit de
Tauteur,
La famille du comte Théodore Rostopchine a fourni d'autres
écrivains distingués. Sa femme, la comtesse Catherine, a publié
en françois, sous le voile de Tanonyme, plusieurs ouvrages reli-
gieux ; son fils, le comte André, né en 1813, a composé en
françois une Histoire universelle, imprim. à Moscou, 18^3*4&;
2 vol. in-8. Enfin, la comtesse Eudoxie, femme du comte
André, est un auteur et un poète russe, dont les productions
sont fort estimées; elle a écrit, en outre, de charmantes poésies
en françois.
— Notice historique sur le scel communal, les armoiries et les
cachets municipaux de la ville de Dunkerque, par J. J. Garlier.
Dunkerque^ 1855; in-8, fig. Cette brochure de 72 pages, est
extraite des Mémoiirs de la Société dunkerquoise pour VencoU"
ragement des sciences , des lettres et des arts. Elle reproduit les
sceaux de la ville de Dunkcrque, depuis 1226 jusqu'à nos jours.
M. Carlier a rattaché à cette notice, une curieuse dissertation
sur les sceaux des communes au moyen «Ige^et quelques détails
intéressants sur les armoiries. On y trouve encore le récit des
principaux événements de Thistoire de Dunkerque, qui ont
donné lieu aux modifications successives du sceau de la com-
mune. Dix empreintes dcscels et de contre-scels, dessinées pv
M. Arth. Forgeais , ont été gravées dans le texte par M. Tb.
Hildebrand.
V
BULLETIN DU BIBLIOPHILE
ET
CATALOGUE DE UVRES RARES ET CURIEUX DE LITTÉRATURE,
D* HISTOIRE, ETC., QUI SE TROUVENT EN VENTE
A LA UBRÀIRIE DE J. TECHENER*
MAI et JUIN — 1856.
385. Articuli orthodoxam religionem sanctamque fi-
dem nostram respicientes, à S. theol. profess. Lova-
niensis univers, editi, etc.. — Les articles concernant
la vraie religion et saincte foy catholique, composez
par les doct. en théol. de l'univers, de Louvain, et mé-
ritoirement confermez par la très sacrée Maj. Impé-
riale... Lovaniiy 1645; in-4" de 12 ff., v 28—»
KàMM rr ccRiBcx. — Charles-Quint, voyant à son très-grand regret et des-
pimdr que malgré la sévérité de ses édits, les hérésies et mauldictes secte s
meotrej ne sont extainctes : ains que publiquement et occultement se e«-
pmrdent et entretiennent de plus en plus, mande aux docteurs de Louvain,
de rédiger aucuns articles resolutifi des poincti que au faict de nostre foy
et religion lesdicts hérétiques mettent en dispute et controtferse. Dont la te-
nemt ientuit. La doctrine catholique, exposée en 32 articles par les théolo-
giens de Louvain, est suivie d*un édit de Charles-Quint, daté de Bruxelles,
le 14 mars 1566 (1565). Nous en citerons les premières phrases :
P^rquoy et que iceuU articles estons veui et visite% en nostre conseil
S4NII esté trouve% bons et catholiques, nous avons iceulx, en tant que en nous
e$i^ auctorisé et auctorisons : requérons et admonestons tous evesques et
prélats d^ église de quelque qualité et condition qu'ils soient ^ et comme pro-
tecteur et conservateur de nostre saincte foy, leur mandons qu'ils agent à
em9oger à leurs vicaires,,., copie auctenticqut desdicti articles, affin de les
distribuer à tous les cureik et par tous les monastères mendions et non
mendions.... pour les prescher ouvertement et clerement en leurs urmons^
Lesquels evesques et clergé, tant exempt* que non exempt%, se debvront ran^
ger selon iceulx^... et feront procéder contre les transgresseurs... en les
aistm punir exemplairement.
55
788 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
L'histoire des pays catholiqaes nous offre peu d'exemples d'un icmfe-
rain qui ait osé s'immiscer d'une manière aussi absolue dans les aflairea
ccclt'^siastiques, en faisant examiner par son conseil des articles de foi i^
ligicuse , les approuvant de sa propre autorité, et les imposant au ctefigé
comme rbgle de conduite, sons peine de chfttiment exemplaire.
386. Basiui magni de instituendâ studiorum ratione, gr.
lat., cum annotât. Justini Gobleri. — Joan, Pici Hirao-
dule opuscula : De homine ; De Ghristo et mundo ; De
vita christianâ; Commentaria inPsal. XV. — Rodolphus
Agricola, De formando studio. — Erasini Roterd. ratio
colligendi exempla.,— Pliil. Melanchtonis Delociscom-
munibus ratio. — Petrus Fladrunus, Locorum com-
munium index. BasUcœ^ Henricus PetruSy 1537; 1 vol.
in-8, mar. v. , fil., tr. dor 36 — •
Très-rare. — Basile le Grand, archcvOquo de Gésaréc, saint Père grec du
rv> siècle, a laissé plusieurs ouvrages. Il écrivit son livre De instiiuendâ
studiorum raiione, pour recommander k ses neveux la lecture des anciens
poC'teset des anciens rhéteurs. Léon Arétin avoit déjà traduit cet opuscule
en latin. Justin G obier, jurisconsulte allemand, mort à Francfort en 1567,
le traduisit de nouveau ; mais il joignit à sa traduction le texte grec et des
commentaires assez étendus. L'épîtro dédicatoirc de J. Goblcnr est datée
de Trêves, septembre 1537. Cette œuvre ne formoit qu'un tome de 124 pa-
ges. Afin de lui donner une ampleur sufllsante, Timprimeur ijouta quatre
opuscules de J. de la Mîrandole, sur la morale et sur les règles d'une TÎe
cbrétienne ; une lettn» sur la métliode d'étudier, par le célèbre Rodolphe
Agricola, Tua des restaurateurs des sciences et des lettres en Europe, an
XV* siècle ; et enfin, trois petits traités du môme genre écrits par Érasme,
par Melanchton et par Pierre Fladrun. Ce dernier auteur est presque in-
connu. Né à Walkilch, en Brisgaw , il étudia à Fribourg, devint un hlr
bile pbilologuc et professa à Roubaix, où il mourut jeune le 18 octotre
1526.
Ce recueil est très-r/ire, et il acquiert une ccrtaijio importance par la
réunion de ces (>])usculos, fort peu communs, composés par des savants
dont les ouvrages sont toujours rcdiercliés.
387. Belleforest. La chasse d'amour, avec les fables de
Narcisse et Cerbère, ausquclles sont ajoustés divers
sonetz, par F. de Belleforest, Coinmingeois. Parût
Viuc. Sertenas, 1561; in-8, mar. r. lil., tr. d. {Thomp'
son) 75—»
BULLETIN DU BIBUOPHILB. 789
Tftfcs-RARE. — SuPERBB BXB1IPLAIRB. — Fraoçoîs de Belleforest, né à Sar-
XAn, dans le pays de Coromingcs, en novembre 1530, mourut à Paris le
!•' janvier 1583. Il s'exerça, sans beaucoup de succès, dans tous les genres
d'écrire. Son Histoire des neuf rois qui portèrent le nom de Charles, lui
▼alut le titre d'historiographe de France. Ami de Ronsard, de Baîf et de
Daverdier, il voulut se livrer à la poésie, mais il se lassa bientôt de com-
poier des vers qu'on lisoit peu. On ne sera point étonné de cette indiffé-
rence pour les oeuvres poétiques de Belleforeit, lorsqu'on aura lu quelques-
ans de ses vers. Voici la dernière stancc de La chasse d'amour :
Chasse d'amour, qui jadis me sacras
A dcu\ archers, à deux hautes puissances :
Or consacrée icy par moy seras
A deux bcautez, et à deux excellances.
Pbœbus, Amour ont causé les essances
Par qui je vis, et par qui tu vivras :
Tu auras nom, essence, et vol, et csles,
Du nom, du taint, de deux chastes pucelles.
Beileforeat avoit dédié son livre à mesdemoiselles Marguerite et Marie de
Goieblanche. Parmi les nombreuses pièces qui suivent La chasse d'amour
nous citerons seulement les quatre premiers vers d'un sonnet :
Phebus, Cupidon, Mar», son ray, son feu, son branc,
Pour luire, pour bruslcr, pour du tout me deffaire
Qiassent et rendent vains, et sans estre vont faire
Mes f redons, mes désirs, et ma vie, et mon sang.
Vallusion aux affaires du temps, sur la fable de Cerbère, chien portier
€ enfer, osté de son règne par Hercule^ renferme des idées assez heureuses
qui auroient mérité d'être mises en œuvre par un meilleur poëte.
388. — La pastorale amoureuse, contenant plusieurs
discours non moins proufitables que récréatifs, avec
des descriptions de paisages (en vers), par F, de Belle -
forest, Commingeois. Paris, J.HulpeaUy 1569; pet. in-8,
réglé, mar. r., tr. d. (Duru) 75—»
Tais-RARB. — Fort bel exemplaire. — Voici lo début do la Pastorale
amoureuse :
Au plus froid de rh3rver, comme espris tout en fen
Les Nymphes de ce mont tant nuit que jour m'ont feu
Arresté sur le bord pierreux d'une fontaine,
Contemplant le surgeon clerluisant de sa veine,
Laquelle en plein hiver ressent le feu en soy,
Kt en l'ardeur brillant d'enté a ne sçay quoy
700 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Qui non moins Tenfroidist que si de glace esprise
La terre se vestoit d*une gelée grise
Herissonnant le tout des horreurs de l'hiver.
La Pattorale amoureuse est dédiée à Loys de Toumon, leîgnear d*Ar^
lan ; cette dédicace est suivie d'une pièce de vers adressée à Claude de Tu-
renne, dame de Toumon, par Jean Willemin, Bourguignon, précepteur du
seigneur d'Arlan. On trouve à la fin du volume un ionnet à M. d'Arian,
composé par Jacques Moysson, et une pièce en vers latins de Claude Sel-
lier de Langres. Cet opuscule de Cl. Sellier renferme un tableau sommaire
des dévastations commises pendant les guerres civiles.
389. — Discours sur Theur des présages advenus de
nostre temps, signifiantz la félicité du règne de nostre
Roy Charles neufiesme très-chrestien ; par F. de Bel-
leforest, Comingeois. PariSy 1572; pet. în-8. . S6 — n
Très-rare. — Bellerorest vivoit du produit de sa plume, aussi arUil pu*
blié plus de cinquante ouvrages tant en prose qu'on vers. Ses écrits histo-
riques ne sont que des compilations ; nous avons vu que ses poésies, pres-
que toujours composées à la li&to, sont loin d'être des chefs-d'œuvre. El
cependant nous préférons ses vers les plus mauvais à son Diâcoun tur rktur
des présages^ car ce discours est ime apologie des massacres de la Saint*
Bartliélemy, écrite au mois do novembre 1 572, et dédiée à René de Voyer,
vicomte de Paumy, bailly ot gouverneur du pays de Touraine. L'aateor
passe on n^vue les signes miraculeux qui ont présagé les divers événemenU
du règne du bienheureux Charles neuvième. « S'il y eut onques saison en
< laquelle Dieu ayo donné quelque démonstration de sa volonté par les
> signes extérieurs, ça esté de nostre temps et du règne de ce bienkeU'
« reux Cliarlcs neuflesme, que les marques en ont apparu, et que soadaio
« au signe l'effaict a esté adjousté. »
Belleforest cite le débordement de la Seine et l'apparition d'une armée
dans les nuages en 1562 ; la famine et la peste qui désolèrent la France, de
1562 à 1565 ; la rigueur de l'hiver en 1566, la violence dos orages pendant
l'été de 1567, la tempête qui éclata sur Paris, lorsciu'ou démolit la croia
de Gastino, l'aubépine qui fleurit le jour de la Saint-Barthélemy, etc. • Un
« jour de feste d'apostre escorché et crucifié, a f*sté celuy qui a ruiné les
« ennemys de la croix, les tyrans et meurtriers des gents d'Église.... Ce
« sainct et glorieux fils de celuy qui tient les eaux en suspens..... a faict
« tonner l'ire de Dieu sur la teste de Coligny et de ses complices, et rBn-
« plissant le roy et les princes de l>ons désirs, et renforçant le ccsor de sa
« noblesse, et la main du peuple, a rendu la paix à ses si^tz... •
A cette apologie en prose, Belleforest a ajouté un Cantique de ra^ottlè'
sance, pour la clarté rendue à l'Église et royaume de France, Noos en ci-
terons quelques vers :
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 791
Mais (ô Diea ! ) ta as faict que la main glorieuse
De noslre roy heureux, que sa main bienheureuse
A occis tout à fait lo serpent renaissant.
Et la force duquel alloit en accroissant.
As faict que nostre roy étestant comme gerbes
Les sommets arrogants des lyons plus superbes,
A l'aigle mise à bas que Coligny portoit.
Et ruyné le nom qui de tant se hauçoit.
Le Yolume est terminé par un sonnet de Jacques Moysson, et deux sofi-
mêU de Belleforest, adressés au roi et à la France.
390. BoEMUS. Liber heroicus de musicœ laadibus; Car-
men sapphicum de laude et situ Ulmœ, civitatis imper.
Sueviae ; cum multis aliis carminibus (auth. Jo. Boemo
Aubensi, Tbeutonicorum ordinis praesbitero) . (Augustœ
Vindelic.., J. Miller j 1515) ; pet. in-A», vél. .. . 35—»
Rarb. — Jean Boêm, prûtre de l'ordre teutonique, étoit né à Aub (Fran-
conie) , dans le xv* siècle ; il résidoit à Ulm, en 1515. Ces renseigne-
ments sont extraits do son liTre, et ce sont les seuls que nous ayons pu
déeoavrir. Plusieurs de ses poésies portent cette souscription : J. B. A.
(ioan. Boemus Aubensis), theutonieus dominus non latinus. L'auteur a
èédié son Éloge poétique de la musique à son compatriote, J. Zehender,
cnré à Aub. D'après cette dédicace, Zehender étoit non-seulement un in-
itnmientiste distingué, mais encore un excellent compositeur.
BoCm fait l'éloge des cantilènes de Zehender, et surtout d'une hymne à
lahit Sébastien, qu'il avoit composée pendant que la peste désoloit l'Aile-
magne. La description de la ville d'Ulm, au commencement du xvi* siècle,
flrt fort curieuse. Ce petit poème en vers saphiques est suivi de poésies
sacrées, de conseils à la Jeunesse et de quelques épigranunes. Nous avons
remarqué un sixain {hexastichon) en l'honneur de J. Buchner, organiste
et JoDOur de guitare.
391. Capelloni. Les divers discours de Laurent Capel-
loni, sur plusieurs exemples etaccideos meslez, suivis»
et advenuz (trad. d'ital. en franc., par P. de Lari-
vey). Troyes^ J. Le Noble y 1595 ; 1 vol. in-12. » — »
TaÈ»-aARB. — Laurent Capelloni dit dans la préface , qu'il composa ses
Diêdoun en vingt Jours , à l'époque des vendanges , dans une maison de
campagne qu'il possédoit au village de Busset , situé entre Gènes et Novi,
etqn*il mit la dernière main à son ouvrage, après son retour à Gènes,
pendant les longues soirées de l'hiver. Tels sont les seuls renseignements
792 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
quu nous ayons pu décuuvrir sur Capelloni. Quant au volumo, il ii*cst pu
moins inconnu qu(; l'auteur; cependant, lie viste peu do livres aussi curicoi
hur les guerres d'Italie, du temps de Charles YIII, de François I^' et de
Henri IL L'auteur raconte les hauts faits des plus célcbres capitaines fhuH
çois et italiens , ainsi que les épisodes les plus remarquables des gaerreB
et des dissensions qui agitèrent l'Italie, depuis ili9h jusquVn 1550. Il est
probable <iuo Ca|)elloni avoit été témoin de la plupart des événements qu*il
rapporte, puisqu'il a pu les écrire do mémoire. Nous avons remarqué des
détails intéressants sur la mort do Henri II, en 1559. On ne trouve qu'on
seul fait postérieur à cette date, la mort du sultan Soliman pendant la
guerre do Hongrie, en 1306. Les Discours de Capelloni sont indispcDsablcft
à tous ceux qui voudront écrire l'histoire de France ou l'histoire d'Italie,
pendant la première moitié du xvi« siècle. Nous ferons observer que les
dates des événements relatés dans ce volume, sont toujours inscrites sur les
marges.
Cet ouvrage a été traduit en françois par le célèbre champenois P. de
Larivcy, l'auteur des Comédies facétieuses^ et fort bien imprimé à TVoyet,
par Jean Le Noble. Le livre de Capelloni a été décrit avec soin, et la mai^
que singulière do l'imprimeur a été reproduite dans le Bulletin du hiblith
phile (année 18/i7, p. ft/'i).
892. Chef-d'œuvres {sic) politiques et littéraires de la fin
du x\iu* siècle, ou choix des productions les plus
piquantes... S.n., 1788; 3. vol in-8, br. non ro-
gnés 24—»
On auroit peine à retrouver dans les journaux du temps, ou bien en
éditions originales, les pièces curieuses rassemblées dans ce recueil; on y
remarque : Détails historiques sur Paris, Le Uuc€ des femmes entretenweif
Les vestes à la mode, etc.
393. CoMiTis Bellocassii (Stephani) Sylvula carminam,
cum nonnullis epitaphiis Marci Laurini et Joh. Lodov.
Vivis. Brtigis, typis Roberti Gualteri etErasmiVerreeetg
sociorum typographorum (in fine :) veneunt in Burgo
Shnoni Vander Mueleriy prope fores D. Donatiom^ 15AA •
pet. iii-8% V. m 45— n
Très-bel exemplaire d*un livre rare. — Etienne Cornes, chanoine de
s. -Donatien à Bruges, naquit à Cass^îl ( Flandre occidentale) , dans le
xv« siècle, et mourut à Bruges vers 1543. Il avoit pris le surnom de BelUh
Cassius, de Cassel , sa patrie, et d'un village voisin nouuné Belle. Il exerça
pendant vingt-ciuatre ans l'emploi de secrétain; du cliapitre do S.-Donatien.
Le chanoine Antoine Scoohovius, publia les vers latins de non coUègae et
BULLETIN DU BIBUOPfllLB. 703
y Ajouta les épitaphe» écrites par divep» poCtes, en IMionneur de Marc
Lauriniu et de Jean-Louis Vivî^s, également clianoines de S. Donatien. Ce
recueil de poésies latines appartient complètement à la Flandre : auteurs,
éditeur, imprimeur, tous sont Flamands. On trouve sur le dernier feuillet
Im armes de la ville do Bruges, et sur le titre la marque fort curieuse do
l'imprimeur.
Nous n'avons point osé traduire le nom de Comes par Comte ou Le Comte;
car il nous paroi t probable que le niot Comes est la traduction latine d*un
nom allemand.
Void répitaphc et le testament d*Étienne Comes écrits par lui-même :
Epitapiuom.
Hoc Jacoo in tumulo, priùs at quàm munore vite
Exuor, in veto hoc promero carmcn erat.
Hue veni, hîc vixi, pcrcgrin» fabula vitas,
Nunc acta est, rcdeo vita ubi perpes crit.
Cygneo sic more mei sum funeris ipae
Cantator, longum, qui legis ista , vale.
Testaue^tcm.
Cœlo animam, do corpus humo, do cœtera mundo,
Ut capiat partem quilibet Inde suam.
soi. Constitutions de Tabbaye de Notre*Dame de la
Trappe. Paris, 1671 ; pet. in-12, v. br C2— »
L'ordre de CIteaux fut réformé à Tabbaye de la Trappe, en 1662, par
Armand-Jean Le Boutliillier do Rancé. Les règles établies par Tabbé de
Rancé, étoient tellement sévères, qu'elles trouvèrent des détracteurs. On
s*eflrayoit de ces austérités qui contrastoient si vivement avec la vie relâ-
chée des autres monastères. Un silence presque absolu, le travail des mains
pendant trois heures par jour, la prière, la méditation, la réclusion dans les
cellules, une nourriture peu substantielle, et très-souvent le jeûne, une in-
différence complète pOur la conservation de la vie, tels sont les points prin-
cipaux qui servent de bases aux Constitutions de l'abbaye de la Trappe.
Au surplus, on lit dans la préface : « Quiconque voudra demeurer dans
le monastère de la Trappe, n*y doit apporter que son Ame, la chair n'a
qoe faire lÀ dedans. Ce n'est pas là qu'il faut ménager sa santé, ny exami-
ner les diverses qualités des viandes... Les maisons religieuses doivent
Hre des écoles de pénitence. »
Ces Constitutions, imprimées pour la première fois à Paris, en 1671, ont
toi^urs été rares, et fort peu connues au dehors des couvents. On nous
permettra de citer, pour Tédillcation de nos lecteurs, quelques passages
des chapitres les plus curieux :
c On se lèvera à deux heures pour Matines; il faut mieux prévenir d'une
79& BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
heure que de retarder d'un quart d*heure. Oa fera l'espace d'entre les
coups fort petit pour ôter lieu à la paresse.
« On ne crachera au chœur que dans les crachoirs, que Ton tiendra les
plus nets que Ton pourra...
ff On ne tournera jamais la tôte dans le dortoir, et Ton y marchera avec
gravité et modestie, n'y ayant rien de si indécent à un moine que de mar-
cher avec légèreté en quelque lieu que ce soit.
n Pendant que Ton ne sera point au chœur ou au travail, ceux qui ne
seront occupés à aucun office particulier, seront au dortoir et garderont
leurs cellules. Les supérieurs auront soin de les ouvrir de temps en temps
pour voir si les religieux employcnt le temps utilement.
« Chacun, au retour des Matines, prendra ses souliers...
« On ne laissera jamais ouvertes les portes du dortoir, non plus que les
autres. On prendra garde de ne jamais cracher contre les murs du dortob
ou des cellule
A On couchera su r une paillasse piquée, qui ait tout au plus nn demj-
pied d'épaisscu r; le traversin sera de paille longue ; le bois de lit aéra fût
d'ais sur des tréteaux.
(( On ne mangera ni trop vite ni trop lentement, on gardera en cela one
juste mesure... On aura toujours la vue baissée, sans néanmoins se trop
pg^cher sur ce que l'on mange. On n'aura jamais son couteau en man-
geait, et l'on ne le portera jamais à la bouche. On n'avancera Jamais les
bras sur la table pour les y tenir quelque temps plus haut que le poignet.
On ne se lavera jamais la bouche à table. On ne se nettoiera Jamais les
dents avec son couteau ou sa fourchette, ou quelque autre instmment qne
ce soit... On coupera le pain proprement et tout uni, sans faire paroltre
aucun choix. On mangera les choses comme on les sert, sans faire inélanga
d'un mets avec un autre, ce qui n'est qu'une gourmandise et qu'une mal-
propreté.
« Aux jeûnes de l'ordre, il n'y aura jamais de lait à la coUation, ni de
fromage, ni de salade, et le pain s'y donnera dans une quantité déterminée »
environ quatre onces. Aux jeûnes de l'Église, on ne servira point de laitage
ni de beurre au dîner, et à la collation on ne donnera que deux onces de
pain sans aucun fruit. L'on observera inviolablement et sans aucune dis-
pense, les jeûnes du mercredi et du vendredi de toute l'année... On s'abs-
tiendra do beurre, laitage et fromage, outre les jours de Jeûne d'ÉgUse,
durant tout l'Avent et tous les vendredis de l'année.
c On se passera de vin en tout temps... On ne commencera Jamais par
boire aussitôt que l'on est à table, ce qui témoigneroit trop d'empressement
et d'intempérance, et Ton boira posément et sans reprises, tenant la tasse
ou le verre des deux mains. On ne servira point de nappes sur les tables ;
on n'y mangera que des racines ou légumes, pois, fèves, lattage, rix,
gruaux^ bouillies; jamais de poisson ni d'œufs; les salades et le benne
pour portion. On n'en donnera jamais que de deux sortes, auxquelles on
pourra ajouter quelque peu de fruit... On no fera rien qui approche de
pâtisserie. Les légumes s'apprêteront avec peu de beurre ou point dn tout,
BULLETIN DU BIBUOPflILB. 795
tl l*on peut; et Ton n'usera Jamais d'aucune épicerie... On ne mangera
point de pain blanc... On n'entrera Jamais à la cuisine sans permission :
on n'y parlera Jamais, mais seulement dessous la porte de la cuisine...
• On se chauffera debout (dans le chaufToir), excepté au temps des con-
férences. On se gardera de faire paroltre de Tempressement en y allant.
On ne lira point auprès du feu. On s'y tiendra en grand silence, et en une
posture honnôte sans retrousser ses habits que fort peu, sans avancer trop
les pieds vers le feu ; et prenant garde de ne point incommoder ceux qui
sont proches de vous. On n'ôtera point ses souliers ni pantoufles pour se
chauffer les pieds, cela étant contre l'Iionnéteté.
« Outre le travail du Jardin (pendant trois heures au moins par Jour),
les religieux s'employèrent à tout ce qu'il y aura à faire dans le monastère,
sans préjudicier à leurs exercices et à l'office; ils balayeront, ils laveront les
lessives, cureront les étables et aideront aux convers dans leurs ouvrages.
« On ne donnera Jamais aux malades que du bœuf, du veau et du mou-
ton, et jamais on ne leur accordera de menue viande. On ne mangera point
de viande, et l'on n'en mettra point dans les bouillons, que l'on n ait enduré
trois ou quatre accès de fièvre... On ne prendra jamais de remèdes que par
l'ordre du supérieur; on n'usera jamais de sucre ni de confitures dans les
infirmeries.
« On sera exact pour le silence, et à l'égard de ceux qui y manqueront,
on usera des pénitences portées par la règle : comme jeûnes au pain et à
l'eau, disciplines, et particulièrement contre ceux qui parieront haut des
choses même nécessaires... On ne parlera jamais que par nécessité et
tout bas.
« On ne dira jamais à un frère une parole rude qu*aussitdt on ne se
prosterne à ses pieds... Sitôt qu'un religieux se verra repris avec quelque
force par son supérieur, en tel lieu et rencontre que ce soit, il se doit pros-
terner et demeurer en cet état jusqu'à ce qu'il lui ordonne de se lever.
« On ne doit appeler personne de loin, ni de la voix, ni par aucun autre
son. On regarde conune un crime, lorsqu'un religieux s'excuse de ce dont
on le reprend, soit qu'il ait commis la faute dont on le reprend, ou qu'il ne
l'ait point commise. >
Ap. B.
39A. CoBDiEB. De comipti senmonis emendatione libellus
(à Mathur. Corderio), cum perbrevi accessioue Robert!
Yallensis, ab omnibus mendis repurgatus. ParisiU^
Joh. Petit, 1640; 1 vol. in-8., mar. v. tr. dor. (Jansi-
niête) 65—»
Édition Taj»-KARE. — On peut lire dans le Bulletin du bibliophile
(année 1851, pp. 501 et suiv.) un article de M. P. de Malden sur Mathurin
Cordier et sur son livre mêlé de latin et de françois. De eorrupti $ermoni$
emendatione. Nous ijouterons cependant à cette notice, quelques observa-
796 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
tinns uouvcllc». M. do Maldea donne lo titre de la prcmièits «îdition de cet
ouvrage, Hob, Eslienne^ 1530; « titre qu'il conserva dan» les éditions suc-
cessives jusqu'en 15i!il, époque à laquelle MaUiurin Gordier apporta de
notables changements au t(>xte, et par suite au titre.... L'édition de 1541
est la quatrième citée ])ar M. Brunet. » Les éditions ainsi indiquées, ont
été publiées par Rob. Estienno ; mais, on n'a point connu l'édition de
J. Petite 15A0. Elle se distingue des éditions antérieures par un titre beau-
coup moins prolixe, et par les curieuses additions de Robert Duval , chih
noine de Chartres, mort en 1567 ; elle n'a point subi les transformations
de l'édition de 1561 ; elle n'est pas divisée en chapitres, et il faut encore
chercher çà et là les proverbes et les dialogues répandus dans TouTrage.
Nous sommes tent<^. de croire que Rob. Ëstiennc a fait usage, on 15&1, dee
additions de Rob. Duval. En effet, le chapitre 50 est intitulé Ludus pilm
pabnarîœ, et M. de Maldeu dit à ce sujet : « Chapiti'e qui , pour la plut
grande joie des écoliers , renferme exprimé dans la langue des Horace et
des Virgile, le vocabulaire des joueurs do paume. » Or, dans Tédition de
1540, ce vocahulaii'c se trouve dans l'appendice do Rob. Duval, qui a
donné, en outre, une curieuse nomenclature des monnaies et des poids de
l'ancienne Rome , réduits en monnaies et poids de France, ainsi qu'une
longue liste des mots impropres et barbares^employés par les jurisconsultes,
avec la traduction en bon latin.
Quoique le livre de Math. Cordier ait été plusieurs fois réimprima, il est
toujours rare; c'est le sort de tous les livres d'usage confiés à la jeuneMH
qui mord plus au contettant qu'au contenu.
395. De comipti sermonis emendatione et latine loquen-
di ratione liber udus; cum indici gallicarum dictionum
latine in hoc libello rcdditarum. Lugàuni, Seb. GryphiuSt.
1547; 1 vol. in-8, mar. r., tr. dor. (Janséniste.) 40— •
Superbe exemplaire d'une belle édition. — Séb. Gr}'phius, le célèbre im-
primeur lyonnois, dont les éditions sont aussi rocommaiidables par la beauté
des caractircs ([ucî par la correction des t(»,xtes, étoit digne de publier l'ou-
vrage de Math. Cordier, tant de fois déjà rt'simprimé par Rob. Etienne. Ce
livre, augmcnU'^ de moitié depuis l'édition de 15^0, n'a pas moins de
5/i/i pages. Les matières qu'il renferme sont classées en 59 chapitres, subdi-
visés en paragraphes numérotés. Une ample table des locutions françaises,
rend les rechorclH.*» tn\>s-facîles. L'imprimeur a placé en t4>tc du volume la
pn^face de Math. (<ordier, datée du collège de ^evers, décembre 15&2. Dans
cette préface, l'auteur rappelle que son ouvrage parut pour la première
fois, en 1530, et il se plaint des libraires qui se sont emparés do ce livre,
et l'ont telle.ment défiguré, qu'il ne peut plus le rcconnoitre. « Ils ont re-
tranché le titre, dit-il, ils ont enlevé mon nom, ils ont retranché plusieurs
passages importants, et en ont ajouté d'autres tout à fait inutiles. C'est
BULLETIN DU BIILIOPHILB. 707
pourquoi Je me suis décidé à lo revoir avec soin, et J'en confie de nouveau
l*iiiiprc.s»ion à Rob. Estieniie. »
La seconde édition, revue par l'auteur, est donc de la fin de 1532, ou
plutôt do 1533, et toutes les éditions anonymes publiées de 1530 à 1532,
par divers libraires parisiens, ont été désavouées par Math. Cordier.
Dans l'édition de Lyon, 1567, le 58« chapitre, consacré aux proverbe*,
contient 382 paragraphes. Le 59° chapitre, Ludu* pilœ Palmariœ (Le jeu
de paume), est beaucoup plus étendu que l'addition fuite sur lo môme
si^et par Rob. Duval, dans l'édition de 1540 : il se compose de 80 para->
graphes. Math. Cordier n'avoit travaillé que pour les écoliers, et cependant
trois siècles après la mort de l'auteur, son livre a conservé assez d'intérêt
pour être lu avec plaisir par des amateurs, et même avec flmit par des sa-
vants.
395 bis. Correspondance de la reine (Marie- Antoinette)
avec d'illustres personnages. S. n, {Paris) ^ 1790; in-8,
portr. dem.-mar 8 — »
n va sans dire que toutes ces lettres sont inventées à plaisir. Ce lâche
et atroce libelle, sorti d'une imprimerie clandestine et répandu à profusion
dans le peuple, n'a pas peu contribué à pervertir Topiiiion publique à
regard de la malheureuse reine. L'auteur est évidemment celui des
Mémoires de la comtesse de La Motte. P. L.
396. Drëhling. Spéculum apologeticum distinctionis ex
naturâ rei formalis in divinis oppositum aliis quibus-
cumque distinctionibus methodo theologicà concinna-
tum. .. à P. Fr. Vrsicino Drëhling, ss. theologiae lectores
in conventu FF. Min. Strictoris observ. RecoUect.
Rubeacensi. S. 1., 1737; 1 vol. in-8., mar. r., fil.,
compart., tr. dor. {anc. rel.) 18 — »
Rare. — Cette dispute de théologie scolastique ^^ur une question fort
ardue et souvent controversée , a été soutenue publiquement, au mois de
septembre 1736, dans lo couvent des récoliets de Roubaii; elle forme un
volume de 336 pago.s. Il ost curieux de trouver un livre de ce genre, publié
au wiii* siècle. C'est un lointain écho des disputes animées qui eurent
lieu, dès la fin du xiii» siècle, entre les teotistes et les thomUies; car,
c'est encore un disciple du docteur Subtil^ qui défend vivement les opinions
de son maître contre les jésuites, les dominicains, et surtout contre Gilbert
de la Porrée, évoque de Poitiers. Le latin du P. Drëhling est de la mau-
vaise école des scolastiques. Quant aux raiflonnements , ils nous paroinent
798 BULLETIN OU BDLIOPRILE.
souvent aussi obscurs quo le sujet qu'ils ont la prétention d*éclaircir. Noos
soumettons à Tintelligence de nos lecteurs les phrases suivantes , comme
spécimen de l'œuvre des récoUcts do Roubaix :« Si quidem, leste Gidetaiio,
« in Deo, ante actum, intellectûs et à parte rei sit pluralitas el distinctio
« virtualis ; alias si non à parte rei scd per intellcctum sit pluralitas scilicet
« commimicabilitas et incommunicabilitas, producibilita$ et improêneibUh'
m tas, mysterium principallssimum nostrum SSS. Trinltatis erit fictitium;
« quod ortodoxaa aurcs abhorrent. »
307. Du ViGNAU. Le secrétaire turc, contenant l'art d*ex-
primer ses pensées sans se voir, sans se parler, et sans
s'écrire, avec les circonstances d'une aventure turque,
et une relation très curieuse de plusieurs particula-
rités du Serrail gui n'avoient point encore estes sceuës;
par Du Vignau, écuyer, S', de Joanots. Parts, 1688,
i vol. pet. in-12 2h—n
Livre rare et curieux. — Louis Du Vignau , écuyer, s' de Joanots, ch^
valier du Saint-Sépulcrc, out pour parrain Louis XIV. Il resta neuf ans à
Gonstantinople, comme secrétaire de l'ambassade françoise à la Porte, et
se rendit fort habile dans la c^nnoissancc des lan<çucs orientales. A tOQ
retour en France, il fut nommé secrétaire-interprète des escadres du roi.
En 1687, il publia VÉtat présent de la puissance ottomane. Cet ouvrage,
dans lequel l'auteur signale les causes de la décadence des Turcs, fut ac-
cueilli favorablement par Louis XIV et par le grand-duc de Toscane. En
1688, parut Le secrétaire turc. Ce livre fait connoltre la manière de oom-
poscr les selam, c'est-à-dire d'entretenir une correspondance active par le
moyen dos fleurs, des fruits, des feuilles, des minéraux, des soies de di-
verses couleurs, etc.; cette partie est complétée par un catalogue des ofafeta
dont on peut former un selam , avec leur signification. On trouve encore,
dans ce volume, des détails sur l'intérieur et les usages du sérail: il parolt
que Du Vignau est le premier qui ait pu fournir sur ce si^et des rensei»
gnements exacts. Une contrefaçon de cet ouvrage parut, la même année «
sous le titre de Le langage muet des Turcs, ou Vart de faire Vamounmu
parler, sans écrire et sans se voir, par le sieur D, L, C. Middelb(mrg^4B88^
pet. in-iS. Le secrétaire turc de Du Vignau a donné naissance à plu-
sieurs livres du même genre, tels que Le langage des fleurs^ etc.
398. Flagourt. Histoire de la grande isle de Madagascar,
composée parle sieur de Flacoiirt, directeur général de
la compagnie française de l'Orient, et commandant
pour S. M. dans ladite isle ; avec une relation de ce qui
BCLLETIIf DU BDUOPHUB. 709
s'est passé es années 1656, 1666, et 1667, non encore
vue par la première impression. Trayes, Nie. Oudotf
et Parti, Fr. Clouziei, 1661 ; 1 vol. in-A"", cartes et fig.
veau 24 — •
Etienne Bizet de FUcourti né à Orléans, en 1607, fut nommé comman-
dant de Madagascar par la compagnie des Indes, en 166t. U résida dans
cette lie Jusqu'au 12 février 1615, époque à laquelle il revint en France. U
B*étoit embarqué à Dieppe, le 20 mai 1660, pour retourner à Madagascar,
lorsque, le 10 juin, son navire fut attaqué par les Barbaresques. Pendant
le combat, le feu atteignit les poudres françoises et le vaisseau sauta.
Matelots et passagers périrent tous , excepté dix-sept honunes qui furent
recueillis par les Turcs et réduits en esclavage.
V Histoire de Madagascar^ dont la première édition parut en 165S , est
augmentée dans rédition de 1661, d*una Relation de ce qui s* est passé es
amnées 4655-4657, Cet ouvrage est divisé en deux parties. La première
contient une description générale de Madagascar, puis des descriptions
particulières de ses provinces, de ses rivières et des Iles adjacentes. L'au-
teur traite ensuite de la religion, du langage, des usages et du gouverne'
ment des habitants, et enfin il donne des notices fort exactes sur les
plantes, les métaux et les animaux de ces contrées. La deuxième partie
renferme le récit des événements qui ont eu lieu depuis 16A2, époque de la
première expédition faite par les François. On y trouve aussi la relation
de quelques voyages dans les lies voisines et à Mascareigne.
C'est de Flacourt qui a donné à cette dernière lie , le nom de Bourbon.
« La véracité de de Flacourt, Tcxactitude de ses descriptions, la fidélité de
son pinceau, condamnent au silence quiconque n*a pas à lui opposer six
années d'observations sur les lieux dont il parle, et dans un poste dont les
relations le mettoicnt à même de bien connoltre cette lie sous tous les
rapports. » C'est ainsi que s'exprime Epidariste CoUin, habitant de l'Ile de
France (Annales des Voyages^ t. XIV).
On a ajouté à notre exemplaire six pages manuscrites qui contiennent
des renseignements surlavie et lesouvrages de de Flacourt, et, en outre, des
détails curieux sur la première édition de V Histoire de Madagascar ^ et sur
les additions imprimées ou manuscrites. Jointes à l'exemplaire de la biblio-
thèque impériale. Enfin, sur la garde de notre volume, on a collé une
épreuve de l'article de Flacourt , rédigé pour la Biographie univerulle ,
par M. Eyriès, à qui cet exemplaire a appartenu.
398 bis. Efitretiens (les) des Champs-Élizôes (par Paul
Hay du Chastelet) .—Le coup d' Estât de Louis XllI (par
le même). {Paris) , 1631 ; 1 vol. in-8, relié. . . 16—»
Paul Hay du Chaatelet, afocat général aa pariemeot de Bretagne, maître
800 BULLETIDI DU BIBUOPHILE.
des requt^tes ot conseiller d'État, naquit en 1502, et mourut le 6 avril IttSO.
Il fut l'un des membres fondateurs de rAcadémic françoise, et le premier
secrétaire de cette Académie. Du Chastclet s*étoit concilié Teatiiiie de
Richelieu ; et par roconnoissance des faveurs qu'il en avoit reçues, il fit
souvent, dans ses écrits, Téloge du puissant cardinal. Cependant , magis-
trat int(:grc, il osa défendre Chalais et cliercha à sauver Marillac. Soo
Mémoire pour Chalais lui valut une rude mercuriale , et la Satire qu'il
publia pour ùtrc récusé dans le procès du maréchal , lui coûta quelques
jours de prison.
Len entreliens des Champs-Élyiées et Le coup d'Eslat sont deux pièces
importantes pour Thistoire du règne de Louis XIII. Elles révèlent claire-
ment le but politique dn Ridiclieu : Vabaissement deja maison d'Auiriehe^
la destruction des calvinistes comme parti politique^ et Vanéantissemeni
de la féodalité. Henri IV, h^ hommes d'État et les capitaines de son règnt
et de celui de Louis Xlll, tous morts avant 1631, prennent part aux entre^
tiens des Champs-Elysées, Dans ce cadre, l'auteur a su renfermer un rédt
piquant des événements qui eurent lieu depuis 1G25 Jusqu'en 1631, tant en
Italie qu'en France. Le coup d'Kstat n'est qu'un résumé politique des
mOmes faits. Ces opuscules sont écrits avec facilité et souvent avec gsieté.
Le caract^re et la pliysiononiic de chaciue interlocuteur sont fidèlement
i-eproduits. En voici un e\emph^ : « C'estoit sa précipitation , dit le prési-
« dent de Venlun , ore obtorio , (]ui luy faisoit tout entreprendre de sa
« teste Il vouloit prendre st'unce par dessus moy au parlement; je me
« serois plus tost fait tourner la bouche de l'autre costé, que de luy avoir
« cédé. »
399. Girard. De Testât et succez des aflaires de France,
par Bernard de Girard, seign. du Haillan. Dernière
édit. Paris, Marc Orry, 1609 ; in-S vél 12—»
Bel exemplaire. — Cet ouvrage, qu'on ne lit plus et qu'on ne connolt
guère, est un des phis curieux (|ui existent sur l'histoinî de France. L'au-
teur a osé le premier dire la vérité politique de la mission de Jeanne d'Arc.
&00. Grégoire (Les merveilles de la mer) . — Gregobu
Gyprii eruditis. et eloquentiss. Patriarchae Constant!-
nopol.^ Maris, sive universae aquarum naturas laudatio*
Grœce. Lutetiœy Federic. Motel, 1697. — Latine ex în-
terpret. Fed. Morelli profes. et interpr. regio. iWd., iâ.
— Des merveilles de la mer envoyées naguëres de
Cypre en France (trad. du grec de Grégoire de Cypre,
par Fed. Morel, interprète du roi), ïbid.^ td., 1596; m
/
BUIXBTIIf DU BIBUOPHIU. 801
1 voL, in-8 rel 18 — »
Recueil très -rare. — Grégoire , patriarche de GonBtantlDople, fut Tun
des écrivains les plus éloquents de son siècle ; il naquit vers 1240 , dans
rtle de Chypre. En 1283, Andronicrélèfa au patriarcat Grégoire mourut
eo 1280, peu de temps après avoir été obligé de se démettre de ses fonc-
tions. Son Éloge de la mer fut publié pour la première fois, en grec, par
Bonaventure Vulcanius, Leyd«, 1501, in-8, à la suite de Topuscule d'Aris-
tote De mundo,
Frédéric Morel, Tun des plus savants hellénistes de son siècle, et disciple
da célèbre Cujas, naquit à Paris, en 1558. Il succéda à son père, Frédéric
Morel, en 1583, comme imprimeur du roi ; il obtint, en 1585, par le crédit
d*Amyot, la diaire de son beau-père. Léger Duchesne , professeur d'élo-
quence au Collège royal. Il mourut, doyen des imprimeurs et dos profes-
seurs du roi , le 27 juin 1630.
Les caractères grecs dont Fréd. Morel a fait usage pour Timpression de
Topusculc de Grégoire de Chypre, sont fort beaux. La traduction latine,
dédiée à Michel Sublct d'Heudicourt, abbé de Vendôme, est imprimée en
caractt'rcs italiques ; et la traduction françoise, dédiée à Charles de Mont-
morency, sieur de Danipvillc, amiral de France, est imprimée en lettres
rondes. 1! est assez difllcilc de réunir ces trois opuscules, attendu que le
texte grec et la traduction latine ont été publiés séparément, et un an après
rimpression do la version françoise.
401. GuYON. Les diverses leçons deLoys Guyon, Dolois,
sieur de la Nauche. Lyon, A. Chardj 1625; 8 vol,
in-8, front, grav., v. éc 40—»
Bel exemplaire d'un livre curieux et d'une édition rare. Le 1«' volume a
été imprimé trois fois, mais les deux autres ne l'ont été qu'une seule fois.
Le dernier môme, qui ne se trouve pas souvent , fut publié par Q. Malin-
gre d'après le ms. de l'auteur, mort à l'&ge de quatre-vingt-dh ans.
402. Histoire de D. Ranucio d'Alétès, écrite par lui-
même (par Tabbé Ch. Gab. Porée). Venise, chez Fran-
cesco Pasquinetti, A la vérité, 1736 ; 2 vol. in-12,
fig 10— »
Première édition de cet ouvrage ; la seconde parut en 1738 et la troi-
aiènie en 1758. M. de Rougemont publia de nouveau cette Histoire en
1820, sous le titre de : Raphaël d'Aquilar ou les moines portugais. « n
s'est borné à changer les noms des personnages, et il a supprimé dans
le d«"uxiùme volume une alit^orie rabelaisienne qu'il n'a pas èoropriso. »
Barbier ilHct. des ation.) dit & ce si^ : « Si M. de Rougemont échappe
802 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
à Taccusation de plagiat, il le devra à Téquivoque du mot : publiée. J'a-
vais prî^tô ce roman à Kougcmont qui Ta fait réimprimer sous son nom,
saus mt'me m'en prévenir. >
L'abbé Ch.-O. Porée est l'auteur de ce romao allégorique, qui a été ion-
vent attribué à J'abbé Quesnel, de Dieppe.
Charlos-Gabricl Porée, frère du célùbrc Jésuite, Charies Porée, entra dV
bord dans la congrégation de l'Oratoire ; mais il y resta peu de temps, et
vers 1712, il fut placé auprès de Fénclon, en qualité de bibliothécaire,
emploi qu'il occupa pendant doux ou trois ans. Après la mort de l'archo-
vôquc de Cambrai, G. Porée devint successivement chanoine de Bayenx,
curé de Louvigny, et cntin chanoine honoraire du Saint-^pulcre, à Caen,
où il mourut le 17 Juin 1770, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Il étoit depuis
trente ans l'un des membres les plus actifs et les plus distingués de l'aca-
démie de Caen. •
Nous avions l'intention d'analyser VHistoire de D, Ranueio d'AÈitèt,
mais, apK's avoir lu rexcellento iVolire biographique et littéraire 9ur ta
deux Porée, par M. AU^aumc, ancien élève de l'École des chartes, avocat
à la cour impériale de Paris, nous préférons, dans l'intérêt de nos lecteurs,
transcrire queJ(|ues pages de cette Notice. *
« L'histoire de D. Ranueio d'Alétt's, sous la fonne d'un roman, n'est
pas autre chose qu'une peinture très-<'iacte ot très-spirituelle des moeun
du clergé. Touf les vices des hommes^ dit Tauteur dans la préface, doiveii/,
comme on le sait, leur tribut à la censure ; et il n'y a que le préjugé popu-
laire qui en ait pu exempter jusqu'ici parmi nous ceux qui la mériioienî
peut-être davantage^ je veux dire les moines et le clergé,
u C'est surtout contre les moines que cet ou>Tage est dirigé; ils sont
très-bien définis : ('ne compagnie d'hommes^ à qui pour la plupart le ëepiî
et l'etourderie a fait prendre le parti de vivre aux dépens des simplei fMi
les admirent.
- I^ roman de Porée se compose d'une série de tableaux entre lesquels
il ne faut pas chercher un lien bien étroit, mais qui divertissent toujours le
lerteur. Le liccacié Alétîs, le financier Grapina, le patrian*lie de Lisbonne,
sont des personnes du temps; nous reconnaissons tout de suite le curé de cam-
pagne à j(fi/(icff/i/u;fif;ié<» et relevée d'un grand nombre de rubis baehiques^ù
ses yeux bordés du plus vif incarnat^ à ses joues telles qu'on en donne à Borée,
à son menton qui lui descend à triple étage sur la poitnne; le financier, à aa
stupidité digne de Turcaret; et Tévùque, à son orgueil. Le conte du Diakie
malade est une charmante fantaisie rabelaisienne ; la bataille des lioendét
au sujet du prince Albanius, est une allégorie très-transparente; il s'agit
de la querelle du jansénisme, de Tappcl au futur concile, et il est facile
de reconnoitre Clément XI dans le prince Albanius, la société de Jésus
dans doua Inès Loyolina, la constitution Unigenitus dans le tlls issu de
leur union, le pi-re Le Tellier dans le vieux druide gaulois TeUerio, fai
avait ensorcelé un des plus grands empires du monde, à qui il avoii fmt
adorer des tableaux et des poupées à la place du vrai Dieu; allusion évi-
dente à Taffaire des céK'Wonies chinoises. L'élixir diabolique composé par
BULLETIlf DU BIBLIOPHILE. 808
œ Tieoi drnide, est une allasion à la feuille des bénéfices, qui étoit aussi
SBsentielle à la puissance du confesseur du roi que les sceaux l'étoient au
chancelier. La ?ente des bénéfices dont le cardinal de Noailles aroit ac-
oiaé le père Le Tellier, n'est pas oubliée. Une autre allégorie plus obscure,
celle de la guerre des singes et des castors, nous semble concerner la per-
iécadon contre les huguenots et la réYocation de l'édit de Nantes. Mais ee
chapitre exercera Vesprit déplus d'un lecteur^ ainsi que le titre l'annonce.
En on mot, ce roman est rempli d'allusions aux affaires du temps. On
tRNife même une allusion au fils du régent, le dévot, qui étudioit le syria-
que pour mieux se pénétrer de la sainte Écriture.
« Le récit est entremêlé d'épisodes et de nouvelles qui amusent, tout en
atteignant le but de l'auteur. La Maltôie monoitique tur la vendange,
est an tableau flamand tracé de main de maître. L'abbé Porée est ar-
tista dans ses descriptions; il peint ces moines en uniformes différents,
MàB chacun sur un tonneau; ces danses de vendangeurs; cette discussion
soulevée par un paysan, qui prétend que celui qui ne travaille point ne doit
pas manger ; le soin avec lequel certains rats de cave tirent à pleins seaux
leur dlme de vin, le sermon d'un religieux monté dans un des cuviers et
deseendant bien vite pour courir après un màftn affamé qui s'étoit emparé
de la mandille monacale et du gigot qu'elle contenoit, enfin la lutte entre
le mâtin et son adversaire, la chute du moine et le partage forcé de la
sainte guenille, tout cela forme une scène incomparable et digne du pin-
œao de Goya.
« La prédication des missionnaires et la plantation de la croix, ne sont
pas choses moins plaisantes. Qu'on se figure trois moines montant en pleine
église sur une corde tendue, et l'un d'eux, pour figurer la liberté de l'homme
placé entre le bien et mal, se tenant en équilibre, malgré les secousses
que donnent alternativement à la corde les deux autres confrères travestis,
l'on en diable et l'autre en ange. Jusqu'à ce que le moine se casse le nez,
et prouve par sa chute la fragilité humaine ; qu'on se figure les vierges et
les femmes se disputant l'honneur de lever la croix, invoquant, les unes
U présence de la Vierge et de la Madeleine au crucifiement, les autres
les droits de la Vierge au double titre de femme et de vierge, et ceux
de la Madeleine au simple titre de fille ; enfin la discussion finissant par
une mêlée générale des saintes bacchantes.
« L'abbé Porée n'a pas ménagé les abus qui résultoient du sacré et du pro-
fane sur les théAtres des Jésuites ; mais cette satire frappe sur les collèges
de province, car il ne faut pas oublier qu'il s'agit dans tout ce roman des
miasan de la province. L'aventure qui le termine rappelle un opéra fort
conna : Ranucio, déguisé en nonne, se trouve enfermé dans un couvent de
religieuses, où il est témoin de désordres trop fréquents alors, et dont ma-
demoiselle de Montpensier parloit déjà dans ses Mémoires. »
M. Alleaume dit : « Quelques exemplaires, suivant Barbier, contiennent
une clef imprimée; il nous a été impossible de nous procurer cette clef. »
Noos ne pensons pas qu'il y ait jamais eu de clef imprimée ; mais l'exem-
plairt que nous avons sous les yeux est accompagné d'uo Exiraii de l'Mê»
56
80& BULLEHN DU BIBUOraOB*
toire de Ranucio ^Aléiè$^ avec la clef des noms allégariquêi. Gat appndki
manuscrit, de 15 pagea, se termine ainsi : « Cette clef maniiiciite etteédUi
rend c«t exemplaire asses précieux. L*auteiir en est inoonnn. EU* t M
copiée sur un exemplaire qui avoit appartenu à M. Gbaillou, ancien Mblkh
tliécaire, mort à Paris, en 1817. »
Nous regrettons de ne pouvoir offrir aux lecteurs du Bulletin qotlqnei
extraits de cette curieuse satire. Qu'on nous permette cependant, an ris-
que d'allonger cet article outre mesure, de faire au moins une dttclon.
Le linaucier Grapina possède une bibliothèque composée de M,000 fS-
lunios. « Que pensez-vous do cette collection, dit-il à Ranucio T — Bile <K
magnifique, lui répond celui-ci ; mais Je trouve extraordinaire qoo fois
ayez fait transporter dans un village un trésor qui seroit d'une pins granii
utilité à Lisbonne. Par là vous auriez eu l'estime et la compagnie des aa^
vants, qui seroient venus puiser dans ce précieux magasin. — Et c'ait prt*
cisément, reprend Grapina, la raison qui me l'a fait transporter id. Vm
étois continuellement obsédé à Lisbonne ; nuit et Jour ils étoient anr wm
livres, ce. qui les usoit et mu déplaisoit beaucoup ; car, voyea-Toni, Je M
ressemble pas à cet ignorant qui ne jugeoit de la bonté d'un livre qna par
sa vieillesse. Pour moi, J'en Juge par la beauté de la reliure, et dèa qnVIi
n'y est plus, je mets le livre au rebut. Aussi, suis-je si délicat sur est arti-
cle, que je n'ose pas les lire moi-môme de peur de les gâter. • Ar. BL
A02 bis. HuTTEN. Ars versificatoria Hulderici Huteni;
Carmen heroicum. Pamm, Rob. Stephanus, 16S6. — Gom-
mentarius in artem versificatoriam Huld. Hutteni, cum
methodo primarum et mediarum syllabarum atque spede»
rum carminis à Roberto Vallensi Ruglensi utcunque
editus. ParisiiSy Dyon, GayngnoU 1535. — Idem com-
mentarius, denuô ab eodem R. Vallensi auctus et re-
cognitus ; praetereà adjectum est compendium de
accentibus et clausulai*uni punctis. Paris, Math. Dwid,
Ibàà; en 1 vol. in-8, relié AO^hi
Rari» — Ulrich de Hutten, né à Stt^chclbcrg (Franconic), mourut le
août 1523, dans une ilc du lac de Zurich où il s'étoit réfugié. Il embraaaa
la réforme de Luthor, et écrivit avec violence contre la cour do Rome. Son
zèle pour les nouvelle;» doctrines lui attira de longues peniécutions.
Les vers latins de Hutton sont faciles et élégants. Dans son An venlll'
ealoria^ il a su vaincre de nombn^useft diflicultés. Voici Tcxorde du poPte :
Quis modus, et riua; sint servanda; in carminé loges.
Et ({uo (jii«?(iiio suum distendut syllaba tompus,
Littcrn qnns vires liabeat, qurM{iii> oi'diiio mutes.
Omnia discutinm paucis.
BULLETIN DU ftlBLlOPHILB. 806
Lu A23 vers dont est composée cette ancienne prosodie latine, wt donné
liea à des commentaires (^rudits qui expliquent et complètent le poCme de
Hutten. Les commentaires de Robert Duval (Vallensis), chanoine de Char-
ins (I), sont très-remarqnables; et deax exemplaires d'éditions différentes,
ont été joints dans ce volume, à VArs versi/icatoria. Le premier, de l'édi-
tion de 1535, est dédié à J. Lambert de Lisieux, principal du collège de
Garais, à Paris. D'après la date de cette dédicace, la 1>« édition des Com-
neotaires de R. Duval, auroit été publiée vers 1539. Dans le second exem-
plaire, de l'édition de 1544. l'épltre dédicatoire a été supprimée. Cette édi-
tion, plus ample que celle do 1535, a été augmentée d'un Traité sur les
accents et sur les signes de la ponctuation. Nous répétons encore une fois
que ces livres d'usage , quoique souvent réimprimés , sont toujours fort
AOS. Lucrèce. Le poète Lucrèce, latin et françois, de la
traduct. deM. D. M. (de Marolles). Paris, Touss. Qui*
net, 1650 ; in-8, front, grav. v. br. fil 12 — »
Cette première édition de la traduction de l'abbé de Marolles, dédiée à
la reine de Suède, est rare et diffère entièrement de la seconde. Elle a été
citée plusieurs fois comme renfermant des particularités sur la traduction
•B vers que Molière avoit faito ou commencée du po€me de Lucrèce. Mo-
lière n'est pas môme nommé dans ce livre; mais, comme l'abbé de Marolles
•"éloit mis à traduire en prose, d'après les conseils de Gassendi, 11 est pro-
bable que ce tavant philosophe lui avoit communiqué quelques extraits de
la traduction de son élève, et l'on trouve, en effet, dans la Vie de Lucrèce,
plusieurs citations en vers qui ont tout le caractère du style de Molière.
P. L.
&0&. — Les six livres de Lucrèce, de la nature des choses,
trad. par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, 2* édit.,
augm. de remarq. nécess. auxq. sont adjoutées les pe-
tites nottes lat. de Gifanius et la vie d'Épicure. PariSf
GuilL de Luynes, 1669; gr. in-8, v. br 6—»
Cette édition, corrigée d'après les avis de Gassendi peu de jours avant sa
BBort, renferme aussi la Vie de Lucrèce avec les citations en vers; mais la
rédaction du texte est différente. Le traducteur parle, dans ses notes , de
Gassendi et de plusieurs savants contemporains, mais point de Molière.
1 Voy. tordicr (tftib.;, n" 394.
806 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
&05. Maphei Vegii patriâ Laudensis divioarum scriptu-
rarum cum primis peritissimi, oratoris item et poète
celeberrimi, Martini pape quinti Datarii; De educa-
tione liberorum et eorum clans moribus iibri sex. Dyi-
logus Veritatis insuper adiungitur eiusdem et Philali-
this ad Eustachium fratrem. — Eiusdem, inter inferion
corpora, scilicet terram, aurum et superiora, prsBser-
tim solem... disputatio. Venundantur Parrhisiis à Mag,
Bertholdo Remboldt et Joh. Wateiioes, 1511 ; en 1 vol.
in-A» vél &5 — ■
Nous avons déjà parlé, dans le Bulletin^ de Maffeo Vegio, à roecuta
d*une ancienne édition du Philalethes; nous n'avons donc à nous oceopv
que du volume qui fait l'objet de cette note. Il contient trois ouTragM d0
Vegio. Le premier. De educaiione liberorum, est un traité complet d'édn-
cation plein d'eiccUents avis. Les économistes modernes pourroieDt y pvl-
ser d'utiles renseignements; mois ce livre est trop rare pourqu*on aiiaofliBi
à le consulter. L'édition de Milan , 1401, est aussi difficile à trouTer qnt
celle de Paris , 1511. Ce traité d'éducation est suivi du PhUaUlhes^ dont
le titre primitif, si bref, est devenu Dyalogus Veritatis et PkUateikk mi
Eustachium fratrem incipil féliciter. Nous ferons observer que le ^OMsin
{eluddarius) placé à la fin du dialogue est plus ample que celai de la pn-
mière édition, et qu*il a subi l'influence du pays où il étoit réimprimé : la
plupart des mots sont expliqués en françois.
On a relié dans le même volume l'opuscule de Vegio, intitulé : Inter Têr^
ram^ Solem et Aurum disputatio. Cette dissertation philosophique est fort
curieuse. La Terre, le Soleil et l'Or, prenant tour à tour la parole, vantent
leur puissance ni leur influence sur les tHres créés : ils se disputent le
mier rang ; mais c'est à l'Or que reste la victoire. L'Or, objet étemel de
voitise; l'or, qui enfante les vertus et les crimes; Tor, dont la posseMÎoo
enviée fait tout sacrifier, tout vendre , même ce qui ne peut être adielé.
Après le discours de l'Or, la Terre garde le silence, et le Soleil pàliiMnt M
cache dans les nuées.
Ce beau volume, imprimé en lettres rondes, est parfaîtonent conwrvé.
La titre de la première partie, rouge et noir, est élégamment encadré, et la
marque de l'imprimeur, B. Rembold, est coloriée.
A06. — De liberorum educatione aurei Iibri sex noviter
rcgoniti {sic) Francisci Philelphi (Maffei Vegii). .., suc-
cincto cum judice, et brevibus inarginariis annotatio-
nibus..., Nicolai Bonespei (Nie. Dupuy), Trecensis
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 807
Campani cura superadditis. Panhlsiis, aptid Gaurmon-
tioSf 1508 ; pet. in-A**, v. f., fil » — »
LiTre à peu près inconnu. On lit dans la Bibliothèque françoise de Du
Verdier,t. I. p. 667, une note de I^ Monnoie, dont nous extrayons ce qui
soit:
« Ce que nous avons de Philelphe, De liberorum educatione, consiste en
cent Ters adressés à son fils Marius, dans lesquels il lui donne des pré-
cuites pour sa conduite. Ces vers sont au commencement de la 6* décade
des Satires de Philelphe, qui n'a laissé nul autre écrit sur cette matière.
Jaan Lode, qui Ta traduit en françois, étant sur le point de terminer sa
Tersioo, Nicolas Bérauld, son ami, se crut obligé de l'avertir que Philelphe
n'avoit Jamais compris, parmi ses œuvres, le traité De liberorum educa-
tiome ; qu'il prit donc garde , comme il y en avoit un de Maffeus Vegius ,
que ce ne fût peut-être celui-là. Cet avis de fiérauld fut cause que Lode ,
dans son épttre dédicatoire, parlant de Topuscule de Philelphe, ajouta par
précaution : Ni verum auctorem titultu mentitur adulter, Bérauld cepen-
dant M trompoil. Le traité de Vegius est un long ouvrage en prose. Le
nom de l'auteur a toujourt été mi» à la tête ; et quand il n'y auroit pas
été, Lode n' auroit pas traité d'opuscule un volume de cette taille ; que si
Philelphe, parmi ses ouvrages, n'a pas fait mention de son poème, De libe-
rorum edueatione, c'est qu'il étoit contenu dans le corps de ses satires. »
On lit aussi dans le Manuel du libraire, article Philelphe : • Jean Lodé,
de Nantes, a traduit en françois, sous le titre de Guidon de» parent»^ la
satire de Philelphe intitulée De edueatione liberorum, et cette traduction,
impr. à Pari», par Gille» de Gourmont, en 1513, in-8, est rare. »
n résulte évidemment de ces deux notes que Philelphe n'a composé
qu'une satire de cent vers, sous le titre De liberorum edueatione : que lo
traité en prose, divisé en 6 livres, intitulé De liberorum edueatione, appar-
tient à Maffeo Vegio. C'est donc à tort que cette édition , publiée avec les
notes de Nie Dupuy, de Troyes, est mise sous le nom de Philelphe.^ En
comparant l'édition annoncée dans l'article précédent, avec celle-ci, on
Terra que c'est le même ouvrage attribué à deux auteurs différents. La
Monnoie n'avoit pas raison de dire que le nom de Maffeo Vegio a toujours
été mis à la tète de son livre : ce volume prouve le contraire.
D est à regretter que La Monnoie et l'estimable auteur du Manuel du
fièratre, n'aient point vu cette édition de 1508, impr. chez les Gourmont,
ni la traduction en françois de Jean Lode ou Lodé. En effet, la note de La
Monnoie auroit été plus courte et plus exacte; et il n'auroit pas induit en
erreur le Manuel du libraire. François Bérauld ne se trompoit point en
avertissant J. Lodé de ne pas confondre le livre de Vegio avec le poôme de
Philelphe. Nous avons vu le volume de Lodé, qui est la traduction com-
plète du traité en 6 livres de Vegio, et non celle de la satire en cent vers
de Philelphe. Il est probable qu'elle a été faite sur l'édition de 1S08, puis-
que le même imprimeur a publié le texte et la traduction.
Nicolas Dupuy, de Troyes, a mis au Jour plusieurs ouvrages sous le pseu-
808 BULLETIN DD BIBLIOPHILE.
donymo, de Bonaspes, 11 proiioit pour devise spes mea Jtmn^ i*t «o (|iiBli1ioit
Daiarius Xetwdochii diri Jacobi MeJeiiunenxis, II a ujoiit4^ à l'œuvre de
Vc^io, une Epitre drdiratoire on vers latins; et à la fin du volume, on Avu
(en vers lat.) aux parents sur les fruits qu'ils peuvent retirer de la lactare
de ce traité ; la Vie de Franc. Philelphe et celle de Marins, son Al», extraites
de TritJi^e, De ecrlex, scriptoribtts ; un passage de Quintilien De ofiao
discipuîorum ; Aurea pro discipulorum preceptorihus epistola ; et enfin, M
Philelphi de liberonim educatione commendationem cnrmen,
•
607. Marrodei galli poetac vetustissimi Dactylotheca,
Scholiis Georgii Pictorii Villingani doct. medid^ nunc
altéra vice, supra priorem editionem, iUustrata. —
Item de lapide Molari, et de Cote carmen, eod. aut.
G. Pictorio. {Basikœ per Henricum Petri^ 1655); în-8,
mar. r., fil., tr. d. {Bauzonnet) 00— •
RARE.~Marbode, éViV{U(î de Rennes, né en Anjou dans le ii* aiëde,
mourut Agé d'environ quatre-vingt-huit ans , à Tabbaye de Saint-AtiUa, It
11 septembre 1133. I^ plus connu do ses ouvrages est un poCme sur let
pierres précieuses. Il a mis en vers latins Tabrégé d*un traité compoeé en
grec par Evax, roi des Arabes. Le po^^me de Marbodc fût imprimé pour U
promi(;rc fois avec les scolios de G. Pictorins, à Paris^ Chr, Wechêl, 1531f
BOUS le titre : Marbodei galli poetœ vetuêt. de lapidibus precioêiê enchiriéitmm
L'épltrc dédicatoire est datée, de Fribonrg, 1530. Cet ouvrage avoit été dé|ià
publié à Rennes^ 1526 , parmi les opuscules de Tauteur ; De gemmarum
lapidumque preiioMrum formis, naluris aiqne viribun opusculunu L*éditloa
de Bàle^ 1555, e.st la seconde donnée par G. Pictorins : Nunc altéré Wea,
suprà priorem editionem , illustrata. Dans la dédicace datée d'Emisbeim,
novembre 1554, le scyOlia^te rappelle que vingt-quatre ans environ s*ëtolatt
écoulés depuis la première édition de ses commentaires, et qa*il les pubHe
do nouveau, apnVs les avoir corrigés avo^ soin.
D. Rivet {IlisL litiér, de la Fr. , u II, p. 335) cherche à prouver que le
Dactylotheca est faussem(>nt attribué à Marbode. « Ce poème, ditpil, estd*un
auteur inconnu qui parolt avoir écrit au milieu du v« siècle. • Les eonti-
nnateurs de VHist. litiér, (t. X, p. 363) ont combattu Topinion do D. Rivet,
et ils ont restitué le Dactylotheca à Tévéquo de Rennes. Cependant, il»
avouent que cette attribution n*est pas suffisamment prouvée, et que Ton
peut regarder ce poCmo comme une production douteuse de Marbode.
608. Mélanges de diverses poésies, divisés en quatre li-
vres (par le P. Mauduit). Lyany 1681; 1 vol. m-12,
rel • — »
BULLBTin DU BIBUOPHOK. 809
Micbel Mauduit, u^ à Vire en 10^4, entrm fort Jeune dan» la coagrégatioB
dt l'Oratoire, et il professa longtemps les humanités arec succès. Il mourut
à Paris le 10 Janyier 1700.
Dans la préface de son œuvre poétique, le P. Mauduit traite des dangere
du théâtre et des poésies galantes ; il signale le bon usage qu'on peut faire
de la poésie, et donne ensuite quelques détails sur les difficultés que pré-
sente la composition des Chants royaux et des Ballades, Nous ferons re-
marquer que le troisième livre des Mélanges de diverses poétiu est consa-
cré à l'immaculée conception de la saipte Vierge , et que la plupart des
pièces qu'il renferme furent couronnées au Puy de Rouen et à celui de
Caen.
Nom signalerons une particularité qui rend notre exemplaire asset cu-
rieux. En effet, on y trouve de nombreuses corrections manuscrites, et une
def des noms propres indiqués dans le texte imprimé, par des initiales ou
des étoiles. Il nous semble que ces corrections et ces annotations n*ont po
èm écrites que par l'auteur ; mais nous n'osons rien affirmer, d'autant
plus qu'on nous a fait observer que cette écriture ressembloit beaucoup à
celle de Jean Racine.
Kom terminerons cette note en citant quelques vers d'une éptire du
r. Maadnit t
Et je no doute nullement
Que n'en coulent plus doucement
Ces vers dont le sens et la rime
Demanderoient encore la lime.
Ils rompront les mots superflus,
£t les A n'y b&iUeront plus.
La marche des P et des R
N'ira plus se heurter aux pierres,
L'H n'osera plus souffler,
L'S cessera de siffler.
Et tu n'entendras plus lee N
Parler du nex comme les eane$ :
Si bien que mes vers à la fin
Couleront doux comiiia satin.
409. Mémoires turcs, par un auteur turc, de toutes les
académies mahométanes, etc. (Godard d'Aucourt).
Nouv. édit., rev. et corr. Amsterdam (Paris); 1776; 2
part, eu 1 vol. in-12, dem. mar 16 — »
Jolies figures gravées d'aprî^ JoUain, par Henriquez. Bonnes épreuves.
VEjàire à nhademoiselle Duthè, qui étoit une des impwreê à la mode, donna
la vogue à cette édition ; les exemplaires furent achetée d*abord ptr let
810 BULLETIN DU BIBUOPHXLE.
nombreux amis, pour lui faire la cour, car elle se montra trëa^Uttée de U
dédicace. Jusqu'à ce qu'on l'eût avertie du persiflage; alora mb galants
reçurent le mot d'ordre de détruire tous les exemplaires qu'on pouTOil en-
core retirer des mains du public, qui n'eut garde de les rendre tous.
&10. Mesnardière. Les poésies de Jules de La Hesnar-
dière. PariSf Ant. de SommovUle^ 1666; in-foL, v. f.,
ÛL, tr. dor. {Niidrie) 56-^
Hippolyte-Jules Pilet de La Mesnardière étoit médecin à Loudun, d*o& il M
flt connoltre par un Traité de la mélancolie, composé à l'occasion de la pos-
session des pénitentes d'Urbain Grandier. Le cardinal de Richelieu nomaa
La Mesnardière son médecin, le poussa dans le monde, où l'esprit, la fadUté
d*élocution de La Mesnardière eurent assez de succès pour lui faire
donner la médecine et l'engager à se livrer aux lettres. Il commença
poétique en prose dont il ne publia que le premier volume ; il composa deu
tragédies, un chant nuptial pour le mariage du roi en 1060, et le gros y/fh
lume que Je catalogue, qu'il prétend , dans sa préface, n'avoir publié que
pour se mettre à l'abri du pillage des éditeurs de recueils qui difgurmitd
ses pièces.
Ce volume donc, enrichi d'une gravure faite sur un dessin de Le Brun, et
représentant Apollon chantant et faisant danser des Amours, se oompoM
d'une préface en prose, sorte de poétique académique; d'/nvefilûmt en deui
parties , d* Imitatioru profanes aussi en deux parties, d'/mitoitofu ioMti,
et de son discours de réception à l'Académie. Les inventions sont dea ^pttret,
des galanteries, des madrigaux^ des idylles, et un Hymne dis helieê ee»-
noiuanees de la nature^ à M»** la marquise de Rambouillet. Les imitatîoiia
sont des traductions des épigrammes de l'anthologie, etc.
Dans tout cela, La Mesnardière fait preuve de connoissances étendnea ai
réelles, et même de talent, mais ses ouvrages sont comme empreinte d'une
pédanterie et d'une vanité gourmée qui en rendent la lecture inrapporta-
ble. On y reconnolt le savant, l'académicien ; Jamais l'homme, Jamaie aaiw
tout le poète inspiré (Viollbt le Duc, BibL poétique).
Bel exemplaire de M. Armand Bertin, d'an volome impriaé avec lue al
prétention.
Ail. Mercure turc. 5. n. {Londres) ^ 1781; pet. in-S,
V. éc 16 — •
Ce Journal rare se compose d*un prospectus de tt pages et de 6 numén»
fonnani 324 autres pages. Ce sont des lettres politiques et anecdotiqoea,
toujoun satiriques, écrites de tous les points de l'Europe, par un Rinçais
né malin, léfugié à Londres, de peur de la Bastille, Tbevenot de Morande ou
le marquis de PeUeport •
BULLETU* DU BIBUOPHIU. 811
Ai 2. HoBisoTi {a.'Barth.) Epistolarum centuri» 1* et 2*.
Dmone^ 1656 ; 2 part, en 1 vol. in-i, vél — »
Recueil RAmi et coiiiux. — Gaode-Barthélenqj Morisot, siear de Chau-
denay et de Vernat, né à Dijon le 13 ami 1503, mourut le 33 octobre IMl.
Les deux cents lettres qu'il publia en 1050 sont datées de 1030 à 1053. La
première centurie est dédiée à J. Aug. de Thou, et la deuxième à Christine,
reine de Suède. A la fin du volume on trouTe les éloges latins de Jacq. Go-
defroy, de Cl. Saumaise, de J. de La Mare, de P. Le Goux et de J. Bouchu.
Le président Bouhier possédoit deux autres centuries de lettres manuscrites
originales de Morisot; la dernière ne contenoit que ringt-quatre lettres. Les
savants sont persuadés que toutes ces lettres n'ont Jamais été envoyées à
lear adresse. Quoi qu'il en soit, ce livre est fort intéressant ; il renferme des
détails curieux sur Marie de Médicis , le cardinal de Richelieu et Gaston
d'Orléans, sur la prise de la Rochelle et sur d'antres faits de l'histoire gé-
nérale de France. II fournit encore des renseignements précieux sur l'his-
toire de la Bourgogne et de la ville de D^on. Plusieurs lettres sont consa-
crées à l'analyse} de gravures et de libelles dirigés contre Louis XIII et ses
ministres, à l'éloge de Rubens et de la peinture, à l'histoire de l'Amérique
e( des guerres entre les Hollandois et les Portuguois au Pérou, enfin à l'ex-
plication de diverses antiquités grecques, romaines ou gauloises. Ce livre
contient en outre le rédt détaillé de l'histoire tragique d'Hélène Gillet et de
saTéhabilitation en 1035. Morisot fut, ditril, témoin oculaire de cet horrible
spectacle; il cite textuellement un fragment du discours prononcé par F^
vret en présentant au parlement de Dijon les lettres de gràœ accordées par
le roi à cette malheureuse fille. G. Peignot n'a pas connu les lettres de Mo-
risot
AÏS. NoDOT. Relation de la cour de Rome, où Ton voit le
vray caractère de cette cour, ce qui concerne le
pape, etc., &vec la visite des anciens monuments de
Rome, par Nodot, Paris^ 1701 ; 2 part, en un vol. in-12,
plans, V. m 8 — •
L'auteur, qui étoit à Rome avec M. de Lyonne, sous le pontificat de
Clément IX, écrivit cette relation dans des lettres qu'il adressa à l'ambas-
sadeur. Ces lettres tombèrent dans les mains d'un plagiaire, qui les publia
•a Hollande, en 1070, sous le titre d* Idées du conclave,
hlh. Œuvres poétiques : Histoire de Daphné, poëme
dédié aux nymphes du Palais-Royal. [S. n.) PariSf
1771, in-8 de 100 p., dem.-mar
812 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
l)cscri]>tionH du bois do Boulogiio, dc4 Tuileries, du Palait«RoyAl« etc., M
point de vue des mœui's. LMiéroUie du poOmc étoit une impure qu'on avoit
surnomini^o Madame Louis d'or^ et qui portoit habituellement une robe
v.crt d*eau, garnie en couleur de rose.
416. Palloy. Recueil de couplets composés en l'honneur
de Napoléon et des années françaises, par P. F. Palloy,
et distribuée à ses frais de 1807 à 1813; in-8, avec
une grande pi. pliée, dem.-inar 15-^»
La France littéraire a négligé d'indiquer ces couplets patriotiques, aia>
quels le nom du démolisseur breveté de la Baitillo donne un intérM tout
particulier. On comprend que ces feuilles volantes ne sur?ivoicnt paa à la
circonstance qui les avoit fait ré|)andrc par Palloy, ou plutôt par la poUoe
impériale. On a réuni à ce recueil quelques diansons anonymes du mâme
auteur, qui n'ont rien de politique, entre autres celle du Bal de Sceaux^
par un habitant de la commune de Sceaux.
A16. Pic de la Mirandole. Auree epistole Johannis Vld
Mirandule viri omnium mortalium doctissimi eloquen-
tissimique. {Impressum an. dom. 1509. 28 nov.) ; iii-A%
réglé, front, gr., cait • 30—»
Édition rare. Bel exemplaire. — Jean Pic de la Mirandole est tellement
connu, qu'il nous suffira de rappeler que cet illustre savant, né le 2& février
1463, mourut k l'âge de trente et un ans, le 17 novembre 1494, deux mois
après Ange Politien, le plus cher de ses amis.
Plusieurs éditions des Lettres de J. de la Mirandole ont été citées par
les bibliographes: Paris^ 1400 et 1502, in-4; Venise y 1529, la-8, etc.; mais
celle de 1500, sans désignation do lieu, n'est point indiquée. Elle offre
cependant une particularité qu'il est utile de signaler aux bibliopliilea.
L'article 23581 du Dict. des anon. de Barbier est ainsi conçu : ^iirea
epistole,,.,, cum duabtis epistolis Bapt, Mantuani^ et margitutriis anntftat.
Nie, Bonespei (Nie, Dupuy) Trecensis accuratione conquisitis, Paris, 4S06^
in-4. L'édition de 1500 nous parolt tHre une réimpression italienne de celle
de 1508, quoiqu'on ait omis d'inscrire sur le titre le nom de Nie BoBie-
pos; en effet, on y trouve les notes marginales de l'édition précédente ef
les deux lettres de B. Mantuan. De plus , on lit au-dessous de la gravure
en bois, dont le titre est orné t Peritissimi viri Johannis Piti Mlrandtsk
optts epistolamm accuratissime nuper recognitwn sedulaque opéra impret»
sum a quo omnia menda que in prima impressione comperiehantur omiitiio
nbstersa sunt. Cette pturase tendroit à faire croire que l'éditloii de 1500 en
BULLBTIlf DU BIBUOPHILB. 818
la deuxième, tandis qun nous savons qu'elle est « au moins, la quatrième.
L'imprimeur n*a-t-il point eu en vue l'édition de 1508, la première avec
les notes marquâtes et , peut^ôtre, avec les deux lettres de B. Mantuan ?
D faadroit donc restituer TéditioD de 1509, à Nie. IHipay, de Troyes, et
l'inscrire sous son nom, dans le Dict, des auteurs anon.
Les lettres de J. do la Mirandole sont pleines d'érudition ; quelquea-unes
ont été traduites en italien par Lud. Dolce. Ëllea sont suivies d'une prière
à Dieu , en vers latins {DtpreealQria ad Deum), oposcale du môme auteur.
L'éloge de cet illustre savant , et les regrets unanimes que causa sa perte
prématurée, font le si^et des deux lettres de B. Mantuan^ adressées à Jean-
Fraoçoîs, comte de la Concorde, neveu de Jean.
il7. PiTH^i (Francisci). Glossarium ad libros capitular
rium. pet. in-8, rel. en parch 24 — »
Quoique ce volume n'ait plus de titre, quoiqu'il soit un p<m fatigué par
l'usage et rocouvcrt d'une modeste reliure, il a tenu cependant une place
honorable daas la bibliotlièquc de Chardon de La Rochette, dont le nom est
inscrit sur la gard(> du livre.
Mais aussi cet exemplaire du Glossaire de François Pithou a été interfolié
par les soins du frt'rc de l'auteur, Pierre Pithou, qui a écrit sur les feuillets
blancs et sur les marges du volume une foule d'annotations, de corrections
el de longues additions : c'est donc un exemplairB prôdeux d'un ouvrage
eatimé et assez rare.
418. Rabutipi. Commentaires sur le fait des dernières
guerres en la Gaule Belgique, entre Henri II et Char-
les V, empereur, dédiés au duc de Nivemois, pair de
France, par François de Rabutin, gentilhomme de sa
compagnie. Paris, Vascoêon, 1555; in-4« vel... 35—»
Volume Imprimé avec un soin particulier et divisé en six livres, dont
voici les intitulés : Du commencement et origine de eet guerres; pwU de ee
ftn i'esi faict en Champaignet à sa première ouverture, l'an mil cinq cens
emspionte et un,-" Le voyage du roy tres-chrettien aux Allemagne^ pomr
la restitution de leurs libertei. — De ce qu*a esté exécuté par le roy trèê-
ekreitien au Duché de Luxembourg, à son retour d'Allemagne en 455$, —
De ee qui t'est faict en Lorraine^ devant la puissante dté de Èlet% et pais
de Picardie. '-^ De la prise de Teroenne et Hedin par V armée die FSmpé^
restr : puis de ce qui s^est faict au pais d* Artois et Cambréiie par oêUe du
Roy, ^ De ce qui s'est faict es Ardennet, Uèges, Henautt^ Braban et Artoiê .
tant par l'armée du Roy, que celle de V Empereur , eu 455i,
81i BULLETIN DU BIBUOPmLE.
A19. Raillerie universelle , dédiée à l'éminentissiiiie
cardinal de Richelieu. Paris^ 1635; in-8» mar. r., fil.
comp. tr. dor. {anc. rel. du temps) 50-
Ce lirre est précédé d'une longue épltre en prose au cardinal, qui ne
apprend rien du tout, pas même le nom de l'auteur, qui n'a signé que par
l'initiale P. Mais le privilège autorise messire Anthoine Picot, bwon dn
Puiset, grand maître des eaux et forûts de Languedoc, à imprimer sa
raillerie universelle, etc. Je crois ce M. Picot fort peu célèbre, et aon lim
ne le fait pas avantageusement connoltre; c'est un recueil de quatre cont
quinxe quatrains, affectant tous la forme des deux premiers , que Je Tiii
citer :
Si les vertus sont délaissées.
Bien qu'elles dcvroient nous charmer.
C'est qu'estant mal récompensées.
Peu de gens les veulent aimer.
Si le vice devient énorme
Bn s'attachant aux passions.
C'est que l'habitude se forme
Par de fréquentes actions.
La plupart de ces quatrains pourroient servir de supplément à la eéMm
cbanion du sieur de La Palisse. (Viollbt le Duc, Bibl, poéi.)
&20. Sgarron. Œuvres de Scarron, nouvelle édition aug-
mentée de l'histoire de sa vie et de ses ouvrages, d*un
discours sur le style burlesque, etc. Amsterd.^ fFeisteùif
1762 ; 7 vol., pet. in-12, fig. d. rel. non rogné. 70—»
Scarron (Paul), né à Paris, en 1610 ou 1611, mort en 1660, est trop
connu par la bizarrerie de son esprit, par la difformité de sa taille, par
son mariage avec Françoise d'Aubigné , depuis marquise de Maintenoa ,
par sa liaison avec toute la société distinguée de son tempe, pour que Je
répète de lui ce que tout le monde sait ou ce qui se trouve partoat. C*ert
celui de nos poètes françois peutpétre dont la biographie est la plus eom-
plète.
Scarron passe à Juste titre pour être l'inventeur ou plutôt l'introducleiir
du burkêque en France ; car ce genre parolt avoir été originaire dltalie,
où Francesco Bemi, mort en 1538, avoit composé ses BurUiehe cpere.
Caporali et Lalli furent ses élèves, et peut-être Scarron le fut-il de ceux-d
en publiant son TVpAon, vers 1640. Quoi qu'il en soit, il ne manqua pas lui-
même d'imitateurs dans ce genre facile et peu estimable. Il est Juste de
BULLETIN DD BIBUOPHILI. 815
dira pourUnt que Scarron est le seul qui évita Tespèce de répoliion qui lei
atteignit plus tard ; on ne peut lui refuser, avec l'originalité , des pensées
naturelles et m6me naïves, des expressions d'une grâce ingénieuse, et sur-
tout une gaieté d'autant plus remarquable qu'elle étoit à l'épreufie de la
maladie et des douleurs physiques les plus aigute.
On peut lire avec plaisir vingtnrinq ou peut-être cinquante vers du
Tiphon ou du VirgUe travesti ; la lecture du poôme» de suite, ne me parolt
pas supportable. Scarron a adressé des vers à beaucoup de monde, à ses
amis, à la reine, où il règne quelquefois, à travers sa gaieté, un sentiment
de douceur et de mélancolie qui n'est pas sans charmes. G'étoit un fort
bon. homme, nonobstant sa malice, charitable dans sa propre détresse, et
qui sut se faire aimer. Prosateur très-remarquable, il a quelques nouvelles
pleines de grâce, et son Roman comique se lit encore avec profit , car c'est
paifois un modèle de narration. Viollbt-lb-Doc , Bibliothèque poétique .
A21, ToRRENTiNUS. Orationes familiares et elegantissime
ex omnibus Publii Ovidii libris formate. •• per Herman-
num Torrentinum de studiosa adolescentia illisipsis
optime merentem. {Impre^e colonie per Martinum de
Werdens, s. a.); pet in-8, demi-gotb., cart. . 24—»
ÊDmoiv TRBS-RARB. — Hormano Torrentinus, dont le véritable nom étoit
Van Beeck, naquit vers le milieu du xv« siècle, â Zwol, dans l'Over-Yssel,
et mourut vers 1520. Il professoit la rhétorique â Groningue, en 1600, et il
fut regardé par ses contemporains comme l'un des plus célèbres grammai«
riens de son temps et de son pays. Il se distingua surtout par la publica-
tion de son Elucidarius carminum et historiarum^ premier essai que l'on
connoisse des Dictionnairei hiitoriquei.
Les Orationes familiares sont destinées aux écolier8.|[Get opuscule est
composé de phrases détachées, en prose latine, dont on peut se servir dans
une conversation familière. La plupart des mots qui forment ces phrases,
sont extraits des œuvres d'Ovide, et les plus difficiles sont expliqués par
l'auteur. Prosper Marchand, d'après Maittaire et Foppens, ne cite que
l'édition des Orationes familiares, imprimée â Cologne, ehe% les kirit, de
QuenteUy 1510. La Jolie édition de Mart. de Werdens, t. d.» n'a point été
connue par ces bibiiograpbes. Au surplus, c'est un livre d'nsage, dont les
exemplaires sont devenus fort rares.
A22. Voyage (le) de monsieur de Cléville. LondreSf 1750,
iii-12 de 150 p., frontisp. grav., dem.-mar.. 18 — »
Ce volume rare, qui sort évidemment d'une imprimerie particulière, et
dont on exemplaire est décrit dans le catalogue La Vallière ^yon) m ratt»-
816 BULLETIN DU RIBUOPHILB.
die aux ou?rages relatifs à la cteseription de Paris. C'est un petit VQfege
dans la capitale en 1750. Le voyageur s*imagino qu*U est à Rome «t ni-
tmche tout ce qu'il voit à ce qu'il a lu dans ses auteurs latins ( l'idée «t
Jolie et assez bien exécutée. Le fh>ntispice rappelle ceux de Cochin. Maie
ce qui donne à ce volume un intérêt singulier, c'est un conte inédit de Le
Fontaine intitulé Let effeU de la nature, lequel n'a été recueilli dana
aucune édition du fabuliste.
Le xnôme volume contient un petit roman allégorique t DelpkimM. À
Kiamif 1751, 52 pag., sorti également d'une imprimerie partienlière.
A23. Victoire (la) obtenue par le duc d'AIbe sur le
prince d'Orange et ses gens, peu après la réduction
par luy faicte de la ville de Malines en Brabant, en
l'obéissance du roy Philippe catholique d'Espagne.
Ensemble les noms et nombre des occis en ladicte ren-
contre, et des prisonniers : aucuns desquels ont depuis
esté justiciez par le commandement du roy d'Espagne.
Plus, un bref récit des triumphes et manificences faictes
au couronnement du séréniss. S' Raoul> fils de l'em-
pereur Maximilien, roi des Romains. Paris, GuiUaume
de Nyverd^ s. a. (1572) ; petit în-8 » — »
TRRS-aAnB. — Guillaume do Nyverd, imprimeur ordinaire du roi, avolt
obtenu de François 1«' un privilège général pour imprimer et expoêtr en
vente tous et chaacuns /es livres, ou cayers dont il recouvrira tant les co^
pies nouvelles que par cy-devant n'auroient esté imprimées, qu'autres par
nj-nJevant imprimées, qu*il fera reveoir, corriger, amender ou translater de
quelque langue que ce soit en vulgaire françois, et de quelque faculté qu'ils
soient. Pendant plus de vingt ans, G. de Nyvei-d exploita ce privilège.
Toujours à l'affût des événements politiques qui se passaient ftoit en
France, soit à l'étranger, il s'empressoit de livrer au public les nouvelles
les plus fraîches, dussent-elles ne former qu'une demi-feuille d'impreadon.
Plus la plaquette étoit mince, plus le titre étoit long et ronflant On peat
Juger du savoir-faire de cet imprimeur du xvi« siècle, en lisant le titre de
La victoire obtenue par le duc d*Albe^ titre assez étendu pour convenir à
un in-fol., et (|ui appartient cependant à une brochure de 13 pages pet.
in-8 (non compris le titre etle privilège], ornée de larges fleurons, d'alinéai
trèa-espacés, et Imprimée en [caractères ^ d'assez forte dimension. Ced
nous représente les canards du xvi* siècle. La première pièce que [ren-
ferme cotte brochure, est une lettre adressée de Bruxelles, le 3 novem*
bre 1572, à Monseigneur Monseigneur de S. A., et commençant ainsi:
Considérant, Monseigneur, vostre illustre seigneurie estre désireuse d'en*
BULUTIN DU B1BU0PHILE. 817
imérê choêBM nouvêUesJc n'ay voulu faillir wms advêrtir du déêOMtre ad-'
venu cen jours passe* au camp du prince (tOrange, et comme, Momei-
Iftiêur Voilà tout ce que contient la première page. Le titre de cette
page dant le sens ett si habilement suspendu que Ton croit devoir lire au
bas, Im suite au prochain numéro^ suffisoit bien pour exciter la curiosité
des Parisiens qui certes ont été et sont toujours aussi friands de choses
nouvelles que Monseigneur de S. A. Ce récit de la déftdte du prince
d'Orange finit à la 7* page. La relation du Séréniss. S'. Raoul, fils de
l'Empereur^ est datée de Vienne en Autriche, le 20 septembre 1572, et
adressée à un grand personnage, Monseigneur, le continuel souvenir do»
bienfaits que je reçois journellement de rostre maison, etc.... Ainsi, ce
sont des lettres authentiques que publioit Guill. de Nyverd; ce ne sont point
des nouvelles fabriquées dans son cabinet, ou communiquées par des cor-
respondants souvent peu consciencieux. Les canards qu'on nous sert en-
core chaque Jour n'ont aucune valeur. Rs répètent le lendemain ce que
les journaux ont annoncé la veille. Les canards d'autrefois étaient fort re-
cherchés : ils tenaient lieu des gazettes qu'on avait oublié d'inventer.
Guill. de Nyverd étoit le véritable Journaliste de son époque. A ce titre,
lea brochuret» qu'il a publiées conserveront toujours une certaine impor-
tance historique.
PUBLICATIONS NOUVELLES.
424. Appendice et tables du catalogue des estampes histo-
riques de M. L. R. de L. (Le Roux de Lincy), 1856,
in.8o 2 50
Cette brochure forme le complément du catalogue de la vente faite le 10
novembre 1855. Elle comprend: lo des détails sur plusieurs pièces curieu-
ses; 2« la table des noms d'artistes pour chaque estampe ; 3® le relevé des
prix d'adjudication.
425. Le cabinet historique, revue mensuelle publiée sous
la direction de M. Louis Paris. 1856. Juin (6' livraison),
în-8* de 3 feuilles » — »
Correspondance du Cabinet historique. — Documents pour servir à l'his-
toire des arts, des lettres et de l'industrie (suite). — Réponse à M. Paul.
Lacroix. — Captivité et délivrance de François i*'. — Lettres de Fran-
çois I»', Loyse de Savoie, Florimond Robcrtet et Wolsey, cardinal d'Yorrk.
— Corri'îipondana; de dom Vaissette. — Lettre du marquis d'Auboi». —
Lettre de LcchapelUer, constituant.
818 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
A26. Discours sur l'origine des Russiens et de leur
miraculeuse conversion , par le cardinal Baronius, tra-
duict en françois par Marc Lescarbot, nouvelle édition
revue et corrigée par le prince Augustin Galitzin, 1866;
in-16, papier de Hollande i-p
Petit volume imprimé avec soin et tiré à petit nombre.
427. Fénelon. Lettres spirituelles de Fénelon* édition
revue et corrigée par M. Siivestre de Sacy. Paru, 1856,
3 gros vol. in-16 br 18—»
Papier de hollande , tiré à cent exemplaires :
15 fr. le volume 46—»
Troisième publication de la Bibliothèque spirituelle publiée par M. de
Sacy.
428. Génin. Récréations philologiques, ou recueil de
notes pour servir à l'histoire des mots de la langue
française, 1856 ; tome !•' 5 60
L*ouvrafce formera deux volumes.
BULLETIN
DO
BIBLIOPHILE
REVUE MENSUELLE
PUBLIÉE PAR J. TECBENEB
ATKC Ll C0NC0UB8
Db HM. L. Babubr, conservatear-administratear à la bibliothèque du
LouTTO; BoiTBAn d*AMBLY ; Ap. BaïQDBT; G. BaoHBT; Euaèbe Gastai-
«K£f bibliothécaire à Angoulâme ; J. Chui o ; V. Cousin, de i* Acadé-
mie firaaçoiBe; CoYiLUBa-FLEUBT ) DBSBAaaBAux-BEBiiAao, bibliophile;
A. DiNADX; A. EaNODF, bibliophile ; Fbrdmaiid-Dbnis, consenrateur à la
bibliothèque Sainte -Geneviève; J. db Gaillon; Alfbbd Gibaud;
Gbaugibb db La Maboii&bb, bibliophile; P. Lacboix (BdUophilb Jacob);
J. LAMOUBEIIX ; G. LbBBB ; LBBODX DBLiNCT ; P. DBHALDBN ; db MORMBBQOi ;
Fb. Moband; Paulin Paris, de Tï^titut; Louis Pabis ; D' J. F. Patbn;
PBiLABàTB Chaslbs, consorvateor à la bibliothèque Mazarine ; J. Picbon,
président de la Société des bibliophiles francois ; Sbbqb Poltobateki ;
Rathbby, bibliothécaire au Louvre; Rouard; S. db Sact, de TAcadémie
françoise; Saintb-Bbuvb, de l'Académie françoise; A. Tbolbt;Gh. Wbiss;
Ybhbnu, de la Société des bibliophiles francois ; etc., etc.,
contenant des notices bibliographiques, philologiqoesy histo-
riques, uttérairesy et le catalogue raisonné des livres de
l'Éditeur.
JUILLET ET AOUT
DOUZIÈME SÉRIE
APAftIS
J. TEGHENER, LIBRAIRE
RUE DE L'ARBRE SEC, 53, PRÈS DE LA COLONNADE DU U>nVBE.
1866.
57
Sommaire du n^ de Juillet-Août de la douzième série du
Bulletin du bibliophile*
UN VOYAGE SENTIMENTAL EN FRANCE dans les
années 1787, 1788, 1789, 1790, par le vicomte de
Gaillon 821
DES ÉDITIONS ORIGINALES DE SHAKSPEARE. . . m
PETITES RECHERCHES SUR LES CANCI0NER03
ET ROMANCEROS, par Gustave Brunet 8&5
REVUE DES VENTES. — Vente A. Veinant. — Vente
Hebbelinck de Lille — • Belward Ray à Londres.
— Falkenstein à Leipzick 852
ANALECTA BIBLION. — Quadruvium ecclesie., par
Ap. Briquet 856
— Discours de l'origine des Russiens^ par le prince Galitzin. 861
RÉDACTEURS DU BULLETIN DU BIBLIOPHILE, cou-
ronnés par r Institut 864
REVUE DES PUBLICATIONS NOUVELLES 867
NOUVELLES ET VARIÉTÉS BIBLIOGRAPHIQUES. . 876
CATALOGUE 883
UN VOYAGE SENTIMENTAL EN FRANCE
DANS LES ANNÉES 1787, 1788, 1789, 1790.
Les bibliophiles sont comme Molière, et, en faisant cette
comparaison, je m'enorgueillis et me rengorge pour mes con-
frères et moi; les bibliophiles sont comme Molière, ils prennent
leur bien où ils le trouvent, et ce bien, où ne le trouvent-ils pas?
Tous les siècles, tous les lieux le renferment : bibliothèques
publiques, bibliothèques privées, riches magasins des libraires,
humbles échoppes des bouquinistes, môme ces quais où lan-
guissent tant d'auteurs dignes peut-être d'une meilleure desti-
née, tout cela forme le domaine qu'ils explorent et où ils vont
butinant comme l'abeille. Encore une jolie comparaison dont
me devra savoir gré la société des bibliophiles françois ! com-
paraison qui ne se seroit certainement pas présentée à mon es-
prit en voyant dernièrement sur le quai H. X... au moment où
il venoit d'acheter un livre qui paraissoit exciter à un haut de-
gré sa curiosité et son plaisir. Le temps étoit brumeux et il
menaçoit de pleuvoir, et, quoique les abeilles ne sortent guère
que par le beau temps, M. X... marchoit son parapluie sous le
bras, et, tout en marchant, il feuilletoit son bienheureux vo-
lume, essayant d'en lire au moins la préface, essai tant soit peu
contrarié par son parapluie^ qui trouvoit apparemment la cir-
constance favorable (les parapluies, même les parapluies de
bibliophiles n*ont aucune idée de livres et de littérature) pour
s'échapper de sa prison et se glisser jusqu'à terre. M. X..., sans
822 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
interrompre sa lecture, serroit instinctivement le coude pour
retenir le fugitif : double besogne qui imprimoit à toute sa per-
sonne une attitude contrainte, gênée, bien capable de faire
sourire les passants et de leur rappeler celle de M. Shandy se
trompant de main pour chercher son mouchoir dans sa poche.
J'étois un de ces passants qui eussent pu sourire, et je crois
avoir souri, mais avec un sentiment de bienveillance, et non
sans faire certain retour sur moi-même. 11 me semble que
M. X... m'a entraîné bien loin de mon sujet; jamais poète ly-
rique, même quand il s'écrie : n Où suis-je? où m'égaré-je? »
fut-il plus loin de sa route, plus perdu que je ne le suis en ce
moment ?
£h! non, je suis sur ma roule; je suis sur le quai, non plus
pour M. X..., mais pour mon propre compte, sur le quai où je
viens d'acheter trois gros volumes déjù bien vieux et qu'on ne
lit plus, quoiqu'ils soient presque de notre temps. De ces trois
volumes, j'en ai mis deux sous mon bras et je feuillette l'autre,
ce qui vous permet, ô lecteurs déjà disposés à vous moquer de
votre prochain, de m'attribuer quelque posture ridicule comme
à M. X... Vous comprenez maintenant la prudence de ce retour
que je faisois tout à l'heure sur moi-même. Mais ce n'est pas de
moi (le moi est haïssable, a dit Pascal), c'est de mon auteur
que je veux parler.
Mon auteur, même en supposant que vous ne l'ayez pas In,
est assurément de votre connoissance. 11 étoit aussi de h
mienne. Déjà, j'avois fait sa rencontre au Pradel, chez notre
vieil ami Olivier de Serres, et même j'avois alors conçu de loi la
meilleure opinion à le voir témoigner, par des signes quelque
peu excentriques, son enthousiasme pour le père de notre agri-
culture. Maintenant, Arthur Young (c'est de lui qu'il s'agit)
est devenu mon ami, et, en cette qualité, je vous le présente,
lecteurs du Bulletin, désirant qu'il devienne aussi le vôtre, et
ce préambule un peu long n'est que pour vous dire que j'ai bien
le droit de ne pas toujours aller chercher mes personnages dans
le xvr siècle, ni même parmi les poètes.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 82S
Pourquoi n'admettrions-nous pas dans nos rangs les agro-
nomes, quand à leur agriculture , très-estimable du reste, ils
mêlent l'esprit, la gaieté, la bonne humeur? C'est ici le cas de
notre Anglois, qui, sans perdre de vue le but pratique de ses
excursions en France, applique à tous les sujets un esprit ob-
servateur, une iroagination^originale, si bien qu'ayant à lui as-
signer une place parmi les voyageurs, je le mets dans la ca-
tégorie la plus rare et la plus aimable et découvre en lui, sous
le voyageur agricole, un voyageur sentimental. Oui, sentimental,
et ce mot est synonyme de tant de jolies choses que j'en suis
presque au regret de l'avoir prononcé, tant je crains de ne pas
remplir la promesse qu'il renferme. Mais ce mot, comment ne
Teussé-je pas prononcé, voyant Young débarquer à Calais, à
l'auberge de M. Dessein, non pas le M. Dessein avec qui Sterne
entra en marché pour une désobligeante ^ mais son fils proba-
blement. Young n'avoit pas de voiture à acheter. Il faisoit ses
tournées en France, monté sur une vieille jument, personnage
qui joue un grand rôle dans tous les récits que nous allons
foire, et sur lequel je compte pour éveiller l'attention et la
sympathie de mes lecteurs.
Notre voyageur, que rien n'arrête à Calais, et qui n'a d'a-
ventures ni avec un moine, ni avec une dame (l'aventure avec
une dame viendra tout à l'heure), arrive à Paris, puis à Ver-
sailles, où il débute par une bévue ; assistant, dans la chapelle
du château, à la cérémonie du Cordon bleu, que le roi donnoit
au fils du comte d'Artois, à ce duc de Berry que nous avons va
mourir sous le poignard de Louvel, il crut que l'enfant étoit le
dauphin, méprise moindre que celle de prendre le Pirée pour
on homme; mais une dame (voici la dame venue en attendant
le moine), une dame avec laquelle il s'en expliqua n'eut point
assez de philosophie pour se dire qu'un pauvre Anglois, non»
vellement débarqué en France^ pouvoit ignorer que le dauphin
naissant avec le Cordon bleu, il n'étoit pas besoin de le lui
conférer, et, par conséquent, accueillit son propos par un rire
très-impertinent. Si la dame, en cette occasion, manqua de
82& BUixrrni dd bibuophile.
philosophie, notre voyageur pourrait en avoir manqué aussi h
sa manière. A l'entendre raconter sa mésaventure, il semble
que le rire dont il fut l'objet Ta mis de mauvaise homenr,
si bien que, faute de philosophie, il fait le philosophe et
s*égaye aux dépens de ces bavettes bleues, de ces bavettes
blanches et de ces maillots qu'il est si important de savoir dis-
tinguer.
Bientôt, nous le trouvons loin de la cour, sur la route des
Pyrénées et à Baçnères, où il passe quelques jours dans la So-
ciété du duc de La Rochefoucauld et de ses amis, et alors, quel*
que blessure qu*eût faite à son amour-propre le rire de la dame
de Versailles, il lui fallut convenir quMl n'y avoit rien de plus
aimable que les dames de la haute société francoise. Il revient
à plusieurs reprises sur ce sujet, à Paris et k Lianconrt, partout
où l'accueille l'hospitalité du noble duc et de sa famille. Dans
ce séjour à Bagnères, une seule chose le dérange, le dîner h
midi, heure qu'il trouve bien incommode, et l'étiquette de la
toilette, qui, par suite de la gène de l'heure, devient gênante
elle-même. Il voudrait visiter les montagnes, se livrer à ses
goûts de naturaliste et de savant. Mais le moyen, avec cette né-
cessité d'être au salon en grande tenue dès midi ! A quoi, s*é-
crie-t-il gaiement, à quoi est bon un homme après avoir mis
ses bas et sa culotte de soie, et lorsqu'il a son chapeau sous
le bras et la tête bien poudrée? Peut-il botaniser, minêra-
liser? A quoi, encore une fois, est bon un homme en cet
état, qu'à causer avec les dames et qu'à leur faire la oour?
C'est là, sans doute, un très-doux et très-agréable emploi da
temps, mais qui peut trauver sa place aux heures du soir.
J'aime cette culotte et ces bas de soie qu*Young prend à partie.
On connolt toute la futilité de nos petits-mattres françois et de
cette portion de notre aristocratie qui fréqnentoit la cour. La
cause de cette futilité nous est ici indiquée, et nous voudrions
voir l'Aeadémie des sciences morales et politiques proposer
cette question : l)e l'influence de la culotte et des bas de soie
sur la société en France.
bulletui du bibuoprile. 825
Mais Toong a quitté ses compagnons et ses hôtes de Bagnères;
le voici seul sur ces majestueuses routes du Languedoc qu'il ne
se lasse pas d'admirer ; en considération de leur beauté, il feroit
presque grâce au despotisme qui les a fait établir; même à la
vue du canal de Riquet, un cri d'admiration lui échappe pour
le roi Louis XIV. Chemin faisant, il ne manque aucune occa-
sion pour observer Tétat des pays qu'il traverse, les usages des
habitants, surtout en ce qui touche sa chère agriculture. Il est
seul, comme nous l'avons dit, heureux^ par conséquent, libre
de toute entrave. Sa culotte et ses bas de soie ne Timportunent
plus. Ce n'est point aux dames, aux grands seigneurs qu41 fait
sa cour, mais aux villageois, aux laboureurs, s'arrêtant à la
porte des métairies, devant l'aire où l'on bat le blé. « En Lan-
guedoCf cette aire n'est la plupart du temps qu^un endroit sec et
ferme, où Von fait aller nombre de chevaux autour d^un centre;
une femme tient les rênes et une autre ou une petite fille ou
deux fouettent les animaux ; les hommes fournissent et dtent le
grain, d'autres Vèmondcnt en le jetant en Vair pour que le vent
emporte la paille. Tout le monde est occupé, et cela avec un tel
mr de gaieté que les paysans paroissent aussi contents de leurs
tratKiux que le fermier de son grand tas de blé. » Et Young, à
cette scène qu'il trouve singulièrement gaie et animée, de des-
cendre de cheval et de s'approcher de ces braves gens qui re-
çoivent de bon cœur le vœu qu'il forme pour que le prix du
blé, bon pour le fermier, ne soit pas cependant trop élevé pour
le pauvre. Représentons-nous ce petit tableau, et, pour le ren-
dre plus agréable, plaçons-y dans un coin la vieille jument, à
laquelle une gentille paysanne présente quelques brins de paille
fraîche pour égayer la pauvre bète et aussi pour payer la bien*
veillance de l'étranger. Nous avons averti nos lecteurs que la
monture d'Young seroit presque aussi souvent en scène que son
cavalier et qu'elle étoit notre héroïne autant que lui-même est
notre héros. Young notre héros, cela est bien pompeux, puis-
qu'il n'est ici le sujet d'aucune épopée, pas même d'une odys-
sée, bien qu'il s'agisse de voyages. Quoi qu'il en soit, Homère
826 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
n'attachoit pas plus d'importance aux chevaux d'Achille que
nous n'en attachons à notre jument, ce qui est beaucoup dire.
Les chevaux d'Achille parloient, il est vrai, mais notre jument
ne parle-t-elle pas aussi ? ne dit-elle rien à notre esprit et à
notre cœur ? Que nos lecteurs attendent, pour décider cette
question, à voir la fin de notre voyage.
Young n'ayant, ainsi que nous venons de l'avouer, rien de com-
mun avec les héros, certes il n'y a point de comparaison à faire
entre lui et don Quichotte. Je ne sais pourtant pourquoi sa ju-
ment, à laquelle je reviens toujours, me fait penser à Rossinante
moins heureux qu'elle, et qui n'avoit à gagner que mauvaiscoups
et horions dans ses courses avec son maître, toujours en quête
d'aventures périlleuses, de princesses à délivrer, d'enchanteon
à combattre. Ne t*oiïense pas, malgré la précaution que je
prends, de ce rapprochement, ô voyageur, et souviens-toi que
je t'ai élevé à la dignité de voyageur sentimental, ce qui est
presque aussi beau que d'être chevalier errant. Je connois ton
grand sens, ta parfaite raison ; je sais qu'à la vue d'un moulin
à vent, tu ne te sens pris d'aucun désir de le pourfendre, mais
que, alors, tu penses avec bonheur k ce grain qui, broyé sous
la roue, va servir de nourriture h l'homme. Ce n'est pas que, à
l'occasion de ces voyages, dont le but étoit si louable, toi aussi ta
n'aies passé pour avoir en tête quelque petit grain de folie, et que
plusieurs de tes hôtes, gens honnêtes, du reste, et de bon sens,
n'aient été tentés de penser de toi ce que pensoient de don Qui-
chotte le curé et le barbier. Même l'un d'eux t'en flt Taveo,
trouvant, sinon folle, au moins singulière et excentrique cette
idée de venir d'Angleterre étudier Tagriculture en France, et
jurant, ce en quoi, certes, il ne se trompoit pas, qu'aucun
François ne parcouroit l'Angleterre dans la même intention
(toujours à cause des bas et de la culotte de soie).
Une grande ressemblance entre don Quichotte et Young, et
dont ce dernier seroit heureux, c'est que lui aussi, notre agro-
nome, il est un redresseur de torts. Cette France, qu'il par-
court, est, pour lui, comme une princesse à délivrer du som-
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 827
meil léthargique que fait peser sur elle un enchanteur plus
puissant que Merlin, le despotisme. Habitué à voir en Angle-
terre les heureux effets d'une administration intelligente, c'est
au gouvernement qu'il s'en prend de tout ce qu'il voit chez
nous de fâcheux. Si le gouvernement a créé ces belles routes
qu'il admire, c'est par sa faute qu'elles sont solitaires et que
l'herbe y pousse de tous côtés; solitude et abandon tels
qu'Young, en ce midi qu'il explore en ce moment, fait 82 lieues
sans rencontrer d'autres voitures que deux cabriolets et trois
misérables vieilles chaises de poste. Aux abords de Paris, c'é-
toit presque la même chose, et nul mouvement n'y révéloit le
voisinage d'une grande capitale. Le contraste avec Londres,
sous ce rapport, étoit si frappant qu'on ne pouvoit se l'expli-
quer qu'en supposant que les François étoient les plus séden-
taires et les Anglois les plus remuants des hommes.
Le chapitre des routes nous conduit à celui [des auberges.
Hais à quoi bon des auberges là où il n'y a pas de circulation?
Aotti celles de France sont-elles en petit nombre et surtout
très-mauvaises. C'est là un sujet de plaintes assez ordinaire
aux vojrageurs, qui ne manque pas à notre Anglois, et cela lui
founiit une nouvelle occasion de louer l'Angleterre à nos dé-
pens. « En Angleterre^ dans les villes de 1,500 à 3,000 hahi"
tOMts^ VOUS trouvez de jolies auberges^ des gens bien mis et bien
propres qui les dirigent, de bons meubles et une honnêteté agréa^
ble. Rien de pareil en France ; les auberges y sont malpropres^
la plupart du temps n'ont point de salle à manger ; on vous sert
dans un appartement où il y a deux^ trois ou quatre lits ; d'hor^
ribles papiers de plusieurs couleurs dans les chambres ou de
vieilles tapisseries qui sont de vrais nids à rats ; point de son^
nettes ; il faut continuellement s'égosiller pour appeler la pile^
f f , quand elle parott, elle n'est ni propre y ni bien mise, ni jolie.
Le mattre est, en général, le cuisinier , et, moins on voit de ses
opérations, plus on est dans le cas d'avoir de Vappétit pour
dtner. » A ce portrait de nos auberges^ il faut ajouter ce
qu'Young dit des tables d'hôtes, où règne un silence glacial, ce
828 BCUETIN DU BIBLIOPHILE.
qui rétonne beaucoup, lui qui, au coin du feu, en Angleterre,
s*étoit, sur la foi des voyageurs, imaginé que les François
étoient très bavards. « A Montpellier, quoique je fusse une fois
en compagnie de quinze personnes, dont quelques-unes étaieni
des dames, il me fut impossible d'en rien arracher que des mo-
nosyllabes, » A Nîraes, même remarque de sa part; aa dîner,
aucun François n'ouvrit la bouche, si bien que, sans un Espa-
gnol assez communicatif, malgré la gravité de sa nation, il eftt
coui-u le risque de perdre Tusage de la langue. La seule chance
qu'il y avoit que le silence fût rompu, c'étoit quand des cheva-
liers de Sainl-Louis ou des marchands contoient fleurette à la
fille qui servoit, et qui, d'ordinaire, n'avoit ni bas ni souliers.
Les souliers étoient un luxe en France, si nous en croyons
notre touriste, qui, partout, n'a rencontré que paysans à peine
vêtus, que femmes presque nues, grand nombre aussi de pau-
vres petites filles, quelquefois charmantes sous leurs haillons,
et que raum(>ne qu'on leur faisoit contenloit moins qu'elle ne
les étonnoit. Tout ce monde misérable, grand ou petit, viYOit
accoutumé h sa détresse sans penser à en sortir. Cependant,
quelques pressentiments avant-coureurs des grandes commo-
tions agitoient le peuple. Voici qu'un jour, en 1787, Young,
montant une montagne h pied pour soulager sa jument, est
accosté par une femme de 28 ans, qui paraissoit, à nne cer-
taine distance, en avoir 70; elle étoit toute ridée. Cette femme
se plaint à lui de la dureté des temps et lui tient à peu près le
langage du pauvre bûcheron de la fable à qui les impôts, la
corvée faisoient d'un malheureux la peinture achevée. Mais la
fin de sa plainte trahit une espérance bien significative h cette
date de 1787. Une rumeur vague étoit venue jusqu'à cette pauvre
femme. On lui avoit dit que de grands personnages alloient faire
quelque chose pour soulager les griefs des pauvres. Elle ne sa-
voit ni qui, ni comment, a Cependant, ajoutoit-elle, que Dieu
nous envoie de meilleurs temps, car les tailles et les impôts nous
écrasent ! ))
Cette misère, dont l'aspect l'attriste, Yoang en fait peser en
BULLBTIlf DU BIVLTOPHILB. 820
partie la responsabilité sur les grands seigneurs, et, malgré ses
liaisons avec quelques-uns d'eux, il s'exprime franchement à
cet égard et accuse leur mauvaise administration. Partout, dit-
il, leur voisinage se révèle par la quantité de terres en friche.
« Le prince de Soubise et le duc de Bouillon sont les deux plus
grands propriétaires territoriaux de toute la France, et la seule
tmarque que j'aie vue de leur grandeur sont des jachères^ des
Imndei, de la bruyère^ de la fougère. Cherchez le lieu de leur
résidence j vous le trouverez probablement au milieu de forêts
Uen peuplées de daims, de sangliers et de loups, n A la suite de
ces réflexions vient une boutade qui nous parott presque
cruelle à nous qui savons la suite des événements. A ces grands
seigneurs, amis de la chasse, c'est bien un autre divertissement
qu'Young propose : il veut les faire danser : « Oh ! si j'étais
seulement pendant un jour législateur de la France^ je ferais
Uen danser tous ces grands seigneurs! n Pour rendre la France
heorease, Turgot demandoit six mois de despotisme. Est-ce la
même pensée qu'exprime notre voyageur et se croit-il plus
expéditif et plus habile que Turgot ?
Mais voici Young en Béam, et, pour le reposer des tristes
spectacles qu'il a eus sous les yeux, s'offre à lui un gracieux
tableau de bonheur. Gomme si dans cette contrée, berceau de
Hanri IV, la poule au pot, vraie gasconnade pour le reste de la
France, étoit une réalité. Ici, tous les paysans sont propriétai-
res eC vivent à leur aise. Il remarque et note au passage leur
air de joie que tout partage autour d'eux, même leur cochon,
qins'égaye et grogne de contentement, et, après qu'il s'est bien
promené, rentre volontiers en son logis, aussi propre, aussi
bien tenu que celui de son maître. Hélas! h peine a-t-il joui de
cette heureuse impression, qu'un tableau d'un autre genre
vient lui remettre dans l'esprit les funestes effets du despotisme.
Passant près de Lourdes, en vain il admire le magnifique colo-
ris du paysage, où le jaune doré des moissons se mêle au vert
foncé des prairies; l'aspect du château l'attriste, et il s'occupe
moins de sa situation pittoresque sur on rocher que de sa des-
830 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
tination qui est d'enfermer les prisonniers d'État, c'est-à-dire
des malheureux qu'arrachent k leurs familles les méflances de
la tyrannie. « Oh ! liberté, liberté ! et cependant c'est ici le plus
doux des gouvernements des pays importants de VEurope, le
nôtre excepté. »
De Lourdes, Young revient à Paris, qu'il ne fait que traverser,
puis h Liancourt, où il retrouve cette aimable et aristocratiqae
compagnie, dont il jouit encore mieux qu'à Bagnères, puis en-
core à Paris, où il séjourne avant de retourner en Angleterre;
il observe, selon sa coutume, il étudie toute chose, il s'informe
des pommes de terre et fait une visite à Parmentier, à Dauben-
ton qui, pour avoir écrit sur l'histoire naturelle, crojroit poa-
voir faire de l'agriculture, et qu'il traite de mauvais agricul-
teur. La halle aux blés excite son admiration et lui parolt sus-
pendue en l'air par la main des fées ; pendant qu'il est dans
le quartier, il dit un mot des pois, des fèves, des lentilles.
Puisque nous sommes sur le chapitre des légumes, racontons
comment notre Anglois fut, si je puis me servir de ce terme,
légumineusement révolutionnaire dans sa visite à l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés, dont l'abbé est un de ces grands sei*
gneurs qu'il feroit volontiers danser, si l'on faisoit danser les
abbés. (( Un abbé de 300,000 livres de rente, cela est trop
fort, et je perds patience quand je vois de pareils revenus ainsi
accordés. Quelle belle ferme ne pourroit-on pas établir avec le
quart de ce revenu ! quels navets ! quels choux I quelles po:
de terre ! quels trèfles, quels moutons ! quelle laine ! » Ne
ble-t-il pas ici voir Young ameuter et soulever contre l'abbé de
Saint-Germain tout le peuple d'ordinaire si pacifique des jardins,
et y joindre comme auxiliaire les herbes des champs et les oi-
seaux de la ferme? Ne diroit-on pas qu'il va livrer l'assaut et
qu'il s'y prépare par l'énumération de ses forces? il n'y a pas
jusqu'à ces points d'exclamation qui n'aient l'air d'une harangue
à ses soldats. Navets ! faites votre devoir ! choux ! marchez en
ordre! haricots I soyez dignes de votre renommée! Même les
moutons, ces débonnaires natures, les moutons avec leur laine
BULLETIN DU BIBUOPHILE. 881
(lanigerumque pecu3)j les voilà pour la première fois rangés en
bataille et prêts à jouer leur rôle dans cette mêlée digne d'in-
spirer un poète burlesque, et où figureroit, comme généralis-
sime, notre don Quichotte agricole.
Young a donné au récit de son excursion en France la forme
d'un journal, ce qui lui permet d'enregistrer les moindres ac^
cidents de la route, et aussi les fantaisies de son imagination.
Le brusque changement des dates et des lieux, bien que dates
et lieux se succèdent dans l'ordre régulier, lui sauve l'embarras
des transitions. Usons un peu du même privilège, nous qui
voyageons dans son livre. Entre les lignes que nous venons
d'écrire et celles que nous commençons^ notre voyageur a fait
bien des choses; il est retourné en Angleterre, il a revu ses
champs de Bradfield^ ses moutons, sa petite fille. Sa vieille ju-
ment a passé un hiver à goûter le repos de l'écurie et les dou-
ceurs abondantes du râtelier. Les voici de nouveau en campa-
gne, le cavalier et sa monture. Young, qui avoit, l'année pré-
cédente, visité le midi de la France, cette fois (en 1788) se tourne
▼ers les régions de l'ouest. Après avoir traversé la Normandie, vi-
sité Rouen, Gaen, lesdeux capitales de la province, etCherbourg,
le nouveau port, dont il trouve les travaux interrompus par le
ministre firienne, il entre en Bretagne, et tout à coup s'inscrit
sous sa plume un nom qui, obscur en ce temps-là, éveille au-
jourd'hui l'intérêt et la curiosité : « Le 1" septembre^ jusqu'à
Cambourg ; le pays a un cupect sauvage ; l'agriculture n'y est
pas plus avancée que chez les Hurons; le peuple est presque
aussi sauvage que le pays y et la ville de Cambourg une des places
les plus sales que Von puisse voir ; des maisons de terre sans
vitres..,. Cependant il s'y trouve un château^ et il est même ha--
bité. Qui est ce M. de Cfidteaubriand^ propriétaire de cette ha -
bitation, qui a les nerfs assez forts pour résider au milieu de
tant d'ordure et de pauvreté ? Au^essous de cet amas hideux de
misères^ est un beau lac environné d'enclos bien boisés. » Je suis
certain que, quoi que dise Young de la saleté de ce Combourg,
nos lecteurs aiment à se transporter comme nous, à cette date
832 BULLETIN DU BIBUOPHUE.
de 1788, dans cette sauvage région, moins poétique encore par
son beau lac que par le génie naissant qui promène sur ces rivet
solitaires sa mélancolique rêverie. Peut-être, dans ces enclos
boisés dont il parle, Young a-t-il rencontré René déjà tourmenté
par le démon de son cœur. Quant k ce M. de Chateaubriand,
qui est l'objet de son interrogation, son illustre fils nous l'a fiit
connoître; il nous en a esquissé la rude, mais noble physiono-
mie, et nous savons que ses nerfs n'étoient pas ceux d'un petit-
maitre. L'auteur des Mémoires d' outre-tombe^ qui nous parie
de Gombourg, ne fait aucune allusion à ce passage des voyages
d' Young. L'a-t-il ignoré?
Franchissons une date. Nous sommes en 1789, au troisième
voyage d' Young en France. Comme don Quichotte faisoit toutes
ses sorties pour Thonneur de la chevalerie, Young fait les
siennes pour Thonneur de l'agriculture. Mais le spectacle que
commence à offrir notre pays n'a plus rien de bucolique ni de
pastoral. Les états-généraux s'assemblent, et leur réunion va
marquer une ère nouvelle pour la France. Raison de plus pour
Young de se hâter. Ce Paris où, dès 1787, on pressentoit
quelque chose d'extraordinaire, est aujourd'hui en grande fer-
mentation. La politique échauffe les esprits dans les salons et sur
la place publique. Les cafés du Palais-Royal offrent le singulier
spectacle d'orateurs montés sur des chaises, haranguant ceux
qui les entourent, et, comme si cet auditoire ne leur suffisait
pas, s' adressant à la foule du dehors pressée aux fenêtres. Dans
ces harangues, qu'encourage l'approbation publique, l'outrage
est jetée au gouvernement, dont la pusillanimité étonne notre
Anglois, qui, dès lors, prévoit la chute du despotisme. Dans les
boutiques des libraires, même mouvement que dans les cafés ;
chaque minute voit éclorc de nouvelles brochures : till en a
paru 13 aujourd'hui^ 16 hier et 92 la semaine dernière. » Chez
Desenne (le libraire du temps), on se presse^ on s* étouffe à la
porte du comptoir. Pour faire trêve à la politique, qui com-
mence à l'ennuyer, Young va au Théâtre-François et assiste ft
la représentation de la Métromanie, Enchanté de la pièce el
BUIXBTIN OU BIBUOPHILB. 8S8
da jeu des acteurs, il déclare que, en fait d'art dramatique, la
France a la supériorité sur l'Angleterre; puis il ajoute en guise
de réflexion dadaïque : ii J'écris ceci plus gaiement que s' il fallait
accorder à la France la palme de l'agriculture. »
Le théâtre nous ramenoit à l'agriculture. Mais le moyen de
penser en ce moment aux navets et aux pommes de terre I
Voici Young à Versailles ; vient la scène du Jeu de paume ; il
assiste à la séance de l'Assemblée nationale dans l'église St-Louis
et, le soir, à un diner au château^ où il remarque l'indifférence
des convives, grands seigneurs qui ne paroissent point se dou-
ter du gouffre qui va s'ouvrir sous leurs pas, et qui ne voient
pas la main de la révolution écrire sur le mur de la salle les
signes prophétiques de leur ruine.
C'est assez nous arrêter à Paris et à Versailles ; reprenons
nos excursions en province, où commence à pénétrer la con-
tagion de l'effervescence parisienne. Young, qui veut parler
agriculture, ne trouve que gentilshommes occupés de politique.
Même à Nangis, Thomme qui le coiffe, tout plein de projets de
régénération pour la France, exprime les sentiments les plus
exaltés, les plus fanatiques. Je le déclare, ce perruquier de
Nangis, quoique ses intentions soient peut-être bonnes au fond,
n'a point mes sympathies ; je lui préfère de beaucoup celui
du Voyage sentimental, qui, lui aussi, étoit un homme d'imagi-
nation, puisque, dans ses comparaisons, il amenoit la mer là
où un seau d'eau lui eût suffi. Du moins, son imagination s'ap-
pliquoit à des sujets innocents, et, en l'écoutant parler, le bon
lorick sourioit avec malice et douceur sous la perruque qu'il
essayoit. Young a-t-il été indigné des propos du perruquier de
Nangis? J'ai bien peur que non, lui qui reproche aux François
leur indolence politique, et qui, dans les occasions décisives,
s'écrie : « Que fera Paris 7 sans Paris, pas de révolution. »
En effet, cette contagion que nous venons de dire qui gagnoit
les provinces, les gagnoit bien lentement A Dijon, dans le seul
café qu'eut cette ville, on ne recevoit pas les journaux, et les
buveurs se contentoient de boire, et ne s'inquiétoient pas des
83A BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
nouvelles. Young s'étonne et s'impatiente de cette apathie. A
Moulins, au café de M"** Bougan, môme sujet d'impatleoce
pour notre voyageur, qui s'en exprime d'une façon tout origi-
nale. Il imagine un habitué à qui un jour prend la fantaisie bien
excentrique de demander... quoi? Vous ne devineriez jamais,
lecteur... un éléphant! Gai'çon, un éléphant? Oui, un éléphant
qu'on lui apporleroit avant ou après sa demi-tasse, et qu'on po-
seroit là tout simplement entre le carafon d'eau et le sucrier.
Encore si nous étions en quelque ville d'Asie, sur les rives de
l'Indus bu de l'Euphrate. Mais à Moulins! Un éléphant à Mou-
lins. N'est-ce pas que la bonne M*"' Bougan seroit bien ébanbie
et bien empêchée? Hé bien, en ce moment, un mois après la
prise de la Bastille, M"'" Bougan ne seroit pas plus étonnée,
pas plus empêchée, si quelqu'un de ses abonnés s'avisoit de dire
ces simples mots : c Garçon ! ou la fille, un journal ?» « J'allai
au café de Mme Bougan^ le meilleur de la ville; vingt tables
pour la compagnie: mais on eût aussitôt obtenu un éléphant qu'un
journal. Voici un trait d'ignorance, de stupidité et de pauvreté
nationale ; dans la capitale d'une grande province, dans un mo-
ment comme celui-ci^ lorsqu'une Assemblée nationale fait une
révolution^ il n'y a pas un journal pour instruire le peuple^ si
Lafayette, Mirabeau ou Louis XVI est sur le trône. Quelle rm-
pudencc ! quelle folie ! Folie de la part des habitués de ne pas
exiger une demi^douzaine de gazettes^ impudence de la part de
la limonadière de ne pas les avoir, > Voyez comme notre voya-
geur s'emporte, et comme il traite de limonadière cette bonne
M""* Bougan, qui est bien, à mon avis, la plus honnête femme
du monde ; de Moulins, ce ne seroit pas dire assez. Pauvre
femme ! je ne puis résister au désir de prendre sa défense. Ta
te fourvoies, ô voyageur sentimental! Toi aussi tu te laisses ga-
gner par TefTervescence du moment, et tu ne comprends pas le
côté vraiment philosophique du tableau qui est sous tes yeux,
et tout ce que témoigne de bonhomie et de simplicité cette
insouciance qui te paroit si extraordinaire. Bonne H"* Bougan
et honnête café que le sien I Calme-toi, calme-toi, voyageur I
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 8S5
Ces gens qui ne savent pas qui est roi, de Mirabeau ou de
Louis XVI, gens assez simples pour ne pas imaginer la possi-
bilité d'une pareille question, ils vont, si tu le veux, te parler
d'agriculture et de jardinage... Mais tu ne ra'écoutes pas, ta
verve est plus forte que mes avertissements, et tu poursuis :
« Qu'est-ce que Moulins? Jamais il n'eût fait de révolution;
c'est le peuple éclairé de Paris qui a tout fait. » Même tu ter-
mines ta boutade par souhaiter dans le café de Mme Bougan un
camp de brigands. Oh ! oh ! pour le coup c'est trop fort, et je
frémis du tableau que ton souhait me fait imaginer des buveurs
mis en fuite, des tables renversées, et de M^^ Bougan, cette
U'^ Bougan que j'aime, évanouie au milieu des brigands.
A Moulins, Young commet un crime de lèse-sentimentalité
d'un autre genre et plus grave encore. Il s'en excuse sur l'agri-
culture, mais je crois que la faute en est aussi à la politique.
€ Je pris congé de Moulins, où les terres et l'agriculture avoient
même fait sortir Marie de ma tête, » Oublier Marie ! est-ce pos-
sible? Je vous pardonnerois plutôt, 6 voyageur! de n'avoir pas
été voir le tombeau de M. de Montmorency, que de n'avoir
pas cherché à retrouver la place où la pauvre Marie fut rencon-
trée par Sterne. Ce dernier, après cet aveu, vous renie et re-
pousse l'honneur que nous vous faisons de vous déclarer de sa
famille. Lui, Sterne, même au milieu des scènes de la révolu-
, tion^ même au bruit de Técroulement de la Bastille, c'est à Ma-
rie qu'il eût pensé, c'est pour elle qu'il eût réservé son émotion,
son attendrissement. 0 Young, j'évoquerois contre toi l'ombre
decettepauvrefille, et lachangerois en furie vengeresse, si même
morte Marie pouvoit être autre chose qu'un pâle fantôme qui ne
sait que pleurer et chanter sa chanson touchante.
Pendant que nous le prêchons ainsi, notre voyageur n'en
poursuit pas moins sa course. Le voici à Glermont, où il est
présenté à M. Chabrol, homme fort adonné à l'agriculture, et
qui répond avec beaucoup de bonne volonté aux questions qu'il
lui adresse. A Glermont, la populace est agitée, mais les bour-
geois font le digne pendant des habitués du café de M°^ Boa-
58
8S0 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
gan. Étonnement d'Young de les voir à peine affectés par toaa
les grands événements qui se passent, lorsqu'à ces mêmes évé-
nements sont attentifs les épiciers» les chandeliersi les dra-
piers d'Angleterre que cependant la chose ne touche qu^iodi-
rectement.
A Villeneuve les bourgeois sont moins calmes qu'à Clermont;
nôtre voyageur les trouve en armes ; ils le prennent pour im
homme politique, pour un conspirateur. L'agriculture et la
projets de visite au Pradel, ne leur paroisseut qu'un prétexte ;
il a grand'peine à s'échapper de leurs mains. Sur toute aa route,
s'éveillent à son sujet les mômes craintes qui donnent lien à
des scènes comiques; de ces milices bourgeoises Young se raille
et de leurs fusils rouilles ; cela n'en rend pas moins sa marche
incommode : aussi après une visite aux Charmettes, et un re-
gret jeté de loin à l'Italie (1), qu'il déclare le premier pajfa da
monde, par la raison que pour tous les hommes il est le secondi
notre voyageur reprend le chemin de Paris. Pour céder au déiir
d*un compagnon de route, et contre son goût et ses habitudes»
il prend une chaise de poste. A ce mot de chaise de poatei
J'aime à croire, lecteur, que vous demandez ce qu'est devenue
la vieille jument. Votre impatience nous plaît, et nous approu-
vons votre question et y répondrons tout à l'heure. Retoomonf
maintenant à notre chaise de poste, à propos de laquelle
Young dit une Vilaine parole; il se console de cette manière
d'aller, par l'idée des choses extraordinaires qui se passent
à Paris, et du spectacle qui l'attend, du roi, do la reine et da
dauphin de Fronce prisonniers. Nous aimerions mieux lui
voir porter dans cette voiture, q\x*emportcni tous les dmiks^
quelque joli rêve agricole et bucolique, malgré ce que dit H"* de
Sévigné du désaccord entre le mouvement violent do la voiture
et l'état d'une àme qui voudroit un mouvement plus doux»
plus assorti à ses pensées. Cette fois le voyageur avoitdes pen-
(1) Il y a ici une erreur : Young alla en Italie. Supprimé danslA ralAtlM
de ses excursions en France, ca voyage fait rofajet d'un volume k parti
BUIXETin DU BIBUOPHIU. 887
•ées assorties au train qui i'emportoit, et sa chaise pouvoit lui
parottre le char de la révolution ; les chevaux étoient les pas-
sions populaires, mais gare au conducteur, gare à ceux qui sont
dans la voiture! A Paris, notre Anglois est témoin de l'état tou-
jours plus turbulent des esprits; il va aux jacobins, dans ce
même local où s'étoient tenues les assemblées de la Ligue. Au-
tour de lui se révèlent les projets les plus hardis ; on parle de
la république, la possibilité de la mort du roi est prévue (dès
les premiers jours de 1790), et cela sans remords; peut-être
est-ce un souhait pour quelques-uns. Cependant, Young jouit
du tableau dont il se nourrissoit d'avance dans sa chaise de
poste. Il voit dans une partie réservée du jardin des Tuileries
se promener, sous la garde de deux grenadiers, le roi, la reine,
et le petit dauphin jouer avec une petite bêche et un petit râ-
teau : spectacle attendrissant dont notre voyageur n'est, hélas I
que médiocrement touché. Même, il remarque Tembonpoint du
roi. Trop d'écrivains ont fait de cet embonpoint du roi une oc-
casion de verser sur lui le ridicule. De grands poètes ont eu ce tort
Peut-être y a-t-il eu des gens au pied de Téchafaud du 21 jan-
vier, pour s'étonner que le Temple n'eût pas plus amaigri le roi
martyr. Tout en espérant que notre Anglois n'eût point été jus-
que-là, nous n'en sommes pas moins dépités de lui voir
réaliser si mal l'idée d'un voyageur sentimental.
Nous ne nous séparerons pas d'Arthur Young sur cette mau-
vaise impression. Il croit avoir en ce moment à se plaindre de
nous, nous sommes mécontents de lui, mécontents sont aussi
nos lecteurs de lui et de nous. Il nous faut, en terminant cet
article, opérer une réconciliation générale. Il y va de la gloire
d*Young, il y va de la nôtre qui avons promis à nos lecteurs
un voyageur de l'école de Sterne. Dans cette intention nous
avons prudemment réservé comme dessus de m;fre /Minier quel-
ques traits de caractère qui feront valoir notre héros. En voici
un dont la naïveté est bien faite pour plaire, et qui est de son
premier voyage, du voyage en Languedoc. Il venoit de visiter
le pont du Gard, et Tesprit encore rempli de la grandeur du
monument, et de ce vestige des travaux de l'aocienne Rome,
8S8 BULLEnn du bibuophub.
il cheminoit vers Nîmes, lorsqu'il rencontra des marchands qui
revenoient de la foire de Beaucaire. Celte rencontre n'étoit
point faite pour interrompre le cours de ses réflexions, et le
distraire du pont du Gard et des Romains, sans cette circon-
stance que ces marchands portoienl chacun un petit tambour à
leur porte -manteau. Cette circonstance, frivole en apparence,
est ici toul le nœud, tout le charme de l'historiette que nous vous
racontons. Braves et honnêtes marchands! ils avoient après
leurs affaires pensé à leurs familles, et prélevé quelque petite
somme sur les profits de la journée, pour rapporter des jouets
à leurs enfants. Dans l'lUadc\ Achille (et que cet épique per-
sonnage ne rougisse pas de figurer dans notre humble récit),
Achille, à la vue de Priam, se rappelle son vieux père. Yoimg
à la vue de ces tambours, pense à sa petite fille : n J'avais ma
petite fille trop présente à V esprit, pour ne pas aimer ces mar*
chands^ à cause de cette inarque d'attention qu'ils avoient pour
leurs enfants. Mais ici même, malgré la sincérité, la naïveté de
l'émotion, parolt l'humeur philosophique et légèrement fron-
deuse de notre Anglois. Ces braves marchands, avec lesqneb
son cœur vient de sympathiser, qui le croiroit? voici qu'il leur
cherche querelle, et à propos de ces mêmes tambours qui ont
fait naître son mouvement sympathique. Pourquoi des tam-
bours? pourquoi des emblèmes de guerre? Ne pouvoient-ils, ces
bons pères de famille, rapporter à leurs marmots de plus in-
nocents jouets, de petits moutons, de petites charrues, de petits
charriots attelés de bœufs, etc.?... 0 admirable Arthur Yoonff I
0 souhait plus dadaïque encore que philosophique ! Idée char-
mante bien digne d'être convertie en motion par les orateurs
du Congrès de la paix, s'il y a encore quelque part un Congrès
de la paix ! C'est par l'enfance qu'il faut commencer, on nous
le répète tous les jours. Voici un nouveau ver rongeur auquel
n'a point pensé H. Gaume. Voici plus que le paganisme, void
la guerre dans l'éducation, la guerre intronisée au foyer de fa-
mille, parmi les jeux de l'enfance ; la guerre, que d'honnétet
marchands rapportent de la foire dans leur poche ou au pom-
meau de leur selle. Aux jours pacifiques du renouvellement de
BCLLETIff DU BIBUOPHILE. 886
rannée ou des fêtes des parents, parmi les mutuels sourires de
ceux qui donnent et de ceux qui reçoivent, quand tout dans le
ménage respire la joie et la concorde, voici venir sous forme de
jouets Tappareil menaçant du dieu des combats. Et nunc hor-
rentia Martis arma. Ne riez point de nos craintes, pères de fa-
milles, elles sont fondées, et la question est plus sérieuse que
vous ne le pensez, bien qu'en apparence il ne s*agLSse ici que
du sabre de bois de Cadet-Roussel et du poignard de cuir bouilli
de Gargantua. Supprimons donc toute Fartillerie des bimbelo-
tiers, ces canons, ces fusils, ces soldats en miniature dont les
enfants s*amusent, et bientôt nous ôterons aux hommes, ces
grands enfants, les armes dont ils s'entredétruisent. H y avoit,
du reste, dans le choix de ces marchands, un à-propos dont ils
eussent les premiers gémi s'ils Feussent compris, et que ne pou-
voit deviner Youug, malgré toute sa philosophie. La France
n'étoit-elle pas à la veille de promener dans le monde ses ar-
mées victorieuses? Parmi ces enfants à qui leurs pères rappor-
toient des tambours, peut-être y avoit-il un héros en herbe, un
futur lieutenant de Tempereur Napoléon. Mais nous-mêmes en
ce moment avons un peu Fair de prendre le tambour et d'é-
tourdir de notre rantanplan les oreilles de nos lecteurs. Profi-
tons de la leçon que notre auteur nous donne et retournons à
de plus doux tableaux.
Quel plus doux tableau que celui des adieux que notre agro-
nome, en terminant son avant-dernier voyage, adresse à sa
vieille jument, sur cette terre de France qu'il prévoit bien qu'elle
ne doit plus revoir? La pauvre bête est à bout de force et de
courage; à grand'peine il l'a ramenée à Dieppe; elle n'eût pu
aller jusqu'à Calais sans s'exposer à mourir en route, peut-être
à tomber à cette même place où étoit mort l'âne de ce pauvre
homme dont Sterne a si vivement dépeint Taflliction. Bien affligé
aussi eût été notre Anglois, si pareil accident lui fût arrivé,
même à Dieppe, en vue du paquebot qui va le conduire en An-
gleterre, lui et sa monture; il se livre envers celle-ci à un mou-
vement de sensibilité sandhéenne. Cette vieille jument partie
avec lui de Bradfield, il faut qu'avec lui elle y revienne. Auroit-
^kri
8&0 BULLETllf DU BIBUOFHIU.
11 le courage de l'abandonner, infirme et aveugle comme elle eit,
sur une terre étrangère, de se débarrasser d'elle à vil prix!
Hélas 1 qui Tachèteroit, sinon Técorcheur? Non, ce n'est point
ainsi qu'elle doit finir; croyez que, même en Angleterre, il ne
la vendra pas, mais lui accordera la retraite honorable que mé-
ritent les anciens et fidèles serviteurs. « Cette jument m* aparté
u sain et sauf^ sans voir clair^ plus de cinq cents lieues, et élit
« n'aura jamais d'autre maître que moi. Si j'étois assez rickf ,
« ce seroit là son dernier travail. Je crois cependwit qu'eUe la^
f howrera encore un peu sur ma ferme avec plaisir. » Aimable
naïveté que celle de ces derniers mots : « avec plaisir ! » Gela
est si doux de labourer sur la ferme de Bradfield I Young a rai-
son d'associer sa jument aux sentiments que lui-même éprouve.
Je me fais fort pour la pauvre bête qu'il a bien deviné son cœur,
et que, d'une pensée conforme à la pensée de son maître, elle
voudra jusqu'au bout gagner, par quelque service, l'avoine et le
son qu'elle lui mangera.
Ne sonU*ce pas là, chez Young, des traits empreints de bon'
homie et d'originalité? Les rencontrant dans le journal de ses
voyages, feuilleté par nous au hasard, nous en fûmes heureox
comme d'une découverte, si bien que nous étions véritablement
épris de celui & qui nous la devions, et quesemblableà La Fon-
taine, qui, après avoir lu Baruch, on demandoit des nouvelles
à tout venant, nous eussions volontiers arrêté les passants pour
leur dire : « Avez-vous lu Young; non le Young traduit par Letour-
neur, le Young des nuits qui pleure sur le cercueil de sa fille»
mais celui qui donne une poupée à la sienne, ce qui lui foît
plus de plaisir que d'avoir vu Versailles?» Lui-même nous le dit
dans son journal : « Arrivé à Bradfield, et j'ai plus de plaisir
à donner une poupée française à ma petite fille ^ qu'à voir Fer-
sailles. » Quel alTront pour ce pompeux tbéùtre des magnifi-
cences de Louis XIV! et que le Versailles du grand roi est îd
cavalièrement traité par la bonne humeur un peu insolente de
cet Anglois, agriculteur et père de famille!
Si le petit dauphin, avec son râteau et sa bêche, nous a
brouillés avec Young, sa petite fille et cette poupée françoiie
BULLETIN TO «BUOniU. '9H
Doas réconcilient et réconcilient nos lecteurs avec loi, et nous
allons nous quitter contents les uns des autres.
J*ai dit que nous allions nous quitter : Young, en effets est à
la fin de ses voyages. Il commençoit probablement à être dé-
goûté des choses qu'il voyoit en France, à trouver que Ton fai»
soit fausse route, et que l'on alloit trop loin. Aussi, semblable à
Candide, qui, après toutes ses aventures, ne veut que bêcher
son jardin , fatigué du club des jacobins, notre Anglois n'aspire
qu'à jouir dans sa ferme du calme convenable k sa fortuoQ, et
à sa façon de penser.
Passons avec lui le détroit; nous pouvons faire cet effort
pour celui qui est tant de fois venu nous voir en France. Nous
voici à Bradûeld, dans ce domaine rustique où il veut finir tran-
quillement ses jours. Tout en s'occupant de son agriculture, il
t'informe à cette heure des nouvelles de France, Hélas ! ces
nouvelles sont tristes, plus tristes de jour en jour. L'abbé de
Saint-Germain lui-môme exciteroit aujourd'hui sa pitié, ainsi
que ces grands seigneurs qu'il vouloit faire danser. La bonne
U^e Bougan a vu les brigands envahir son pacifique établisse-
ment, et le souhait du voyageur a été trop bien exaucé. Déjà ce
n'est plus aux Tuileries, c'est au Temple que la famille royale
est prisonnière. Plus de promenades pour le petit dauphin, plus
de râteau, plus de bêche. Bientôt,.,, mais pourquoi évoquer ces
cruels souvenirs? Aussi bien ne sommes-nous plus en France,
mais à Bradfield, chez Arthur Young. Le voici devant nous dans
fOD salon ; sa petite fille, qui pendant ses voyages est devenue
une fillette, joue sur ses genoux et tient sur les siens la poupée
dont nous avons parlé. Cettepoupée n'est point ici un personnage
inutile, et nous devons nous intéresser à elle, puisqu'elle est notre
compatriote. Mais qu'aperçois-je là-bas sur lecoteau? Obi c'est
la vieille jument qui tire la charrue, une charrue légère et dans
un terrain facile. Un mot de loin, un salut amical à la pauvre
béte ; puisse-t-elle longtemps encore prendre sa part de ces tra-
vaux des champs qui se mesurent aux forces de chacuOi . et
jouir de la retraite que lui a accordée son maître I
Vicomte DE GAILLON.
8&2 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
DES EDITIONS ORIGINALES DE SHAKSPEARE,
De vifs débats se sont engagés depuis quelque temps parmi
les bibliophiles anglois au sujet du texte de Shakspeare. La
question est fort peu connue en France ; elle est digne d'être
exposée en peu de mots.
L'immortel auteur dramatique anglois témoigna une insou-
ciance étonnante au sujet de ses productions; il ne parott point
avoir jamais songé à les faire imprimer ; une partie de ses piè-
ces parut en éditions isolées de son vivant; chacune d'elles
forme un petit in-4^, imprimé subrepticement, à ce qu* affirment
des contemporains, et rempli d'erreurs manifestes. Shakspeare
laissa avec indifférence ses manuscrits à des amis qui avoient
été ses compagnons sur la scène ; en 1623, sept ans après son
décès, deux de ces anciens acteurs mirent au jour la première
édition in-folio de ses œuvres. Ils prétendent dans leur préfoce
avoir suivi fidèlement la copie qui étoit sous leurs yeux et qu'ils
représentent comme parfaitement lisible, mais il est hors de doute
que cette assertion est inexacte. Ils #nt souvent borné leur tAche
à copier les in-^*; les erreurs typographiques qu'ils ont laissé
passer sont innombrables ; des vers sont imprimés comme étant
de la prose et réciproquement; la ponctuation paroit avoir été
indiquée tout k fait au hasard ; des mots sont omis ou trans-
posés, et parfois ils semblent formés de lettres réunies par l'i-
gnorance du compositeur (1).
(1) Malgré tous ses défauts, le volume de 1623 est, avec raison,
mement recherché des Anglois et se paye très-cher. Le Manuel du U'
6ratre en indique diverses adjudications, jusqu*à 121 livres sterling (Tente
Saunder ; on a par erreur typographique imprimé 121 fr.)i mail depuia lUM
BULLETIN DU BIBLIOPHILK. 8AS
Ce texte déplorable est cependant tout ce qui reste pour re-
produire les pensées de Shakspeare, plus malheureux sous ce
rapport que les écrivains classiques de l'antiquité, lesquels sont
venus jusqu'à nous sous la forme de plusieurs manuscrits dont
les variantes offrent à la critique des ressources précieuses.
Les éditeurs anglois se sont mis à Fœuvre afin de rétablir et
d'amender le texte corrompu qui nous a été laissé; les uns l'ont
suivi avec assez de fidélité, se bornant à rectifier des fautes
palpables, indiquant dans leurs notes ce qui leur sembloit de-
voir être la leçon préférable ; d'autres ont introduit avec har-
diesse leurs corrections dans le texte, le corrigeant d'après
des conjectures arbitraires. Johnson, Steevens, Malone et bien
d'autres ont été du nombre des Saumaises qui se sont mis à
la torture à cette occasion.
M. J. Payne-Collier, auteur d'une fort estimable histoire du
théâtre anglois, a eu la bonne fortune de découvrir un exem-
plaire de l'édition primitive, couvert de corrections marginales ;
il a signalé cette œuvre d'un anonyme comme une révision du
texte de Shakspeare douée d'une grande autorité, et il s'en est
servi pour donner en 1853 une édition qui diffère, en une foule
d'endroits, des éditions précédentes, mais de nombreux cri-
tiques ont contesté le mérite de cette révision ; ils ont prétendu
que, la plupart du temps, le texte ainsi amendé ne présentoit
point une supériorité réelle et n'offroit point ce que Shaks-
peare avoit écrit.
Un littérateur très-instruit, xM. Weller Singer, après avoir
combattu ce qu'il appelle les interpolations et les corrup-
tions adoptées par M. Collier, vient de publier à Londres
diiAine d*années, ces prix sont bien dépassés ; on a payé ce ?olume 250 liv.
iterUng, en 1854 (vente Dunn Gardner), et 164 liv. sterUng, en 1856 (vente
Lane); prix qui correspondent à 6,312 et à 4462 fr.
Les éditions in-4'' sont aussi d*une valeur exorbitante ; le Manuel en si-
gnale plusieurs adjudications depuis 25 jusqu*à 42 et 64 livrei sterling. Noos
lisons dans un journal anglois qu*à la vente Chalmers, en 1840, le Songe
d'une nuU iTété et le Marchand de Venue montèrent chacun Jusqu'à
105 livres sterling.
8ii BUUBTm DU BIBUOPmU.
(1856, 10 vol. in-12) une édition de Shakspeare où U s'est
efforcé d'établir, d'après les travaux de ses devanciers et d'a-
près ses idées personnelles, un texte aussi vraisemblable
qu'impossible; un autre savant, M. Alexandre Dyce, après avoir
pris part 2i cette controverse, annonce l'intention de donner, de
son côté, un texte nouveau qu'il établira d'après un système
ongtemps médité.
La Revue d'Éditnhourg contient dans son numéro 210 (avril
1856), un article qui ne sera sans doute point traduit en frao-
çois, mais que nous recommandons aux personnes versées dans
l'étude de la langue et de la littérature angloises; des détails cu-
rieux sur Tétat du texte do Shakspeare, sur le mérite des cor-
rections adoptées par M. Collier fixeront leur attention ; mais
ces discussions de critique verbale que, pour notre compte,
nous avons lues avec un vif intérêt, ne pourroient trouver place
ici.
Ce qui seroit à désirer, c'est qu'un écrivain éclairé et labo-
rieux comblAt un grand vide en donnant au public françois une
bonne traduction de Shakspeare, revue d'après les travaux ré-
cents des critiques anglois et accompagnée de notes souvent
très-nécessaires et qui diroient avec sobriété tout ce qu'un lec-
teur non britannique a besoin de savoir pour bien comprendre
Hamlet et le Maure de Venise,
MnLumii DU woÊUùÊmËM. Ut
PETITES RECHERCHES
tu» u»
càncioneros et romanceros.
On sail quel est le mérite littéraire et historique de ces piè-
ces de vers connues sous le nom de Romances, qui forment une
des portions les plus intéressantes de la littérature espagnole
du moyen âge; un écrivain justement renommé, M. Magnin, a
donné à cet égard dans la Revue des Deux-Mondes (!•» août
1847), des détails auxquels nous renvoyons volontiers; on n'i-
gnore pas quelles sont la rareté et la valeur des anciens recueils
de ce genre; leur bibliographie, longtemps mal connue, s'é-
claircit depuis quelques années, grâce aux efforts de plusieurs
savants pleins de zèle, parmi lesquels il faut placer en pre-
mière ligne M. Ferdinand Wolf, devienne ; personne n'a rendu
plus de services à l'ancienne littérature castillane, et nous avons
déjà eu Toccasion de les. signaler dans ce Bulletin (1). De
concert avec un autre savant, M. Conrad Hofman» M. Wolf
vient de mettre au Jour deux volumes in-12, intitulés Prima-
vera y flor de Romances (le Printemps et la fleur des Ro-
(1) Voici l'indication de que!que»-unt des trav&ai (en allemiad), de
M. Wolf, relativement 4 an sujet dont il a une connaissance si approfon-
die : Sur la bibliographie des Romanceroêt dMis le Bulletin de CAcodémit
impériale de Vienne, t. X, p. 684 ; Sur la poésie des romances dans les
Annales de Vienne» t. CXJV; Sur un recueil de romances , en feuilUs po-
laniu conservées à la bibliothèque de Prague^ Vienne, 18«H); Sur Us Ro-
manceros espagnols, notice ^out^ à la traduction allemando do VHisMre
littérain de l'Espagne, par Ticltnor, Leipiig« 1893, t II, p. 939.
8A6 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
mances), Berlin, A. Asher, 1856 (1); ce titre ne fait d'aOleurs
que reproduire celui que Pedro Arias Ferez avoit mis en tête
de son recueil publié en 1621 ou 1622.
Les éditeurs allemands se sont proposés d'offrir pour la jire-
7nièrc fois les textes authentiques des anciens romances en
y joignant les variantes les plus importantes; ils ont été les
premiers qui aient eu à leur disposition les sources les plus
pures, les éditions les plus antiques du Cancionero deromanccM
(sans date), et de la Siha de varios romances (édition de 1550
en deux volumes), ouvrages devenus d'une telle rareté, qu*on
ne connoît du premier que deux exemplaires ( à la bibliothè-
que de l'Arsenal k Paris, et à celle de Wolfenbûttel), et du se-
cond que deux exemplaires également (au Musée britannique
et à la bibliothèque de Munich); il n'existe, à ce qu'il parott, en
Espagne mème^ aucun exemplaire de ces volumes du plus grand
prix.
Les deux volumes que nous signalons aux amateurs débutent
par une introduction judicieuse et savante ; elle traite de l'ori-
gine^ de la forme et du caractère des romances et de leur clas-
sification respective ; elle s'occupe ensuite des différents genres
des romances selon le sujet qu'ils traitent; ces genres sont le
genre historique et traditionnel, fabuleux, chevaleresque, hé-
roïque,, moresque, pastoral et picaresque.
Nous trouvons ensuite ce qui se rattache le plus spéciale-
ment à l'objet que nous avons en vue, c'est-à-dire des détails
sur les romanceros ou collection de romances. Ces petites piè-
ces parurent d'abord imprimées séparément; elles forment des
in-quarto de /» ou de 8 pages, et il est facile de deviner à quel
point elles sont devenues rares ; M. Duran a donné dans son Rth
mancero général (Madrid, 18/i9-1851), t. I, p. 18 et suiv.,
un Catalogo de pliegos sueltos impresos en el siglo xvi*;
M. Wolf a consulté avec grand profit et décrit minutieusement
(1) Primavera y flor do romances, ô collection de los mas yicJob y
populares romances castellauo», publicada con una introducdon y notai por
Don Fernando José Wolf y Don Conrado Hofman, Berlin, Ather y rfmp.
1856; 2 vol. pet. in-8«. (Voir le catalogue à la fin de cette livraison,) '
BULLETIN DU BIBUOPIIILB. 8&7
iiD recueil considérable el très-précieux de ces pièces fugitives,
qui existe à la bibliothèque de Prague ; on a payé cher dans
diverses ventes des recueils de ce genre. (Voir le Manuel du
libraire^ t. IV, p. 118, lequel indique aussi quelques romances
séparés (1). )
Le premier volume qui ait offert les romances réunis en re-
cueil est le Cancionero publié à Anvers par Martin Nucio, sans
date, réimprimé en 1550 (2). On pensoit en général que ce
recueil n*éloit venu qu*après le tome 1«' de la Silva de varios
romances (Zaragoza, 1550), et après le Cancionero de roman-
ces^ sans date; mais M. Wolf montre que ces deux collections
n'ont fait que reproduire l'édition d'Anvers en faisant toutefois,
mais chacune de leur côté, et indépendamment Tune de l'autre,
des suppressions ou des additions notables, ainsi que des chan-
gements dans Tordre où sont disposées les pièces.
Les éditions postérieures du Cancionero de romances ne sont
que des réimpressions presque littérales de celle de 1550, avec
de légères variations et corrections, sans tenir compte des
changements introduits dans la Silva.
M. Wolf ne connoit que quatre réimpressions de la Silva;
(1) Joignons>y le Romance (TAmadis y Oriana, adjugé k 81 fr., vente
Nodier en 18^^, n" 600. Le célèbre académicien s^écrioit : « Une collection
complète et princeps de ces chants des Romanceros vaudroit la rançon d'un
roi, et Je connois un homme qui ne l'échangeroit pas contre la grandeue.»
(2) Ce dernier volume est de 300 feuillets. Le Manuel n*en mentionne
aucune adjudication; nous l'avons vu adjuger à 138 fr. en 1847, à la vente
Libri, n« 1754. Quand nous disons que Martin Nucio est le premier qoi ait
réuni de vieux romances qui jusqu'alors n'étoient imprimés que séparé-
ment, nous savons fort bien qu'on en trouve, dès la fin du xv* siècle, dans
les Cancioneros de Juan Fernandez de Constantina et de Homando del
Castillo, mais ils sont en très-petit nombre et uniquement destinés à servir
de thème à des compositions de poètes plus modernes. Nous ne voulons paa
nous occuper ici des deux Cancioneros que nous venons de nommer et dont
l'importance, non moins que TeUréme rareté, mériteroit toutefois quelques
détails.
Nous dirons seulement qu'un exemplaire du premier est à la bibUothèque
de Munich et qu'on exemplaire du second, édition de 1527, s'est réœimiient
payé 1,300 fr., vente Dcbure et 1,220 fr. vente Bearzi. U n'avoit été adUafé
qu'à 2 Cr. 55 c, en 1760, ainsi que i'obienre le ManueL
8&8 BUtLETIIf DU BIBLIOFHILB.
tûuleR quatre ont paru à Barcelonne, la première chei Pedro
Borin, 1550 (édition complélement ignorée jusqu'ici et dont if
fut récemment trouvé un exemplaire en Allemagne); la seconde,
chez Jayme Gortey, 1557; la troisième, chez Jayme Sendrtt,
1582; la quatrième^ chez Juan de Larumbe, 1617. L'édition de
1557 est une reproduction servilc de celle de 1550, dont elle
reproduit jusqu'aux fautes typographiques, et jusqu'aux erreurs
de pagination ; l'édition donnée par Borin reproduit le pre-
mier volume du recueil imprimé à Saragosse la même année,
avec un petit nombre de variantes insignifiantes dans le texte,
mais en plaçant les pièces dans un autre ordre et en faisant
quelques suppressions et additions.
L'édition de 1582 offre des pièces choisies dans les éditions
antérieures, en y joignant d'autres productions modernes et
contemporaines : on lit sur le titre qu'il a été fait un choix des
meilleurs rotnances des trois livres de la SUva, Jusqu'ici on
ne connolt que deux livres, en donnant ce nom aux deux tomes
de l'édition de Saragosse. Ce troisième livre a-t-il été imprimé
et s'est-il perdu? ou bien n'a-t-il existé que comme manus-
crit! Des recherches nouvelles mettront peut-être les émdits
en mesure de résoudre ce problème.
La première et la seconde édition du Cancionero et la pre-
mière de la Silva forment les sources les plus anciennes
et les plus pures des anciens rottuinccs traditionnels et po-
pulaires. MM. Wolf et HoiTmann ont pris pour base de leur
texte l'édition sans date du Cancionero^ en la révisant diaprés
les leçons nouvelles qu'offre la seconde édition de ce recueil,
et que donnent parfois les impressions suivantes et la Silvtu
Ils ont fait aussi quelques emprunts à des recueils venus phs
lard et de moindre autorité, tels que les Romances campmuas
por L. de Sepulvcda, le Cancionero compilado por Juan de
Linarez, les Rosas de Timoneda (que M. Wolf a réimprimées en
partie, Leipzig, 182(6), les Nueve romances de Juan de Ribera,
sans lieu» 1605, in-/i«. (Ce dernier volume, très-rare, n*e8t pas
indiqué au Mamêel du lihrairey H. Wolf renvoie à la Flarep-
BCLUTUf DU BIBUOFHIU* 840
m de rimas antiguas castillanas de Bohl de Faber, et il ajoute :
« Tous ces ratnances ne sont point des compositions dues à Ri-
bera, mais il y en a qui sont anciens et d'ori^ne traditionnelle;
un fragment de celui qui commence ainsi : Pareàbase el buen
cûHdeg se retrouve dons la seconde partie du Cancionero yfii#<*
r«li Saragosse, 1553.
Hs ont aussi consulté le CoHcionero de ramûncet sacadot de
Uu crônicas antiguas de EspaiUi con otros heckos par Sejmlve*
de^ Y algunoi sacados de las cuarenta cantos que campuo
AUnuo de Fuentes. Médina del Gampo, 1570, in-16. M. Wolf|
débrouillant des questions fort peu connues , a montré que la
Goilaction intitulée Reeopilacion de ratnances par Lorenxo de
Stpulveda, Alcala, 1563, est une édition antérieure de ce
méoie Cancianero dont il existe une réimpression sous le titre
de Cancionero, Alcala de Henarex» 1571; ce savant regarde
comme fort vraisembable Topinion de Duran qu'il faut regar-*
der comme des éditions de ce même Cancianero celles que
die Nicolas Antonio (dans saJBi6/io(ecaAii/Mina), sous le titre de
Sûmances sacados de la historia de Espana del rey don Alansa^
Médina del GampOi 1562, et Ratnances sacados de la historia^
de las cuarenla cantos de Àlonsa de Fuentes, Burgos, 1570.
M. Wolf est aussi d'avis qu'on doit considérer comme des
éditions de ce même Cancianero celle que mentionne le Sema-
nario pintaresco, 1853, p. 140, comme existante dans la biblio-
tbèque de l'université de Santiago avec la date de 1520 (date
inexacte et qu'il faudroit rectifier), et celle qui est mentionnée
avec la date de 1584* Séville, dans une copie manuscrite du
catalogue de la bibliothèque de l'Escurial, copie que possède la
bibliothèque impériale de Vienne (manuscrits, n* 9478). Les
rotnarœes compris dans ce Cancionera de Médina» et tirés
du Cancionero de romances et de la Silva sont réimprimés exao^
tement selon les textes les plus anciens , c'est-à-dire diaprés
ceux que donne l'édition d'Anvers, sans date, et laiSi7va de
1550. Il renferme de plus deux ou trois anciens rotnantes tni*
ditionnels qui lui sont particuliers.
850 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
La Floresta de varias romances corregidos, par DamilDO
Lopez de Tortajada, a été également consultée avec profit par
les savants éditeurs. Observons que ce recueil où les anciens
romances sont un peu rajeunis, est indiqué au Manuel du b-
braire, t. H, p. 296, comme ayant paru en 1713 et ayant été
réimprimé en 17^6 et en 176^. Il existe une édition bien pins
ancienne, que M. Woir et M. Ticknor signalent d'après Pelli-
cer (notes sur Don Quicliotte, édition de 1797, t. I^ p. 105),
mais qu'ils paroissent n'avoir vue ni Tun ni Tautre. M. Wolf
mentionne aussi les éditions de ce recueil données au xviii*
siècle, en 1711, 1713, 1716, 1764.
N'oublions pas de signaler la rectification d'une erreur ré-
pandue parmi les personnes qui n'ont pas fait une étude ap-
profondie de l'ancienne littérature espagnole et qui regardent
comme les vrais trésors de la poésie populaire des romances
les neuf parties de la Flor de varios romances nuevos^ qui for-
mèrent plus tard, avec quatre autres, le Romancero gêne-
rai (1)^ et dont Miguel de Madrigal publia une continuation soos
le titre de Segunda parte del romancero général^ Valladolid,
1605 (2); toutes ces collections ne contiennent que des imita-
tions composées dans les dernières années du xvi* siècle on an
commencement du xvii'' , et aucun des romances vraiment po-
pulaires et anciens n'y a été recueilli.
11 n'entroit point dans le plan de M. Wolf de parler de ce qu'il
appelle les Romancerillos entièrement formés de compositions
modernes ; il n'a pu cependant laisser échapper l'occasion de dé-
(1) Il y a trois (klitions de ce recueil précieux ; voir le Manuel^ t. IV,
p. 117. L'exemplaire de Tédition de 1G02, qui avoit passé successivement
dansleâ cabinets de Stanley et d*Heber, fut acheté parsirTh.GreaviUe,et
il a été, avec sa riche bibliothèque, légué au Musée britannique ; ce faibUophile
possédoit aussi les éditions de 160& et de itil^. Do beaux exemplaira de
l 'édition de 1606 se sont adjugeas à liOi fr., vente Nodier, en ISAAi M
805 fr., vente Debure, en 1853.
(2) Ce volume, dont M. Wolf a analysé le contenu, fl^re aussi dans la
Bibliotheca Grenviliana avec cette note : « M. Grenville n'a Jamais m de cet
ouvrage qu'un autre exemplaire auquel manquoient quatre feuillets qui
ont été fournis par un troisième exemplaire incomplet, existant à Madrid.*
BULLETIN DD BIBUOPHILE. 861
crire un recueil factice, composé de pièces tout à fait inconnues
jusqu'à présent et que possède la bibliothèque Ambroisienne à
Milan. Il contient de petits cahiers séparés, le premier intitulé:
Primer quaderno de la segunda parte de varias romances los mtu
modemos^ Valencia, 1593, 8 feuillets; il est accompagné de six
autres quadernos numérotés 2 à 7; le tout contient kO romances.
Deux autres recueil^ du même genre, reliés avec le précé-
dent, Tun de huit, Faulre de quatre quadernos, renferment
aussi des romances et des pièces de vers de divers genres.
Ce volume contient encore quelques opuscules espagnols;
nous n'en citerons qu'un seul qui a échappé aux patientes re-
cherches de M. G. Duplessis, lequel se seroit empressé de le
signaler dans sa Bibliographie parémiologique : Proverbios,
refranes y avisos por via de consejos dadas por Villanueva, ca»
btdlero de Morella, à dos mancebos; Valencia, 1593, 8 feuillets.
Le tome premier de l'édition qui vient de paroitre à Berlin, -
est consacré aux romances historiques ; il en présente environ
cent-vingt (le dernier du recueil est numéroté 108, mais il y a
plusieurs numéros doubles) ; le second volume est consacré aux ro-
mances chevaleresques et nouvellesques (novelescos)\ ils portent
les n<^ 109 k 198; les douze derniers appartiennent au cycle
carlovingien. On remarque le romance de Virgile où se retrou-
vent les traditions singulières répandues au moyen âge sur le
chantre^d'Énée, et diverses pièces relatives aux rois de France.
Nous avons distingué le romance du comte d'Irlos , celui du
marquis de Mantoue, ceux de Gaiferos et de Montesinos. Cer-
vantes les a cités en écrivant l'histoire de Don Quichotte, et il
a rendu ces noms immortels.
L'impression de la Primavera y flor de romances est d'une
netteté, d'une correction qui font vraiment honneur aux presses
de Berlin; le titre est en partie imprimé en rouge, petit détail
qui fera plaisir aux bibliophiles, et ce recueil^ aussi remarqua-
ble pour le contenu que pour la manière dont il est édité, est
certain d'avoir^ dans toute collection bien choisie, une place
des plus honorables. G. B.
59
862 BULLETIN DU BIBUOPHILB.
REVUE DES VENTES
A M. l'Éditeur du Bulletin du Bibliophile.
Monsieur Téditeur,
£n ma qualité de Bibliothécaire d'une ville de province, je lii
toujours avec beaucoup d'intérêt les revues de ventes que vou
insérez habituellement dans le Bulletin. Ces revues nous tien-
nent au courant du prix des livres rares, et c'est une connoissanœ
qu'il nous est utile d'acquérir. Je me suis a|)erçu, cependant, que
vous avez oublié de rendre compte de la vente qui a eu lieu à
Paris, le 29décembre 1 855, sous la direction de M. Edwin Trois,
et à l'aide du catalogue rédigé, dit-on, par le possesseur de cette
bibliothèque, M. A. Veinant. Voulez-vous me permettre, Mon-
sieur, d'avoir le plaisir de combler cetie lacune, et de vous
transmettre, d'après des renseignements que je crois exacts»
les prix d'adjudication de quelques-uns des livres curieux qui
ont passé dans cette vente ? Si vous trouvez que j'empiète sur
vos attributions, jetez au panier ma lettre et la note qui 1*
compagne.
Un de vos abonnés.
Vente A. Veinant,
32 — Heures latines manuscrites 400
33 — Heures manuscrites, avec miniatures 800
3/i — Heures imprimées par Simon Vostre,li!i97.. A55
42 — Confessions de saint- Augustin, 1702 130
309 — Les simulachrcs de la mort, de Holbcin. . 350
BULLETIN OU BlBUOPHiLB. 868
331 — Phébus, des Déduits de lâchasse, in-fol(l). 595 »
339 — Vénerie de J. du Fouilloux ,1561 250 »
Ii50 — Recueil d'anciennes poésies françoises ;
manuscrit avec miniatures 275 »
455 — Le Séjour d'honneur ; Ant. Verard, 1519. 395 »
459 — Heures de Notre-Dame, de P. Gringoire. . 240 »
460 — Les notables enseignements, de P. Grin-
goire 240 »
466 -^ Œuvres de Cl. Marot, 1538 248 »
468 — Les mêmes ; Dolet, 1543 300 »
471 — Débat et procès de nature 405 »
613 — Chansons de Christofle de Bordeaux 315 »
614 — Chansons historiques de 1590 250 »
Nous remercions notre abonné de son envoi; sa note est fort
exacte. Nous n'avions rien oublié ; mais l'abondance des ma-
tières nous avoit forcé à ajourner la Revue des ventes. Dans la
crainte d'encourir de nouveaux reproches, nous nous empres-
sons de communiquer à nos lecteurs le prix de certains articles
de la vente Hebbelinck de Lille, qui a eu lieu à Paris le
17 mars dernier et jours suivants.
2 — Biblia hebraica, R. Estienne, 1544-^6* • 130 n
13 — Les cantiques de Salomon 528 b
Ces deux articles ont été achetés par
M. le baron de Rothschild.
35 — La Bible de Royaumont 250
60 — Heures à l'usage de Paris, 1525 310 »
Adjugé pour M. Yémeniz»
74 ~ Preparatio ad missam (manuscrit avec mi-
niatures) 400 »
75 — Preces piœ (manuscrit avec miniatures) . . 505 »
(1) Cet exemplaire est bien inférieur, son» le rapport des marges et de
la conservation, à celui de M. Alfred Gheoeat, vendu en iS5d, et acheté
par M. le comte de Montesaon. [Sote de Véditewr,)
85& BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
76 — Livre de prières en latin (manuscrit et mi-
niature) 685 »
77 — Prières pour tous les jours de la semaine
(manuscrit) 350 »
78 — Livre de prières (manuscrit de Jarry) 905 »
81 — Heures en flamand (manuscrit avec miniat.) 260 »
137 — Oraison funèbre d'Anne de Gonzague, par
Bossuet (avec envoi de Taulcur) 151 •
Acheté pour le duc d*Aumale.
954 — Galullus, Tibulius, Propertius; A/dti5, 1515
(exempl. de Grolier) 2,500 »
Adjugé à M. Tillard.
1818 — Œuvres de Balzac, Elzevier 300 •
1875 — Collection des meilleurs ouvrages de la
langue françoise. Didot, 1815 3ft5 ■
2118 — Précis hisloriquede la Révolution françoise,
par Rabaut (avec les dessins originaux
de Moreau) 2&0 »
2181 — De Morinis et Morinorum rébus 190 »
2185 — Le siège de Metz en 1552 (exemplaire sur
vélin) 1,000 »
Acheté pour le duc d*Aumale.
2214 — Coutumes de la ville d'Ypre (exemplaire
sur peau vélin) 165 «
2307 — Histoire des illustres favoris 265 »
Une collection de lettres autographes et d'autres manuscrits
provenant du cabinet de feu H. Belward Ray, Esq., a été ven-
due îi Londres le 23 juillet dernier. Voici quelques articles dont
nous indiquerons les prix d'adjudication.
271 — Lettre aut. de Marie Leczinska, reine de
France 16 25
293 — Lettre aut. d'Eléonor d'Oriéans^ duc de
Longueville, 1572 20 •
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 866
618 — AuL Le cardinal de La Valette (3 lettres);
1634-39 37 50
688 — Aut. Bernard Arétin (2 lettres); 1460. ... 62 50
698— — Pierre Martyr; 1562 60 »
701 — — Théod. de Bèze; 1586 52 50
704— — J. Calvin; 1560 400 »
707— — Mart. Luther; 1537 236 25
708— — Ph. Mélanchton ; 1536 143 76
785 — — Louis Carrache ; 1617 65 75
791— — Nie. Poussin; 1642 87 50
792 — — Paul Rembrandt 400 »
793 — — P.-P. Rubens ; 1627 212 50
798 — — J. Chapelain, Tauteur de la Pucelle. 23.75
799 — — Pierre Corneille, relative au Cid. . . 512 50
810— — Le Sage; 1715 137 50
811 — — Malherbe; 1612 97 50
814— — J. Racine; 1695 93 75
816 — Le Tasse (copie) 26 25
838 — Lettre aut. de René Descartes ; 1647 100 »
1008 — Confession et protestation de foi catholique,
faites par l'évêque, le clergé et les habi-
tants de Verdun, en 1561, avec plusieurs
centaines de signatures autographes. . . 57 50
1061 — Isographie des hommes célèbres 100 n
Vente Falkenstein.
Le 7 avril dernier, on vendoit aussi à Leipzig une riche col-
lection de lettres autographes ayant appartenu à feu M. Gonst.-
Charles Falkenstein, directeur de la Bibliothèque Royale de
Dresde. Le catalogue, rédigé par les soins de M. T.-O. Wei-
gel, se compose de deux parties, comprenant ensemble 9177
articles. Le cadre trop resserré du Bulletin ne nous permet
pas de rendre un compte détaillé de la vente d*une nom-
breuse collection. Nous citerons seulement une lettre auto-
graphe de Torquato Tasso, achetée 75 florins, et une lettre
autographe signée d'Albert Durer, adjugée à lOO florins
15 kreutzers. J.-T.
869 BULLETIN DU BIBUOPflILE.
ANALECTA-BIBLION.
I.
(livres anciens).
Ql'Adrlvium egclesie: Quatuor prelatorum officium
quibus omnis status tum secularis tum vero eccle-
siasticus subjicitur (auth. Joh. Hugonis de Sletstat,
vîcario S*' Stephani Argentin). (In fine) ; Exaraium
est opus hoc saluhre inclitiss. helueciorum urbe
ArgentinaperJoannem Grimingef calcographie ar^
lificem ipso de inucntionis prothomariiris Stephani
annosalutis 1504; petit in-fol., gravures sur bois,
cart. {Voir au catalogue des livres.)
Très-bel exemplaire d'un livre port rare. Jean Hugonis de
Sletstat, vicaire de l'église de Saint-Étienne, à Strasbourg, avoii
achevé le Quadnivium ccclesie, dès Tannée i&98; mais les
précautions dont il entoura la publication de cet ouvrage pa*
roissent en avoir retardé Timpression. En efîet, nous ne con-
naissons point d'éditions antérieures à celle-ci; et la date de
l'achèvement de l'impression, fixée au jour de l'invention
de saint Etienne , premier martyr, n'est pas, à notre avis^ nn
jeu du hasard, mais un hommage rendu dans une première
édition au saint patron de l'église administrée par l'auteur du
Quadruvium.
L'empereur Maximilien avoit décrété un impôt général de
capitation, fixé à un écu d'or pour les hommes et à un deroi-écu
pour les femmes, afin de subvenir aux frais de sa malhenreuae
expédition de 1/|98, contre le duché de Bourgogne. Cette taxe
BmXBTIll DU BTBUOraiLE. 857
provoqua de nombreuses séditions dans les diverses provinces
de l'empire. Jean Hugonis voulut prouver la légalité de cet
impôt, et pour atteindre ce but, il écrivit ce livre : Du devoir
des quatre Prélats auxquels toutes les âmes sont soumises. Ces
quatre prélats sont le Pape, TÉvéque, le Curé et TEropereur.
Celui-ci est placé le dernier, parce que, dit Fauteur, la dignité
de FEmpereur est inférieure à celle du prêtre : Dignitas saeer^
dotalis est tanta, ut nulla alia ei valent equiparari, Sieut enim
luna recipit claritatem a sole, non sol a luna, sic regalis poteS"
tas recipit auctoritatem a sacerdotali non e contra. L'autorité
do Pape est donc au-dessus de tout «Le Pape, dit-il, gouverne
le monde entier, au temporel et au spirituel. Le pouvoir tem-
porel du pape a pour origine la donation de TEmpire faite par
Constantin à saint Sylvestre, n Après avoir discuté l'authenticité
et la validité de cet acte, l'auteur conclut naturellement en fa-
veur du Pape. Dès que cette omnipotence est érigée en principe,
les conséquences qui en résultent sont faciles à prévoir. « Hors
d« l'Église, il n'y a point d'Empire ; FErapereur doit donc re-
cevoir Finvestilure du Pape. L'Empereur est alors le maître
temporel du Monde ; tous les rois lui sont soumis. Mais il est
le feudataire de F Église : il ne peut toucher aux biens ecclé-
siastique, ni les frapper d'impôts, n
Notre vicaire de Strasbourg, craignant que l'on ne découvrit
dans son œuvre quelques propositions mal sonnantes, et vou-
lant se délivrer de toute inquiétude à cet égard, adressa le ma-
nuscrit du Quadruvium ecclesie, au cardinal Raymond Gurck,
légat a latere en Allemagne, et à Berchtold de Hennenberg,
archevêque de Mayence, avec prière d'y faire telles corrections
qu'ils jugeroient convenables. De plus, il l'envoya à l'empereur
Maximilien. Enfin, le 30 mars 1698, par acte passé par-devant
Ulrich Stromar, notaire public, et en présence de deux témoins,
il protesta de n'avoir voulu rien écrire contre la foi catholique,
FÉglise romaine, etc.; en conséquence, si son livre contient
quelques passages qui soient contraires k ses intentions, il les
858 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
dt^savoue el les aniiulc. Cette protestation est imprimée à ia fin
du volume. Elle est précédée d'une épître adressée à TEmpe-
reur, pour l'exhorter k défendre avec le glaive TÉglise dé-
chirée par ses ennemis, et à choisir pour conseillers les ar-
chevêques, les évéques, et d'autres personnes ecclésiastiques,
dont les avis lui seront plus utiles que ceux de ses conseillers
ordinaires.
Cet ouvrage est divisé en cinq titres principaux : de Papa;
de Episcopo; de Curato ; de Impcratore; de Laycis, Il ren-
ferme des détails fort curieux sur les droits et les devoirs de
ces divers personnages. On y remarque, en outre, une nomen-
clature annotée des impôts régaliens ; une longue dissertadoo
sur l'origine de l'esclavage ; comment on peut perdre ou recou-
vrer la liberté ; quels sont les diflérents degrés de liberté; quels
sont les devoirs des laïques envers les prêtres et les seigneurs ;
quelles sont les personnes exemptes de l'impôt personnel. An
milieu de cette liste où figurent comme exempts les grammai-
riens, les orateurs, les médecins, les professeurs, les peintres,
les sculpteurs, les architectes, etc., etc., on lit la note suivante :
Les poètes sont exceptés ; ih nont droit à aucune exemption
d'impôts, Platon avoit chassé les poètes de sa république;
l'Empereur, mieux avisé, les conserve, mais leur fait payer la
taille.
Ce volume est orné de 15 belles gravures sur bois à mi-page.
La 1", fol. 5, répétée sur le litre, représente les quatre prélats
soutenant l'Arche sainte; dans la 2', fol. 7, sont gravées les ar-
moiries de l'Empire ; la 3% fol. 8, est un tableau de la domi-
nation universelle du Pape ; autour du souverain pontife armé
du glaive et des clefs de saint Pierre, se tiennent à genoux les
dignitaires de l'Église, l'Empereur et ses chevaliers; la &«,
fol. 10, explique l'origine de la division des hommes en trois
classes : les clercs, les nobles, et les esclaves ; Noé, assis sous
un dais et armé du glaive et du sceptre, révèle à ses trois fils
les destins de leur postérité : les nobles sortiront de Japhet,
les clercs de Sem, et les esclaves de Gham, l'enfant maudit;
BULLETIN OU BIBUOPHILE« 869
la 5*, fol. 11, représente le Pape, entouré de ses cardinaux;
la 6*, fol. U, l'Évéque et ses archidiacres; la 7% fol. 21, le
Curé et ses chapelains ; la 8% fol. 27, l'Empereur et les sept
électeurs ; les quatre gravures suivantes, fol. 37^ 38 et 39, sont
fort singulières. C'est Taigle armoriale au vol éployé, mais à
une seule tête monstrueuse, qui, dans la 1^* figure, semble vou-
loir dévorer le soleil ; on lit sur une banderole : Inter aves
dominor ut rex, sed soli rcformor. Dans la 2*, Taigle perchée
sur un roc, est entourée de cette légende : Sicut ego volucres,
sic regni pasco fidèles. Triste perspective pour les féaux de
FEmpire, d'être traités comme les oiseaux le sont par Faigle.
Au surplus, les féaux sont représentés par un amas de têtes de
bœuf ceintes du joug. L'auteur a fait, sans y penser, une vio-
lente satire du pouvoir absolu au xv siècle. Dans la 3* gra-
vure, l'aigle s'apprête à vider une coupe pleine de vin : Audax
ut sit homo, vinum regale propino. Dans la 4% l'aigle est en-
tourée de celte singulière légende : Ne proceres sint exiles, sale
condeo plurcs. Ces deux figures font allusion aux impôts établis
sur le vin et sur le sel ; mais la dernière légende a pour nous
un sens énigmatique ; nous laissons aux amateurs le soin de
l'expliquer. La 13' gravure, fol. 44, est consacrée aux attri-
buts de l'Empire : le sceptre, le globe et le glaive; la 14*, fol.
52, se compose de deux parties. Le compartiment supérieur
est la reproduction de la figure 8 ; le compartiment inférieur
représente les clercs et les laïcs de tout rang et de toute con-
dition, se pressant autour de la chaire, où on lisoit la loi; enfin
la 15*, fol. 53, nous offre la scène de l'enivrement de Noé et de
l'irrévérence de Cham.
' Ap. B.
Quadruuium ecclesie : quatuor prelatorum officiura
quibus onnnis anima subiicitur (auth. Joh. Hugonis de
SIetstat, vicario santiStephani Argentin.) — (In fine) : Se
présent liure a este acheue de imprimer le premier
iour d*aomt l'an mil. V. C. et neuf pour Guillaume
860 BOLUBTIN m BIBUOraiLB.
ExiMace, marchant de Hures, demourant a Paris en
la rue de la luine a renseigne des deux Sagiteresouau
pâlies au troisième piller du cote de la chapelle ou on
chante la messe de messieurs les présidents; 1 vol.
in-4, gr. sur bois.
Trks-rare. — Celle édition doit êlre la seconde; et nous ne
pensons pas que le Quadruvium ecclesie ail été imprimé posté-
rieurement en Allemagne, et surtout eu France. Les doctrines
de J. Hugonis sur la toute-puissance du Pape, et sur le pouvoir
excessif de T Empereur, ne pouvaienl être favorablement ai>
cueillies en Allemagne, où la réforme religieuse éloit près d*é-
dater, et en France, où les Rois étoienl peu disposés à recon«
noitre la suzeraineté de l'Empereur. Guill. Ëustace n'a pas fait
preuve de bon goût en faisant réimprimer à Paris un ouvrage
aussi incompatible avec les droits du Roi et avec les traditions
de rÉglise gallicane. G'étoit, sans doute, une spéculation dn
libraire qui comptoil sur la singularité du titre et sur les figures
pour attirer les acheteurs. Ge])endant, il eut soin de ne repro-
duire que cinq gravures de Tédition de (iri'minger, et il rejeta
toutes celles qui représentoient T Empereur, ou qui faisoient
allusion h. T Empire. Les fig. conservées par G. Eustace sont
les l'*, 5% ()% ?• et 15*^ de l'édition de Strasbourg, c'est-à-dire
les quatre prélats soutenant T Arche sainte; le Pape et ses car-
dinaux; rÉvéque et ses archidiacres; le curé et ses chapelains;
la scène de Ténivrement de Noé. Toutefois , pour augmenter le
nombre des figures, on répéta trois fois la l'^ et la 5*, et l'on
ajouta sur le verso du titre une gravure nouvelle qui repré-
sente Fauteur écrivant son livre. (Voy. Cart. précédent.)
Ap. &
BuiXEnn DU BiBuoraïu. 861
ANALECTA-BIBLION.
n.
(PUBUCATIONS nouvelles)
Discours de Torigine des Russiens, par le Cardinal
Baronius traduict en françois par Marc Lescarbot,
nouvelle édition revue et corrigée par le prince Au-
gustin Galitzin, 1856, in-16 de xiv et 60 pages (1).
L*an 1^53, Gonstantinople tomboit entre les mains de Maho-
met II, et Tempire d'Orient cessoil d'exister. Plusieurs nations
chrétiennes appartenant à TÉglise orientale continuèrent à
reconnottre la suprématie spirituelle du patriarche de Gon-
stantinople; mais celles qui n'étoient pas sous le joug ottoman
ne tardèrent pas k éprouver une vive répugnance k se trouver
dans la dépendance d'un siège que la simonie avoit envahi et
qui étoit tombé au dernier degré de l'avilissement.
Nulle part cette répugnance n'étoit plus vive qu'en Russie.
Mais il faut se souvenir que l'Église russe étoit alors partagée :
les évéques dont les diocèses étoient placés dans les États du
tzar de Moscovie relevoient du siège métropolitain de Moscou ;
tandis que les évéques dont les diocèses étoient situés dans la
Russie occidentale et méridionale, et qui avoient pour souve-
rain le grand duc de Lithuanie, roi de Pologne, relçvoient,
dans l'ordre spirituel, du siège métropolitain de Kief. La partie
moscovite de l'Église russe constitua son indépendance vis-à-vis
de Gonstantinople en élevant le siège de Moscou à la dignité
(1) En rente h la librairie J. Techener; imprimé à petit nombre et
avec le plus grand soin sur papier de Hollande avec fleurons : Prix 4 fr.
862 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
patriarcale. Le nouveau patriarche entendoit bien soumettre h
sa houlette le métropolitain de Kief, et les évéques ses suffira-
gants. Mais SCS prétentions rencontrèrent une vive résistance :
ni les évéques, ni le peuple et encore moins le gouvernement
polonois ne vouloicnt les admettre. D'ailleurs il eût été difficile
de montrer en vertu de quel droit l'antique métropole de Kief,
la mère des Églises russes, devoit reconnoître l'autorité de sa
jeune sœur de Moscou.
Dans un pareil état de choses, il est probable que les évoques
de la province ecclésiastique de Kief n'auroient pas demandé
mieux que de continuer à relever du patriarche de Gonslanti-
nople, à condition que cette subordination n'entraînât pas k sa
suite de graves abus. Mais un événement imprévu vint changer
le cours de leurs idées. Pour donner une apparence de légalité
à la transformation qu'on venoit de faire subir au siège de
Moscou, Boris Godounof, qui déjà étoit tout-puissant en Russie,
sous le règne du tzar Théodore, avoit fait venir à Moscou les
patriarches d'Anlioche et de Constantinople, pour y tenir un
simulacre de concile. Jérémie, patriarche déposé de Constanti-
nople, en quittant Moscou pour s'en retourner dans son pays»
s'arrêta quelque temps à Kief; il s'y livra, pour ramasser de
l'argent, à des abus qui révoltèrent les évéques de la Russie
occidentale. Fis résolurent alors de suivre en partie l'exemple
qui leur avoit été donné par les évéques moscovites ; ils voulurent
établir leur indépendance vis-k-vis du clergé simoniaque de
Byzance. Mais, au lieu de constituer un nouveau siège patriarcal
ils préférèrent se soumettre à Taiitorité de l'évéque de l'ancienDe
Rome, successeur de saint Pierre et vicaire de Jésus-ChrisU
L'érection du patriarchat de Moscou est de l'an 1588, et la
première délibération des évéques de la province de Kief est de
l'an 1.59.^1; par conséquent, ces deux événements sont à peu
près contemporains.
Les évéques des provinces occidentales s' étant assemblés en
concile députèrent à Rome quelques-uns d'entre eux pour
arrêter les bases de l'union qu'ils vouloienl rétablir.
BULLETIN DU filBUOPHlLE. SOS
Le célèbre Baronius, qui écrivoit en ce moment les annales
de l'Église, inlerrompil son travail pour conserver à la posté-
rité les détails d'un événement qui réjouit alors profondément
toute l'Église catholique. C'est à la fin de 1595 que les évêques
russes députés à Rome par leurs collègues faisoient profession
de la foi catholique entre les mains du pape Clément VIII ; et le
récit de Baronius, traduit en françois par Marc Lescarbol (1),
étoit publié à Paris en 1599. C'est cette traduction, devenue
excessivement rare, que nous réimprimons aujourd'hui. La pre-
mière édition est contemporaine de l'événement; la seconde,
qui paroil deux cent cinquante-sept ans plus tard, arrive dans
des circonstances non moins mémorables. L'Église grecque unie
dont Baronius nous a raconté la naissance a succombé il y a dix-
sept ans en Russie. Une autre branche de cette Église, qui con-
tinue à subsister en Autriche, est, en ce moment, l'objet de la
paternelle sollicitude du pape Pie IX, qui occupe aujourd'hui
la chaire de saint Pierre.
Espérons que l'esprit de mansuétude et d'équité qui anime
l'empereur Alexandre II le poussera à ne pas s'opposer à ce que
l'Église grecque unie ressuscite dans ses États. Des prêtres, des
religieux en grand nombre, vrais confesseurs de la foi, sont
dispersés sur toute la surface de l'empire de Russie. Les peuples
habitués k se laisser guider par eux dans les voies du salut ré-
clament leur retour au milieu d'eux, ils reviendront, il leur sera
permis d'avoir de nouveau des évéques de leur rite à leur tête.
Et, qui sait? peut-être ces années d'épreuves ont-elles été des
années de préparation. Peut-être le temps approche où l'Église
(1) Marc Lescarbotf né à Vervins, en Picardie, étoit avocat aa parlement
de Paris; mais, mécootent d*avoir perdu une cause qu'il défendoit et qa*U
croyoit juste, il abandonna le barreau et se livra aux voyages. Il suivit le
Mcur de Pontrincourt que Henri IV avoit nommé administrateur à la Loui-
siane. 11 accompagna ensuite Pierre de Castillc, ambassadeur de Louis XIII,
en Suisse. 11 est mort vers 16^0, âgé de 60 ans. Marc Lescarbot est auteur
de plusieurs ouvragi^s, dont uae Hittoire de la Nouvelle France^ pubUée en
1609 et un Tableau (envers) de la Suisse, qui donne une idée asaei avan-
tageuse de son talent descriptif.
86A BULLETIN DV BIBLIOPHILE.
russe tout entière, abjurant de vains préjugés, suivra l'exemple
qui lui fut autrefois donné par l'antique Église de Kief« et, toot
en conservant ses rites, sa discipline, son clergé, elle ne fan
plus avec TÉglise universelle qu'un cœur et qu'une ftme, qu'un
seul troupeau, sous la conduite du seul pasteur étemel Jésus-
Christ et du vicaire qu'il a établi pour tenir sa place sur la terre,
lorsqu'il dit à Pierre : c Tu es Pierre, et sur cette pierre je
bâtirai mon Église, et les portes de l'Enfer ne prévaudront pas
contre elle; je te donnerai les clefs du royaume des cieox ; tout
ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que
tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ; j'ai prié pour
toi afin que ta foi ne défaille point ; confirme tes frères ; sois le
pasteur de mes brebis et de mes agneaux, le pasteur de mOD
troupeau. >
Le prince Augustin Galitzin, bibliophile éclairé, adernièrement
publié à trente exemplaires une légende, écrite par lui, d*iin
arrière-grand-oncle de la princesse sa femme, née La Roche-
Aymon^ et intitulée : Légende du bienheureux Raoul de La
Roche-Aymon de l'ordre de Citeaux, archevêque de Lyon, en
1235; brochure de 12 pages.
RÉDACTEURS DU BULLETIN DU BIBUOPHILE
COURONNÉS PAR l'iNSTITUT.
Le Bulletin du Bibliophile compte parmi ses collabora-
teurs des académiciens, des bibliothécaires et des bibliophiles
distingués. Plusieurs d'entre eux ont été, à diverses époques,
couronnés par l'Institut. Le Bulletin ne peut rester indifférent
aux honneurs littéraires décernés à ses collaborateurs; car il
en rejaillit toujours un peu d'éclat sur l'œuvre dont ils assurent
la prospérité par leurs communications bienveillantes. Ainsi ,
nous pounions citer M. Ratuerv, bibliothécaire au Louvre i
BULLETIN DD BlBUOPfllLE. 866
couronné, en iSkk, par TAcadémie des Sciences morales et
politiques, puis en 1852, par FAcadémiefrançoise; M. Apollim
Briquet, F un de nos plus zélés rédacteurs, qui en 1847 a
obtenu Tune des trois médailles accordées annuellement par
TAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, aux meilleurs ou-
vrages sur les antiquités nationales, etc., etc. Mais il n'est pas
besoin de remonter à une époque si éloignée. Le 8 août der-
nier, TAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres a proclamé
ses lauréats pour l'année 1856. Nous extrairons de cette liste
les noms suivants, qui se rattachent à la publication dix Bulletin
du Bibliophile,
Dans le concours pour les antiquités nationales^ M. Louis
Paris a remporté la troisième médaille pour son Histoire et
description de V intérieur de V église de Notre-Dame de Reims,
Un rappel de médaille a été décerné à M. VioUet-Leduc^
pour le tome II de son Dictionnaire raisonné de l'Architecture
françoise, du A/»* au xFr siècle, in-S». Cet excellent ouvrage^
dont nous avons sous les yeux la 75^ livraison , est édité par
Bance. C'est un livre fort important pour Fart et pour Thistoire
du moyen âge. Lisez l'article Château, et vous y trouverez le
récit détaillé de la prise du Château-Gaillard par Philippe-
Auguste, la description du château de Couci^ au xiiF siècle ^ et
celle du Louvre sous Philippe- Auguste , extraite du Roman de
la Rose, C'est également un livre de luxe , par la beauté des
caractères d'impression et des gravures sur bois intercalées
dans le texte. Mais le jugement de l'Académie rend nos éloges
superflus.
Une mention hors ligne a été accordée à MM. E. de Rozière
et E. Chatel, pour leur ouvrage intitulé : Table générale et
méthodique des Mémoires contenus dans les recueils de l'Acadé-
mie des Inscriptions et Belles-Lettres, et de l'Académie des
Sciences morales et politiques; 1 VOl. in-i*. Cette table offre le
catalogue méthodique de 88 volumes publiés de 1717 à 1850.
A l'aide de ce travail , on pourra désormais faire d'utiles re-
cherches dans la collection des Mémoires de ces deux Acadé-
866 BULLETIN DU BTBUOPHULE.
mies. C'est un service que sauront apprécier les hommes qu
se livrent à Tétude ; quant aux Académies^ Tune d'elles vient
déjà de prouver sa reconnaissance à MM. de Rozière et ChàteL
Sous le litre modeste ù' Avertissement ^ M. de Rozière a écrit
d'un style éléfçanl Thistoire complète de TAcadémie des In-
scriptions et Belles-Lettres, et celle de rAcadémic des Sciences
morales et politiques, depuis leur fondation jusqu'à nos jours.
Les observations judicieuses sur le système bibliographique
dit des Libraires de Paris, qui terminent cet avertissement,
méritent également de fixer l'attention.
Des mentions très-honorables ont été décernées :
\^ A M. u'Ansois de Jibainville, pour son Essai sur les
sceavd' des comirs et des comtesses de Champagne ; br. in-ft;
2'» A M. DoiKT d'Ahco, pour ses Recherches historiques et
critiques sur les anciens comtes de Beaumont -sur-Oise, du XI*
au xiir siècle; 1 vol. in-ii ;
3" A M. Peigné-Delacoiu, pour ses Recherches sur la poti"
tion de Noviodunum Suessionum et de divers autres Heur du
Soissonnois ; br. in-8.
Knfni, des mentions honorables ont été accordées :
1° A M. Mh;naui), pour son Histoire de l'idiome baurgui-'
ynon et de sa littérature propre, etc.; 1 vol. in-8;
2' \ M. Caunandet, pour la publication de la Vie et passion
de Monseigneur sainct Didier, martir et evesque de Lengres;
1 vol. in-8. \ous avons rendu compte de cette curieuse publi-
cation dans le Bulletin, 1855, page 384.
3" A MM. AcHMET n'HÉnicoiRT et A. (iodin , pour leur ou-
vrage intitulé : Les rues d'Arras , dictionnaire historique ,
précède d'un résumé de l* histoire d'Arras ; 2 vol. in-8.
Lo premier prix (iobert a été décerné à M. Hairéau, pour
sa continuation du Gai lia CJiristiana , et le second prix à
M. FLO<n KT, pour ses Études sur la rie de Bossuet.
BDUETIN DC BIBUOPHIU. 867
REVUE
DE
PUBLICATIONS NOUVELLES,
— Notice historique sur la foire de la Saint-^ean, à Amiens^
par M. Tabbé Jules Gorblet, 1856, io-8 de 28 pag. — H. l*abbé
Corblet a consacré la première partie de cette notice à établir
que Ton doit à T Église l'institution des foires. Il fait dériver le
root foire de feriiiy fête religieuse, et il pense que ces réunions
commerciales ont eu pour origine Taflluence des pèlerins qui ,
à certaines époques de Tannée, visitoient les reliques des saints
les plus renommés de chaque province. Cette origine peut être
vraie pour quelques localités, mais elle ne sauroit être admise
comme règle générale. Et d* abord , nous sommes d'avis que le
mot foire ne dérive ni de forum, place publique, ni de feria,
fête religieuse, mais de foris, en dehors, à Textérieur. Les mots
forains, marchands forains, traites foraines et foires, sont de la
même famille et signifient des étrangers, des impôts sur les mar-
chandises importées par des étrangers , des réunions de mar-
chands étrangers. Quant à Vorigine des foires, nous pourrions en
citer un grand nombre dont l'institution a été provoquée , au
moyen âge, par les seigneurs et par les communes; car c'étoit
beau proût pour les seigneurs et pour les villes. Les mar-
chands sédentaires ne s'en plaignoient point : ils s'approvision-
Doient aisément aux foires de marchandises difficiles à trans-
porter, et les revcndoient plus tard avec bénéfice, à leurs con-
citoyens ; puis, pour ne rien perdre, ils louoient leurs boutiques
aux forains. Les habitants des campagnes et des villes environ-
nantes venoient s'ébaudir à la foire, et dépensoient en peu de
60
868 BUUBTIN DU BIBLIOPHILE.
jours des sommes considérables qui enrichissoient les citadiOB.
La tête de saint Jean étoit exposée à Amiens, le 24 juin et les
deux jours suivants ; les pèlerins aflluoient de toutes les pro-
vinces de la France, et même des pays étrangers. Telle est
Torigine de la foire de la Saint- Jean, à Amiens. Dans la seconde
partie de sa notice , M. Tabbé Gorblet retrace la physionomie
commerciale de cette foire , depuis le xiii« siècle jusqu'à nos
jours. Au nombre des foires remarquables que cite M. Fabbè
Gorblet, nous n*avons point vu figurer l'ancienne et belle foire
de la Saint-Jean, qui se lient à Mort, pendant quinze jours, et
qui doit peut-être son origine à une autre tète de saint Jean-
Baptiste que Ton conservoit dans Fabbaye de Saint -Jein
d'Angély.
— Bibliothèque de V Amateur rémois se vend à Reims, ckn
Brissart^Binet ; petit in-12, tiré à 100 exemplaires. — La pre-
mière livraison, VArt de plumer la poule sans crier, est épuisée.
Nous en avons parlé dans le Bulletin , ainsi que de la seconde
livraison : la Messe des Sans 'Culottes, avec un Précis histO"
rique, par M. L. Paris. La troisième livraison est inlitalée:
Description de la fontaine minérale de Chenay, par Nicolas*
Abraham, sieur de la Framboisière , doyen de la Faculté dt
médecine en l'université de Reims, 1606. Le sieur de la Fram-
boisière devint médecin de Louis XIIl , et ses œuvres ont été
imprimées en un volume in-fol. « La fontaine de Chenay, fré-
qucntée par la cour et la ville sous Henri IV et Louis XIII ,
chantée par les poêles contemporains, a été délaissée depuis
cette époque pour des eaux thermales plus éloignées , quoi-
qu'elle n'ait rien perdu de ses vertus médicinales; elle n'a
d'autre tort que celui d'être trop près de la ville de Reims, a
La quatrième livraison, publiée en 1856, a pour titre : CAmi-
son nouvelle , contenant le récit véritable et remarquable de es
qui est arrivé dans la ville de Reims, à l'encontre de ffenss*
nistres ; elle est accompagnée d'une préface de M. L. Paria,
Cette facétie janséniste, composée vei-s 1723, se rattache
BCIXBTIN OV BIBUOPBIU* 809
grandes querelles de la bulle Unigenitus, La chaason, sur Tair
des Pendus, est précédée d'une introduction en prose, intitulée :
Avis des chanteurs ambulants de la troupe de Champagne , au
lecteur. Cet avis, écrit en langage rustique du pays champe-
nois, est plein d'esprit et de fine raillerie. M. Brissart-Binet fait
preuve de bon goût dans le choix des opuscules qu'il réimprime
avec autant de soin que d'élégance : ce sont des raretés biblio*
graphiques et des curiosités littéraires.
— Revue des Provinces de l'Ouest. — Mai 1856. — Cette
revue mensuelle, publiée à Nantes, renferme des documents
précieux pour l'histoire du Poitou, delà Bretagne et de l'Anjou.
Voici la table des matières pour la livraison du mois de mai :
P. SIS. — Le Cheralier de Nouainville. — Épisode de niciun da
&TIU* siècle.
P. 529. — Dt^cou verte dans le Finistère d'un atelier de figurines gallo-
romaines.
P. 537. — Une Fôte à Nantes au xvi« siècle.— Jean Booehet, du Poitisnk
P. 559. — Le Cartulaire des sires de Rays. — Table analytique des
Chartes qu'il contient, par M. P. Marchegay. [Suite.)
P. 570. *- Chronique du mois.
P. 575. — Bulletin bibliographique mensuel.
— Bulletin du Bibliophile belge , publié sous la direction de
M. Aug. Scheler, bibliothécaire du roi; février 1856. — Le
Bulletin du bibliophile belge intéresse la France autant que la
Belgique. On le prouveroit aisément par l'analyse de la livrai-
son que nous avons sous les yeux ; mais l'espace nous manque
pour cette analyse, et nous indiquerons seulement les articles
les plus importants :
Essai d'une liste chronologique des ouvnges et diiseitatiooa coneernaat
rHistoire de l'Imprimerie en HoUande et en Belgique, par M. F.-L. Hoff-
maon;
Nuga^ diniciles, par M. R. Chalon. C'est une suite de notices sur des
tivre* singuliers contenant des anagrammes, des chronogrammes, dm poé*
rilitt^ difAciles en tous genres. — Louis XVl, imprimeur.
870 BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Notices biographiques sur Jean de Malines, pofite françois da xnr* liècle,
et sur Gab. Meurier, auteur belge du xvi* siècle ;
Notice biographique et bibliographique sur les auteurs daUmtea, andeni
et modernes.
Lettre autographe de Henri IV , etc., etc.
Cette livraisoD contient, en outre, la préface et les deux
premières feuilles des Annales de rimprimerie plantiaienne,
par MM. Aug. de Backer et Ch. Ruelens.
— Notice sur Gilles de Rais, par Armand Guéraud. Nantes^
broch. in-8 de Ih pag. — Cette dissertation sur on per-
sonnage dont le nom rappelle tant de crimes, est très-curieuse.
L'énoncé des divers chapitres du livre suffira pour exciter la
curiosité de nos lecteurs : Naissance et Vie militaire de Gilles de
Bais; son luxe et ses prodigalités; ses recherches alchimiques,
ses évocations et ses crimes ; son procès et son exécution ; Gûles
de Rais a-M'/ fourni le type de Barbe-Bleue ? Aroit^il sa raison?
Indications bibliographiques,
— Le parlement de Metz, Discours prononcé pour la rentrée de
la Cour impériale de Metz, le 3 nox>embre 1855, par M. L. Le-
clerc, premier avocat-général. Metz; broch. in-8 de 40 p. —
Ce discours est une page éloquente de l'histoire de Heti» à
l'époque de l'entrée du roi Henri II dans cette ville impériale,
le 18 avril 1552. C'est, de plus, un résumé complet de THis-
toire du Parlement messin, depuis sa création en 1633.
— Notice historique sur la crypte de l'Église cathédrale de
Chartres, par M. Doublet de Bois-Thibaut. — Cette notice con-
tient l'histoire et la description de la partie la plus ancienne et
la moins connue de la célèbre cathédrale de Chartres. Après
avoir rappelé les divers incendies qui détruisirent cette égliseï
depuis 1020 jusqu'en 1286, M. de Bois-Thibaut établit que li
crypte a été construite sous l'épiscopat de Fulbert» de 1020 k
1028; puis il décrit avec soin cette église souterraine, l'iinedes
BULLETIN OU BIBUOPHILE. 871
plus vastes qui existent , ainsi que ses chapelles , ses vitraux,
ses fonts baptismaux, ses caveaux, ses cachots^ son hôpital ,
son puits, etc Cette curieuse dissertation est extraite d*une
Monographie de la cathédrale de Chartres,
— Rapport sur laBibliothèq, royale de Bruxelles^ par M. Al vin,
conservateur. — Ce rapport fort remarquable fournit des rensei-
gnements étendus sur l'organisation, Tadministration et le ser-
vice public de la Bibliothèque royale de Bruxelles. 11 nous sem-
ble qu'il seroit utile de réunir en un seul corps tous les rap-
ports d'une époque récente publiés par les conservateurs des
grandes bibliothèques de l'Europe. On pourroit ainsi comparer
les divers systèmes d'organisation et d'administration adoptés
dans ces établissements : de cet examen surgiroient sans doute
des idées d'amélioration que la lecture d'un rapport isolé ne
sauroit utilement inspirer. Nous indiquerons cependant les
détails intéressants que donne M. Alvin sur l'installation inté-
rieure de la bibliothèque qu'il administre avec une sollicitude
si éclairée ; la statistique des livres communiqués au public ,
depuis le 1«' octobre 1850 jusqu'au 1«' octobre 1853; les
projets d'un agrandissement du local, et de la confection d'un
catalogue général.
— Biographie du cointe de Guibert , maréchal-de-camp ,
membre de l'Académie françoise, par E. Forestié neveu ; in-8*
de 72 pag.— Cette notice, fort intéressante, a été couronnée en
1855 par la Société des Sciences et Belles-Lettres de Tarn-et-
Garonne. L'auteur ne s'est pas borné à raconter la vie du comte
de Guibert ; il a, de plus, analysé avec talent les ouvrages de
cet éminent écrivain, qui disoit en 1790 : « J'ai été le précur-
seur de beaucoup d'opinions qui fondent aujourd'hui la liberté,
et j'ai propagé la vérité dans un temps où il y avoit du courage
et du danger à la dire. » Né à Montauban, le 11 novembre
17(|3, le comte de Guibert mourut le 6 mai 1790, à l'âge de
quarante-six ans. On trouve à la fin de cette notice la liste
872 BTTLtCTni DU BIBLlOPBILE.
complète des œuvres de Guibert; elles se composent de ptak
sieurs volumes sur Tart et l'administration militaires , que l'on
consulte encore avec fruit, de voyages, d'éloges, de tragédies,
d'opéras, etc.
M. Forestié cite, dans son introduction, un passage du DiC"
tionnaire historique des Françaises ilhistres^ par M"* Briquet (1).
Ge livre est devenu très-rare, et le passage signalé est encore
d'une telle actualité que nous croyons pouvoir le reproduire :
(( Les dictionnaires historiques et bibliographiques, dit avec
raison M""* Briquet, oiïrent en général peu d'eiiactitnde dans les
dates pour les époques de la naissance ou de la mort des au-
teurs; il est rare de les trouver d'accord pour les années des
éditions, pour le format, le titre même des ouvragée. On ne
tient pas compte du temps qu'il faut, des recherches néces-
saires pour rectifier une date ; et s'il n'étoit pas indigne d'an
' citoyen et contraire à la probité de se jouer de la crédulHé
d'autrui, l'ingratitude des lecteurs dispenseroit d'être si scra-
puleux et de prendre tant de soins. )>
La notice sur le comte de Guibert est un fragment de la Bh-
graphie de Tam-et-Garonne ^ études hist, et bibliogr, gur lis
personnes remarquables du département , publiées par E^ Fé-
restic neveu, avec le concours de plusieurs écrivains^ Le 1* vo-
lume est sous presse.
— Éloge du docteur Charles Viguerie, lu à la séance pMi'
que de l'Académie impériale de Toulouse, le 18 mai 1856, par
M. Desbarreaux-Bemard ; in-8 de 2k pages. ^ Cette oraison
funèbre d'un savant médecin de Toulouse renferme aussi des
détails curieux et inédits sur la vie du père de Charles Vîgoe-
rie, chirurgien distingué, qui par sa fermeté réussit à donner
une impulsion nouvelle aux études anatomiques. M. Desbar-
reaux-Bernard fait connottre, h cette occasion, les préjugés qai
rendirent presque nulle, juscfu'en 1776, la pratique de l'anato-
(1) M-* Bri(|uot eftt la mèra du rédacteur de cot article. {Note de FééUmÊt.)
mJLLBTllf DU BIBUOPHILB. 87S
mie dins les écoles de Toulouse. Ces renseignements ne sont
point dépourvus d^intérét pour l'histoire des mœurs du midi
de la France.
•^ Les Estienne ( par M. Ambr.-Firmln Didot). Extrait de
la nouvelle Biographie générale jmbliée par MM» Firmin
Didot frères; 1856. — Nous n'apprendrons rien de nouveau
à nos lecteurs, en leur disant que cette série de notices biogra*
phiques intéresse au plus haut point Thistoire de Timprimerie
et des imprimeurs françois, et même en ajoutant que le nom
de Tauteur accroît encore l'intérêt qui s'attache à ce travail.
Aucun écrivain ne pouvoil mieux, en effet, retracer la vie des
Estienne, aucun ne pouvoit mieux analyser les nombreux ou-
vrages composés ou édités par ces savants imprimeurs, que
H. Ambroise-Firmin Didot, qui tient, de nos jours, le premier
rang parmi les typographes françois , par la science et par les
belles et correctes éditions qu'il publie. Les articles consacrés
à Robert Estienne et à son fils Henri sont très-remarquables ;
les documents inédits qu'ils renferment jettent un nouveau jour
sur la biographie de ces deux illustres personnages. C'est avec
une douloureuse émotion qu'on lit dans ces notices le récit peu
connu des démêlés de la Sorbonne avec Robert, qui privèrent
la France de ce célèbre imprimeur, et le forcèrent à s'expa-
trier. On trouve, en outre, dans cette biographie, des détails
curieux sur plusieurs savants, imprimeurs et grands seigneurs,
parents, amis, protecteurs, ou même persécuteurs des Estienne.
— lutter from king John of France to his son Charles
(London, 1856/ — Cette lettre inédite du roi Jean est datée de
Windsor, le 26 novembre, sans indication d'année. Il est pro-
bable qu'elle fut écrite peu de temps après l'arrivée à Londres
du roi Jean, prisonnier d'Edouard, dit le Prince noir; car elle
est adressée à Charles dauphin, et non à Charles régent. Elle
a pour objet de récompenser Pierre de Labatut de tous les
sacrifices d'argent et de terres qu'il avoit faits pour subvenir
87i BULLEHN DU BIBLIOPHILE.
aux besoins du roi. lia signature de Jean est reproduite en foc
simile, et la lettre a été collationnée avec soin par les membres
du State paper office de Londres. Le possesseur de cette pièce,
M. 0*Gallaghan , Ta publiée en Angleterre, et il a écrit en an-
glois le titre et les notes. Le passage suivant (p. 5) : n Et ja-
chiez quil a empruntez pour nous a Londres la somme de mU
et xliiij moutons, > est accompagné d'une note qui se rattache
à la numismatique françoise. « C'est en 1371, selon Gotgrave,
qu'on frappa des moutons pour la première fois. L'erreur est
évidente, puisque celui qui écrivit cette lettre mourut en 136&.
Ducange et Froissard disent que la monnaie d'or, connue sons
le nom de mouton, fut autorisée par les états-généraux immé-
diatement après la bataille de Poitiers. Ceci concorderoit assez
avec la date de la lettre, quoiqu'il paroisse extraordinaire que
le roi Jean ait fait mention d'une monnaie de si fraîche
date (1). »
— Quelques mots sur un exemplaire de la première édition
des Œuvres de Vauvenargucs , avec notes manuscrites, par
M. Mouan, s.-bibliothéc. d'Aix; 1856, in-8.— La bibliothèque
de la ville d'Aix possède un exemplaire de la première édition
des Œuvres de Vauvenargues, chargé de nombreuses annota-
tions manuscrites. Cet exemplaire avoit appartenu au président
de Saint-Vincens, qui écrivit sur la garde du volume que toutes
ces notes étoient de la main de Vauvenargues , et avoient serai
pour l'édition de Util. M. Mouan ne partage point cette opi-
' nion. Il prouve que si quelques-unes de ces notes doivent être
attribuées à Vauvenargues, il en est d'autres, en grand nombre,
qui ont été écrites par un ami du célèbre moraliste, et proba-
blement par Voltaire. Les détails curieux que M. Mouan donne
à ce sujet, et les piquantes annotations qu'il reproduit, bussent
peu de doutes sur l'exactitude de cette attribution.
(1) Les moutons d'or ont été frappés, pour la première fois, sons le règne
de saint Louis.
■
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 876
— Histoire littéraire de la France, tome XXllI, — Les
Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur commencèrent
ce grand ouvrage; mais arrivés au xn* siècle, ils suspendirent
leur travail. En 1807, des membres de l'Institut reprirent Fœu-
vre des Bénédictins, et ils Tout continuée jusqu'à ce jour avec
persévérance. Le 23' volume, récemment publié, complète
rhistoire littéraire du xiii* siècle, et contient l'analyse des poé*
sies françoises de cette époque. Gomme il eût été difficile de
classer exactement toutes ces pièces par ordre chronologique,
les savants éditeurs les ont rangées par ordre de matières. Le
premier article est consacré au roman de la Rose. Cette disser-
tation, écrite par M. P. Paris, est l'une des plus importantes que
renferme ce volume. On trouve ensuite les Lais^ avec une in-
troductionpar M. P. Paris ; lesFaWiaiu?, précédés d'une intro-
duction et de recherches sur les auteurs, par M. V. Leclerc;
les Débats et Disputes, par M. E. Littré; les Poésies morales^
par M. V. Le Clerc ; les Dits, par M. P. Paris ; V Image du monde ^
par M. V. Le Clerc; les Poésies historiques, par M. V. Le
Clerc ; et les Chansonniers (p. 512 à 831), par M. P. Paris. A
la fin du volume, on trouve une table générale des écrivains
du xiii« siècle, dont il est parlé dans les huit derniers tomes de
l'Histoire littéraire.
Ap. B.
876 BtLLETIIf DU BIBUOPHtUt.
NOUVELLES
ET
VARIÉTÉS BIBLIOGRAPHIQUES.
— Le conseil municipal du Havre vient de voter, sur lerap^
port de M. Morlent, bibliothécaire de la ville, racquisitiOD des
manuscrits de Bernardin de Saint-Pierre, que possédoii encore
M. Laverdet. Ces nombreuses pièces formeront au moins doue
ou quinze parties in-folio. Cette décision fait honneur au con-
seil municipal du Havre, ainsi qu'à M. Morlent, qui l'a provo-
quée. Au surplus, ce zélé bibliothécaire ne cesse de réunir,
avec une persévérance digne d'éloges, tous les documents rota-
tifs à Bernardin de Saint-Pierre, et spécialement les lettres
autographes de Tillustre auteur des Harmonies de la nature et
de Paul et Virginie,
— Sous presse : Journal inédit d'Arnaud d'Andilly^ publié
et annoté par Achille Halphen, juge suppléant au tribunal civil
de Versailles, membre de la Société des Sciences morales, des
Lettres et des Arts de Seine-ct-Oise.
— On a vendu dernièrement à Londres une collection de
pièces autographes, parmi lesquelles on remarquoit douze pages
in-folio écrites par Torquato Tasso; une charte originale de
Guillaume le Conquérant, avec le sceau j)arfaitement conservé;
des notes autographes de J. Milton , écrites sur les marges d*un
Bn.LfiTiii mj BiBUoraiLB. 877
maoascrit des Pastorales de Browne; des instructions auto-
graphes de Fénelon, adressées à l*abbé de Ghanterac à Rome,
pour servir à sa défense contre les accusations de Bossuet;
quelques lettres intéressantes du général Wolfe ; une lettre
autographe du poHe Cou per ; une lettre ofTicielle sur Taccident
dont Olivier Cromwell faillit être victime, en conduisant lui-
même sa voiture, etc....
— L'Histoire des Usages funèbres et des Sépultures des
peuples anciens, par M. E. Feydeau, est en cours de publica-
tion. Cet ouvrage est le résultat de dix années d'études, de
recherches et d'explorations scientifiques. Les planches et les
plans sont exécutés sous la direction de M. Alfred Feydeau,
architecte de la Ville de Paris, et ce livre , recommandé par le
conseil supérieur de T Instruction publique, parott sous les
auspices du ministère. Après ce court exposé, nous n'in-
•ifterons pas auprès des artistes et des érudits sur Timpor-
tiDce et la nouveauté du sujet que Tauteur a choisi. L'ouvrage
formera deux beaux volumes gr. in-^o jésus , divisés en doute
livres dont nous donnons ici les titres :
«" i'R£LlMLNAlR£â.
î" ÉGYPTIENS.
a» ASSYRIENS, PERSES, Etc.
4« UÉBREUX.
5" NABATIIÉENS.
•• CYRKNÉEÎf S.
7- PHÉNICIENS, CARTHAGINOIS.
•• TROYKNS. LYmSNS, PHRYOIBMS,
LYCIENS, ETC.
9» GRSCS.
10" ÉTRUSQUES.
Il» ROMAINS.
!«• BARBARES.
Les planches et le texte paroîtroot dans l'ordre exact des
divisions de l'ouvrage , en sorte que les premières livraiioas
contiendront les préliminaires et l'histoire des usages funèbres
et des sépultures chez les Égyptiens, et que les livraisons sui-
vantes contiendront successivement les autres divisions dans
l'ordre indiqué ci-dessus.
Quant à l'exécution typographique de l'ouvrage, elle aéra
aussi parfaite que possible. Le dessin et la gravttre des plu-
878 BULLETIN DU BIBLIOPHILE.
ches gravées et les dessius sur bois seront signés par les plus
habiles artistes. En un mot, rien ne sera négligé pour que
Texécution de ce livre soit au moins égale à celle des plus beau
ouvrages d*art publiés de nos jours.
— >1. Charles Giraud, membre de T Académie des Sciences
morales et politiques , inspecteur général de renseignement
supérieur, et possesseur, il y a plusieurs années, d'une très-
belle bibliothèque, qui a été vendue le 26 mars 1855, s'occupe
de la publication du Polyptujuc d'Alphonse, comte de Poitien
et de Toulouse y contenant le dénombrement des fiefs, des
vassaux, des droits et revenus qui appartenoient au comte
Alphonse dans le comtat Venaissin, dans la première moitié do
xiir siècle.
— Ln ouvrage qui intéresse les bibliophiles encore plus que
les chasseurs vient de paroitre à la librairie de L. Hachette;
nous nous empressons d'en faire part à nos lecteurs. Il est iotî»
tulé : la Chasse à courre en France ^ par J. La Vallée, 1 vol.
in-12 de ^39 pages illustré de ^0 vignettes par H. Grenier. Ce
volume est précédé d'une Introduction qui, à elle seule, for-
meroit un petit livre fort agréable à lire, et dont nous extrai-
rions plusieurs pages, si notre cadre nous le permettoit. Cet
avant-propos porte pour épigraphe deux vers extraits du ro-
man du Renard.
« L'histoire de la vénerie, dit Fauteur, seroit en réalité une
m
histoire universelle. Il est peu d'événements de quelque impor^
tance, qui, de près ou de loin, ne se trouvent liés à une aven-
lure de chasse. » Afin d'établir la vérité de cette proposition ,
M. La Vallée rappelle tous les chasseurs émincnts depuis Neift-
brod et Menés, 1*' roi d'Ég)'pte, qui fut emporté par un hippo-
potame, jusqu'au roi Charles X, qui chassoit pendant que ses
ordonnances soulevoient une révolution. L'auteur termine
son introduction par une analyse des ouvrages cynégétiques
0
i
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 879
dans lesquels il est parlé de la vénerie en France; il cite suc-
cessivement Arrien, écrivain du ii* siècle, la Chace dou serf^
le Roi Modus et la reine Ratio^ Gaston Phœbus, le Trésor de
Vénerie de Hardouin, publié de nouveau par les soins de M. Jér.
Pichon, Jacq. Du Fouilloux, etc., etc. Sous la plume spiri-
tuelle de M. La Vallée, la Chasse à courre est devenue un
livre charmant que tous s'empresseront de lire ; car au milieu
des préceptes de vénerie et des descriptions pittoresques de
diverses chasses, sont enchâssés de nombreux faits historiques
et de curieuses anecdotes.
— C'est depuis quelques années seulement que nous trou-
vons dans la circulation, des livres reliés aux armes du prince
Eugène de Savoie. En Allemagne, en Angleterre, à Paris, dans
divers catalogues, et surtout dans celui de la riche collection
de M. Giraud ûgurent des exemplaires parfaitement reliés en
veau fauve, en maroquin rouge et maroquin citron. Cependant
le prince Eugène, en mourant, avoit légué tous ses livres à
l'empereur Charles VI, et, à ce titre, ils ont fait partie jusqu'à
nos jours de la bibliothèque impériale de Vienne. Il paroit qu'à
la suite d'un- récolement de cette bibliothèque, on a vendu
comme doubles, sans doute par inadvertance, des livres qui,
outre leur valeur intrinsèque, avoient le mérite inappréciable
d'avoir appartenu à l'un des plus illustres généraux de l'em-
pire.
— M. le baron Taylor continue sa magnifique publication des
Voyages pittoresques dans l'ancienne France, Commencée en
1820, cette collection est l'une des premières et des plus im-
portantes productions de la lithographie en France. Le voyage
dans le Dauphiné, resté inachevé par suite de la révolution de
18^8, est aujourd'hui entièrement terminé. M. le baron Taylor
doit publier prochainement les dernières livraisons du Voyage
en Champagne, qui formera deux volumes aussi splendides que
les volumes précédents.
880 BULLETIN DU BIBUOPHIU.
Voici quels sont les Voyages qui ont déjà paru :
Normandie 39 livraisons 2 vol.
Franche-Comté ... 28 — 1 —
Auvergne 65 — 2 —
Languedoc 146 — k —
Picardie 136 — 3 —
Bretagne 91 — 2 —
Douphiné 47 — 1 —
Champagne 105 dont 87 sont publiées 2 —
— L'Université de Prague a fait l'acquisition de la riche bi-
bliothèque du professeur Hcrmann, le fameux philologue de
Goettingue. Elle se compose de 11,000 volumes.
— M. Paulin Paris, membre de l'Institut, professeur au col-
lège de France, conservateur au département des manuscrits
de la bibliothèque Impériale, vient de partir pour Saint-Péters-
bourg. Il est chargé par le ministre de l'Instruction publique
d'examiner les manuscrits françois ou intéressant la France qu
se trouvent dans les bibliothèques de Saint-Pétersbonrg, de
Moscou, et de plusieurs villes de l'Allemagne.
— La publication du Catalogue général de la biblioihèfue
Impériale, par ordre de l'empereur, se poursuit avec activité.
Le touie 1" (Histoire de France), dont nous avons rendu
compte Tannée dernière, a été promptenient suivi des tomes 2
et 3, qui renferment la nomenclature des ouvrages historiques
relatifs à la minorité et au règne de Louis XIV, aux règnes de
Louis XV et Louis XVI, jusqu'aux premières années de la Bé-
volutiou françoise. Cette série se compose au moins de 19,500
articles pour une période de cent quarante années.
Eu 1656, M"** de La Fayette avoit quitté ses amis pour re-
joindre son mari dans une terre de l'Auvergne : U"* de Sévi-
BUUBTIN DU BIBUOPBIU. 861
gDé était désolée de ce déparU Pour adoucir ses chagrins, Mé-
nage lui envoya une canzonetta,
La réponse de M'"'' de Sévigné est certainement la lettre la
plus affectueuse que Ménage ait jamais reçue d'une dame.
Getie lettre, jusqu'alors inédite, a été insérée dans Tbistoire de
M"»* de Sablé par M. Cousin, p. 296.
M™«* de Sévigné raffola de cette canzonetta. Après avoir
essayé vainement toutes les clés, elle entreprendra, dit-elle,
d'y trouver un air, tant elle a d'envie de la chanter. Avis aux
musiciennes si nombreuses aujourd'hui.
A. -T. Barbier.
Voici la canzonetta :
Hor, ch' il canto non godo
Deir augiel mio terreno,
Hor, ch'altro suon non odo,
Che dei mesti sospir, ch' esala il seno,
Deb ! perché mi si nega, o sorte ria,
Di spirar frà i sospir l'anima mia ?
Hor, che più non mirate
Il sol diquei bei rai,
Luci mie sconsolate,
Ah ! non v'aprite à questo ciel giammait
E se pur di veder vaghe voi siete,
Mirate il mio tormento, e poi piangete.
Hora, che a voi si cela
il ciel di quel bel viso,
Hor, che a voi non si svela
Qnel bel sol, che col sole ha il bel diviso,
Poi che le gioie vostre (ahil) son Cnite
Ostemperatevi in pianti, o non v'aprite.
882 BULLETIN DU BIBUOPHILE*
Hor si, ch* a me fia vile
La cetra, il pletro, il canto,
Hor languira lo stile,
E m'uscirà da grocchi un mardi pianto,
E traque' iluUi aroari altri fràpoco
Vedrà sommerso il core, o spenio il foco.
6. Ménage.
Nous n'avons pas encore parlé d'un livre publié en Angle-
terre avec un goût et un soin qui rappellent les belles pro-
ductions de la typographie parisienne au commencement du
XVI' siècle; c'est un volume intitulé : The book of comnum
prayers^ orné de gravures sur bois d'après les dessins d'Albert
Durer, de Hans Ilolbein, et d'autres artistes distingués; com-
posé à l'imitation du Livre d'Heures de la reine Elisabeth ;
imprimé par W. Pickering en 1853, et publié pour la première
fois par W. AUan, en 1855. Ce livre est d'une magnifique exé-
cution; il rappelle les Heures de Simon Vostre et de Jehan
Dupré, par les vignettes et les entourages, qui sont disposés
dans le m^me ordre ; mais il les surpasse par la finesse des gra-
vures, la richesse des ornements et des caractères. Une belle
gravure imprimée sur le verso du titre représente la reine
Élisabelii agenouillée dans son oratoire. Les vignettes qui en-
cadrent le texte forment plusieurs séries : \^ La Vie et la Pas-
sion de Jésus-Christ, avec les faits correspondants du Vieux-
Testament; 2^ les Vertus foulant au pied les vices; 3* les Cinq
Sens ; li^ les Vertus théologales ; 5» les Éléments; 5o une Danse
des morts complète. 11 serait difficile de rendre un compte plus
détaillé des nombreuses figures, des arabesques et des orne-
ments de tout genre qui font de ce livre d'heures à l'usage de
l'Église anglicane Tune des belles œuvres typographiques de
notre époque.
BULLETIN DU BIBLIOPHILE
ET
CATALOGUE DE LIVRES RARES ET CURIEUX DE LlTTÉRATUBfi,
d'histoire, ETC., QUJ SE TROUVENT EN VENTE
A LA LIBRAIRIE DE J. TECHENER,
JUILLET et \OUT — 1866.
&29. Alberti Magni liber de laudibus Mariae. — Et--
plicit tractatus de laudibus gloriosissime genitricis Marie
semper virginis famosissimi $acre pagine interpi^etis dni
Alberti magni de Laugingen radispanen, episcopi. Pet.
in-foL, goth., d.-rel 85 — »
Ce volume a été imprimé à BAle, vers rannée 1472, par Michel Wenaler
et Frédéric Biel.
A30. Ample discours et advis de Testât et assiette des
armées chrestiennes et turquesques : et des rencontres
et escarmouches qui se sont faictes depuis le moys
d'aoust 1572 jusques au 18 octobre. Paiis^ Nie. Chei-
neau, 1572. — Cronique des plus notables guerres
advenues entre les Turcs et Princes chrestiens jusques
à présent. Ensemble une pronostication sur la maison
des Ottomans. Paris, J. Ruelle, 1573 ; en 1 vol. pet.
in-S 24—»
Pièces aARBS publiées après la bataille de Lépante. Au mois d*août 1573,
les flottes chrétiennes opéroient contre les Turcs, sur les côtes de la Morée;
mais les Turcs n'osèrent accepter le combat que les alliés leur offrirent à
plusieurs reprises. Tout se passa en escarmouches et en descentes pour
faire de Teau. Au 18 octobre, les chrétiens assiégeoient en même temps
Navarin et Modon. Los noms de tous les chefs de Tannée alliée sont rap-
portés dans cette relation, et nous y avons remarqué le marquis de Mayne,
frère du duc de Guise, devenu célèbre pendant les troubles de U Ligne,
tous le nom de duc de Mayenne.
M
88& BULLETIN DU BIBUOPHILE.
Le second opuscule se compose (l*une Notice chronologique nar le$ phu
notables guerres advenues entre les Turcs et les princes chrétiens , depuis
la prise de Constantinoplc, en 1^53, jusqu'à la bataille de Lépante, en
1S71. On y trouve aussi l'indication de plusieurs événements des guenes
d'Italie, sous Charles VIII, Louis XII et François I". L'auteur de la PrtH
nostication sur la Maison des Ottomans engage les sonverains chrétiens à
s'unir pour une nouvelle croisade, attendu que toutes les prédictions sont
d'accord pour fixer la ruine de l'empire des Turcs, à l'année 1573.
A31. Aretino. Bagionamento del Zoppino fatto fratre, e
Lodovico puttaiiiere dove contiensi la vita e genealo^
di lutte le cortegiane di Ronia. (Yenetia) Fr. Marcolmo^
1539; pet. in-8 de 20 ff. mar. rouge fil. tr. dor. (Aw-
zonnet'Trautz.) 60 — »
Eiemplaire de la collection italienne de M. Libri ; on Ut dans le cat^
logue de sa vente, 1847, la note suivante : « Cette édition originale d'un
des ouvrages les plus licenticux de l'Arétin est restée, à ceqae noas erojronsi
toujours inconnue. Elle n'est pas citée dans le Manuel , et nous panons
que c'est là un des livres les plus rares de cette classe (sur ranioor, les
femmes, etc.). OlTrir aux amateui-s une édition originale et inconnue d*un
ouvrage sorti de la plume d'un auteur si célèbre, et qui a tanteiereé les
bibliographes, c'est leur |)rocurer une jouissance inespérée. Ce livret pié-
cieux se compose de 10 feuillets cliitri-és, plus un feuillet blanc : le feuillet 11
est coté par erreur 10. On sait (|ue cet ouvrage a paru plus tard dans le
recueil des Ragionamenti de l'Arétin, imprimés avec la date de 1584. Ce
petit bijou a été très-hubilement restauré. »
AS2. Ariosto. Orlando Furioso. Birmingham^ Basker-
ville, 1773, 4 volumes grand in-8, mar. rouge, fil. tr.
dor 436—»
Très-bel exeuplaiak d'une édition enrichie de gravures de Barlolaui,
Cochin et autres. Bonnes épreuves.
A33. Am)iM. Fables héroïques comprenant les véritables
maximes de la politique chrestienne et de la morale, par
Audin, prieur de Termes et de la Fage. Parié ^ 1648 ;
2 vol. in-S, lig. vél '28-^
Rare. Les Fables héroïques du sieur Audin, prieur de Termes, n*ont été
composées que dans un but moral. On s'aperçoit aisément qne ce scMit des
hommes qui parlent et agissent sous le masque de choses animées ou intr
niniées. Les actions et les paroles des animaux et des arbres mis en scène
par l'auteur, choquent souvent toute vraisemblance, et dépassent beau*
coup trop la liberté qu'on est convenu d'accorder aux fabulistes. Ainsi, oiie
BULLETIlf DU BIBL10PH1LB« 886
dgogne qui logeoii dans un nid avec ui parents et uê enfantin sauve des
flammes son p^re et sa mère, et laisse périr mb petits, parce que , dit-
elle, elle peut avoir d'autres enfanta, mais ne sauroit avoir on autre père
ni une autre mère. Raisonnement bien subtil pour une cigogne. Autre
eiemple : Le^ arbres veulent élire un roi : comme ils furent tous assemblés
et qu'un ttutcun eut allégué ses belles qualités Néantmoins quand tous
ensemble eurent jeté rœil sur foranger, ils le jugèrent digne de la cou-
ronne. N*estr-ce pas une singuliîsre invention que cette assemblée générale
de tous les arbres, qui Jettent tous ensemble rœil sur l'oranger et lui dé-
cernent lu couronne^ Les Discours moraux ^ dont chaque fable est suivie,
offrent un certain intérêt historique ; car ils se composent presque entière-
ment de faits tirés de Thistoire ancienne, et surtout de Thistoire moderne.
Nei» ferons remarquer le discours critique sur }es modes du temps: on
y trouve des détails curieux sur la toilette des deux sexes au xvii« siècle.
Mais les 60 gravures que renferment ces volumes, doivent les faire recher-
cher avec empressement; elles ont, en effet, un véritable et incontestable
mérite artistique. Les animaux et les arbres*sont dessinés fort exactement,
et groupés avec goût. Le graveur ne nous est connu que par les initiales
de son nom inscrites sur le frontispice, F. C, et nous pensons pouvoir les
attribuer à François Chauvcau, artiste parisien très-connu, mort en 1676.
Le !•* volume des Fables héiolques est dédié an chancelier Séguier; le
S* volume à Mgr. de Lyonne, secrétaire d*État« Chaque volume contient un
frontispice gravé, 30 fables et 30 tigures.
&3A. Billet. Gramatica francesa, dividida en très partes,
su autor D. Pedro Pablo Billet, parisiense. Madrid^
1688 ; in-8, d.-rel. v. f 28—»
Grammaire françoise à l'usage des Espagnols, tout à fait oubliée ai^our-
d*hui. On y trouve, sous le titre de : Parallèle de l'éloquence françoise et
espagnole, puis espagnole et françoise, un choix de locutions particalières
à ces deux langues , parmi lesquelles figurent un asseï grand nomt>re de
Proverbe*.
Le Traité sur la po*Siio françoise, qui termine le volume, renferme quel-
ques observations curieuses, et j'y ai remarqué, parmi les exemples dlés,
le eoonet suivant, que je donne ici, parce qu'il est peu connu et qu'on ne
s'aviseroit guère d'aller le chercher dans une vieille grammaire eapa^ole:
Vieux mots qui gémisses dans un exil fAcbeux,
Et que notre caprice a bannis du langage ,
No désespérés pas de rentrer dans Tusage
Et d'y tenir bienUH un rang noble et pompeux :
N'envies point le sort de ces mots orgueilleux
De qui la nouveauté fait souvent l'avantage;
Vous les verres détruits par notre humeur volage t
Us triomphent de voua, tous triompheres d'eux.
886 BULLETIN DU BIfiUOPHILE.
Je ne vous flate point d'une espérance vaine;
J'ai de votre retour une preuve certaine ,
Et say que vous allez rentrer dans tous vos droits.
La langue des Capets va devenir nouvelle ,
On a quitté François pour reprendre Françuois;
Vieux mots ne doutez point que Je ne vous rappelle.
(Geatet-Dl'plessis, Bibliogr. parémtologtçM.)
435. BoGGAGGio. Dîalogo d'amore di Giov. Boccaccio;
tradotto di latino in volgare da Angelo Ambrosini.
VenetiiSf apiid /. Bariletum^ 157A; pet. in-12y mar.
rouge tr. dor. (Duru.) 28—»
Volume RARE. C'est un dialogue entre Alcibiade et Philaterius. Dam la
dédicace, Ambrosini annonce qu'il a traduit ce livre du latin, sur un
nuscrit très-ancien. Cet opuscule peu connu contient quelques peCitfli
nouvelles.
A36. Galmet. Dictionnaire de la Bible, par Dom August
Galmet. Paris^ 1730; 4 vol. gr. in-foL, v. . . 170—»
Superbe exbmplairk eu grand papier; la meilleure édition de ce Uvn
orné d'un grand nombre de figures.
437. Garacgioli {Roberti) de Litio quadragesimale. Oh
loniœ, Ulricus Zel de Hanau, 1473; in-fol., goth. à
2 col., d.-rel 76—»
Édition précieuse, rare et fort recherchée; elle est imprimée arec ki
très-grands et beaux caractères du Zell , et elle est remarquable eu ce
qu'elle porte le nom d'UIric Zell, imprimeur, qui ne s'est nommé que dan
trois ou quatre de ses nombreuses impressions.
Ces sermons protestent souvent contre le luxe des papes et dea eanK-
naux.
438. GopiE des lettres du roy de Navarre et de Messeign.
le cardinal de Bourbon et prince de Gondé» envoyées i
nostre tressainct père le pape : ensemble les responses
de S. S. latines, et traduictes en françois (par J. Tou-
chard). Paris, P. UUuiUier, 1673; pet. in-8. 24— ■
Très-rare. D'après l'historien De Thou, J. Touchant, Ton dea écrivain
de la factiou connue sous le nom de Tiers4^arti, étoit plein d'ambitioo et
d'idées chimériques. Proresseur au collège de Navarre, il avoit été cfaoîii
par le cardinal de Bourbon, pour instruire ses neveux : amai n'écrifoitFU
BULLETIN DU BIBLIOPHILE. 887
que d'après l'impulsion du cardinal. Après la mort de Henri 01, il com-
posa, de concert avec Du Perron, son ami, un pamphlet anonyme en forme
de requête au roi Henri IV, pour le supplier d'abjurer l'hérésie et de se
faire catholique, afln de padfler les troubles de la France. Ce libelle,
inspiré par le cardinal de Bourbon, fut imprimé à Angers.
Touchard avoit publié, en 1573, sous la même influence, les lettres
écrites au pape Grégoire XIII, par le roi de Navarre (Henri IV) et le
prince de Condé, lors de leur abjuration forcée après la Saint-Barthélémy,
ainsi que la lettre du cardinal de Bourbon sur le même sujet, et les ré-
ponses du pape. Cette publication avoit un double but: décréditer les
princes dans le parti des calvinistes, et rendre difficile une rétractation qui
auroitété un désaveu de leurs protestations volontaires de fidélité au Saint-
Siège et à la religion catholique. En effet, on lit dans la lettre du cardinal
de Bourbon : « Par mes dernières lettres j'advertissois V. 8. que le roy de
Navarre, sa sour, le